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21/12/2023

JORGE MAJFUD
Mais tout ça, c’est la faute de ces emmerdeurs de gauchards
L’araignée et les mouches

Jorge Majfud, 20/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En raison de la guerre de l'OTAN en Ukraine et du blocus de la Russie qui en découle, les sanctions contre le Venezuela se sont un peu relâchées au cours de l'année 2023. Les sanctions, les blocus et le harcèlement des USA et de l'Union européenne se sont radicalisés il y a dix ans et ont mis fin à une longue période de croissance économique et de réduction de la pauvreté dans ce pays, ce que la propagande a réussi à vendre comme un échec historique. Ce n'est pas une coïncidence si l'hyperinflation historique du Venezuela est tombée à 185 % par an, ce qui est inférieur au taux atteint par l'Argentine cette année.


Comme nous le répétons depuis des années, les dettes (inflationnistes) des néo-colonies sont nécessaires pour les maintenir dans un état de nécessité productive, ce qui est très similaire à la logique qui se reproduit dans ces mêmes sociétés entre les travailleurs qui arrivent à peine à joindre les deux bouts et une oligarchie qui les diabolise comme “parasites de l'État” lorsqu'ils reçoivent un quelconque subside ou lorsqu'ils sont déjà foutus et qu'ils ne peuvent plus porter de sacs de ciment.

À cause de ces dettes éternelles, les néo-colonies sont obligées de produire, d'exporter et d'acheter des dollars pour “honorer leurs engagements”. En même temps qu’on exige de ces colonies la “responsabilité fiscale”, on oublie aux USA que nous sommes les champions de l'irresponsabilité fiscale, avec des déficits et des dettes pharaoniques qui ne cessent de croître, mine de rien. Qui peut nous malmener et nous bloquer, alors que nous avons l'armée la plus puissante du monde ? Historiquement inefficace pour toute guerre, mais toujours puissante pour harceler les autres et, plus encore, pour forcer notre population à se saigner davantage au nom d'une terreur inoculée par les médias - des réactions à nos propres interventions qui, lorsqu'elles ne suffisent pas, sont inventées avec davantage de provocations ou d'attaques sous faux drapeau.

Alors qu'une économie impériale est inévitablement très productive, la nôtre est basée sur la consommation (70 %) et non sur la production. En fait, nous n'avons pas besoin de produire beaucoup ; nous n'avons même pas besoin de payer des impôts pour rembourser les dettes du gouvernement, un instrument des entreprises qui attisent les guerres partout où cela est nécessaire pour maintenir le déficit croissant de l'État et les transferts massifs de capitaux de la classe ouvrière vers leurs coffres insatiables à Londres et à Wall Street.

Les dollars ont été inventés de toutes pièces, même plus sous forme de papier. Bien sûr, on peut imprimer des dollars, mais on ne peut pas imprimer de la richesse. L'impression massive d'une monnaie mondiale est un moyen d'extraire la valeur d'autres régions qui la détiennent comme réserve ou comme épargne personnelle. Si l'inflation n'explose pas dans le pays qui l'imprime, c'est parce qu'une grande partie de cette inflation est exportée.

Il s'agit également d'un instrument d'extorsion. Si un pays n'est pas endetté, il doit l'être. C'est ce qu'avait reconnu le tout nouveau ministre argentin, Luis Caputo, lorsqu'en 2017 il a assuré que le retour au FMI et le prêt massif reçu « nous permet de laisser plus de place au secteur privé ; il n'y a pas de signe de crise ; c'est préventif ; c'est la première fois qu'un gouvernement [celui de Mauricio Macri] fait des choses comme ça, préventives... »

L'endettement massif, comme celui de l'Argentine, est inflationniste, presque autant que le blocage du crédit et des marchés au Venezuela (par les champions du marché libre), parce qu'ils obligent ces pays à imprimer de la monnaie ou à s'abstenir d'investir dans leur propre société. Aujourd'hui, le fait qu'en Argentine, les néolibéraux aient à nouveau nationalisé (étatisé) les dettes privées est une nouvelle insulte à l'intelligence du peuple - bien sûr, il n'était pas nécessaire d'avoir une grande intelligence non plus ; un peu de mémoire suffisait.

