27/09/2021

ANNAMARIA RIVERA
Le mythe funeste de l'identité originelle

Annamaria Rivera, Comune-Info, 20/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Le 13 septembre 2021, le Forum interreligieux du G20, réuni à Bologne, a finalement lancé un appel à l'abolition du mot "race" dans les Constitutions. La France l'a fait il y a trois ans, en abrogeant non seulement ce mot infondé et maléfique, mais aussi la référence aux différences de genre. Et il y a six mois, l'Allemagne a reformulé l'article 3 de sa constitution en ces termes : "Personne ne doit être lésé ou favorisé (...) pour des motifs racistes", au lieu de "en raison de sa race", comme c'était le cas auparavant.

L’initiative du Forum interreligieux du G20 n'est pas la première de ce genre : depuis plusieurs années, la société civile, y compris en Italie, s'organise pour demander l'abolition du terme "race".


 Sawtche Baartman, une femme khoïsan réduite en esclavage et exhibée comme une bête de foire en Europe (ici dans le salon de la duchesse de Berry) pour son large postérieur, devint célèbre sous le surnom de « Vénus hottentote ». Contrainte à la prostitution, elle mourut de pneumonie, syphilis et alcoolisme à Paris en 1815. Sa dépouille est rapatriée en Afrique du Sud en 2002

Un autre terme qui devrait être abandonné, à mon avis, est celui d'ethnie, qui, cependant, bien qu'ayant, en réalité, une valeur discriminatoire, continue à avoir un succès extraordinaire, même dans les milieux intellectuels. Parmi les nombreux exemples, il suffit de mentionner le titre d'un mémoire de licence en sociologie : La discrimination des ethnies Rom. Profils socio-juridiques. Définir la minorité des Rroms, Sintés et Gens du Voyage - en Italie les plus nombreux ainsi que les plus discriminés, marginalisés et méprisés - comme des "groupes ethniques"  signifie en fait contribuer à leur discrimination, leur marginalisation et leur humiliation.

Pourtant, au fil du temps, un certain nombre d'articles et d'essais sont apparus en Italie et ailleurs pour déconstruire ce pseudo-concept et montrer son sens arbitraire et discriminatoire. Le volume le plus important et le plus connu est L’Imbroglio ethnique en quatorze mots clés (Payot, Lausanne, 2000), dont j'ai été l'inspiratrice et la coautrice avec l'historien René Gallissot et l'anthropologue Mondher Kilani).


Ce travail intellectuel ne semble pas avoir soulevé de doutes sur la signification et la pertinence de l'utilisation du terme "ethnicité". C'est pour cette raison que je propose ici le résumé d'une des quatorze parties qui composent le volume cité, toutes introduites par des mots clés : c'est celle sur Ethnie-ethnicité.

Dans le langage courant, dans les médias et parfois même dans le langage scientifique, les termes "ethnie" et "ethnique" sont utilisés pour désigner synthétiquement, avec un seul mot, des groupes de population immigrés et des minorités qui se distingueraient des majorités par des différences de coutumes et/ou de langue, par leurs cultures et leurs modes de vie. En réalité, ceux qui utilisent abusivement le terme "ethnicité" entendent faire allusion à une forme de différence fondamentale et irréductible, qu'il s'agisse de caractéristiques somatiques, d'une "essence" culturelle prémoderne ou même d'une base ancestrale. Il y a aussi ceux qui pensent que l'"ethnicité" est le terme le plus approprié pour nommer les différences sans recourir au vocabulaire dit racial.

Certains chercheurs affirment même que le terme "ethnicité" a donné naissance à une évaluation des différents éléments constitutifs de l'humanité qui est plus rationnelle et plus juste, plus neutre et moins dépréciative que d'autres. En réalité, ce mot cache souvent la conviction ou le préjugé que les différences entre les cultures et les modes de vie reposent sur un principe ancestral, sur une identité originelle. Et il est souvent utilisé comme un synonyme euphémique de "race".

Dans tous les cas, l'utilisation du terme et de la notion reflète la division claire établie entre la société à laquelle l'observateur appartient (considérée comme normale, générale et universelle) et les autres groupes, minorités, cultures : presque toujours, les "ethniques" sont les autres, qui, en s'écartant de la norme de la société dominante et de la culture majoritaire, sont perçus comme différents, particuliers, marginaux, périphériques, archaïques, tardifs, en voie de disparition ou "simplement" non conformes à la norme nationale.

