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09/09/2023

GIDEON LEVY
Loin des yeux du monde, un incroyable transfert de population est en cours en Cisjordanie

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 9/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Terrorisés par les colons, les bergers palestiniens de Cisjordanie sont contraints de quitter les villages où ils vivent depuis des décennies. La semaine dernière, c’était au tour d’Al-Baqa’a

Réfugiés d’Al-Baqa’a dans leur nouveau lieu de survie, à cinq kilomètres de là

Dans la vallée, il ne reste plus que de la terre noire et brûlée, souvenir de ce qui était, jusqu’à la semaine dernière, un lieu d’habitation humaine. Il y a aussi une bergerie, que les habitants bannis ont laissée derrière eux en guise de souvenir ou peut-être aussi dans l’espoir de jours meilleurs, lorsqu’ils pourront retourner sur leurs terres - une perspective qui semble bien lointaine à l’heure actuelle.

Sur le sol noirci se dressent deux tentes présages de malheur, ainsi qu’une camionnette et un tracteur, tous appartenant aux seigneurs de la terre : les colons qui ont envahi cette communauté de bergers et terrorisé ses habitants jour et nuit jusqu’à ce que, vendredi dernier, la dernière des familles, qui vivait ici depuis plus de 40 ans, prenne la route du désert à la recherche d’un nouveau lieu d’habitation. Elles ne pouvaient plus supporter les attaques et les raids des colons, leur façon éhontée de faire paître les troupeaux sur les terres des Palestiniens, leur intimidation des enfants des bergers, les menaces, les vols et les agressions. Même le soumoud - la résilience - vanté par les Palestiniens a ses limites.

Communauté après communauté, les bergers bédouins, la population la plus faible et la plus démunie de Cisjordanie, quittent la terre qu’ils habitent depuis des décennies, ne pouvant plus supporter la violence des colons, qui s’est fortement accrue ces derniers mois. Loin des yeux des Israéliens et de la communauté internationale, un incroyable transfert systématique de population est en cours - il s’agit en fait d’un nettoyage ethnique de vastes zones dans le sud des collines d’Hébron, dans la vallée du Jourdain et, désormais, dans le cœur de la Cisjordanie.

En juillet, nous avons assisté au départ de la famille Abu Awwad de son village, Khirbet Widady, après qu’elle en eut été chassée par les tactiques d’intimidation des colons de Havat Meitarim. Et un mois auparavant, nous avons accompagné 200 membres de familles qui vivaient à Aïn Samiya et qui ont dû fuir pour sauver leur vie sous le harcèlement violent des colons des avant-postes non autorisés près de la colonie de Kochav Hashahar.

Mohammed Melihat. Pendant des générations, sa famille a vécu à Al-Baqa’a, mais sa vie et ses biens étant en jeu, elle a été contrainte, comme d’autres Bédouins, de céder, de se rendre et d’abandonner sa maison

Cette semaine, nous sommes arrivés à Al-Baqa’a, une étendue aride au pied des montagnes désertiques qui bordent la vallée du Jourdain. Les quelque 60 membres de cette communauté ont été contraints de laisser derrière eux la terre sur laquelle ils vivaient depuis 40 ans, et avec elle leurs souvenirs, avant de se disperser dans le paysage désertique. La mainmise des colons ne fait pas que priver les gens de leurs biens, elle déchire aussi des communautés habituées à vivre ensemble depuis des générations.

La terre - qui, dans ce cas, appartient aux habitants du village palestinien de Deir Dibwan, situé au sommet d’une colline - est rocailleuse, desséchée et pratiquement inaccessible. L’épuration ethnique dans cette région se poursuit à un rythme soutenu. La région doit être exempte d’Arabes, aussi “pure” que possible - une condition qui est plus facilement atteinte lorsque des communautés de bergers bédouins sont impliquées.

Nous rencontrons le chef de la communauté d’Al-Baqa’a, Mohammed Melihat, 59 ans, sur le nouveau site où ses deux fils ont installé leur maison, à environ cinq kilomètres au sud de l’endroit où ils vivaient auparavant, au milieu de nulle part.

Les deux fils ont planté ici cinq tentes en lambeaux. Un chien et un coq s’abritent sous le conteneur d’eau, essayant de survivre dans la chaleur torride de l’été. Les membres de la famille élargie ont emménagé ici le 7 juillet ; depuis, ils ont reçu trois ordres d’expulsion de l’unité de l’administration “civile” du gouvernement militaire. La date limite de départ est fixée au 20 septembre.

Un panneau solaire à Al-Baqa’a cette semaine

Melihat a six fils et une fille ; deux des fils, Ismail, 23 ans, et son frère aîné, Ali, 28 ans, sont venus s’installer ici avec leur famille. Leur père loge chez un ami dans le village de Ramun, au nord d’Al-Baqa’a, mais il aide ses fils à établir leur nouvel “avant-poste” sur un terrain privé qu’ils ont reçu des habitants de Deir Dibwan. Sur les 600 moutons que comptait la famille à l’origine, il n’en reste plus que 150.

Al-Baqa’a était leur lieu de vie depuis 1980. Les 25 premières familles qui s’y sont installées se sont progressivement dispersées à la suite des ordres de démolition émis par les autorités israéliennes et de la violence exercée par les colons israéliens. Ces dernières années, il ne restait plus que 12 familles, dont 30 enfants, qui ont commencé à se disperser dans tous les sens. Seuls les Melihat se sont retrouvés sur le nouveau site que nous visitons.

Il est inconcevable qu’un être humain puisse vivre dans cette région inhospitalière, montagneuse et aride, sans eau courante ni électricité, sans route d’accès, sans école ni dispensaire en vue. Dans un pays bien géré, cette région deviendrait un site du patrimoine : « C’est ainsi que les bergers vivaient il y a des siècles ». On y amènerait les écoliers pour qu’ils découvrent cette merveille. Mais en Israël, ce n’est qu’une cible supplémentaire de la cupidité des colons et de leur soif insatiable de terrains.

