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01/09/2022

YAIR AURON
Le poème qui a dénoncé les crimes de guerre israéliens en 1948
Nathan Alterman et le massacre d'Al Damawyia

Yair Auron, Haaretz, 18/3/2016
Traduit par
Fausto Giudice

Le professeur Yair Auron (1945) est un spécialiste israélien des études sur les génocides et de l'éducation en la matière. Depuis plus de 30 ans, il fait des recherches sur l'attitude d'Israël à l'égard du génocide d'autres peuples, en particulier les Arméniens. Depuis 2005, il est directeur du Département de sociologie, de science politique et de communication de l'Université ouverte d'Israël et professeur associé. Il est membre de Neve Shalom/Wahat as-Salam, le seul village judéo-arabe d'Israël, où il a fondé le Jardin des sauveteurs. Bibliographie

Un poème publié par Nathan Alterman pendant la guerre d'indépendance d'Israël critiquant les violations des droits humains a été salué par le Premier ministre Ben-Gourion, qui en a même distribué 100 000 exemplaires aux soldats ; d'autres témoignages de ce genre ont disparu.

Le 19 novembre 1948, Nathan Alterman [1], dont l'influente « Septième Colonne » – une chronique sous forme de poésie – paraissait chaque vendredi dans le quotidien Davar, organe du parti MAPAI (précurseur du parti travailliste) au pouvoir en Israël, publiait un poème intitulé « Pour ça (Al zot) » :

« En ces jours de batailles, le ministre de la Défense a remarqué ces choses, et a ajouté à ce qui est dit ici sa propre autorité, cet acte, qui n'est pas très courant en matière de guerre, vaut le poids de tout poème, du point de vue de l'efficacité aussi bien que de la moralité.

Monté sur une jeep, il avait traversé la ville conquise :
un garçon courageux et doux, un lion de garçon.

Dans la rue, où on s’'était battu,

un vieil homme et une femme

étaient pressés contre le mur : tout ce qu'ils avaient.

 

Et le garçon avait alors souri ; avec des dents blanches laiteuses :

« J'essaierai la mitrailleuse »... Et il a essayé.

Le vieil homme a juste protégé son visage à mains nues

et le mur s’est couvert de sang.


Cet instantané des batailles de liberté si chère,

ils sont plus courageux que ceux-là, alors ils sifflent.

Notre guerre demande donc une oreille poétique

très bien, chantons pour ça.

 

Chantons donc maintenant les “Affaires délicates”

qu'il vaut mieux appeler, simplement, massacres.

Chantons les discours qui déguisent toutes les traces

de culpabilité à propos des gars qui “ne font que jouer”.

 

Ne nous contentons pas de dire « ce ne sont que des détails mineurs »

car détails et principes

sont toujours mariés.

Si le public écoute juste les détails ainsi racontés

et n'emprisonne pas les têtes de criminel.

 

Car les porteurs d'armes, et avec eux, nous aussi ;

que ce soit dans l'action

ou avec une tape dans le dos,

nous sommes contraints par les discours de “vengeance”, comme on dit.

à des actes criminels très noirs.

 

La guerre est si cruelle ! Celui qui expose la morale

aura son visage arraché d’un coup de poing!

Mais parce que c'est ainsi

les limites de la décence

doivent être droites et dures comme une masse !

 

Et à ceux qui ne peuvent chanter que les splendeurs de la guerre

et qui sont tenus de verser du miel sur chacune de ses plaies.

qu'on les punisse cruellement et plus encore

et les défère immédiatement devant la cour martiale.

 

Que le silence qui chuchote “c'est comme ça”

soit frappé et n'ose pas montrer son visage.

 

La guerre du peuple qui s'est dressé sans peur

contre sept armées ;

les rois de l'Orient

ne craindront pas de dire aussi “Ne l'annoncez point dans Gath”[2].

ce n'est pas si lâche que ça !