Désigner l'impérialisme mondial comme la cause première des grandes crises économiques et sociales ne signifie pas déresponsabiliser ses administrateurs nationaux. Et surtout, les bradeurs bien de chez nous. Cela ne signifie pas non plus qu'il faille ériger un pays en modèle pour les autres. Bien sûr, il est inutile de clarifier ce point. La pensée cavernicole ne mourra jamais, car elle est efficace comme peu d'autres : « Cuba oui ou Cuba non », « Salvador oui ou Salvador non » ; « Vous vivez aux USAA et vous critiquez son gouvernement, pourquoi n'allez-vous pas vivre au Venezuela ? » ; « Si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran ? » ; "si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran" ; « Si vous défendez tant les immigrés, pourquoi ne les emmenez-vous pas dormir dans la chambre de votre fils ? » ; « Si vous défendez tant les homosexuels, pourquoi ne couchez-vous pas avec l'un d'entre eux ? » Bref, la dialectique classique de l'ivrogne qui commence à perdre l'euphorie du dernier verre.


 Autre erreur classique : la décontextualisation historique et géopolitique de toute réalité. Pour les libertariens affranchis (néolibéraux), le monde est aussi plat qu'une pizza. Il n'y a pas de classes sociales, pas de nations hégémoniques. Il n'y a pas d'empires ni de parasites oppresseurs. Tout ce qui se passe dans un pays, en particulier dans un pays périphérique, est purement et simplement la faute de de ces emmerdeurs de gauchards. Les gouvernements font la différence, pour le meilleur ou pour le pire, mais ils ne sont pas les seuls à décider de leur propre contexte, comme peut le faire celui d’un pays capitaliste situé au centre. C'est-à-dire un pays impérial - hégémonique, si le mot empire heurte les sensibilités.

À une époque, le capitalisme a fonctionné pour une grande partie des Européens et des USAméricains, mais le même capitalisme (plus radical, plus libéré) n'a jamais fonctionné pour le Honduras, le Guatemala, l'Inde ou le Congo. Au contraire, parce qu'être une puissance impériale et extractive, l'araignée qui tisse sa toile et domine depuis le centre, ce n'est pas la même chose que d'être l'une des mouches dans la toile. Historiquement, les pays non alignés ont subi des sanctions économiques et financières, voire militaires (invasions, coups d'État, assassinats de leurs dangereux dirigeants, attentats sous fausse bannière, tous bien documentés), qui ont ensuite été traduits en “échecs” que la propagande impériale a vendus et vend comme des démonstrations que les idéologies alternatives “ne fonctionnent jamais” et autres clichés similaires propagés par les médias mondiaux, par les agences secrètes et, surtout, par les majordomes créoles, qui se sont toujours chargés de reproduire à l'infini les idéologies parasitaires des esclavagistes et des oligarchies coloniales.

C'est tout. Nous insistons sur ces points depuis des décennies. Dans certains livres, comme Moscas en la telaraña, nous avons exposé ces mêmes idées de manière plus complète et, à mon avis, plus claire, et je n'insisterai donc pas davantage ici. Mais il est nécessaire de rappeler (et de répéter ad nauseam) les aspects les plus simples qui sont stratégiquement oubliés. Toujours. Comme, par exemple, qu'il n'y a pas de développement sans indépendance économique ; qu'il n'y a pas d'indépendance sans union des non-alignés ; qu'il n'y a pas de voies propres sans indépendance culturelle ; que la périphérie n'est qu'une réalité géopolitique, pas nécessairement philosophique et culturelle...

Des choses simples que les empires du Nord se sont chargés, au cours des derniers siècles, de détruire à tout prix. Tout cela au nom de la liberté et de la prospérité - tout ce que les mouches répètent lorsqu'elles sont disséquées par l'araignée salvatrice.

