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17/02/2023

ADAM RAZ
Comment Israël a utilisé les drapeaux pour affirmer sa domination sur les Palestiniens

Adam Raz, Haaretz,17/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des documents historiques exposent le sérieux abyssal qu’Israël a consacré au brandissement de drapeaux par les Palestiniens, et non moins au hissage du drapeau israélien

Un manifestant brandit un drapeau palestinien à Tel Aviv le mois dernier, lors d’une manifestation contre les projets de remaniement judiciaire du gouvernement. Le drapeau a toujours été considéré comme menaçant en Israël. Photo : Ohad Zwigenberg.

En novembre 1968, un an et demi après la conquête de la bande de Gaza par Israël lors de la guerre des Six Jours, un lycéen de 18 ans nommé Faiz, qui vivait dans le quartier Tuffah de la ville de Gaza, a accroché un drapeau palestinien au mur de son école, puis s’est enfui. Ensuite, environ 60 élèves de l’école sont sortis pour manifester contre les occupants. Rapportant l’événement, un coordinateur du service de sécurité du Shin Bet a noté : « Lorsque l’armée est apparue... les étudiants se sont enfuis et l’armée a réussi à appréhender un certain nombre d’étudiants qui manifestaient ».

Dans sa demande à la police israélienne d’enquêter sur l’événement, le coordinateur du Shin Bet a ajouté quelques commentaires : « Faiz est un mauvais étudiant. Le drapeau que Faiz a accroché au mur est fait à la main. On ne sait pas si quelqu’un a envoyé Faiz pour accrocher le drapeau ».

La police n’a pas perdu de temps pour lancer une enquête. Faiz et un autre élève ont été placés en garde à vue, de même que le directeur de l’école - qui a été relâché au bout de trois semaines, lorsqu’il s’est avéré que c’était lui qui avait décroché le drapeau.

Les archives du Shin Bet étant fermées au public (le document cité ci-dessus provient des archives de la police), nous ne savons pas comment cet épisode s’est terminé. Ce que l’on sait, c’est qu’il ne s’agit pas du seul incident attestant du fait que les forces de sécurité israéliennes ont toujours accordé une importance démesurée aux drapeaux et à leur apparition dans l’espace public, tant à l’intérieur de la ligne verte (Israël souverain) que du côté palestinien.

En effet, les rapports sur les drapeaux - qu’ils soient palestiniens ou israéliens - reviennent constamment dans la littérature de l’époque et dans la documentation historique en Israël. En 1974, par exemple, le commandement central des forces de défense israéliennes a signalé quatre cas de sabotage dans un village palestinien de Cisjordanie, consistant à débrancher à plusieurs reprises une ligne téléphonique et à hisser à sa place « un drapeau palestinien dessiné sur un morceau de papier de cahier ». Pour les autorités israéliennes, il est évident que l’attitude à l’égard du déploiement des drapeaux était une sorte de baromètre permettant de mesurer la profondeur du contrôle exercé par Israël sur les Palestiniens dans leur ensemble.

Alors que l’apparition du drapeau palestinien (dont les origines remontent à l’époque de la révolte arabe contre l’Empire ottoman, il y a un siècle) était une indication de l’inefficacité du contrôle israélien, le hissage de drapeaux israéliens - et plus il y en avait, mieux c’était - reflétait les tentatives maladroites des autorités de démontrer le contraire. En veillant rigoureusement à la présence de drapeaux israéliens dans l’espace public palestinien en Israël, l’occupant cherchait à ancrer la domination israélienne et à l’enraciner dans le domaine visuel, et ainsi à rappeler aux Palestiniens qui était le patron. C’est pourquoi des ressources considérables ont été investies, au cours des longues années (1948-1966) de régime militaire sur les citoyens arabes d’Israël, afin d’observer, de surveiller et de documenter les citoyens palestiniens qui célébraient le jour de l’indépendance, ceux qui hissaient le drapeau israélien et ceux qui s’y opposaient.

En avril 1950, avant le deuxième jour de l’indépendance d’Israël, le quartier général de l’administration militaire a envoyé un message aux gouverneurs militaires leur demandant de souligner l’importance de l’événement. « Il est d’un intérêt particulier pour nous que cette année, le Jour de l’Indépendance soit également célébré et évident parmi la population arabe dans les territoires administrés » c’est-à-dire la société arabe à l’intérieur d’Israël, disait-on aux gouverneurs. À cette fin, il a noté plusieurs mesures qui devaient être prises dans les communautés arabes. « Le mukhtar du village et les dignitaires doivent veiller à ce que les drapeaux soient hissés et que les emblèmes de l’État soient accrochés sur tous les bâtiments publics et [autres] bâtiments importants du village ».

Le rapport du Shin Bet de 1968 sur un élève qui a accroché un drapeau palestinien sur le mur de son école de la ville de Gaza : « Faiz est un mauvais élève. Le drapeau que Faiz a accroché au mur est fait à la main. On ne sait pas si quelqu’un a envoyé Faiz pour accrocher le drapeau ».

En outre, les écoles devaient organiser des événements festifs et mener des discussions sur le Jour de l’Indépendance, et dans les villages, des « prières spéciales pour le bien-être de l’État et du président » devaient être récitées ce jour-là. Les cinémas de Nazareth et d’Acre ont reçu l’ordre de projeter gratuitement des “films spéciaux”.

Les autorités sur le terrain - la police et les gouverneurs militaires - veillaient à ce que l’esprit de la fête soit maintenu. Chaque année, avant le jour de l’Indépendance et le jour même, elles faisaient des rapports sur les événements de la fête et sur ce qu’on appelait “l’état d’esprit” des habitants palestiniens d’Israël. Dans un rapport d’avril 1953, par exemple, le gouverneur militaire du Néguev, Basil Herman, a détaillé les principaux événements entourant la réception festive organisée pour le public arabe dans le bâtiment de l’administration militaire pour marquer le cinquième jour de l’indépendance du pays.

« Les exigences relatives aux permis de sortie n’ont pas été strictement respectées ce jour-là », a déclaré le gouverneur, faisant référence aux autorisations de voyage que la population arabe d’Israël devait obtenir pour quitter son lieu de résidence pendant la période du gouvernement militaire. Le gouverneur a ajouté que, contrairement à ce que l’on craignait, les représentants de la communauté bédouine n’avaient pas été affectés par la sécheresse de l’année et n’avaient pas exprimé d’attitude hostile envers le gouvernement pendant les célébrations. Au contraire : « Tous les intervenants ont fait l’éloge du gouvernement et de l’administration [militaire] ».