Extrêmement ému par les vers, David Ben-Gourion, alors président du Conseil d'État provisoire dans l'État juif naissant, a écrit à Alterman : « Félicitations pour la validité morale et la puissante expressivité de votre dernière chronique sur Davar Vous êtes un porte-parole pur et fidèle de la conscience humaine, qui, si elle n'agit pas et ne bat pas dans nos cœurs dans des temps comme ceux-ci, nous rendra indignes des grandes merveilles qui nous ont été accordées jusqu'à présent.

« Je vous demande la permission de faire imprimer 100 000 exemplaires de l'article – qu'aucune colonne blindée de notre armée ne dépasse en force de combat – par le ministère de la Défense pour distribution à chaque soldat en Israël. »

À quels crimes de guerre se référait le poème ?

Les massacres perpétrés par les forces israéliennes à Lydda (Lod) et dans le village d'Al Dawayima, à l'ouest d'Hébron, ont été parmi les pires massacres de toute la guerre d'indépendance. Dans une interview à Haaretz en 2004, l'historien Benny Morris (auteur de « La naissance du problème des réfugiés palestiniens, 1947-1949 ») a déclaré que les massacres les plus flagrants « ont eu lieu à Saliha, en Haute Galilée (70-80 victimes), à Deir Yassin à la périphérie de Jérusalem (100-110), à Lod (50), à Dawamiya (des centaines) et peut-être à Abu Shusha (70) ».


Lod a été conquise lors de l'opération Dani (9-19 juillet 1948), qui visait également Ramle. Les dirigeants politiques et militaires ont estimé que la prise de ces deux villes était cruciale, car la concentration des forces arabes dans ces villes menaçait Tel-Aviv et ses environs. Concrètement, l'objectif était que les Forces de défense israéliennes naissantes dégagent les routes et permettent l'accès aux communautés juives sur la route Tel-Aviv-Jérusalem – qui restait sous contrôle arabe – et prennent le contrôle des zones vallonnées s'étendant de Latrun à la périphérie de Ramallah. Cela signifierait un affrontement avec les unités de la Légion arabe jordanienne, qui étaient déployées – ou censées l’être – dans la région.

Un autre objectif de l'opération Dani, menée par Yigal Allon avec Yitzhak Rabin comme adjoint, était d'étendre les territoires du jeune État juif au-delà des frontières définies par le plan de partition de l'ONU.

Le 10 juillet, Lod a été bombardée par l'armée de l'air israélienne, la première attaque de ce type dans la guerre d'indépendance. Une grande force terrestre avait également été constituée, comprenant trois brigades et 30 batteries d'artillerie, sur la base de l'évaluation de l'armée selon laquelle de grandes forces jordaniennes se trouvaient dans la région.

À leur grande surprise, les unités de Tsahal n'ont rencontré que peu ou pas de résistance. Malgré cela, il existe des sources palestiniennes et d'autres sources arabes qui prétendent que 250 personnes ont été massacrées après la prise de Lod. L'historien israélien Ilan Pappe affirme que l'armée a tué 426 hommes, femmes et enfants dans une mosquée locale et dans les rues environnantes. Selon lui, 176 corps ont été trouvés dans la mosquée, et le reste à l'extérieur. Le témoignage d'un Palestinien de Lod vient étayer ces estimations : « Les [troupes israéliennes], en violation de toutes les conventions, ont bombardé la mosquée, tuant tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur. J'ai entendu des amis qui ont aidé à enlever les morts de la mosquée dire qu'ils ont déplacé 93 corps ; d'autres ont dit qu'il y en avait beaucoup plus d'une centaine. » Il est clair, cependant, qu'il n'y a pas de chiffres précis et convenus, et les estimations des deux parties sont tendancieuses.

Les troupes israéliennes sont allées de maison en maison, expulsant les habitants restants vers la Cisjordanie. Dans certains cas, des soldats ont pillé des maisons abandonnées et volé des réfugiés.