Le pire, c’est que ces gens n’ont aucune protection contre leurs oppresseurs. Rien du tout. Ni de la police, ni de l’armée, ni de l’administration “civile”, ni de l’Autorité palestinienne. Leur vie et leurs biens étant en jeu, ils ont été contraints de céder, de se rendre et d’abandonner leur maison. Sans défense, la famille Melihat n’a eu d’autre choix que de suivre le mouvement.

Un garçon à Al-Baqa’a

Depuis 2000, la vie à Al-Baqa’a était devenue impossible. Les colons, apparemment soutenus par les soldats et parfois même avec leur participation active, ont fait de leur vie un enfer. Des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes ont été lancés dans les tentes, des abreuvoirs et des moutons ont été volés. Au début, les maraudeurs venaient de l’avant-poste de Mitzpeh Hagit, dirigé par un colon nommé Gil. Selon Mohammed, l’agence humanitaire des Nations unies OCHA a tout documenté. Patrick Kingsley, chef du bureau du New York Times pour Israël et les territoires occupés, arrive pendant que nous nous entretenons avec lui au cours de notre visite cette semaine. Lui et son journal s’intéressent beaucoup plus au sort de la population que la plupart des médias israéliens.

En septembre 2019, un colon du nom de Neria Ben Pazi a envahi une zone près de Ramun, ce qui a aggravé les problèmes des habitants. Quelques mois auparavant, Ben Pazi avait commencé à faire paître ses moutons sur des terres appartenant à des Bédouins. Il a été expulsé à deux reprises par l’administration “civile”, mais est revenu à chaque fois quelques heures plus tard, grâce à ce que l’on peut interpréter comme le consentement tacite et l’inaction des autorités israéliennes. L’affaire était entendue.

 Arik Aschermann : “JE SUIS INVISIBLE parce que vous refusez de me voir”

Selon le rabbin Arik Ascherman, directeur de l’ONG Torat Tzedek - Torah of Justice, qui a passé de nombreux jours et nuits ces derniers mois à protéger les habitants d’Al-Baqa’a de la violence des colons, Ben Pazi est le “champion” des avant-postes de colons. Il en a déjà établi quatre ; certains de ses fils vivent avec lui.

Les colons ont commencé à voler des biens et du matériel agricole aux bergers, y compris des pièces détachées pour les tracteurs. Au début, dit Ascherman, ils étaient prudents, mais après l’arrivée du gouvernement actuel, ils ont perdu toute retenue et la violence est devenue plus brutale. Les résidents locaux ont demandé la protection de l’administration “civile” et l’un de ses représentants, le “capitaine Fares”, leur a dit de rester en contact en cas de problème. Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait des problèmes, mais il est inutile d’envisager de déposer une plainte.

Au cours des derniers mois, les actions des colons contre les bergers bédouins misérables ont été documentées par Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Les colons ont empêché les camions-citernes des bergers d’atteindre la communauté et ont amené leurs propres troupeaux aux abreuvoirs des bédouins pour qu’ils s’y abreuvent. À une occasion, ils ont également brûlé une tente. Résultat : Quelque 4 000 dounams (400 hectares) de terres ont été vidés de leurs Palestiniens et confisqués par les avant-postes.

Le 10 juillet, la plupart des familles ont quitté Al-Baqa’a, seules deux sont restées sur place. L’une d’entre elles, la famille de Mustafa Arara, a rapidement plié bagage après que son fils de 7 ans a été blessé par un colon. La deuxième famille, celle de Musa Arara, est partie une semaine plus tard, après la disparition des 13 abreuvoirs : Ascherman a vu les conteneurs être emportés par un tracteur appartenant aux colons.

La famille de Musa a déménagé pour le moment dans la région du Wadi Qelt, qui prend sa source près de Jérusalem et se jette dans la mer Morte ; Mustafa et sa famille ont déménagé dans la région de Jab’a, dans le centre de la Cisjordanie. Trois autres familles vivent près de Taibe, au nord-est de Jérusalem. Le tissu même de leur vie familiale, culturelle et sociale a été déchiré.

Où allons-nous aller ? La question de Mohammed Melihat est engloutie dans l’immensité du désert. « S’ils viennent tout démolir ici, où irai-je ? », demande-t-il encore, en vain. Ses ancêtres de la tribu Kaabneh - qu’Israël a expulsée des collines du sud d’Hébron en 1948 et dont les terres ont été intégrées à l’État d’Israël - se sont posé la même question.

« Imaginez ce que c’est », dit Melihat, « de quitter un village dans lequel vous avez vécu la majeure partie de votre vie et où vos enfants sont nés ».

13/07/2023

GIDEON LEVY
Le système judiciaire pourri et raciste d’Israël “libère” Jérusalem
La judaïsation du Quartier musulman avance

Gideon Levy, Haaretz, 13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors, maudits colons, vous avez dormi comment dans la maison du quartier musulman de Jérusalem que vous avez convoitée et volée à un couple âgé et malade qui en avait été chassé ? À quoi a ressemblé votre première nuit entre les anciens murs ?

Nora Sub Laban (à droite) réagit après l’expulsion de sa famille de sa maison à Jérusalem-Est pour faire place à des colons juifs, mardi. Photo : Olivier Fitoussi

Qu’est-ce que ça fait d’entrer dans une maison qui a sauvegardé 70 ans de souvenirs d’une famille, des souvenirs qui ne sont pas les vôtres ? Qu’est-ce que ça fait d’entrer, comme en 1948, dans les maisons des expulsés, avec les casseroles qui mijotent encore sur le gaz et les vêtements dans les placards ? Quel effet ça fait-il d’envahir la maison de quelqu’un d’autre ? Et qu’est-ce que ça fait de voir des policiers traîner un vieil homme hors de sa maison pour débarrasser la propriété pillée pour vous ?