Un rapport du quartier général du gouvernement militaire à Acre sur les événements du jour de fête dans le village de Yasif en mai 1958 était également énormément dithyrambique sur les célébrations locales. « Le terrain [de jeu] du village était orné de drapeaux nationaux, de rubans colorés, d’une abondante lumière électrique fournie par un générateur spécial apporté sur le site à cette fin, d’une scène décorée de tapis, de drapeaux et de photos de personnalités publiques de l’État et de dirigeants sionistes », note le commandant du district, et résume : « Les dispositions techniques, y compris les places confortables pour que le public puisse s’asseoir, n’étaient pas inférieures, à mon avis, aux dispositions prises dans une communauté juive ».

La lecture du reste du rapport montre clairement que les célébrations ont eu lieu en dépit des objections du conseil communal local, dont les membres ont décidé à l’unanimité de boycotter les événements du jour de l’indépendance, selon le rapport, « pour des raisons nationalistes arabes ».

27/10/2022

ADAM RAZ
Pourquoi Israël a secrètement décidé d'effacer la Ligne verte des cartes

Adam Raz, Haaretz, 9/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

النسخة العربية  لماذا قررت إسرائيل محو الخط الأخضر سراً؟

Les procès-verbaux des réunions très secrètes du cabinet en 1967 révèlent comment la décision d'effacer la Ligne verte de la carte officielle d'Israël a été prise. Et ce n'était pas la seule chose qui a été effacée

Une tempête médiatique a éclaté le mois dernier à la suite de la décision de la municipalité de Tel-Aviv d'accrocher dans les salles de classe des cartes d'Israël montrant la Ligne verte – la ligne d'armistice sur laquelle Israël et ses voisins se sont mis d'accord en 1949, à la suite de la guerre d'indépendance d'Israël. Jusqu'en 1967, cette ligne représentait la frontière orientale de facto d'Israël et délimitait son territoire souverain. La ligne n'est pas apparue sur les cartes officielles de l'État d'Israël pendant toutes les années de l'occupation, et ce délibérément, à la suite de décisions secrètes prises par le cabinet de sécurité à la fin de 1967. Au lieu de la Ligne verte, il a été décidé de désigner les frontières (non officielles) d'Israël par les lignes de cessez-le-feu de la guerre de six jours qui a eu lieu en juin de la même année, englobant les territoires de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï et les hauteurs du Golan.

Depuis lors, les cartes officielles imprimées par Survey of Israel, le service cartographique gouvernemental, n'ont pas établi de distinction entre le territoire de l'État tel qu'il était à la veille de la guerre de 1967 et ce qu'il comprenait par la suite. Dans la pratique, comme le montre la carte officielle, Israël (et non « État de » ni « Terre de ») s'étend de la mer Méditerranée, à l'ouest, au Jourdain, à l'est. La décision politique de 1967 d'effacer la ligne de la carte officielle a peut-être eu pour but de laisser ouvertes toutes les options concernant l'avenir de ces territoires. Toutefois, avec l'établissement de colonies de peuplement dans les territoires occupés et leur transformation, aux yeux de beaucoup, en une partie intégrante d'Israël, l'effacement de la ligne est passé d'un exercice cartographique à une réalité politique. La Ligne verte a en fait été oubliée et, pour de nombreux Israéliens, elle n'existe plus concrètement.

La réaction du maire Benny Kashriel, de Ma'aleh Adumim, une colonie urbaine en Cisjordanie, à la décision de la mairie de Tel-Aviv reflète fidèlement la réalité politique d'Israël. Selon Kashriel, « l'État de Tel-Aviv et ses dirigeants pensent que les frontières de la Terre d'Israël se terminent à Gush Dan [agglomération de Tel-Aviv]. Je les invite à quitter Sheinkin et Ibn Gavirol [rues de Tel-Aviv] et à venir nous voir à Ma'aleh Adumim pour voir de près ce qu'est une colonie. »

Au-delà du verbiage anti-Tel Aviv, qui est à la mode dans certains milieux, la position du maire, selon laquelle Ma'aleh Adumim fait partie d'Israël, reflète une position étatique de longue date. En effet, hityashvut (le terme politiquement neutre utilisé par Kashriel pour « colonisation », au lieu de hitnahlut, le mot habituellement employé, parfois de manière dérisoire, pour désigner la colonisation dans les territoires occupés) est un projet d'État. Cependant, comme les décideurs l'ont très bien compris, il était nécessaire d'être ambigu dès le départ sur la question.

Ainsi, en octobre 1967, lors d'une réunion du comité ministériel sur la sécurité concernant la « disparition » de la Ligne verte, le projet de colonisation n'étant pas encore à l'horizon, le ministre de la Défense Moshe Dayan a clairement indiqué que, selon certains, « nous ne devrions pas manifester nos intentions expansionnistes ». Depuis lors, Israël a clairement manifesté ses intentions. De son côté, le ministre sans portefeuille Menahem Begin a déclaré qu'il « n'était pas d'accord avec le terme « expansion » [hitpashtut, en hébreu], tout comme je n'étais pas d'accord avec le terme « occupation ». C'est une très mauvaise phraséologie. » 

Cartes officielles d'après les guerres de 1948,  1967 et 1973

 

Un certain nombre de réunions des hauts dirigeants israéliens en octobre et novembre 1967 ont été consacrées à l'avenir de la Ligne verte sur des cartes publiées par l'État. Pour les participants, il était clair que la décision sur le sujet n'était pas anodine. À la suite de la décision prise par le gouvernement à l'automne d'annuler les lignes d'armistice de 1949, le ministre du Travail, Yigal Allon, a soumis une résolution au comité ministériel sur la sécurité. Allon dit : « Ma proposition est simple. Prendre un instantané de la vraie réalité reconnue, telle qu'elle est. » 

 

« Assis sur de nouvelles lignes »

Ce qu'il voulait dire, c'est que l'État devrait publier des cartes basées sur le « statut du cessez-le-feu » dans la guerre des Six Jours et non sur celui des lignes d'armistice de 1949. En d'autres termes, effacer la frontière orientale reconnue d'Israël de la carte officielle. Comme l'a expliqué Allon lors d'une des réunions : « La logique est la suivante : le gouvernement a décidé que lors de la déclaration de la guerre des Six Jours, les accords d'armistice ont cessé d'exister, avec tout ce que cela implique. S'il n'y a pas de lignes d'armistice, il n'y a pas de frontières... Nous sommes assis sur de nouvelles lignes, qui ont le statut de lignes de cessez-le-feu. »

Pratiquement tous les ministres étaient en faveur du projet de résolution. Le Premier ministre, Levi Eshkol, l'a accepté, expliquant dans l'une des discussions : « C'est aujourd'hui une carte qui n'est qu'un instantané de la situation existante. [Mais] cela ne signifie pas que c'est la carte finale. » Les ministres étaient conscients des implications de leur décision. Le ministre du Commerce et de l'Industrie, Zeev Sherf, a noté que « la publication d'une carte du service cartographique gouvernemental est un acte politique, important et grave ». C'est pourquoi Eshkol a dit qu'il « préférerait que nous n'ayons pas d'opinions divergentes à ce sujet ».