Les intentions de Ben-Gourion à l'égard de Lod restent un sujet de débat. Des années plus tard, Rabin raconta comment, lors d'une réunion avec lui et Allon, Ben-Gourion, lorsqu'on lui demanda quoi faire des habitants de Ramle et de Lod, il fit un geste de la main et dit : « Expulsez-les. » Cette version des événements aurait dû être incluse dans les mémoires de Rabin mais a été interdite de publication en Israël, en 1979. Son récit est apparu dans le New York Times à l'époque, et a causé une furie. Allon, qui participa aussi à la rencontre avec Ben-Gourion, nia avec véhémence le compte rendu de Rabin. Le 12 juillet, la Brigade de Yiftah donna l'ordre « d'expulser rapidement les résidents de Lod. Ils doivent être dirigés vers Beit Naballah [près de Ramle] ».

« Seulement quelques coups de feu »

En ce qui concerne Al Dawayima, certains faits sont clairs. Le 29 octobre 1948, au cours de l'opération Yoav (alias Opération Dix plaies) dans le sud, le 89e  bataillon, une unité de commando, conquit le village. À ce moment-là, plus de trois mois après le massacre de Lod, il était évident qu'Israël gagnait la guerre. Maintenant, l'objectif était d'ajouter plus de territoire, de vider le pays des Arabes autant que possible et d'entamer des pourparlers d'armistice dans des conditions avantageuses. De vastes zones au nord, et peut-être même plus au sud, ont été conquises presque sans bataille. Les FDI ont balayé un village après l'autre.

Al Dawayima, qui comptait environ 4 000 habitants, situé sur les pentes occidentales des collines du sud d'Hébron, dans le Néguev (aujourd'hui Moshav Amatzia) fut un cas d’école. De nombreux villageois, y compris des personnes âgées, des femmes et des enfants, ont été assassinés par les forces israéliennes. Le village n'a offert aucune résistance – même ceux qui ont cherché une explication, ou une justification possible, pour le crime reconnaissent que les FDI n'ont rencontré que de légères oppositions et que leurs véhicules blindés ont subi « seulement quelques coups de feu, tirés à partir de quatre fusils », selon Avraham Vered, l'un des commandants de l'opération.

17/08/2022

ALON SCHWARZ
Comment camoufler un massacre : le cas de Tantoura

 Alon Schwarz, Haaretz, 12/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
 

Alon Schwarz est un cinéaste israélien, réalisateur des films documentaires "Les secrets d'Aïda" (2017) et "Tantoura" (2022)|.  

 

Le sionisme doit évoluer pour survivre, écrit le réalisateur du documentaire « Tantoura ». Les Israéliens devraient être assez forts pour reconnaître les souffrances de l'autre partie. Reconnaître la Nakba est un premier pas vers un avenir de paix


Les habitants de Tantoura, trois semaines après la bataille. Prendre ses responsabilités ne signifie pas renvoyer les réfugiés à Tantoura et expulser les kibboutzniks de Nahsholim.Photo : Benno Rothenberg / Meitar Collection, Pritzker Family National Photography Collection, National Library of Israel

La principale technique utilisée pour faire taire Teddy Katz il y a près d'un quart de siècle était de rechercher quelques erreurs dans les citations qui apparaissent dans sa thèse de maîtrise sur l'affaire de Tantoura – qui faisait des centaines de pages – et de le menacer ensuite d'un procès-bâillon [alléguant la diffamation mais en réalité destiné à l’intimider pour qu’il se taise]. Le but était de rejeter toute sa thèse comme indigne et aussi de le faire récuser.

Des articles d'opinion récents sur le sujet dans Haaretz en hébreu – par le rédacteur de musique du journal Haggai Hitron, et par l'avocat Giora Erdinast - ainsi qu'un article publié par l'historien Yoav Gelber sur un autre site en hébreu, ont été écrits en réponse à mon film «Tantoura ». Tous sont des exemples du phénomène si commun à la gauche et à la droite d'Israël de nier ou de minimiser la « Nakba » palestinienne (arabe pour « catastrophe ») pendant la guerre de 1948.