 



29/10/2023

JORGE MAJFUD
Les nazis de notre temps ne portent pas la moustache

Jorge MajfudEscritos Críticos, 28/10/2023

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

C’est une tragique ironie de l’histoire que ceux qui, dès le début, ont condamné les actions belliqueuses du Hamas et du gouvernement israélien soient accusés d’être en faveur du terrorisme par ceux qui ne font que condamner le Hamas et justifier le terrorisme massif, historique et systématique du gouvernement israélien.


Heureusement, des centaines de milliers de Juifs (surtout dans l’hémisphère nord) ont eu le courage que les évangéliques ou les laïques politiquement corrects et prévisibles n’ont pas eu de descendre dans la rue et dans les centres du pouvoir mondial pour clarifier que l’État d’Israël et le judaïsme ne sont pas la même chose, une confusion fondamentale, stratégique et fonctionnelle qui se trouve au cœur du conflit et ne profite qu’à quelques-uns avec la complicité fanatique et ignorante de beaucoup d’autres.

 

En fait, des dizaines de milliers de studieux juifs des livres saints du judaïsme, tels que la Torah, ont affirmé que le judaïsme était antisioniste. Beaucoup diront que c’est une question d’opinion, mais je ne vois pas pourquoi leur opinion devrait être moins importante que celle du reste des charlatans bellicistes.

 

Ce sont ces Juifs, qui savent que leur coexistence avec les musulmans a été, pendant des siècles, bien meilleure que cette tragédie moderne, qui ont crié à Washington et à New York “Pas en notre nom”, “Arrêtez le génocide de l’apartheid” et qui, dans bien des cas, ont été arrêtés pour avoir exercé leur liberté d’expression, qui, dans les démocraties impériales, a toujours été la liberté de ceux qui n’étaient pas assez importants pour défier le pouvoir politique, comme le montre, par exemple, la liberté d’expression à l’époque de l’esclavage. Mais c’est à eux que reviendra la dignité conférée par l’histoire.

 

Quand la lumière reviendra à Gaza et que le monde apprendra ce qu’une des plus puissantes armées nucléaires du monde, avec la complicité de l’Europe et des USA, a fait à un ghetto sans armée et à un peuple qui n’a droit qu’à respirer, quand il le peut, il apprendra que ce ne sont pas des milliers mais des dizaines de milliers de vies aussi précieuses que les nôtres, écrasées par la haine raciste et mécanique de malades, dont quelques-uns disposent d’un grand pouvoir politique, géopolitique, médiatique et financier, qui, en fin de compte, gouvernent le monde.

 

Naturellement, la propagande commerciale tentera de le nier. L’histoire ne le pourra pas. Elle sera implacable, comme elle l’est généralement lorsque les victimes ne dérangent plus.

 

Beaucoup se tairont, tremblant devant les conséquences, devant les listes noires (journalistes sans travail, étudiants sans bourses, hommes politiques sans dons, comme l’ont même rapporté des médias comme le New York Times), devant l’opprobre social dont souffrent et souffriront ceux qui oseront dire qu’il n’y a pas de peuples ni d’individus choisis par Dieu ou par le Diable, mais de simples injustices d’une puissance déchaînée.

Qu’une vie vaut autant et de la même manière qu’une autre.

 

Que le peuple palestinien (avec une population huit fois supérieure à celle de l’Alaska, quatre ou cinq fois supérieure à celle d’autres États usaméricains), coincé dans une zone invivable, a les mêmes droits que n’importe quel autre peuple à la surface de la sphère planétaire.

Que les Palestiniens, hommes, femmes et enfants écrasés par les bombes aveugles, ne sont pas des “animaux à deux pattes”, comme le prétend le Premier ministre Netanyahou (s’ils étaient des chiens, ils seraient au moins mieux traités). Les Israéliens ne sont pas non plus “le peuple de la lumière” combattant “le peuple des ténèbres”.