Le ministre de la Police Eliahu Sasson, qui était également en faveur de la décision, a expliqué la logique qu'il y a trouvée : « Les territoires administrés sont trois fois plus grands que la zone précédente de l'État d'Israël. Il y a des pays qui savent que nous avons conquis tel ou tel territoire, mais ils n'imaginent pas la taille des territoires que nous avons conquis. Si nous leur donnons une carte sur laquelle nous marquons séparément les territoires administrés par les Forces de défense israéliennes, ils verront à quel point Israël était minuscule et quelle est la taille des territoires administrés. Nous ne devrions pas placer une telle carte entre les mains de ceux qui veulent que nous nous retirions des territoires administrés. »

Les discussions ont porté sur divers points. L'un des plus intéressants d'entre eux concernait le titre de la carte : « État d'Israël » ou simplement « Israël » ? « Nous avons convenu, nota Allon, que pour éviter les allégations d'annexions et autres, le titre de la carte serait ‘Israël’ et le sous-titre ‘Carte des lignes de cessez-le-feu’. »

Un débat a été consacré à la question de la censure et à la crainte que la décision d'effacer cette ligne ne devienne publique avant la réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies, prévue quelques semaines plus tard, début novembre. C'est le ministre des Affaires étrangères Abba Eban qui a demandé que les cartes ne soient imprimées qu'après les sessions de l'Assemblée générale, et c'est ce qui s'est passé. Cependant, ce n'était pas seulement une question de diplomatie, c'était aussi une question intérieure. En effet, Eban lui-même a déclaré dans l'une des discussions : « Je pense qu'il y a des raisons internes et externes pour effacer la ligne de la carte. »

L'une de ces raisons était probablement le désir d'établir des colonies sur les hauteurs du Golan. À l'époque, la plupart des ministres n'aspiraient pas à un vaste projet de colonisation en Cisjordanie. Mais les choses étaient différentes quand il s'agissait des hauteurs du Golan ; Allon a expliqué que laisser les cartes avec la Ligne verte dessus était quelque chose qui « ne pouvait nous contrarier que dans le cas des hauteurs du Golan ». Il avait raison. Aux yeux de la plupart des Israéliens, les colonies de peuplement qui ont été construites sur les hauteurs du Golan depuis lors sont considérées comme des yeshuvim - terme politiquement neutre – et non comme des hitnahaluyot, le terme utilisé, comme on l'a noté, pour désigner les colonies de peuplement d'après 1967.

Le ministre de la justice Yaakov Shimshon-Shapira a également évoqué la dissimulation de la décision et ses implications. « Des cartes [des lignes] du cessez-le-feu ont déjà été publiées des dizaines de fois. Quel est le secret ici ? Le secret est que le gouvernement a décidé de publier une carte de ce genre en tant que carte officielle. » Ainsi, les décisions du comité ministériel pour la sécurité d'effacer la Ligne verte des cartes officielles ont été qualifiées de « top secret » et n'ont pas été publiées pendant des années.

L'effacement de la ligne n'avait pas pour but de délimiter une nouvelle frontière pour Israël, mais cette question a été soulevée tout au long des discussions. « Il faut qu'il y ait une note [indiquant] qu'il ne s'agit pas d'une carte des frontières du pays, mais des lignes de cessez-le-feu. Cela enlève tout le « piquant » » », a déclaré le ministre de l'Information Israël Galili. Dans la pratique, cependant, la question de la frontière a été divisée en plusieurs questions. Le directeur général du ministère de l'Intérieur, Meir Silverstone, a écrit en septembre 1967 à son ministre, Haim-Moshe Shapira, que « le ministre de la Défense (et peut-être d'autres ministres) sont favorables à une approche de « brouillage » de la frontière entre l'État et le territoire administré. Pour cette raison, ils ne veulent pas que nous nous occupions de la question par le biais d'une supervision des frontières sur la base de la loi sur l'entrée en Israël. »

« Un seul Israël »

Il convient de rappeler que la municipalité de Tel-Aviv n'a pas été le premier organisme à vouloir restaurer la Ligne verte sur les cartes – le sujet a en fait été débattu au fil des ans. Par exemple, en 2006, lorsque le ministre de l'Éducation, Yuli Tamir (travailliste), a lancé une enquête pour déterminer si la ligne pouvait être restaurée sur des cartes dans les manuels scolaires, cela a généré une brève fureur politique. Le fait que la Ligne verte n'apparaisse pas sur les cartes officielles, et que l'histoire de son existence ne soit pas correctement enseignée dans le système éducatif, a permis de reproduire pendant des décennies l'ignorance sur les limites du territoire souverain d'Israël. « Il n'y a pas de Ligne verte. Il y a un Israël. Un enfant dans [la colonie de] Karnei Shmron, dans Netivot [en Israël souverain], dans [les colonies de] Ariel ou Ofra – ils sont un seul et même enfant », a déclaré le ministre de l'Éducation Naftali Bennett des années plus tard. « Nous enseignons sur toute la Terre d'Israël, sans distinction. »

La décision d'effacer la Ligne verte des publications de Survey of Israel a également été adoptée pour d'autres cartes. En décembre 1967, par exemple, de nouvelles cartes ont été imprimées pour marquer les « nouveaux sentiers » de la Société pour la protection de la nature en Israël. « La carte contient les nouveaux sentiers qui ont été marqués dans le désert de Judée libéré, le long desquels des milliers de jeunes vont faire de la randonnée durant quelques jours pendant les sorties de Hanoukka des mouvements de jeunesse », a écrit le journal Lamerhav (l'organe du parti de Galili et Allons, les travaillistes). La Ligne verte, notait-on dans l'article, avait été « complètement retirée de la carte ».