C'est l'une des tentatives les plus sérieuses de l'histoire israélienne pour cacher des crimes de guerre et faire taire un débat. Les articles d'Erdinast, Hitron, Gelber et d'autres personnes partageant les mêmes idées incluent de nombreux détails biaisés ou incorrects. Ils ont pour effet de jeter du sable dans les yeux des Israéliens ordinaires, qui ne possèdent pas nécessairement les outils nécessaires pour vérifier les affirmations des auteurs.

Beaucoup d'Israéliens trouvent du réconfort dans ces articles, dont le véritable but est de préserver la belle histoire réchauffant le cœur avec laquelle nous avons grandi, et ainsi permettre à la répression nationale de notre propre histoire de continuer : Nous n'avons expulsé personne, les Arabes se sont enfuis tout seuls, les Forces de défense israéliennes sont l'armée la plus morale du monde, nos soldats ne commettent jamais de massacres.

Avant de traiter de la fausseté de ces articles, j'aimerais ajouter une observation générale qui s'applique également à la lettre que le recteur de l'Université de Haïfa, le professeur Gur Alroey, a envoyée à tous les professeurs en juin dernier la veille de la projection de mon film. « Tantoura » n'aspire ni à aborder la qualité de l'écriture académique de Teddy Katz ni la question de savoir s'il a mal cité quelques-unes des interviews qu'il a enregistrées au magnéto il y a 23 ans lorsqu'il était étudiant. Ce ne sont pas les questions intéressantes, et c'est pourquoi le film ne les traite pas. Ce qui est intéressant, c'est ce qui s'est réellement passé à Tantoura le 23 mai 1948, et comment cela a été obscurci et réduit au silence dans la société israélienne, presque obsessionnellement, depuis. Le film permet au public d'écouter directement le matériau brut enregistré par Katz. Il combine également des entretiens récents avec des soldats qui se trouvaient sur les lieux et présente les conclusions d'une enquête approfondie et nouvelle fondée sur des documents, des photographies aériennes militaires et d'autres documents d'archives.

L'affirmation selon laquelle les inexactitudes dans un petit nombre de citations dans l'œuvre de Katz signifient que le film mérite d'être ignoré est simplement une tromperie visant à réduire au silence toute l'affaire. La thèse principale de Katz était qu'au cours de la journée du 23 mai 1948, après la fin de la bataille nocturne, les FDI ont tué de nombreux hommes désarmés à Tantoura, commettant des crimes de guerre horribles. Je maintiens que Katz a raison.

Contrairement à ce qu'Hitron a écrit sur Haaretz en juin dernier, le film ne se concentre pas sur la question de savoir si 12, 20 ou 200 personnes ont été tuées à Tantoura. Cette affirmation est une tentative d'aplatir et de cadrer le sujet, en le limitant au débat sur un nombre qui est de toute façon inconnu. Le documentaire raconte une histoire beaucoup plus large, qui inclut le contexte de la guerre de 1948 et examine comment la mémoire personnelle et nationale est construite et réprimées Il comprend différentes versions de ce qui s'est passé à Tantoura, y compris les récits de nombreuses personnes interrogées qui nient qu'un massacre ait eu lieu.

Pour lire la suite, télécharger le document 

Sur le même thème, lire

Un documentaire israélien reconstitue le massacre de Tantoura en mai 1948 : ses auteurs passent aux aveux

Trailer du film

 


11/05/2022

SERAJ ASSI
Le plus grand mythe sur la naissance d’Israël et la Nakba

Seraj Assi, Haaretz, 3/5/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala



L'auteur avec son père

Seraj Assi est un Palestinien né en Israël, titulaire d'un doctorat en études arabes et islamiques de l'université de Georgetown, où il est chercheur invité. Il est professeur adjoint d'arabe à l'université George Mason (Fairfax, Virginie). Il est l'auteur de The History and Politics of the Bedouin. Reimagining Nomadism in Modern Palestine, Routledge 2018.