 

Que les Palestiniens ne sont pas des terroristes parce qu’ils sont nés Palestiniens, mais l’un des peuples qui a le plus souffert de la déshumanisation et du siège constant, du vol, de l’humiliation et du meurtre en toute impunité depuis près d’un siècle.


Mais ceux qui osent protester contre un massacre historique, un parmi tant d’autres, sont, comme par hasard, ceux qui sont accusés de soutenir le terrorisme. Il n’y a là rien de nouveau. C’est ainsi que les terroristes d’État ont toujours agi dans toutes les parties du monde, tout au long de l’histoire et sous des drapeaux de toutes les couleurs.



Arcadio Esquivel, Costa Rica, 2017


22/09/2023

JORGE MAJFUD
Les bots, esclaves au service de la guerre de classe et de race

Jorge Majfud, Escritos críticos, 19/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice,
Tlaxcala

En 1997, alors que je travaillais au Mozambique en tant qu’architecte fraîchement diplômé, j’ai visité les villages de Cabo Delgado, Mueda et Montepuez en compagnie de l’Allemand Reinhard Klingler (coopérant pour une ONG appelée UFUNDA). Dans l’un d’eux, nous avons rencontré les chefs de village pour leur proposer le plan qui, selon Reinhard, devait être financé par un groupe de coopération de l’Union européenne.

J’avais été chargé de fournir des solutions de construction pour les écoles professionnelles en fonction des ressources matérielles et de la main-d’œuvre disponibles dans la région. Un soir, à la fin d’une de ces réunions dans une cour solennelle de terre rouge fraîchement balayée, les chefs de village s’approchèrent de moi et me dirent, dans un portugais plein de mots makua (je cite de mémoire et sans prétendre à la littéralité) : « Nous sommes tout à fait d’accord avec toutes vos propositions... Mais nous voulons que le chef responsable du projet soit un blanc (Ncunña ou Kunha) ». Peut-être ont-ils remarqué mon visage surpris ou bien leur ai-je répondu par une question. « Sim, ncuña..., branco ». Ce dont je me souviens, sans hésitation, c’est de l’explication qu’ils m’ont donnée : « C’est que les blancs sont moins corrompus que les noirs ».

Fresque murale à São Filipe, sur l’Île de Fogo, au Cap-Vert

Je ne me souviens pas si je leur ai répondu ou si la réponse n’était qu’une des milliers de notes que j’ai prises pour mon livre Crítica de la pasión pura et que je n’ai pas incluses lorsque j’ai pu le publier à Montevideo en 1998 : « Je crains que les maîtres blancs ne vous aient déjà corrompus en vous faisant répéter leurs propres idées et leurs propres intérêts, pas les vôtres ». Comme l’a écrit le grand Frantz Fanon dans Les damnés de la terre, le colonisé est un humain déshumanisé [1] ou, plus clairement encore, dans son livre précédent, Peau noire, masques blancs (1952), « Le Blanc obéit à un complexe d’autorité, à un complexe de chef, cependant que le Malgache obéit à un complexe de dépendance"[2].

Cette fonction que les colonisés, les déshumanisés, ont remplie pendant des siècles, est aujourd’hui complétée par un autre type d’êtres déshumanisés : les bots, les robots dotés d’une intelligence artificielle. En d’autres termes, c’est au fond la même chose, mais simplifiée par la haute technologie.

Pendant longtemps, les experts ont compris que l’une des caractéristiques des bots était (1) qu’ils ne produisaient pas de contenu et (2) qu’ils étaient monothématiques. C’est très bien. On constate que le premier point est cohérent avec l’étymologie même du mot bot, qui dérive de robot* et, à son tour, du mot tchèque pour esclave. Pour sa part, le mot esclave dérive de slave, mais si nous passons à l’étymologie du mot adicto [dépendant, addict], nous verrons que dans l’Antiquité, ce mot désignait l’homme condamné à l’esclavage pour dette, au sens où les Romains l’entendaient comme un individu qui ne peut plus agir et penser par lui-même, mais qui est addictus, “affecté” à, c’est-à-dire que son corps est mis à disposition du plaignant par un juge. Bref, il est ravalé au rang de robot, de bot, un esclave.