Les considérations étaient très claires. Dans l'une des discussions sur la question, le Premier ministre Eshkol a explicitement fait référence à la considération cachée qui sous-tend l'effacement de la Ligne verte et la décision de le garder secret, disant : « Nous savons tous pourquoi une mariée vient se tenir sous le dais*. Mais nous n’en parlons pas ».

NdT

*Dais : la houppa est un dais sous lequel les mariés juifs se tiennent lors de la cérémonie de mariage, pour symboliser le foyer commun qu’ils fondent


 

Pour apporter un peu d'oxygène, quelques cartes de la Palestine, réalisées par Rami Abou Qa'adan, un jeune Palestinien de Cisjordanie, sans aucune ligne, ni verte, ni bleue. Yalla Filastin!

 



 

01/08/2022

ISSAWI FREJ
Le voyage de Kafr Qassem vers la guérison ne fait que commencer

 Issawi Frej, Haaretz, 1/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

[عيسوي فريج עיסאווי פריג']  (Kafr Qassem, 1963) est un Palestinien membre du parti israélien Meretz, dont il est député à la Knesset. Il est actuellement ministre israélien de la Coopération régionale. Son grand-père a été tué dans le massacre de Kafr Qassem en 1956. @EsawiFr

Comme tous les enfants de Kafr Qassem, j'ai grandi dans l'ombre du massacre. Le traumatisme qui a frappé le village sept ans avant ma naissance était présent tout au long de mon enfance. Je me souviens des regards effrayés de mes parents dans les rares cas où ils ont été contraints d'accepter que je quitte le village pour me rendre dans les zones juives.

Le monument de la place Al-Aqsa à Kafr Qassem commémorant le massacre de 1956. Photo : Tomer Appelbaum

Nous nous sommes tous enfermés, effrayés. Au début des années 1980, j'ai été parmi les premiers habitants de Kafr Qassem à étudier à l'université. Ce n'est qu'alors, 20 ans après le massacre, que le sentiment de peur a commencé à s'estomper. Mais la blessure n'a pas guéri.

Des générations d'enfants sont nées en sachant que, du point de vue du gouvernement israélien, rapporter la vérité sur un massacre qui a touché presque toutes les familles du village reviendrait à « porter atteinte à la sécurité de l'État ». Ce n'est pas comme si nous ne savions pas. Nous savions tout.

Nous savions que les meurtres avaient été planifiés, que la porte est du village avait été laissée ouverte au moment de la fusillade dans l'espoir erroné que les habitants s'enfuient pour sauver leur vie en Jordanie. Nous savions que le plan portant le nom de code « Taupe » visait à expulser les résidents du Triangle arabe, que l'esprit clairement illégal de l’ordre qui a été émis le soir du 29 octobre 1956, avec un drapeau noir figuratif flottant au-dessus, provenait de niveaux bien plus élevés que les commandants sur le terrain.

Nous le savions, mais le gouvernement préférait que ces connaissances restent des « allégations non fondées » aux yeux des citoyens juifs d'Israël - et il est resté imperturbable dans son refus de publier les transcriptions complètes du procès qui a suivi le massacre. Il a également refusé que le contenu du plan Taupe soit publié.

Je me souviens d'un moment en 2016, alors que nous marquions le 60e anniversaire du massacre, où le ministre du Tourisme de l'époque, Yariv Levin, s'est approché de moi à la Knesset et a dit : « Le massacre de Kafr Qassem est un mensonge ». Il s'agissait d'une réécriture de l'histoire qui n'aurait pu exister qu'en dissimulant la vérité.

Parfois, la détermination d'une seule personne suffit à apporter un changement majeur, et dans ce cas, c'est le travail de l'historien Adam Raz de l'Institut Akevot qui a pris sur lui de mener la bataille juridique pour la divulgation des dossiers - et il a réussi.

En juillet 2018, Raz m'a demandé de venir au tribunal militaire pour représenter les résidents de Kafr Qassem. Le juge m'a demandé si la crainte était fondée que la divulgation des documents ne provoque des troubles parmi les habitants de la ville. J'ai répondu que nous ne cherchions pas à nous venger. C'était seulement la vérité que nous recherchions.

La publication de l'intégralité des transcriptions nous rapproche de la vérité - le fait que les meurtres n'étaient pas le résultat d'une mauvaise compréhension des ordres venus d'en haut, mais faisaient plutôt partie d'un vaste plan émanant du niveau politique. Il est vrai que le plan Taupe lui-même n'a pas été autorisé à être publié, mais il est présent à chaque page des transcriptions. Et désormais, ce n'est plus une « allégation », mais un fait.

D'autres éléments n'ont pas été divulgués non plus. Les photos des personnes assassinées sont encore confidentielles, en plus, comme je l'ai noté, des détails du plan dans lequel le massacre devait s'inscrire. Mais la vérité a été révélée.

Cette vérité a la capacité de commencer à permettre à la blessure de se cicatriser. Il est vrai que dans le passé, les présidents Rivlin et Herzog avaient cherché à obtenir le pardon, mais tant que la dissimulation s'est poursuivie, la confrontation véritable avec ce qui s'était passé n'avait pas commencé. Maintenant, ce voyage commence.

La publication des transcriptions ne « nuit pas à la sécurité de l'État ». Au contraire, elle est essentielle pour donner de l'espoir, non seulement pour Kafr Qassem, mais aussi pour les relations entre Juifs et Arabes dans tout le pays et pour la construction d'un avenir coopératif. La position centrale de Kafr Qassem est à la fois une sorte de malédiction et de bénédiction - elle a entraîné le massacre et, à présent, l'épanouissement du village.

Nous pouvons maintenant nous concentrer sur la bénédiction et commencer le travail de guérison des blessures de la malédiction.

31/07/2022

TOM SEGEV
Les soldats israéliens auteurs du massacre de Kafr Qassem en 1956 pensaient bien faire

Tom Segev, Haaretz, 31/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tom Segev (Jérusalem, 1945), est un historien, écrivain et journaliste, faisant partie des « Nouveaux historiens israéliens », dont les travaux ont remis en cause l'écriture sioniste de l'histoire. Parmi ses principaux livres : Le Septième million. Les Israéliens et le génocide, Les premiers Israéliens, C'était en Palestine au temps des coquelicots, et 1967 : six jours qui ont changé le monde.

Les transcriptions récemment déclassifiées du procès qui a suivi le meurtre de 53 Palestiniens à Kafr Qassem révèlent une vérité qui dérange sur le rôle marginal que les crimes de guerre ont joué dans la formation des valeurs fondamentales d'Israël.