Il s'agit de l'un des mythes les plus tenaces concernant la guerre de 1948 : La bataille épique entre un redoutable Goliath arabe et un Israël nouveau-né pour libérer la Palestine. Et c'est une fable qui continue à faire du mal aujourd'hui.

Les Palestiniens paient encore le prix de l'un des mythes les plus tenaces entourant la guerre israélo-arabe de 1948. Photo : Photos/AP ; Artwork/Anastasia Shub

Alors que les Palestiniens célèbrent le 74e  anniversaire de la Nakba et que les Israéliens célèbrent les 74 ans de leur État, nous devrions prendre un moment pour démystifier l'un des mythes les plus tenaces entourant la guerre de 1948 : la légende des grandes armées arabes, unifiées dans leur esprit, envahissant Israël pour libérer la Palestine.

Dans une fable traditionnelle perpétuée par les Arabes et les Israéliens, la guerre est décrite comme une bataille épique entre un David juif et un Goliath arabe. Il s'agit là d'une véritable mythification de l'histoire.

Mais ce n’était pas une guerre entre un petit David israélien et un Goliath arabe géant. C'était un Israël très motivé et relativement organisé qui combattait une coalition arabe fragmentée dont les gouvernements étaient entrés en guerre pour se disputer leur part de la Palestine.

Le roi Abdallah Ier de Jordanie était là pour annexer la Palestine et créer une Grande Syrie hachémite. Les Syriens, qui craignent la Jordanie plus qu'Israël, étaient là pour empêcher la Jordanie d'annexer la Cisjordanie. L'Égypte était là pour bloquer les Hachémites, occuper la bande de Gaza et affirmer sa suprématie sur ses voisins arabes. La Palestine était un champ de bataille par procuration pour leurs ambitions et leurs craintes. Le sort des Palestiniens eux-mêmes ne figurait guère dans les calculs des autocrates arabes.

Le mythe de l'infériorité militaire d'Israël a été démoli par les historiens israéliens eux-mêmes. Selon Avi Shlaim, à chaque étape de la guerre, les forces israéliennes étaient plus nombreuses et mieux armées que toutes les forces arabes mobilisées contre elles. À la mi-mai 1948, le nombre total de troupes arabes en Palestine, tant régulières qu'irrégulières, était inférieur à 25 000, alors qu'Israël alignait plus de 35 000 soldats. À la mi-juillet, Israël comptait 65 000 hommes sous les armes, et en décembre, ses effectifs atteignaient un pic de près de 100 000 hommes.

Des volontaires palestiniens dans une tranchée apprennent d’un instructeur à tirer et à se défendre à Toulkarem, en Palestine, pendant le conflit judéo-arabe de 1948. AP Photo

 « L'issue finale de la guerre n'était donc pas un miracle, mais un reflet fidèle de l'équilibre militaire sous-jacent sur le théâtre palestinien. Dans cette guerre, comme dans la plupart des guerres, c’est le côté le plus fort l'a emporté », commente Shlaim, dans The War for Palestine.

À       la veille de la guerre, la façade unitaire arabe cachait des divisions et des fissures profondes. Les dirigeants arabes se méfiaient davantage les uns des autres que d'Israël. Les armées arabes ont traversé la Palestine pour se battre entre elles et se saboter mutuellement.

Ils sont entrés en guerre non pas en tant qu'Arabes, mais en tant qu'Égyptiens, Jordaniens, Syriens et Irakiens. Ils n'avaient ni un commandement unifié ni une vision unifiée. Les Arabes ont porté leur guerre froide en Palestine. Ils menaient une guerre dans une guerre. Toute l'entreprise était vouée à l'échec dès le départ. Pour citer l'historien Eugene Rogan : « Les États arabes sont finalement entrés en guerre pour s'empêcher mutuellement de modifier l'équilibre des forces dans le monde arabe, plutôt que pour sauver la Palestine arabe ».

