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13/09/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Chili : célébrations en clair-obscur

Sergio Rodríguez Gelfenstein, Blog, 12/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

J’écris cette semaine depuis le Chili où j’ai participé à un séminaire international organisé par la municipalité de Recoleta, la Fundación Constituyente XXI et d’autres organisations pour marquer le 50e anniversaire de la chute au combat du président Allende et de l’intronisation de la dictature fasciste civile et militaire qui s’est installée dans ce pays pendant 17 ans.




Une atmosphère sombre plane sur un pays qui n’a pas réussi à surmonter la division et la confrontation imposées par la dictature. Cette date a fait l’objet de “célébrations ambivalentes” : certains se sont souvenus d’Allende, de ses actes, de sa loyauté envers le peuple et de son immolation héroïque pour défendre la démocratie, tandis que d’autres ont rappelé avec jubilation l’irruption violente des forces armées qui ont “libéré le Chili du cancer marxiste”.

Entretemps, le gouvernement s’est effacé, organisant une commémoration élitiste dépourvue de la participation massive que méritaient la date et le président Allende. La rhétorique antérieure du président Boric, assumant une neutralité honteuse, se réfère à la théorie controversée des “deux démons” qui rend Allende et la dictature également responsables du coup d’État.

Il ne peut en être autrement si l’on tient compte du fait que le Chili a un président faible, lâche, timide, hésitant et pusillanime, ce qui est exploité par la droite la plus récalcitrante pour passer à l’offensive et maintenir le peuple dans un immobilisme paralysant qui a commencé le 15 novembre 2019 lorsque les élites du pouvoir, dont Boric, ont signé un accord de gouvernance de coupole [sic] qui a immobilisé la protestation sociale qui avait mis Piñera et son gouvernement “dans les cordes” et était sur le point de le défenestrer,. Il faut dire que, malheureusement, la pandémie a aussi joué son rôle.


Boric a bénéficié de cet accord que beaucoup au Chili considèrent comme une trahison du peuple et une décision en faveur des hommes d’affaires et de la droite. Comme à la fin des années 1980, les pouvoirs occultes du pays ont eu recours à une issue médiatisée qu’ils pouvaient contrôler et gérer à leur guise afin d’éviter une alternative qui ferait du peuple le protagoniste et le moteur des transformations et qui conduirait le Chili à un véritable rétablissement de la démocratie, aujourd’hui légalement limitée par une constitution approuvée frauduleusement pendant la dictature.

L’accord du 15 novembre, qui a ensuite porté Boric à la présidence, a donné une continuité au modèle économique néolibéral et a approfondi la démocratie répressive imposée par ses prédécesseurs. La loyauté de Boric envers les USA est absolue. Son alignement surprenant sur Washington dans le conflit ukrainien est l’expression d’une décision semblable à celle d’un chien qui exécute les ordres de son maître. Même Pinochet avait fait preuve de plus d’autonomie en matière de politique étrangère.

Tout cela a conduit le gouvernement à minimiser la date et à la transformer en une célébration à huis clos dans un palais de la Moneda entouré de centaines de policiers et de rues vides et muettes, absentes du peuple qu’Allende a défendu jusqu’à la dernière minute de sa précieuse vie.

Les commémorations les plus importantes ont eu lieu dans la municipalité de Recoleta, où le maire Daniel Jadue [communiste, qui avait perdu les élections primaires pour le candidat de gauche au profit de Boric, NdT], son équipe et d’autres organisations populaires et sociales ont pris en charge la commémoration d’Allende dans sa véritable dimension, générant un véritable festival culturel et un grand débat d’idées pour contribuer au processus de formation politique nécessaire pour que le Chili retrouve le chemin d’une véritable démocratie participative avec un protagonisme populaire.


En ce qui me concerne, je faisais partie d’un panel au siège de la Confédération nationale des travailleurs municipaux de la santé (Confusam), un syndicat combatif de travailleurs de la santé, qui passait en revue les politiques publiques de l’Unidad Popular.  On m’a demandé de faire une présentation sur la politique internationale du gouvernement populaire et sur la pensée internationaliste du président Allende.

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De même, dans le cadre des événements organisés à Recoleta, j’ai eu l’occasion de présenter les différents niveaux d’analyse du conflit en Ukraine afin d’expliquer les répercussions internationales et la transformation que cet événement a sur le système international et le passage d’un modèle atlantiste à un modèle dont l’axe est le grand espace eurasien.

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Document annulant l'inscription de l'étudiant Ilia Rodríguez.
Gelfenstein, 2 mois après le coup d'État au Chili. Son crime : "Lors de la cérémonie inaugurale du 5 novembre, il s'est exprimé de façon grossière en se moquant de l'acte tenu dans la cour du lycée, au cours duquel hommage est rendu à la patrie et l'Hymne national est chanté"

Mais l’événement le plus émouvant et le plus beau auquel j’ai pu assister a été une réunion au lycée Andrés Bello où j’étudiais au moment du coup d’État de septembre 1973. Là, nous nous sommes souvenus et avons dévoilé une plaque portant les noms de six camarades du lycée assassinés et d’un disparu par la dictature. En parcourant les couloirs et les cours de l’école où j’ai commencé ma formation scolaire et politique de militant révolutionnaire, j’ai pu me remémorer ce jour fatidique, il y a 50 ans.