 Une peinture murale représentant le massacre de 1956 dans un musée de Kafr Qassem. Photo : Tomer Appelbaum

Les minutes du procès de Kafr Qassem sont si choquantes et bouleversantes non pas parce qu'elles révèlent des informations inconnues des historiens, mais précisément parce que les crimes de guerre israéliens jouent un rôle si marginal dans la formation des principes fondamentaux de l'État.

Le plan Hafarperet (Taupe) d'Israël, conçu pour expulser les Arabes du "triangle" des villes arabes, est connu depuis 20 ans, depuis que la personne qui l'a rédigé sous les instructions de Moshe Dayan, alors chef d'état-major, a révélé son existence. Il s'agissait d'Avraham (Abrasha) Tamir, chef de la division des opérations du commandement central des FDI à l'époque, qui est devenu par la suite une curiosité dans le monde politique israélien.

L'idée de ce plan était d'exploiter une future guerre avec la Jordanie pour évacuer les villages arabes de ce triangle. Une partie de la population fuirait vers la Jordanie, tandis que d'autres seraient envoyées dans des camps de détention en Israël. Ruvik Rosenthal, journaliste, auteur et linguiste, a cité Tamir dans un livre qu'il a écrit, "Kafr Qassem, Faits et mythes", publié (en hébreu) par Hakkibutz Hameuchad en 2000.

 Des fonctionnaires israéliens et des résidents locaux assistent à une sulha (cérémonie de réconciliation) à Kafr Qassem en 1957, un an après le massacre. Photo : Moshe Pridan/GPO

Il y a trois ans, l'historien Adam Raz a publié une "biographie politique" du massacre, commis à Kafr Qassem par des policiers des frontières dans l'après-midi du 29 octobre 1956.

La campagne du Sinaï (Suez) a débuté ce jour-là et le couvre-feu a été imposé aux villages arabes du triangle, plus tôt que ce qui avait été annoncé initialement. Cinquante-trois villageois qui n'étaient pas au courant du couvre-feu et qui rentraient du travail après sa promulgation ont été abattus. Entre les massacres de Deir Yassin en 1948 et de Sabra et Chatila en 1982, rien n'a été plus horriblement emblématique de la nature meurtrière de la bataille pour la terre d'Israël.

Le massacre de Kafr Qassem a été reconnu par la suite comme une exception tragique qui n'aurait jamais dû se produire. Le plan Hafarperet a été relégué aux oubliettes, tout comme d'autres plans visant à réduire la population arabe du pays. Adam Raz a tenté de prouver un lien entre le plan et le massacre de Kafr Qassem. Les archives des Forces de défense israéliennes refusent de communiquer tout document relatif à cet incident. Raz a demandé à voir, entre autres documents, les procès-verbaux des procès des policiers qui ont perpétré le massacre, et suite à une campagne juridique et publique qui a duré des années, ces procès-verbaux ont été déclassifiés vendredi.

Comme cela arrive souvent lorsque des documents d'État sont déclassifiés, la première question qui vient à l'esprit est de savoir pourquoi ils ont été gardés si jalousement. Comme cela aurait pu être agréable et surprenant si les minutes avaient révélé un ordre de ne pas blesser des civils innocents. La question qui reste est de savoir s'il y avait une affinité opérationnelle entre le plan Hafarperet, qui a été annulé avant le massacre, et ce qui s'est réellement passé dans le village. L'impression donnée par ces procès-verbaux est qu'il y avait un lien circonstanciel : certains des auteurs du massacre étaient au courant du plan et de son annulation, mais ils ont quand même procédé à leurs actes.

Le lien exact entre le plan Hafarperet et le massacre n'est pas important. Ce qui importe, c'est que les deux étaient imprégnés du même esprit. Les personnes qui ont assassiné ces villageois n'ont pas agi avec l'impassibilité d'un soldat obéissant aux ordres. Ils croyaient qu'ils faisaient quelque chose qui devait être fait, dans l'esprit de leurs commandants. Les procès-verbaux le démontrent bien, et c'est là que réside leur principale signification.

En 1956, de nombreux Israéliens vivaient encore les événements de la guerre d'indépendance. Les Arabes israéliens étaient considérés comme des ennemis. Ils étaient contraints par les règles d'un gouvernement militaire, un mécanisme arbitraire et corrompu dont l'existence exprimait l'attitude de Ben-Gourion envers les Arabes de ce pays. Il les considérait comme un obstacle et une menace, et ne croyait pas à la possibilité de faire la paix avec eux. Il était en faveur de divers plans de transfert.

La fuite et l'expulsion des Arabes pendant la guerre de 1948 étaient conformes à ses vues, ce qui a conduit, entre autres facteurs, à la décision de ne pas conquérir leurs nouvelles zones d'implantation, notamment la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. "Un Arabe est avant tout un Arabe", a déclaré Ben-Gourion quelques mois avant le massacre de Kafr Qassem. Son esprit a été encouragé par les FDI. "J'espère que dans les années à venir, il y aura une autre occasion de transférer ces Arabes de la terre d'Israël", a déclaré Moshe Dayan.

Des habitants de Kafr Qassem assistent à un événement commémoratif à l'occasion de l'anniversaire du massacre, en 2019.Photo : Moti Milrod

On aimerait croire que la mise au jour et la condamnation des crimes de guerre conduiraient à la prévention de tels crimes à l'avenir. L'inverse est également vrai : quiconque dissimule des crimes de guerre les couvre et les légitime. La contrition publique au sujet des crimes de guerre contribue parfois à la consolidation des principes humanitaires fondamentaux. Mais cela est particulièrement difficile en Israël, non seulement en raison du besoin perpétuel de se défendre contre l'inimitié arabe, mais aussi en raison du besoin de croire en la droiture du pays. C'est un besoin idéologique, sioniste, existentiel. Si nous ne sommes pas justes, nous ne resterons pas ici, c'est ce qu'on enseigne dans les écoles israéliennes.

Au lendemain du procès des assassins de Kafr Qassem, il semblait qu'Israël s'engageait dans une doctrine presque révolutionnaire dans les annales de la belligérance humaine. Il s'agissait de la doctrine du "drapeau noir". Ce drapeau doit flotter au-dessus de tout "ordre manifestement illégal", qu'un soldat doit identifier et refuser d'y obéir. C'est la leçon éthique que les Israéliens auraient dû tirer de l'Holocauste. C'est la base de l'affirmation selon laquelle les FDI sont l'armée la plus morale du monde.