Aucun des États arabes qui sont entrés en guerre ne souhaitait voir émerger un État palestinien viable sur son flanc. La Jordanie hachémite a travaillé dur pour s'assurer qu'un tel État ne verrait jamais le jour. Il s'agissait d'une grande trahison ourdie en secret.

En novembre 1947, à la veille du plan de partage, le roi Abdallah de Transjordanie rencontre secrètement la dirigeante sioniste Golda Meir pour signer un pacte de non-agression : le roi s'engage à ne pas s'opposer à la création de l'État juif en échange de son annexion de la Cisjordanie.

Trois mois plus tard, en février 1948, les Britanniques donnent leur feu vert au plan secret d'Abdallah. Pas étonnant que la Jordanie soit le seul pays arabe à ne pas s'opposer au plan de partage. Trois mois plus tard, les Britanniques quittent la Palestine, et Israël déclare son indépendance.

Le jour suivant, les Arabes ont déclaré la guerre à Israël, soi-disant pour récupérer la Palestine, mais surtout pour s'affaiblir mutuellement. Lorsque la poussière de la guerre est retombée, la Palestine était perdue.

L'éclat des fusées éclairantes et des feux allumés par des obus de mortier et d'artillerie illumine le ciel au-dessus de la Tour de David dans la vieille ville de Jérusalem, l'un des échanges de tirs les plus violents entre Arabes et Juifs. AP Photo/Jim Pringle

La Transjordanie, quant à elle, a pu s'emparer de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (avec la bénédiction britannique), tandis que l'Égypte s'emparait de Gaza. Il s'avère que les Hachémites sont entrés en guerre avec deux objectifs : annexer la Cisjordanie et empêcher leur rival acharné, Hadj Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, de créer un État palestinien viable. Les autres États arabes y sont allés pour contenir la Transjordanie plutôt que pour sauver la Palestine. En fin de compte, les Hachémites l'ont emporté.

Un homme a tout vu venir. Fawzi Qawuqji était le commandant de l'Armée de libération arabe. Alors que l'ALA était une armée de volontaires créée par la Ligue arabe pour contrer l'Armée de la guerre sainte du Mufti, les gouvernements arabes ont empêché des milliers de recrues arabes de rejoindre l'une ou l'autre de ces forces.

Comme beaucoup de ses camarades arabes, Qawuqji a traversé vers la Palestine avec des promesses grandioses de libération. Pourtant, une fois en Palestine, il s'est trouvé aux prises avec la guerre d'usure de l'unité arabe. « Elle était là pour empêcher une guerre entre les États arabes », écrit-il à propos de l'ALA. Au lieu de combattre les sionistes, le commandant arabe devait maintenant se frayer un chemin entre les Hachémites et les nationalistes syriens.

Le roi Abdallah de Transjordanie, à gauche, et son hôte, le roi d'Arabie Saoudite Abdul Aziz Ibn Saoud, à Riyad, en Arabie Saoudite, le 29 juin 1948, lors d'une visite pour discuter de la question palestinienne. AP Photo

Le climat politique arabe qui a donné naissance à l'ALA a posé un grand dilemme à Qawuqji. Il écrit dans ses mémoires : « Le roi Abdallah était déterminé à réaliser son projet de Grande Syrie par le biais de la Palestine. Cette possibilité, plus que toute autre, inquiétait le gouvernement syrien. Quant à l'Irak, qui enverrait son armée sur le champ de bataille en Palestine en passant par la Transjordanie, comment pourrait-il agir ? Aiderait-il la Jordanie dans la réalisation de ce projet ? »

C'était une préoccupation réelle. Après tout, les Irakiens n'étaient pas disposés à contrarier leurs cousins hachémites pour le bien de la Palestine, ni le Mufti, envers lequel ils nourrissaient une profonde méfiance.