Avez-vous vu les graffitis sur les murs, “Nous reviendrons” et “La Palestine sera libre” ? Je vois que vous avez déjà accroché le drapeau israélien à la fenêtre, comme un voleur qui s’empresse de changer les plaques d’immatriculation de la voiture qu’il a volée pour dissimuler des preuves. Maintenant, la maison est juive pour toujours et à jamais. Elle est maintenant à vous, grâce au célèbre système judiciaire israélien, qui est corrompu, pourri et raciste lorsqu’il s’agit des droits de votre nation. Comment les juges de Jérusalem ont-ils résolu la contradiction insoluble entre le sort des biens juifs d’avant 1948 et le sort des biens palestiniens ? Existe-t-il une autre façon de décrire le verdict que celle d’une véritable réponse d’apartheid ?

Comment avez-vous dormi la nuit, maudits colons ? Et comment dormirez-vous dans les nuits à venir ? Penserez-vous, ne serait-ce qu’un instant, au sort de Mustafa Sub Laban, un Palestinien poli de 74 ans, qui a servi dans la police israélienne et qui, aujourd’hui, dans sa vieillesse, est sans abri, s’entassant dans la maison de son fils à Shoafat ? Et le sort de son impressionnante épouse, Nora Gheith Sub Laban, née dans cette maison il y a 68 ans et hospitalisée mardi ? Avez-vous pris la peine de les regarder dans les yeux ? Leur image se dresse-t-elle devant vous ? On ne peut que souhaiter que l’image de leur expulsion de leur maison vous hante dans vos cauchemars jusqu’à la fin de vos jours. Que leur image surgisse devant vous chaque soir lorsque vous mettez vos enfants au lit.

Mais cela n’arrivera pas. Pour vous, ils ne sont pas des êtres humains, ils sont moins qu’humains - ils ne sont pas juifs. Et cette honte a été autorisée par le système judiciaire.

Avez-vous entendu parler de la parabole “la brebis du pauvre” ? Peut-être pourriez-vous ouvrir le livre de Samuel, chapitre 12, et la lire ? Vous êtes des Juifs religieux, n’est-ce pas ? L’image de l’un d’entre vous, un colon trafiquant portant une énorme kippa et une barbe, installant des haut-parleurs dans la maison, un sourire diabolique de triomphe étalé sur son visage, un officier de police à ses côtés, est comme un millier de mots d’accusation. Ahmad Sub Laban, le fils du couple expulsé, m’a raconté hier que l’homme barbu avait l’habitude de harceler la famille avec de la musique juive assourdissante diffusée par le grand haut-parleur qu’il transportait.

La nation israélienne a de nouveau gagné mardi, cette fois une victoire particulièrement glorieuse, une victoire sur un vieux couple. Les familles Sharabi, Wormser et Friedman, qui vivent déjà dans l’ancien bâtiment situé au cœur du quartier musulman, seront rejointes par une autre famille qui loue la propriété au Kollel Galicia trust. S’ils entrent dans l’appartement aujourd’hui, ils pourront encore manger le ragoût de riz et de poulet que la fille du couple avait préparé pour ses parents et qui se trouve dans le réfrigérateur, sur l’étagère du haut. Ce plat a été préparé en milieu de semaine et peut encore être mangé. Tous les biens de la famille sont encore dans l’appartement, à l’exception des albums de photos de famille qu’elle a emportés avec elle.

Entre-temps, la serrure de l’entrée principale a été changée et la famille n’a plus accès à ce qui a été sa maison, où le couple vivait en tant que locataire protégé. Une fois de plus, il est apparu que les Palestiniens ne bénéficient d’aucune protection, pas même en tant que locataires.

« Cette maison restera une prison jusqu’à ce que nous revenions », m’a dit Nora avec tristesse il y a environ un mois, dans sa maison. Mardi, le jour où la protestation israélienne [contre la réforme judiciaire, NdT] a remporté un nouveau succès impressionnant, où des voix rauques ont crié “démocratie” et “honte” aux quatre coins du pays, cette honte a eu lieu à Jérusalem. Nora et Mustafa n’y vivent plus. Le quartier musulman sera juif et Israël sera un État d’apartheid, officiellement aussi.

 

08/07/2023

GIDEON LEVY
Des colons juifs envahissent des terres privées, leurs propriétaires palestiniens sont arrêtés : un nouvel avant-poste illégal est né dans les collines du sud d’Hébron

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 8/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des bergers des collines du sud d’Hébron ont été choqués de découvrir qu’une tente avait été plantée par des colons sur un terrain dont l’accès leur était interdit. Quatre frères dont la famille est propriétaire du terrain ont été arrêtés - et les colons sont toujours là.

Jihad Abu Sabha, dont les fils ont été arrêtés. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, environ 600 dunams [= 60 ha] de sa région ont été repris grâce aux "fuites des avant-postes".

Un berger s’est réveillé à 5 heures du matin le premier jour de l’Aïd El Adha, la fête du sacrifice, à la fin de la semaine dernière, et a emmené son troupeau de moutons paître sur le sol aride et rocailleux des collines du sud d’Hébron. En 2006, le chef du commandement central de l’armée avait émis un ordre interdisant l’entrée des Israéliens sur cette bande de terre, qui appartient à la famille du berger et à d’autres familles. Le jeune berger s’occupait tranquillement de son troupeau lorsque son père lui a téléphoné, paniqué : des voisins avaient vu une tente bleue - apparemment montée pendant la nuit par des colons sur ces terres privées - non loin du puits où ils puisent l’eau pour leurs moutons. Les intrus y avaient également amené un troupeau de 30 moutons.

Stupéfait, le berger a rapidement appelé les membres de sa famille et d’autres personnes qui possèdent des terres à cet endroit. Les colons, armés de fusils, les ont attaqués à coups de poing, de pierres et de crosse. La police et l’armée ont mis du temps à arriver - et lorsqu’elles sont finalement arrivées, les soldats ont placé le berger et ses trois frères en garde à vue, en suivant les instructions de l’un des colons, qui leur a dit qui arrêter.

Et les envahisseurs ? Surprise, surprise : non seulement aucun d’entre eux n’a été arrêté, mais la tente est toujours debout, et les colons et leurs moutons sont toujours là, eux aussi. Bientôt, on peut le supposer, il y aura encore un nouvel avant-poste de colons.