Il fut un temps où chaque soldat des FDI était censé entendre parler du "drapeau noir" au cours de son service, au moins une fois. Je connais au moins un soldat qui n'en a pas entendu parler. Cependant, il semble que la "doctrine du drapeau noir" ait également été reléguée aux oubliettes. En fin de compte, cette doctrine reflétait l'aspiration à un sionisme plus moral qu'il ne pouvait l'être.

Entre-temps, tout a changé. L'oppression des Palestiniens dans les territoires occupés a réduit à néant les prétentions à représenter une existence (israélienne) juste. Seuls quelques Israéliens prêtent attention à cette difficulté, comme le montre l'une des réactions en ligne à la publication des minutes du procès de Kafr Qassem : « Et les minutes des pogroms de Kichinev ? »*

NdT

*Émeutes antisémites à Kichinev/Chișinău, en Moldavie, en 1903 et 1905.

        

 

 

 

 

24/01/2022

Un documentaire israélien reconstitue le massacre de Tantoura en mai 1948 : ses auteurs passent aux aveux

Les crimes contre l’humanité ont tous une dimension commune : la dénégation puis le déni. Une fois mis faces aux preuves de leurs actes, les auteurs disent en général n’avoir fait qu’obéir aux ordres ou bien, s’ils étaient des chefs, de n’avoir pas donné d’ordres, déniant une quelconque responsabilité. Il n’y aura pas de procès des tueurs de Tantoura, ni à Jérusalem ni ailleurs sur notre pauvre terre. Mais au moins, personne ne pourra dire  qu’il ignore les faits.Certains Israéliens osent briser le mur du silence, comme Alon Scharz avec son documentaire « Tantoura». Ci-dessous deux articles sur le film. Lire aussi Comment camoufler un massacre : le cas de Tantoura, par Alon Schwarz-FG

 

Des vétérans avouent : il y a une fosse commune palestinienne sur une plage populaire israélienne
 

Adam Raz, Haaretz, 20/1/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les vétérans israéliens de la bataille de 1948 du village de Tantoura s'expriment enfin sur les massacres de Palestiniens qui ont eu lieu après la reddition du village

« Ils ont réduit ça au silence », dit l'ancien soldat Moshe Diamant, en essayant d'être économe de mots. « Il ne faut pas le dire, cela pourrait provoquer tout un scandale. Je ne veux pas en parler, mais c'est arrivé. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? C'est arrivé ».

Vingt-deux ans se sont écoulés depuis que le récit de ce qui s'est passé lors de la conquête par les troupes israéliennes du village de Tantoura, au nord de Césarée, sur la côte méditerranéenne, pendant la « guerre d'indépendance » [terme israélien désignant la Nakba, NdT], a suscité la fureur. La controverse s'est déclenchée à la suite d'une thèse de maîtrise rédigée par un étudiant israélien diplômé du nom de Theodore (« Teddy ») Katz, qui contenait des témoignages sur les atrocités perpétrées par la Brigade Alexandroni contre des prisonniers de guerre arabes. Cette thèse a donné lieu à la publication d'un article dans le journal Maariv intitulé « Le massacre de Tantoura ». Finalement, un procès en diffamation intenté à Katz par des anciens combattants de la brigade l'a amené à se rétracter sur son récit d'un massacre.

Teddy Katz dans une scène du documentaire Tantoura d'Alon Schwarz. Photo : avec l'aimable autorisation du Sundance Institute, Yonathan Weitzman

13/12/2021

Un coin du voile est levé sur les massacres de civils palestiniens et libanais et de prisonniers arabes après la proclamation de l’État d’Israël

Les révélations sur les massacres de civils palestiniens et libanais et de prisonniers arabes lors de la guerre de 1948-1948, dont le gouvernement israélien était parfaitement au fait, n’émeuvent pas grand-monde en Israël. Sauf la rédaction du journal Haaretz et son journaliste Gideon Levy. Lisez ci-dessous l’éditorial du journal, l’article de l’historien Adam Raz, qui a fouillé les archives accessibles, et le commentaire désabusé de Gideon Levy, le tout traduit par mes soins.- Fausto Giudice, Tlaxcala

L'armée israélienne, « la plus morale du monde », ne peut continuer à fuir son passé

Editorial de Haaretz, 12/12/2021

Les soldats de l'armée israélienne ont commis des crimes de guerre pendant la guerre d'indépendance [1948-1949], notamment des massacres dans les villages palestiniens capturés lors des batailles décisives dans la plaine entre la côte et Jérusalem, en Galilée et dans le Néguev.

Les personnes qui vivaient à l'époque ont décrit les meurtres en masse de civils palestiniens par les troupes qui ont conquis leurs villages, les pelotons d'exécution, les dizaines de personnes rassemblées dans un bâtiment qui a ensuite explosé, les crânes d'enfants fracassés à coups de bâton, les viols brutaux et les villageois à qui on a ordonné de creuser des fosses dans lesquelles ils étaient ensuite abattus.

Les massacres - dont le plus connu est celui de Deir Yassin, près de Jérusalem, et les moins connus d'Al-Dawayima, Hula, Reineh, Salha, Meron, Al-Burj, Majd al-Krum et Safsaf - font partie du patrimoine de combat des Forces de défense israéliennes et de l'histoire d'Israël, au même titre que les batailles héroïques du col de Mitla, de la Colline des munitions et de la Ferme chinoise, qui ont été livrées par des armées régulières.

L'anniversaire du massacre d'Al-Dawayima - 29 novembre 1948, par Kamel Al Mughanni , 1982

Mais Al-Dawayima n'est pas enseigné dans les écoles publiques, et les cadets des écoles d'officiers de l'armée ne font pas d'excursions pour voir les vestiges du village sur lequel le Moshav Amatzia a été établi. Ils ne lisent pas les témoignages des survivants du massacre et ne discutent pas des dilemmes moraux du combat dans un environnement civil - même si aujourd'hui, comme en 1948, la plupart des opérations militaires sont dirigées contre des Palestiniens non armés.

Ce silence n'est pas une coïncidence, et il est dicté d'en haut. Les massacres étaient connus à l'époque, discutés par les dirigeants politiques et ont fait l'objet d'une enquête dans une certaine mesure. Un officier a même été jugé pour le meurtre de civils, reconnu coupable, condamné à une peine ridiculement légère et a finalement reçu une importante nomination publique. Mais l'Israël officiel fuit l'histoire depuis lors, faisant tout son possible pour empêcher la divulgation des crimes et pour purger les archives de toutes les preuves restantes.