Réfléchissant aux réticences mutuelles qui prévalaient entre les États arabes à la veille de la guerre, Qawuqji s'est amèrement lamenté : « Chaque État arabe craignait son soi-disant État frère. Chacun convoitait le territoire de son frère, et conspirait avec d'autres contre son frère. Telle était la situation dans laquelle se trouvaient les États arabes lorsqu'ils se préparaient à sauver la Palestine, et c'est ce qui les a troublés avant tout. Ce n'est qu'après cela, très loin après cela, qu'est venu le problème de la Palestine elle-même ».

Des réfugiés palestiniens ayant fui leurs maisons lors des récents combats en Galilée entre Israël et les troupes arabes affluent de Palestine sur la route du Liban en 1948. Photo : AP

Le choc de la défaite a été biblique. Aucun autre événement de l'histoire arabe moderne n'a été aussi inévitable et pourtant si complètement imprévu.

Pour reprendre les termes de l'intellectuel syrien Constantin Zureiq, qui a inventé le terme « Nakba » dans son livre fondamental The Meaning of the Nakba, il s'agit du « pire désastre qui ait frappé les Arabes dans leur longue histoire ». Il a noté, avec précision : « Sept pays [arabes] partent en guerre pour abolir la partition et vaincre le sionisme, et quittent rapidement la bataille après avoir perdu une grande partie de la terre de Palestine ».

C'était une défaite arabe, mise en scène et orchestrée par les régimes arabes, un désastre auto-infligé pour lequel les Palestiniens ont payé le prix ultime, depuis lors.

En fin de compte, la défaite arabe avait été scellée dès le départ. Comme le grand nationaliste arabe Sati al-Husari le dira plus tard : « Les Arabes ont perdu la Palestine parce que nous étions sept États ».

Le commandant britannique de la Légion arabe de Transjordanie, le brigadier John Bagot ("Glubb Pacha"), à droite, parle aux soldats de son commandement dans un poste avancé près de Ramallah, en Palestine, le 20 juillet 1948. AP Photo

En fait, il ne s'agissait guère d'États arabes, mais d'États clients, sous des auspices coloniaux. En 1948, l'Égypte, l'Irak et la Jordanie étaient encore sous contrôle britannique. L'armée jordanienne, connue sous le nom de Légion arabe, était dirigée par un officier britannique, John Bagot Glubb, alias Glubb Pacha, dont la loyauté était partagée entre les Hachémites et ses supérieurs britanniques.

Il était crédule d'attendre des Arabes qu'ils libèrent la Palestine alors qu’eux-mêmes n'étaient pas libérés. Comme Gamal Abdel Nasser, le futur président égyptien qui a combattu pendant la guerre, l'a dit plus tard dans ses mémoires : « Nous nous battions en Palestine, mais nos rêves étaient en Égypte ».

Ainsi, les armées arabes qui ont envahi « Israël » n'étaient pas des Goliaths. En fait, il n'y avait pas d'armées arabes, seulement un méli-mélo de groupes paramilitaires non coordonnés, qui étaient mal armés et à peine entraînés, hautement improvisés, largement surpassés en nombre et submergés. L'engagement militaire arabe officiel en Palestine était au mieux timide. Les États arabes naissants, qui étaient encore dominés par d'anciens généraux coloniaux et des dirigeants fantoches, n'avaient pas de véritable combativité en eux.

La guerre de 1948 n'était pas tant une guerre israélo-arabe qu'une guerre arabo-arabe. Pour paraphraser la célèbre phrase de Jean Baudrillard : la guerre de 1948 n'a pas eu lieu. Pendant des décennies, depuis 1948, les États arabes ont imposé aux Palestiniens - en exigeant leur gratitude et leur obéissance - leurs sacrifices en temps de guerre au nom de la Palestine. Mais l'histoire montre que l'engagement arabe en faveur de la Palestine relève largement de la légende.