Le deuxième point fait référence au fait que les bots sur les réseaux sociaux ont généralement un objectif politique, c’est-à-dire le pouvoir. Ils répètent comme des addicts, comme des esclaves, au profit de leur maître. Ils n’ont pas d’autres intérêts, comme un humain d’avant les réseaux, c’est-à-dire qu’ils ne parlent ni de football ni de Hegel, mais seulement de leur thème. Le bot est monothématique. Le problème est qu’il est aussi possible, et même très possible, de trouver des humains qui correspondent à ce profil  de bots, d’addicts, d’esclaves. Il y a au moins quinze ans, j’ai réfléchi à la nouvelle nature matérielle et psychologique dans laquelle nous entrions et, dans certains articles, j’avais mentionné quelque chose que j’ai repris plus tard dans le livre Cyborgs de 2012 : « Alors que les universités fabriquent des robots qui ressemblent de plus en plus à des êtres humains, non seulement pour leur intelligence avérée, mais maintenant aussi pour leurs capacités à exprimer et à recevoir des émotions, les habitudes consuméristes nous rendent de plus en plus semblables à des robots » [3] 

 

Slave R2D2, par AlanGutierrezArt

Aujourd’hui, les bots les plus modestes des médias sociaux sont déjà capables de s’exprimer avec des bégaiements et des tics, alors que nous, les humains, essayons de les éliminer de notre nature. Au cours des trois premiers mois de sa campagne de 2016, Donald Trump, alors candidat à la présidence, a cité 150 de ses propres bots comme s’il s’agissait d’humains ayant quelque chose d’important à dire. À leur tour, ces citations ont été reproduites par d’autres humains et d’autres bots [4], une pratique qui s’est poursuivie après son accession à la présidence.

En 2015, un tiers des gazouillis et jusqu’à la moitié du trafic internet étaient déjà générés par des bots[5]. Dans de nombreux cas, les bots ont été humanisés avec tous les défauts et habitudes des humains, tels que le maintien constant d’autres comptes sur différents réseaux sociaux avec des idées et des tics similaires ; ou le fait de prendre un temps prudent pour répondre à une question urgente. En 2014, un robot a réussi pour la première fois à passer le test de Turing (conçu en 1950 par le génie informatique Alan Turing) en faisant croire aux juges, lors d’un entretien de cinq minutes, qu’il s’agissait d’un véritable être humain. Grâce à cette capacité à se substituer aux humains avec la sensibilité du réel, comme lorsque quelqu’un parle notre propre langue et s’exprime comme nos propres amis, ces bots ont pu encourager des soulèvements sociaux et, surtout, perturber de vraies protestations de personnes réelles ayant de vrais problèmes.

Les PDG des grandes plateformes sociales comme X (ex-Twitter) et Meta (ex-Facebook) s’excusent face à la prolifération de contenus racistes en affirmant que « nous ne sommes pas les arbitres de la vérité ». Ce qui serait tout à fait exact s’il ne s’agissait pas d’une illusion commode. Aujourd’hui, la sensibilité au racisme aux USA a supplanté d’autres réalités telles que le classisme ou l’exploitation à distance d’êtres humains au profit de la micro-élite patronale. Les plateformes n’arbitrent pas seulement des positions politiques, comme celle de savoir qui a raison dans le conflit Russie-OTAN, ou Trump-Biden, mais leur existence entière et leur ingénierie psychologique sont basées sur l’idéologie du consumérisme et les avantages de la “libre concurrence”, l’un des mythes les plus obscènes de notre époque, s’il y en a un autre plus obscène.