Telle est la vie dans le pays de la suprématie des colons : le désordre total, en particulier dans les collines reculées du sud d’Hébron. La victime devient le coupable et le coupable devient le procureur et le vainqueur dans chaque lutte. C’est le système actuel, partout où c’est possible : envahir par la force, apporter quelques moutons, et vite fait bien fait, vous avez une “ferme”. Le gouvernement et l’armée ne dégagent plus rien. C’est ainsi qu’un autre avant-poste est né dans les collines du sud d’Hébron, aux côtés de ses trois prédécesseurs hors-la-loi - Havat Talia, Mitzpeh Yair et Susya.

Et le berger, sa famille et les autres propriétaires terriens, tous résidents du hameau d’Imneizil [à 17 km au sud-ouest d’Al Khalil] ? Ils essaieront de saisir la justice, mais dans ce pays de non-droit, où même un ordre donné par le général commandant la région est ignoré par les voyous colons, à quoi peut bien servir un tribunal ? Il faut dire adieu à la terre.


Jihad Abu Sabha

Désespoir dans les collines du sud d’Hébron. Désespoir lors de notre visite lundi dernier, lorsque les forces de défense israéliennes ont envahi le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, et en ont démoli certaines parties. Les habitants des collines, désemparés, étaient de tout cœur avec ceux qu’ils considéraient comme des héros dans le camp de Jénine. En effet, certains ne quittaient pas la télévision du matin au soir, fascinés par les images déchirantes diffusées en temps réel. Mais leurs cœurs étaient également tournés vers les quatre frères qui avaient été arrêtés.

Le désespoir dans les collines du sud d’Hébron est palpable parmi les nombreuses et faibles communautés de bergers, plus vulnérables que jamais aux abus physiques et matériels selon le bon vouloir des colons, dont l’objectif est transparent et manifeste : prendre le contrôle du plus grand nombre de terres possible afin d’expulser le plus grand nombre d’habitants de ce territoire difficile, la patrie de ces Palestiniens et de leurs ancêtres.

Lundi, chez lui à Imneizil, le berger Jihad Abu Sabha - né en 1967, l’année de l’occupation - est désemparé à l’idée que ses quatre fils restent en détention. Le téléphone ne cesse de sonner, avec des appels d’avocats et d’activistes qui veulent lui donner des nouvelles. Dimanche, le tribunal militaire de la prison d’Ofer avait ordonné leur libération, mais la police a rapidement fait appel de la décision et, le lendemain, ils n’avaient toujours pas été libérés.

Quatre frères qui ont tenté de défendre leur terre ont été attaqués par des colons et incarcérés, tandis que les colons qui empiètent sur le territoire demeurent sur une terre qui leur est interdite par la loi. Et tout cela le jour de la fête musulmane la plus sacrée. Imaginez que votre terre soit envahie par des étrangers le jour de Yom Kippour. Peut-être les envahisseurs ont-ils planifié leur pillage pour ce jour précis, ou peut-être n’ont-ils jamais entendu parler de l’Aïd El Adha.

Abu Sabha est le père de 11 enfants. Les personnes arrêtées sont ses quatre fils aînés : Ibrahim, 36 ans ; Mohammed, 30 ans ; Mahmoud, 26 ans ; et Yusuf, 23 ans. Deux d’entre eux sont mariés et les deux plus jeunes doivent se marier le mois prochain. Mahmoud garde les moutons de la famille, ses trois frères ont des permis pour travailler en Israël comme plâtriers et ouvriers du bâtiment. Leur père craint que ces permis ne soient annulés parce que les colons ont volé leurs terres - c’est la forme de justice habituelle dans ces régions. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas pu célébrer l’Aïd El Adha.


L’avant-poste de Mitzpeh Yair dans les collines du sud d’Hébron. Photo : Moti Milrod

Lorsque Jihad Abu Sabha s’est présenté au poste de police de Kiryat Arba, une colonie urbaine jouxtant Hébron, dans l’espoir de déposer une plainte contre les colons qui avaient attaqué ses fils, l’officier à l’entrée lui a dit : « Hé, vous n’avez pas un jour férié aujourd’hui ? » Ce à quoi Abu Sabha a répondu : « Vous nous avez tout gâché. Maintenant, nous faisons la fête entre la police, l’armée et les colons ». L’officier n’a accepté de prendre la plainte que le lendemain.

C’est le mercredi 28 juin que Mahmoud a emmené le troupeau au pâturage. Peu après, son père a reçu un appel téléphonique d’un membre de la famille Abu Kabirna, qui vit à côté de Havat Talia : « Je vois une tente bleue à côté du puits sur votre terrain ». Le père a immédiatement appelé son fils, mais Mahmoud a dit qu’il était encore dans le wadi et qu’il n’était pas encore arrivé au sommet de la colline, où se trouve le puits, et qu’il ne pouvait donc rien voir. Abu Sabha a appelé la police de Kiryat Arba, et des policiers sont arrivés au poste de contrôle de Metzudat Yehuda pour l’accueillir. Mahmoud a alors appelé son père pour l’informer qu’une dizaine de colons armés se trouvaient sur leurs terres et qu’ils essayaient de le chasser par la force.

Un officier de police a dit à Abu Sabha que lui et sa famille n’étaient pas autorisés à se rendre dans le champ sans une escorte de l’armée, mais l’armée a mis des heures à arriver. Abu Sabha s’est dirigé vers ses terres, craignant pour le sort de son fils. Il a appelé les familles Nawajeh, Harnat, Rashid et Samirat, des voisins qui possèdent également des terres dans la même zone. Dans le passé, il n’y a pas eu beaucoup d’incidents avec les colons dans cette zone, ce qui a conduit à l’émission de l’ordre du commandement central.