L'historien Adam Raz a été le premier à révéler (Haaretz, 10 décembre) le contenu des discussions des réunions du cabinet consacrées au « comportement de l'armée en Galilée et dans le Néguev » lors de ses grandes opérations d'octobre 1948. Quelques membres du cabinet ont exprimé un véritable choc et ont demandé que les responsables soient punis. Le Premier ministre et ministre de la Défense David Ben-Gourion qualifie les actions de « choquantes », mais en pratique, il couvre l'armée et empêche une véritable enquête. Ce faisant, il a jeté les bases de la culture de soutien et de dissimulation qui prévaut toujours au sein des FDI (et de la police israélienne) en matière de brutalité à l'encontre des civils palestiniens et libanais.

Un État de 73 ans n'a pas besoin de fuir son passé ou de le couvrir de la fausse couverture de la « pureté des armes » et de « l'armée la plus morale du monde ». Il est temps de reconnaître la vérité, et d'abord de publier le rapport du premier procureur général, Yaakov-Shimshon Shapira, sur les massacres de l'automne noir de 1948 ; de rétablir le texte expurgé du procès-verbal de la réunion du cabinet au cours de laquelle Shapira a présenté ses conclusions et d'organiser un débat public approfondi sur leurs implications aujourd'hui.

 

Des documents classifiés révèlent des massacres de Palestiniens en 1948 - et ce que les dirigeants israéliens savaient

Adam Raz, Haaretz, 9/12/2021

Les témoignages continuent de s'accumuler, des documents sont révélés, et peu à peu une image plus large se dessine des actes de meurtre commis par les troupes israéliennes pendant la guerre d'indépendance. Les procès-verbaux des réunions du cabinet en 1948 ne laissent aucun doute : les dirigeants israéliens étaient au courant en temps réel des événements sanglants qui se sont déroulés pendant la guerre d'indépendance.



Eliahou Eric Bokobza
, Le mal, huile sur toile, 150X200, 2005

Les discussions ont été empreintes d'émotion. Le ministre Haim-Moshe Shapira a déclaré que tous les fondements moraux d'Israël avaient été sapés.

Le ministre David Remez a fait remarquer que les actes qui ont été commis nous font sortir de la catégorie des Juifs et de la catégorie des êtres humains tout court. D'autres ministres ont également été consternés : Mordechai Bentov se demande quel genre de Juifs il restera dans le pays après la guerre ; Aharon Zisling raconte qu'il a passé une nuit blanche - les criminels, dit-il, frappent l'âme de tout le gouvernement. Certains ministres demandent que les témoignages fassent l'objet d'une enquête et que les responsables soient tenus de rendre des comptes. David Ben-Gourion reste évasif. Finalement, les ministres décident d'ouvrir une enquête. Le résultat est la création du « comité chargé d'examiner les cas de meurtre dans [par] l'armée ».

Nous sommes en novembre 1948. Les témoignages de massacres perpétrés par des soldats des Forces de défense israéliennes contre des Arabes - visant des hommes non armés ainsi que des personnes âgées, des femmes et des enfants - s'accumulaient sur la table du cabinet. Pendant des années, ces discussions ont été cachées au public par les censeurs militaires. Aujourd'hui, un rapport d'enquête réalisé par Haaretz et l'Institut Akevot pour la recherche sur les conflits israélo-palestiniens rend publics pour la première fois les échanges animés entre les ministres à ce sujet et révèle des témoignages sur trois massacres jusqu'alors inconnus, ainsi que de nouveaux détails sur la tuerie de Hula, au Liban, l'un des crimes les plus flagrants de la guerre.

En octobre 1948, les FDI ont lancé deux opérations de grande envergure : Au sud, l'opération Yoav, qui ouvre une route vers le Néguev, et au nord, l'opération Hiram. Dans cette dernière, en 30 heures, des dizaines de villages arabes du nord ont été envahis et des dizaines de milliers d'habitants ont fui ou ont été expulsés de leurs maisons. En moins de trois jours, les FDI ont conquis la Galilée et ont également étendu leur emprise sur les villages du sud du Liban. L'écrasante majorité d'entre eux n'a pas pris part aux combats. La plupart des échanges de tirs ont eu lieu entre les FDI et l'Armée du salut arabe, composée de volontaires originaires de pays arabes.

Au moment de la campagne israélienne de conquête de la Galilée, il restait 120 000 Arabes dans la région, soit la moitié du nombre qui y résidait à la veille de l'adoption du plan de partage par les Nations Unies, en novembre 1947. L'avancée rapide des FDI vers la frontière nord a mis les soldats en contact avec la population restée dans les villages, parmi laquelle se trouvaient des personnes âgées, des femmes et des enfants. Le sort des Palestiniens est désormais entre les mains des forces israéliennes. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les massacres perpétrés contre les civils et contre les soldats arabes faits prisonniers. À la fin de la guerre, il restait environ 30 000 Arabes dans le nord.

Les atrocités de la guerre de 1948 sont connues grâce à divers documents historiques : lettres de soldats, mémoires inédits écrits en temps réel, procès-verbaux de réunions tenues par des partis politiques, et d'autres sources. Les rapports sur les enquêtes militaires et gouvernementales sont pour la plupartclassifiés, et la lourde main de la  censure militaire continue d'entraver la recherche universitaire et les reportages d'investigation. Néanmoins, les sources ouvertes donnent une image qui devient lentement plus claire. Par exemple, les témoignages sur des massacres jusqu'alors inconnus qui ont eu lieu à Reineh, à Meron et à Al-Burj, qui sont examinés ci-dessous.

Les meurtres de Reineh

Le village de Reineh, près de Nazareth, a été conquis avant même l'opération Hiram, en juillet 1948. Quelques mois plus tard, Aharon Haim Cohen, du département de la fédération syndicale Histadrut qui s'occupe de la population arabe, exige qu'un représentant de la section parallèle du Mapam, un parti de gauche qui fait partie du gouvernement, apporte les précisions suivantes : « Pourquoi 14 Arabes ont-ils été assassinés dans le village de Reineh au début du mois de septembre, parmi lesquels une femme bédouine et aussi un membre de l'Alliance des travailleurs de la Terre d'Israël, Yusuf al-Turki ? Ils ont été saisis à côté du village, accusés de contrebande, emmenés au village et assassinés ». Le cheikh Taher al-Taveri, l'un des dirigeants de la communauté palestinienne du nord, a soutenu que le massacre de Reineh « n'est pas le seul » et que ces actes étaient « perpétrés à des fins de vol ». Les familles des victimes ont affirmé que les personnes assassinées avaient sur elles des centaines de lires, une somme très importante.