Alors que ces commémorations ont lieu, le pays est en proie à un nouveau piège de la droite que le président, son gouvernement et les partis qui le soutiennent observent comme des moutons du pouvoir qui dirige le pays. D’une main de maître, la droite fasciste élabore une nouvelle constitution si réactionnaire, si rétrograde et si conservatrice que même des secteurs allant de la droite un peu moins cavernicole à la gauche pro-gouvernementale ont appelé à son rejet, ce qui - il faut le dire - est encourageant au vu de l’énorme régression que représenterait l’approbation d’une constitution médiévale au XXIe siècle.

Mais l’essentiel est que cela finira par valider et légitimer la constitution actuelle de Pinochet, qui donne une continuité à un système d’économie néolibérale, de démocratie restreinte et de justice "dans la mesure du possible".

Plus d’ombres que de lumières ont été observées dans cette commémoration, bien que les dernières paroles du président Allende, qui n’ont jamais perdu leur validité, seront toujours entendues : « […] d’autres hommes surmonteront ce moment gris et amer où la trahison veut s’imposer. Continuez à savoir que tôt ou tard s’ouvriront les grandes avenues où les hommes libres passeront pour construire une société meilleure. Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! »

➤Images extraites de la BD Les années Allende, par Rodrigo Elgueta et Carlos Reyes, éditions Otium, 2019

11/07/2023

LUIS CASADO
Jogging
Sur la culture et ceux qui la font, contre vents et marées...

Luis Casado, Politika, 6/7/2023

J’ai déjà raconté que je vis dans un hameau de moins de 40 habitants, à la campagne, à environ 80 km de Paris. La commune de Blennes, avec ses 17 hameaux, compte autour de 700 habitants. Nonobstant...

Tout près de là se trouve Samois-sur-Seine, où Django Reinhardt a imposé le jazz manouche dans les années 1940. Gitan vivant dans une roulotte, un incendie a brûlé sa main gauche et immobilisé deux de ses doigts. Cela ne l’a pas empêché de développer ses propres techniques de guitariste incomparable et inégalé et de rester à ce jour l’un des musiciens les plus respectés de l’histoire de France. À Samois, au printemps de chaque année, se tient un grand festival de jazz manouche, le Festival Django Reinhardt, avec des dizaines d’artistes venus du monde entier.

Les voisins d’en face, deux jeunes pianistes de Conservatoire, organisent des concerts tous les mois, et invitent des musiciens de toute l’Europe. Dans la vieille maison en pierre, deux pianos à queue occupent une grande partie de la salle. Mercredi dernier, trois papis anglais sont venus de la perfide Albion et nous ont offert un concert de jazz progressif.

Style John Coltrane, m’a dit un voisin qui s’y connaît. Au début, j’ai été étonné, mais peu à peu je me suis laissé entraîner par les rythmes endiablés du percussionniste, les envolées du saxophoniste et les arpèges très savants du claviériste. Le tout arrosé de bon whisky camouflé dans d’innocentes bouteilles d’eau minérale...

Derrière ma vieille maison décrépie, il y a Le Petit Univers de Blennes – appelé ici un pub - où les campagnards et les habitants de la commune viennent tous les jeudis et vendredis soirs. Ils apportent leurs guitares, commandent quelques bières et jouent de la voix et des cordes jusqu’au soir...

L’art, la culture (et la bibine...) ne sont jamais loin de Blennes...


Cette fin de semaine s’y est tenu un modeste festival de printemps. Musique, danses, cirque, jeux pour les enfants, à boire et à manger (nous sommes en France). Le point culminant du festival était une pièce de théâtre. Du théâtre de rue. Théât’ de rue, comme disent ses acteurs, ici, dans le village, et dans cette rue du bout du monde.

Deux artistes : un acteur et un musicien. Tous deux spectaculaires. Le comédien, Gildas Puget, connu dans le milieu du théâtre de rue sous le nom de Tchou, nous a fait rire et pleurer, rire de son intelligence, et pleurer de joie, d’émotion, de peine, de bonheur, et en même temps penser, penser, penser... car le texte de la pièce est le sien, Titre : Jogging.

Jogging a deux sens : tenue sportive et course ;  Courir. Courir... derrière quoi ?

Jogging, la pièce de théâtre, est un voyage dans le temps, dans une dystopie qui se déroule à rebours. La dystopie est une représentation fictive d’une société future, de caractéristiques négatives qui causent l’aliénation humaine. Mais notre aliénation actuelle ne se situe pas dans le futur.... Le texte nous emmène donc en 2118, puis en 1789. Dans chaque scène, le personnage apparaît vêtu d’un jogging différent, qui nous montre nous-mêmes, -la société dans laquelle nous vivons-, complètement nus.