Ce n’est pas un hasard si la jeunesse rebelle, révolutionnaire et de gauche des XIXe et XXe siècles était une jeunesse lettrée, alors que la jeunesse réactionnaire, conservatrice et de droite d’aujourd’hui a été éduquée dans les réseaux sociaux. Ce n’est pas un hasard si la diffusion de fausses nouvelles à partir de ces “réseaux neutres” a proliféré sur des thèmes classiques de l’extrême droite tels que la religion, la tribu et le racisme.


Atomic Robo, par NelsonRibeiro

 Après les dernières invasions et guerres post-coloniales des puissances occidentales en Afrique et au Moyen-Orient (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen), le même phénomène s’est produit qu’avec les guerres de Washington dans son arrière-cour latino-américaine : des milliers de personnes ont commencé à fuir le chaos du Sud mondial vers le seul endroit où elles pouvaient trouver un emploi rémunéré, le Nord civilisé, et elles n’ont pas été les bienvenues. Les frontières des USA et de l’Europe ont été fermées pour “protéger notre culture”, pour “protéger l’ordre public”, pour “protéger nos frontières”, des droits qui n’ont jamais été respectés en ce qui concernait les frontières, la culture et les lois et l’ordre des autres, les sauvages.

En raison du vieillissement de la population allemande et du bon sens de la chancelière Angela Merkel, plusieurs milliers de réfugiés syriens ont été accueillis. Mais comme dans le reste de l’Europe, les migrants se sont heurtés à une résistance comme s’ils étaient des envahisseurs. Comme ce récit ne suffisait pas, on a eu recours à un autre classique du genre, exercé avec une extrême habileté démagogique par l’ancien président Donald Trump et la plupart des politiciens de son parti : “les immigrés basanés et pauvres viennent violer nos femmes”. Ce discours récurrent de l’imaginaire pornographique du XIXe siècle (la féministe et éducatrice Rebecca Latimer Felton préconisait mille coups de fouet pour empêcher les Noirs libres de violer les jeunes filles blondes, alors même que les viols les plus fréquents étaient le fait de Blancs sur de jeunes femmes noires). Au moment où Rebecca Felton est élue première femme sénatrice de l’histoire de ce pays, en 1922, certains scientifiques européens et usaméricains (contrairement à ce qu’affirmaient divers auteurs latino-américains comme le Cubain José Martí ou le Péruvien González Prada) sont également convaincus de la supériorité de certaines races sur d’autres, selon leur propre idée de la supériorité. En 1923, le spécialiste Carl Brigman écrivait dans son Study of American Intelligence : « la supériorité de notre population nordique sur d’autres groupes tels que les Alpins, les Européens méditerranéens et les Nègres est quelque chose qui a été démontré ». 6] Le même auteur regrettera cette conclusion quelques années plus tard, estimant qu’elle n’était pas fondée sur les données disponibles, mais la culture populaire et les pouvoirs qui façonnent et manipulent ses faiblesses s’étaient déjà déplacés comme un tsunami de l’autre côté. Les années 1930 ont été l’apogée du nazisme en Europe et, aux USA, la haine des Noirs et l’expulsion de citoyens usaméricains au faciès mexicain ont atteint des niveaux historiques. Le pouvoir de ces théories n’a pas pris fin avec la défaite d’Hitler ; elles se sont poursuivies dans la pratique avec des expériences médicales sur les Noirs aux USA et les pauvres au Guatemala ; elles se sont poursuivies avec des guerres impérialistes et des stérilisations massives de races inférieures, comme à Porto Rico dans les années 1970 et au Pérou dans les années 1990. [les braves Suédois ont stérilisé des Rroms et des tattare, des “Tatars” -un groupe de voyageurs marginalisés et ethnicisés – jusqu’aux années 50, NdT]


Robot-chien policier, Allemagne, de nos jours

Dans l’Europe du XXIe siècle, la rumeur séculaire selon laquelle les immigrés basanés tuaient les hommes et violaient les femmes européennes blanches pauvres et sans défense a été répandue à maintes reprises. Ces rumeurs n’ont jamais été confirmées par des statistiques, mais il s’agit là d’un détail sans importance pour les masses enflammées.