Un usage très particulier du mot, par auto-attribution ("c’est nous qui sommes ethniques") par des secteurs de la société dominante, est celui du Front national en France et de la Lega en Italie, qui parlaient respectivement d'"ethnie française" et d'"ethnie padane".

L'ethnicisation est en fait un processus qui ne consiste pas tant à reconnaître ou à inventer des différences historiques et culturelles qu'à classer subrepticement, pourrions-nous dire, des hiérarchies sociales, économiques et politiques. En effet, en ethnicisant les groupes sociaux, on tend à masquer leur position de subordination ou de marginalisation par rapport à la société globale.

La chronique de la guerre fratricide en ex-Yougoslavie a représenté le triomphe du modèle et des désignations "ethniques", qui sont ainsi devenus un fait indiscutable et ont été définitivement consolidés dans le langage courant. Cela a contribué dans une large mesure à la construction des idéologies qui ont sous-tendu et dissimulé les raisons de la guerre civile sanglante, avec son lot horrible de "purification ethnique" réciproque (ainsi que l'idéologie qui a servi à dissimuler les objectifs de la guerre "humanitaire" de l'OTAN dans les Balkans) ; et a conduit à la séparation artificielle de populations qui avaient longtemps coexisté et partagé un territoire, une langue, des coutumes, des habitudes, des projets et des institutions politiques.

C'est précisément parce que ceux qui sont représentés comme l'Autre absolu se révèlent souvent très semblables à nous qu'ils sont perçus comme une menace : c'est l'un des mécanismes qui conduisent au "nettoyage ethnique".

En définitive, l'ethnicisation néfaste d'un tel conflit, l'utilisation d'une stratégie qui mènerait finalement à la sécession, encouragée et cautionnée par les puissances européennes, avait pour principal enjeu la redistribution du pouvoir.

Même le conflit au Rwanda, qui a culminé dans le génocide des Tutsis, a fait l'objet d'une interprétation rigidement ethnique, identitaire et tribaliste, qui a laissé complètement dans l'ombre d'autres logiques bien plus déterminantes, négligeant surtout le caractère de conflit économique, social et politique. En réalité, bien qu'il se soit exprimé sous la forme d'une barbarie sanglante, ce conflit relève à bien des égards d'une "modernité terrifiante", selon les termes de l'historien Alessandro Triulzi. La politique d'anéantissement a, en fait, été conçue, planifiée et exécutée non pas par les chefs tribaux de l'intérieur, mais par les élites intellectuelles urbaines.

Peu se souviennent que ce sont les colonisateurs allemands et belges qui ont ethnicisé la classe aristocratique tutsie et la classe paysanne hutue : les hommes étaient classés et traités comme Tutsis ou Hutus selon qu'ils possédaient plus ou moins de dix têtes de bétail. L'interprétation ethniciste et le langage qui en découle se sont généralisés et se sont imposés comme un truisme, qu'il convient d'étudier et de critiquer.

Ce n'est pas un hasard si Georges Vacher de Lapouge, idéologue raciste et partisan de programmes eugéniques visant à empêcher le "mélange des races", a introduit le terme et la notion d'ethnie dans la langue française. Dès le départ, l'"ethnicité" est donc connotée par un sens défensif : elle est comprise comme un groupement de population auquel il manque quelque chose de décisif par rapport à la société à laquelle appartient l'observateur, c'est-à-dire celui qui a le pouvoir de nommer et de définir les autres. En bref, cette notion est souvent comprise comme la somme des traits négatifs ou du moins des traits découlant de l'incivilité ou de l'arriération.

Le colonialisme, en particulier, a produit des classifications "ethniques" basées sur l'invention d'ethnonymes souvent complètement arbitraires : ceux -ci étaient souvent le résultat de la transposition sémantique par les ethnologues et les fonctionnaires coloniaux de toponymes, de noms qui identifiaient des unités politiques, d'appellations qui désignaient tel ou tel groupe commercial, ou de stéréotypes par lesquels un certain groupe ou une certaine population était désigné, souvent de manière dérogatoire, par les groupes voisins ou par les classes dirigeantes.

Ainsi, au fil du temps, l'"ethnicité", avec la tribu et le lignage, a fini par devenir l'objet principal de cette science (parfois pseudo-science) qui s'est autonomisée sous le nom d'ethnologie. Aujourd'hui, heureusement, terme qui lui est préféré est celui d’anthropologie, qui a beaucoup contribué à déconstruire ce pseudo-concept.

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