Abu Sabha est arrivé sur le site accompagné de 10 à 15 voisins. Il a dit aux jeunes de se garer à distance et est allé parler aux colons, dont certains qu’il connaît pour les avoir déjà affrontés, notamment les propriétaires de la ferme Talia, Yedidya et Bezalel Talia. Il a demandé : « Pourquoi êtes-vous ici ? » et a reçu la réponse habituelle : « C’est notre terre ». À un moment donné, les Palestiniens ont commencé à démonter la tente des colons, ce qui a déclenché des affrontements. L’une des personnes accompagnant Abu Sabha, Mohammed Ali Rashid, 25 ans, a été blessée après avoir reçu un coup de crosse et une pierre dans le dos. Il a passé une nuit à l’hôpital.

L’armée est arrivée, se souvient Abu Sabha, et les soldats ont alors arrêté tous ceux que Yedidya Talia leur a demandé de mettre en détention. Ils ont également arrêté deux volontaires - une Italienne et un Israélien - venus aider les Palestiniens à protéger leurs biens. Ceux-là ont ensuite été relâchés. Puis la police des frontières est arrivée et a ordonné à tous les habitants de quitter leurs terres.


Jihad Abu Sabha avec ses fils

Quelques jours plus tard, l’avocate Qamar Mishriqi-Assad, co-directrice de l’ONG Haqel : In Defense of Human Rights, qui accompagne depuis de nombreuses années la lutte des habitants des collines du sud d’Hébron pour conserver leurs terres, a envoyé une lettre urgente à l’administration civile et à la police d’Hébron. Après avoir relaté les événements du 28 juin, elle écrit : « Cet événement n’est pas isolé. Il est indissociable des événements qui vous ont été rapportés la semaine dernière, qui se sont déroulés ces derniers jours, menés par des militants d’extrême droite d’Im Tirtzu [une organisation sioniste de droite] et des colons de l’avant-poste de Havat Talia, alors que dans tous les cas les soldats déployés dans le secteur refusent de manière flagrante d’intervenir pour mettre fin aux attaques des colons contre les résidents. Si les structures sur le site ne sont pas enlevées et que l’ordre de fermeture 3/06 n’est pas appliqué, les résidents n’auront d’autre choix que de recourir à des mesures juridiques urgentes contre l’outrage au tribunal et la violation de vos engagements envers la Haute Cour de justice ».

Les Palestiniens en question sont entourés par la redoutable zone de tir 918, qui les empêche d’accéder à une grande partie de leurs terres, dont certaines sont les mêmes que celles sur lesquelles les colons se sont installés. Une autre partie de leur propriété a été expropriée pour construire une route de patrouille vers les colonies et pour ériger le point de contrôle de Metzudat Yehuda. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, une zone d’environ 600 dunams (= 60 ha) dans les collines du sud d’Hébron a été progressivement occupée par des avant-postes - elle parle de “fuite des avant-postes”. Dans sa lettre à l’administration civile, outre la demande d’enlèvement immédiat de la tente, elle a demandé un rapport de la police israélienne sur les mesures d’enquête prises à la suite des violences commises par les colons au cours de l’incident, y compris des informations indiquant si les colons armés avaient été convoqués pour être interrogés. À ce jour, elle n’a reçu aucune réponse.

Une vidéo prise ce mercredi-là montre une dizaine de colons, dont certains sont masqués, fusils en bandoulière, se promenant comme des seigneurs et maîtres. Les Palestiniens semblent hésiter à les approcher.

Le jour de l’incident, l’unité du porte-parole de l’IDF a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Des frictions se sont développées plus tôt dans la journée entre des citoyens israéliens et un certain nombre de Palestiniens et d’activistes israéliens dans les collines du sud de l’Hébron. Une unité de l’IDF est arrivée sur le site afin de mettre fin aux troubles. Sept suspects ont été arrêtés, suite à l’usage de la violence et de la résistance physique, et un certain nombre d’appareils photo et de téléphones portables sur lesquels du matériel d’incrimination [sic] a été trouvé, ont été confisqués et transférés pour suivi par les forces de sécurité ».

Cette semaine, nous avons observé le site de l’incident à distance, en compagnie de Nasser Nawajah, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Il nous a demandé de ne pas nous approcher, par crainte des colons. Nous pouvions voir la tente bleue sur la colline, avec les véhicules des envahisseurs à côté. À droite se trouvait Havat Talia, à gauche Mitzpeh Yair, et Susya était derrière, avec les avant-postes qu’ils ont déjà créés. Les colons ont déplacé la tente de son emplacement d’origine sur le toit de la grotte vers le puits, à quelques dizaines de mètres, alors qu’ils n’ont aucune autorité ni aucun droit d’être là. Ni sur le toit, ni à côté du puits. Trop craintifs pour s’approcher, les bergers n’avaient aucun moyen de puiser de l’eau pour leurs moutons.

Le porte-parole du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires n’a pas répondu à l’heure où nous mettons sous presse, mais Haaretz a appris que mardi soir, les quatre frères Abu Sabha ont été libérés sous caution.

 

 

 

29/06/2023

GIDEON LEVY
Un commandant de brigade de Tsahal est-il un meurtrier ?

Gideon Levy, Haaretz, 29/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ils lui ont crié “assassin” et il s’est éloigné, penaud, en disant qu’il était “blessé en tant que personne” mais qu’il “n’allait pas craquer”. Les dirigeants de l’État se sont empressés d’exprimer leur inquiétude, de condamner les attaques verbales et de louer son héroïsme.

Le commandant de la brigade Binyamin, le colonel Eliav Elbaz, était venu réconforter la famille de Harel Masoud, un colon d’un avant-poste particulièrement violent et sauvage, qui a été tué la semaine dernière lors d’une fusillade dans la colonie d’Eli, en Cisjordanie. Elbaz a été accueilli par un flot d’insultes de la part des voyous colons.

S’agissait-il d’un acte honteux ? Je n’en suis pas certain. Parfois, les colons peuvent nous apprendre quelque chose sur la manière de protester.