Le village d'Al-Burj (aujourd'hui Modi'in) a également été conquis en juillet 1948, lors de l'opération Dani. Selon un document, dont l'auteur est inconnu, qui a été retrouvé dans les archives de Yad Yaari, quatre hommes âgés sont restés dans le village après sa capture : « Hajj Ibrahim, qui aidait à la cuisine militaire, une femme âgée malade et un autre homme âgé et une femme [âgée] ». Huit jours après la conquête du village, les soldats ont envoyé Ibrahim cueillir des légumes afin de l'éloigner de ce qui allait se produire. « Les trois autres ont été emmenés dans une maison isolée. Ensuite, un obus antichar ('Fiat') a été tiré. Lorsque l'obus a manqué sa cible, six grenades à main ont été lancées dans la maison. Elles ont tué un homme et une femme âgés, et la femme âgée a été mise à mort avec une arme à feu. Ensuite, ils ont incendié la maison et brûlé les trois corps. Lorsque Hajj Ibrahim est revenu avec sa récoltre, on lui a dit que les trois autres avaient été envoyés à l'hôpital de Ramallah. Apparemment, il n'a pas cru à cette histoire, et quelques heures plus tard, il a lui aussi été mis à mort, avec quatre balles ».

Les fantômes qui hantent les guerres d'Israël, passées et présentes

Gideon Levy, Haaretz, 12/12/2021

L'éditorial de Haaretz de dimanche demande l'ouverture des archives pour révéler la vérité complète sur ce qui s'est passé ici en 1948, y compris tous les massacres et les crimes de guerre commis par les soldats des Forces de défense israéliennes en 1948-49. Il n'y a, bien sûr, aucune demande de justice.

Moustafa Al Hallaj, Sans titre, 1967, xylographie sur massonite, 30x80cm

Après 73 ans, les citoyens d'Israël ont le droit de savoir ce qui a été fait en leur nom pendant la première guerre de leur pays. Les victimes de cette guerre ont également le droit de connaître les souffrances de leurs familles et les crimes dont elles ont été victimes. Un État qui est fier de son passé ne le dissimule pas. Seul un État qui a honte de ses actes les dissimule. Un Israël qui dissimule son passé est un État qui sait, au plus profond de son cœur, que sa naissance considérée comme vertueuse est le fruit d'un grand et profond péché.

Suite à l'article choquant d'Adam Raz dans le Haaretz de vendredi, révélant des massacres qui ont été rapportés au cabinet et dissimulés depuis, sans qu'aucun des criminels ne soit puni de manière appropriée, il est en effet temps de faire face à la vérité, de traiter ses implications et d'en tirer les leçons. L'éditorial est convaincu que lorsque la vérité éclatera au grand jour, elle provoquera un débat public pénétrant dans tout le pays. L'éditorial se trompe.

Ce train-là est passé il y a belle lurette. Ouvrir les archives et révéler la vérité ne sera d’aucun secours et ne dérangera personne. Le processus de répression et de négation, d'effacement de la réalité et de remplacement par une réalité alternative, de fabrication de justifications pour toute iniquité et de diffusion de mensonges et de fausse propagande, qui a commencé immédiatement après la guerre et ne s'est jamais arrêté, a réussi au-delà de toutes les attentes.

La porte de la vérité est fermée aux Israéliens. La plupart ne considèrent pas les Palestiniens comme des êtres humains comme eux, et donc tout est permis à l'État. Parlez-leur maintenant des massacres, et la plupart hausseront les épaules. Seul Haaretz acceptera de publier ces histoires, et peu de lecteurs seront choqués : ils seront raillés comme « puristes ».

La grande majorité adhérera à la « vérité » qui leur a été inculquée : il n'y avait pas le choix, nous ne voulons pas penser à ce qui se serait passé si la situation avait été inversée, nous étions une minorité contre une multitude, les Arabes ont commencé, ils ont rejeté la partition - et bien sûr, l'Holocauste. Aucune histoire de massacre, aussi barbare soit-elle, ne peut changer quoi que ce soit maintenant. Israël s'est barricadé dans son récit, et rien ne peut fissurer le mur. Une discussion publique approfondie ? Plutôt un bâillement public profond.

Ce n'est pas par hasard qu'Israël se trouve dans cette situation. Ce n'est pas son passé qui le hante. Ce n'est pas le passé qu'il nie. Israël dissimule son passé afin de justifier son présent. Le côté sombre de son passé n'a pas pris fin en 1948 - il n'a jamais pris fin. Les méthodes ont changé, tout comme les dimensions, mais les politiques, les normes morales et l'attitude envers les Arabes n'ont pas changé d'un iota. Si nous admettons le massacre de Hula de 1948, nous devons également admettre le meurtre criminel, vendredi, du neuvième manifestant du village de Beita. Si nous admettons que nous avons dissimulé et couvert le lien avec le massacre d'Al-Burj de 1948, nous devrions également admettre que nous avons menti sur la justification de l'exécution de l'homme au couteau à la porte de Damas de Jérusalem le 4 décembre.

Par conséquent, il est préférable pour Israël de continuer à dissimuler les destructions et les meurtres en plantant de plus en plus de bosquets du Fonds national juif, afin de s'assurer que la vérité n'éclate jamais à travers les pins. Il serait difficile d'y faire face, après tant d'années à se faire dire que nous avons toujours raison, que nous sommes les victimes, que nous avons l'armée la plus morale du monde, que nous étions la minorité contre la multitude et que les Arabes sont des tueurs nés.

Si 1948 avait pris fin en 1948, si ses crimes avaient alors cessé, il n'y aurait eu aucun problème à admettre la vérité aujourd'hui, à regretter, à présenter des excuses, voire à payer une restitution. Mais parce que 1948 ne se termine jamais, et que ce que nous avons fait alors aux Palestiniens, nous continuons à le faire aujourd'hui, mais avec plus de force, nous ne pouvons pas nous énerver sur ce qui s'est passé alors, de peur que cela ne mine la foi dans ce que nous faisons encore. Par conséquent, chers éditorialistes, les mécanismes de blanchiment et de justification couvriront toute divulgation de 1948. Aucune discussion publique ne sera provoquée. Ne vous inquiétez pas, nous continuons - avec les mêmes crimes, ou des crimes similaires.