Un fil conducteur : nous courons tous après la liberté, mais... comment l’attraper ? Mieux encore : si nous parvenons à l’attraper... de quoi serons-nous responsables ?

Un texte poético-philosophique, qui prend parfois un goût d’acide sulfurique, nous interroge tout au long de la pièce.

Au cours de nos vies, en courant après la liberté, nous avons perdu beaucoup de temps, et nous avons fini par nous perdre nous-mêmes ...

En 1789, ou plutôt en 1793, la Commune de Paris fit inscrire au fronton des mairies, de tous les bâtimentss publics et des monuments aux morts, le slogan bien connu : Liberté, Egalité, Fraternité...

Jusqu’ici, d’accord. Mais l’auteur/acteur nous interroge à nouveau : « Savez-vous comment ce slogan se terminait en réalité ? »

Stupéfaction dans le public - assis par terre, sur des planches, sur le cul, je rappelle que c’est du théâtre de rue - qui ne sait pas, n’a pas d’opinion, ne répond pas. 

Et Tchou d’enfoncer le clou qui nous donne la chair de poule, parce qu’on l’a oublié en chemin... La devise de la Révolution française, complète, se lit ainsi :

Liberté, Egalité, Fraternité... ou la mort

 

Parce qu’il fallait continuer à se battre pour que personne ne nous enlève jamais, jamais, le privilège de vivre dans le pays du Contrat Social, celui qui établit la Liberté pour tous, l’Égalité de tous, et la Fraternité entre tous. Et pour y parvenir, s’il le faut, nous devrions donner notre vie.

Présent au moment de la représentation de Tchou, ma mémoire me ramène -simultanément- à 1973... une époque où l’on courait aussi après la liberté...

Et où une poignée de traîtres, au service d’une puissance étrangère, ont sacrifié le plus grand président que le Chili ait jamais eu... et des milliers et des milliers de compatriotes, hommes, femmes, jeunes et enfants...

Un président et des compatriotes qui n’avaient pas oublié que la valeur des slogans réside dans la fidélité de chacun à ses convictions, à sa parole, à la noblesse de ses objectifs, à ses responsabilités, à son devoir, à son intégrité.

Très ému comme chacun, - y compris Pascal, notre maire - je me suis ensuite approché de Tchou, pour avoir le privilège de le féliciter. Et je lui ai acheté un de ses livres, Frères d’Art, un jeu de mots qui modifie le bien connu Frères d’Armes.

Tchou a eu la gentillesse de me dédicacer son livre, là, dans la rue, en improvisant, ce qui doit faire partie de ses talents de comédien. Voici ce qu’il a écrit :

Dans la lumière des étoiles

au reflet de nos yeux,

qui s’y embrasent des feux de joie,

et que nos luttes heureuses

accrochent l’espoir

au firmament !

Comme je le disais, Blennes est un village de moins de 40 habitants...

Au Petit Univers



 

 

 

 

 

14/12/2021

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
De Venezuela a Chile, de Caldera a Boric: Un solo Chávez y un solo Salvador


 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 14/12/2021

La situación actual de Chile se me hace cada vez más asombrosamente similar a la de comienzos de la década de los 90 del siglo pasado en Venezuela. En ese instante, aquí –al igual que en Chile hoy- se vivían 30 años de pos dictadura. Los dos países –en su momento- fueron presentados como “modelo de democracia a seguir” y “ejemplo para el mundo” a partir del “éxito” del sistema de democracia representativa bipartidista en el que la economía se puso al servicio de un sector minoritario de la población.

Venezuela, Siglo XX

“No son treinta pesos, son treinta años” hubieran podido exclamar las decenas de miles de manifestantes que protagonizaron el “caracazo” del 27 y 28 de febrero de 1989, movimiento popular de protesta que se expresó en forma masiva como expresión del rechazo a las medidas de corte neoliberal implementadas por el presidente Carlos Andrés Pérez. En el quinto mayor productor y exportador de petróleo del mundo, había un 51% de pobreza. El destino de Pérez (contumaz corrupto como quedó demostrado pocos años después) y de la falsa democracia, quedaron sellados para siempre. Miles de muertos y desaparecidos -hasta hoy- fueron la respuesta del gobierno a la vibrante acción popular.


Chile, Siglo XXI

Pero ambas situaciones también tienen diferencias, una de ellas muy relevante. Ante el clamor multitudinario de la ciudadanía y la reprobación del sistema ante la inactividad, pasividad y complicidad de los políticos, un grupo de militares patriotas, atentos a la situación creada, produjeron dos alzamientos durante el año 1992 para manifestar su apoyo al sentir popular. El primero de ellos, realizado el 4 de febrero bajo la conducción de Hugo Chávez Frías, un desconocido teniente coronel de Fuerzas Especiales, elevó el espíritu de lucha, señaló un camino distinto y colocó a Chávez en el pedestal de las futuras batallas que habrían de sobrevenir. Como nunca antes en la historia de Venezuela un líder asumió la responsabilidad por un fracaso, pero esta vez,  la derrota “por ahora” del movimiento le imprimió un derrotero de victoria a lo que ese día había significado una derrota.