Elbaz mérite d’être la cible de manifestations de colère, mais dans un lieu différent et pour des raisons diamétralement opposées. Dans cet autre endroit, il serait une cible digne des slogans désobligeants et des insultes qui lui ont été lancés par les colons. Mais dans cet autre lieu, ni Elbaz ni aucun autre membre de l’armée n’est venu consoler les familles endeuillées, personne n’a protesté et personne ne portera la responsabilité.

S’il fallait insulter Elbaz pour ternir son image et noircir son nom, il aurait fallu le faire loin de la maison de la famille Masoud à Yad Binyamin. Au lieu de cela, il aurait fallu le faire dans la maison de la famille Tamimi à Nabi Saleh.

C’est cette famille qui avait besoin d’être réconfortée et indemnisée et qui avait toutes les raisons de l’insulter. Mais Elbaz, comme ses collègues officiers de l’occupation, est trop lâche pour prendre la responsabilité de l’assassinat d’un bébé. Il est encore plus lâche de ne pas exprimer son chagrin et de ne pas partager la douleur d’une famille dont le monde entier a été détruit par ses soldats.

Elbaz est le commandant de la brigade responsable de l’unité Duhifat, dont les soldats ont tué au début du mois le bambin Mohammed Tamimi. Il est le commandant de la brigade qui a truqué l’enquête et n’a jamais pensé à poursuivre qui que ce soit. C’est lui qui a inutilement envoyé les soldats à Nabi Saleh, lui qui est responsable de la confusion embarrassante qui s’en est suivie, et du doigt sur la gâchette qui a fini par abattre un enfant en bas âge et son père. Elbaz est responsable de ce terrible crime, et plus encore de la dissimulation qui a suivi.

Comme dans tout crime, celui qui envoie quelqu’un commettre un crime partage le blâme, voire en porte une part encore plus grande.

Pour ce crime et d’autres du même genre, Elbaz est sorti aussi pur que la rosée du matin. Personne n’a tué de bébé, et s’il l’a fait, c’est par erreur, et s’il s’agit d’une erreur, il n’y a pas de problème juridique ou moral.

C’est peut-être une justice poétique que ce soient les voyous colons, les voleurs de terres racistes et violents, qui aient sali l’honneur de l’officier qui méritait d’être sali, au lieu du sang de Tamimi, qui aurait dû crier contre lui depuis la terre et conduire à la révocation d’Elbaz.

Soit dit en passant, en avril de l’année dernière, Elbaz a tué de ses propres mains un homme ayant des besoins spéciaux qui tenait un fusil jouet à Ashkelon. Cette histoire a également été rapidement passée sous silence, même si la victime était juive.

Les forces de défense israéliennes doivent décider si le meurtre d’un enfant en bas âge sous les yeux de son père est un acte acceptable ou non. Les soldats auraient-ils tiré sur le bambin et son père s’il s’était agi d’une colonie juive et non d’un village palestinien, un village réputé pour sa résistance à l’occupation ? Si un tel acte est acceptable, alors nous devrions protester contre les responsables de ces normes perverties, y compris Elbaz.

Si un tel acte n’est pas acceptable, s’il est illégal et criminel, alors les suspects auraient dû être traduits en justice, y compris Elbaz, qui a cherché à dissimuler l’incident. La gauche [quelle gauche ? NdT] aurait dû réclamer cela, mais lorsque la gauche est faible et découragée, et que l’occupation ne l’intéresse plus, le résultat honteux est que personne n’est venu protester contre Elbaz pour le meurtre d’un enfant en bas âge.

Il est douteux que beaucoup de personnes de gauche oseraient traiter de “meurtrier” un officier des FDI responsable de la mort d’un bébé. Ce type de protestation - flagrante, violente et courageuse - est réservé aux jeunes des collines. Pour la gauche, des personnages comme Elbaz restent des héros dont la dignité, à Dieu ne plaise, ne doit jamais être touchée. Ils sont les vaches sacrées de la gauche.

27/06/2023

GIDEON LEVY
Un appartement du Quartier musulman de Jérusalem raconte l'histoire de l'apartheid israélien

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 16/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

ACTUALISATION
L'expulsion par la police du couple Sub Laban est prévue entre le 28 juin et le 13 juillet

Une lutte de 47 ans pour un appartement dans le quartier musulman de Jérusalem devait prendre fin cette semaine avec l'expulsion d'un couple de Palestiniens âgés. La paperasserie bureaucratique a retardé cet acte, mais la police continue de harceler le couple

Norat Gheith Sub Laban : « Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés et y avaient grandi, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et l'abandonneriez ? »

L'existence de l'apartheid en Israël peut être prouvée au moyen d'un climatiseur. Un simple appareil qui souffle de l'air frais en été et de l'air chaud en hiver, fixé au mur d'un appartement avec très peu de fenêtres, dont les occupants, un couple âgé et souffrant, pourraient avoir besoin de ses services.

Il y a quelques années, Norat Gheith Sub Laban, 68 ans, et Mustafa Sub Laban, son mari de 74 ans, ont installé un climatiseur dans leur petit appartement de Jérusalem. Peu de temps après, ils ont été contraints de l'enlever sur ordre des autorités israéliennes, au motif que l'immeuble dans lequel ils vivent est une structure historique dans laquelle il est interdit d'installer un climatiseur. Les “propriétaires de l'appartement”, à savoir l'État d'Israël, n'ont pas autorisé l'installation d'un tel appareil. Le climatiseur a été arraché du mur, la niche est restée.

Aujourd'hui, un climatiseur similaire est visible sur le mur extérieur de l'appartement des voisins, la famille Friedman. Soudain, le bâtiment n'est plus historique. Un climatiseur juif, fier et provocateur, dépasse du mur de l'ancienne structure musulmane, comme pour dire : l'apartheid est bien vivant ici. Ce qui est permis aux Juifs est interdit aux Palestiniens.

Ici, on a le droit d'expulser des centaines de familles palestiniennes de leurs maisons, dans la honte et le dénuement, parce qu'avant 1948, les logements appartenaient à des Juifs. Mais personne n'envisage de faire la même chose pour les Palestiniens qui ont perdu leurs biens la même année, dans les mêmes circonstances, dans la même ville. Et tout cela se fait, bien sûr, avec l'autorisation générale du fameux système judiciaire israélien à tous ses niveaux, dont l'autonomie fait aujourd'hui l'objet d'une bataille au sein de la société israélienne. Les Juifs peuvent retrouver les propriétés qu'ils ont perdues à Jérusalem-Est, mais les Palestiniens ne peuvent pas retourner dans les maisons qu'ils ont perdues dans la partie occidentale de la ville, avec l'approbation du tribunal. Si ce n’est pas de l'apartheid, alors c’est quoi ?

Selon les Nations unies, 218 familles, soit près de 1 000 personnes, risquent d'être expulsées de la même manière à Jérusalem. La semaine dernière, devant la maison de la famille Sub Laban, des colons ont crié : « Le quartier musulman est juif ! » Attendez un peu : Ce qui s'est passé à Hébron pourrait se reproduire ici. « Dieu est le roi », a écrit quelqu'un en énormes lettres hébraïques en face de la maison de la famille Sub Laban, au 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, au cœur du quartier musulman. Sur le mur, une plaque commémore Eliyahu Amedi, assassiné ici en 1986. La municipalité de Jérusalem autorisera-t-elle l'apposition d'une plaque similaire à la mémoire d'Eyad al-Hallaq, le Palestinien handicapé que des policiers israéliens ont tué devant la porte de Damas en 2020 ? Ou pour Mohammed Abu Khdeir, l'adolescent que des Juifs ont brûlé à mort dans la forêt de Jérusalem en 2014 ?

La literie de la famille Sharabi, les colons de l'étage du dessus, s'agite dans la brise au-dessus du petit balcon qui appartient encore pour quelques jours au couple palestinien susmentionné. L'immeuble voisin, au 35 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, est déjà complètement tombé aux mains des juifs ; au numéro 33, c'est la famille Sub Laban qui a survécu. Roni et Hadar Friedman vivent dans l'appartement en face du leur, le débarras des Sub Laban est devenu l'appartement de la famille Wermesser et, comme indiqué, les Sharabi se trouvent à l'étage du dessus.

Les voisins du dessus ont aplati l'ancien dôme de pierre de l'immeuble pour créer un balcon, détruisant ainsi - certainement en violation de la loi - un autre joyau architectural ancien, mais qui compte ? Les colons ont rénové leurs appartements, mais Norat et Mustafa n'ont pas le droit de réparer quoi que ce soit, et le plâtre des murs de leur maison s'écaille. Des portes électriques intelligentes enferment les colons non invités dans leurs appartements ; certains d'entre eux se promènent armés de pistolets.


Linge appartenant aux Sharabi, les voisins du dessus, suspendu au-dessus de l'appartement des Sub Laban.

Mardi dernier, des policiers se sont à nouveau présentés au domicile de Norat et Mustafa, comme ils le font presque tous les jours, pour fouiller, vérifier et surtout pour harceler et intimider. Ahmad, l'aîné du couple, a demandé à l'un des policiers : « Vous contrôlez toutes les maisons de Jérusalem-Est ? » Réponse :  « Nous essayons d'identifier tous les résidents ». Ahmad, qui travaille pour Ir Amim, une organisation à but non lucratif qui s'efforce de faire avancer les causes de l'égalité et de la durabilité à Jérusalem pour les Israéliens et les Palestiniens qui y vivent, a rétorqué : « Très bien. Je ne savais pas. Quels gentils garçons ! »

À la fin du mois, Norat et Mustafa ne seront plus là. Une lutte de 47 ans contre la bureaucratie de l'occupation s'achèvera par une douloureuse défaite. Mais le frère de Norat, Anwar Gheith, qui a été expulsé de cet immeuble il y a de nombreuses années, a écrit sur le mur du salon lors de sa dernière visite : « Nous reviendrons ». Parmi les autres déclarations qui y figurent, on peut lire : « La Palestine sera libre ».

En attendant, les Sub Laban tentent de s'accrocher à leur maison, jusqu'à la dernière minute. Les seules choses qu'ils ont enlevées sont les photographies, des souvenirs qui ne peuvent être remplacés. Pour le reste, ils ont tout laissé derrière eux, même s'ils savent que la fin est proche. Chaque coup frappé à la porte fait sursauter le couple ; Norat dit que son cœur bat la chamade à chaque bruit. Ils savent que la police est en route. Norat nous montre un réfrigérateur plein, pour montrer qu'ils n'ont pas encore cédé. Leur appartement est un 67 mètres carrés, divisé en deux petites pièces, dont l'entrée d'origine a été bloquée par des voisins malveillants, et qui a besoin d'être rénové de toute urgence, compte tenu de ses murs moisis et de sa cage d'escalier étroite. C'est ici que Norat est née, et c'est ici qu'elle ne mourra apparemment pas.

Norat et Mustafa sont un couple sobre et respectable, parents de cinq enfants. Mustafa était auparavant membre de la police israélienne. Cette semaine, il s'est reposé pendant de longues périodes sur son lit dans l'étroite chambre à coucher, après avoir été transporté en urgence à deux reprises au centre médical Hadassah dans le quartier Ein Karem de la ville, où il a subi un cathétérisme cardiaque, son cœur ayant été affaibli au moins en partie par les tensions de ces dernières semaines. Norat a dû utiliser un inhalateur pendant notre conversation.

À l'extérieur, un guide de colons explique à un groupe d'Australiens le droit des Juifs au quartier musulman. Rifaat, 34 ans, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, qui travaille au bureau de l'agence des Nations unies pour les droits de l'homme à Ramallah, tente de corriger la propagande du guide, et les Australiens sont prêts à l'écouter. Une yeshiva de la secte hassidique Bratslav se trouve également en face de la maison de la famille Sub Laban, et un panneau signale la synagogue Tzuf Dvash de l'Eidat Hama'aravi'im, datant du XIXe siècle.

Un jeune homme haredi ouvre la porte de l'appartement des Wermesser à l'aide d'une carte électronique. Pour leur part, les Friedman vivent ici depuis 1984, date à laquelle ils ont repris l'appartement de la famille Karaki. Le linge des Sharabis pend si bas au-dessus de la maison des Sub Labans qu'ils doivent se pencher lorsqu'ils sont sur le balcon. Les relations de voisinage sont inexistantes ici. Norat dit qu'elle voit la haine dans les yeux des colons, “comme des animaux sauvages”.


Rifaat, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, parle à des touristes australiens.

L'histoire de la lutte épuisante et sans fin de la famille, qui s'étend sur 47 ans et des milliers d'heures de procès, a été relatée dans ces pages par Amira Hass au début de l'année [lire ici]. En commençant par la possession avant 1948, attribuée à Samuel Moshe Ben David Shlomo Gangel, qui possédait le bâtiment à la fin du XIXe siècle, en passant par le gardien des biens ennemis du Royaume hachémite de Jordanie, jusqu'à l'entrée des parents de Norat dans le bâtiment en 1949 en tant que locataires protégés. Du dépositaire israélien des biens des absents à la cession de la propriété en 2010 au “Little Galicia Endowment”, en passant par Aviezer Zelig Asher Shapira, Joshua Heller et Avraham Avishai Zinwirth, les mystérieux individus qui ont revendiqué l'immeuble pour eux-mêmes par l'intermédiaire d'un fonctionnaire des colons, Eli Attal, qui gère partout la dépossession dans la Vieille Ville ; de Shuvu Banim à Ateret Kohanim et Ateret Leyoshna, les obscures associations de colons, dont les différences sont imperceptibles.

La lutte des Sub Laban a traversé toutes les instances juridiques, allant jusqu'à la Cour suprême, et s'est achevée par une décision de 2016 autorisant le couple à rester dans l'appartement pendant 10 années supplémentaires, en supposant qu'ils décéderaient, si Dieu le veut. Depuis longtemps, il est interdit à leurs enfants de vivre dans la maison. Mais comme l'explique Rifaat, chaque décision de justice a toujours laissé une ouverture pour une nouvelle décision, qui n'a d'ailleurs pas tardé à venir - sous la forme de la dernière et définitive décision d'expulsion immédiate.

Rifaat qualifie le système juridique israélien de “tribunal des colons”. Les décisions concernant l'appartement de ses parents montrent à quel point il a raison. Dans un cas, un juge du tribunal de première instance de Jérusalem a dû sauter par-dessus le mur des colons voisins pour entrer dans la maison des Sub Laban, car il insistait pour voir de ses propres yeux que les colons avaient en fait bloqué l'entrée, après quoi il a rendu une décision consistant en des procédures d'ingénierie compliquées pour permettre au couple d'entrer dans leur maison.

À une autre occasion, le couple a été accusé de ne pas habiter l'appartement. Cela s'est produit lorsque la municipalité a décrété qu'il devait être rénové parce qu'il était devenu dangereux d'y habiter - et lorsque le couple a déménagé temporairement pendant les rénovations, le gardien des biens des absents a interdit les rénovations et le couple n'a pas pu revenir. À une autre occasion, lorsque Norat a déménagé pour quelques mois afin de vivre avec son fils - qui n'était pas autorisé à vivre dans l'appartement - parce qu'elle souffrait d'une hernie discale et avait besoin d'aide pour se déplacer, les colons l'ont dénoncée aux autorités ; elle a été obligée d'apporter des documents des autorités médicales pour pouvoir retourner dans son logement.

Kafka vit également au 33, rue Aqbat Al Khalidiyah, dans la vieille ville de Jérusalem.

Et maintenant, la lettre du bureau de l'huissier de justice de l'État, datée du 4 mai 2023 : « Vous êtes informé par la présente que l'exécution de l'ordre d'évacuation est fixée au 11 juin 2023, à partir de 8 heures du matin ». Le 11 juin à huit heures du matin est passé cette semaine - il manquait un formulaire, on l'a laissé entendre à la famille. Auparavant, l'expulsion avait été programmée pour le 15 mars 2023, mais la police s'y était opposée en raison d'un manque d'effectifs.


Rifaat Sub Laban

Les requérants ont demandé une “ordonnance d'expulsion flexible”, qui permet de disposer d'un certain nombre de jours pour effectuer le travail, et cette demande a été acceptée. L'expulsion doit maintenant avoir lieu entre le 11 et le 26 juin - aujourd'hui, demain ou quelques jours plus tard. Rifaat est certain que la police ne les informe pas des plans exacts, ce qui fait partie de la guerre psychologique menée par les autorités pour les épuiser. Il pense que la police attend un moment propice où il n'y aura pas trop de monde dans la maison - ni les diplomates étrangers, ni les activistes, ni les nombreux journalistes qui ont visité la maison au cours des années de lutte. La famille devra payer 30 000 shekels (7 600€) pour sa propre expulsion, car elle ne partira pas de son plein gré.

Pendant ce temps, Norat et Mustafa vivent d'anxiolytiques. La bataille a été jouée. 

N'ont-ils jamais pensé à partir ? Norat : « Je répondrai par une question. Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés, y avaient grandi, s'y étaient mariés, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et abandonneriez cette maison ? Je veux une réponse. Chaque minute passée dans cette maison est une minute supplémentaire de protection de mes souvenirs d'enfance. Chaque minute est l'occasion de me sentir embrassée par des membres de ma famille qui ne sont plus parmi nous. Je ne suis jamais seule dans cette maison, même quand je suis seule - toute ma famille et tous mes souvenirs sont toujours avec moi dans cette maison.

« S'ils viennent nous expulser, je n'ouvrirai pas la porte. Mais si je sens un danger pour moi et pour mon mari, je me rendrai et j'abandonnerai la maison pour protéger ma famille. Si je suis expulsée, je donnerai la maison à Dieu. Cette maison restera une prison jusqu'à ce qu'elle soit libérée. Je reviendrai. Et si ce n'est pas moi, ce seront mes enfants. Un jour, l'occupation prendra fin et nous reviendrons ».


Le 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah. Photos Emil Salman