Un autre exercice de rumeur, alimentant le marché juteux de la haine qui germe dans la peur, a affligé les victimes de multiples massacres aux USA au cours des deux dernières décennies. Diverses plateformes habitées par des mouches anonymes ont fait circuler la version selon laquelle ces massacres avaient été mis en scène, en dépit du fait que les familles et les tombes des victimes elles-mêmes étaient là pour en vérifier l’existence. Ce n’est pas un hasard si les groupes qui se sont chargés de rendre virales ces théories du complot étaient d’extrême droite  ou simplement des partisans de la droite politique adepte des armes à feu.

Après tous ces antécédents humains, ce n’est pas une simple coïncidence si même les bots sont racistes. Au début de l’année 2016, Microsoft a lancé son robot vedette, une jeune fille inexistante dotée du bagage linguistique d’un humain de 19 ans qui, grâce à son intelligence artificielle, pouvait interagir avec de vrais humains sur Twitter et dans le cadre de discussions téléphoniques telles que GroupMe. Les chats avec Tay (Thinking About You) étaient si réalistes que même les erreurs de ponctuation étaient incluses [8]. Grâce à cette interaction avec le “monde réel”, Tay a appris à être Tay. Peu après ces discussions enrichissantes (comme au siècle dernier une jeune femme apprenait des conversations dans les cafés d’ intellectuels de Paris ou de Montevideo), Tay est devenue une racaille raciste. À tel point que l’entreprise Microsoft, sans doute moins pour des raisons morales que pour des raisons économiques, a décidé de lui délivrer un certificat de décès 16 heures après sa naissance. Une vie courte, sans doute, mais suffisante pour écrire près de cent mille tweets.

D’autres expériences améliorées (comme Zo, plus politiquement correct) ont duré plus longtemps et ont échoué pour des raisons similaires. Les méga-plateformes comme Facebook ont essayé de nettoyer tout ce racisme et ce sexisme ambiant qui servent de matière première aux futures IA. Toutefois, la technique de censure des pages et des textes contenant des expressions racistes est très similaire à l’actuelle culture de l’annulation [cancel], qui a vu le jour aux USA et a commencé à atteindre d’autres continents. De la même manière que, dans diverses institutions éducatives, plusieurs enseignants et même des professeurs ont perdu leur emploi pour avoir mentionné le mot “noir” lorsqu’ils tentaient de dénoncer le racisme dans un texte, un document ou une œuvre de fiction, des robots ont censuré des textes dénonçant le racisme à l’égard des Indiens ou des Noirs pour avoir inclus des expressions que le robot avait mal interprétées dans leur contexte général [9]. 

Robocop, Dubaï, de nos jours

Même problème avec la technologie “biométrique” ou de reconnaissance faciale, selon laquelle les visages des personnes non blanches étaient plus susceptibles d’être reconnus comme suspects [10]. Ou bien ils ne les reconnaissent tout simplement pas comme des visages humains. Cette observation n’est pas nouvelle. En termes économiques, elles appartiennent à la préhistoire des techniques de reconnaissance faciale, rapportées au moins depuis 2009. [11] Si l’on remonte à la technologie de la photographie depuis le 19e siècle, l’histoire n’est pas très différente. Selon l’historien du cinéma Richard Dyer, lorsque les premiers photographes se sont tournés vers le portrait dans les années 1840, « expérimentant la chimie du matériel photographique, la taille de l’ouverture, la durée du développement et la lumière artificielle, ils sont partis du principe que ce qu’il fallait obtenir, c’était le rendu d’un visage blanc » [12].

 NdT

*Le mot “robot” a été créé par l’écrivain tchèque Karel Čapek en 1920 pour sa pièce de théâtre Rossum’s Universal Robots (R.U.R.). Le terme “robot” vient du tchèque robota, qui signifie “corvée” ou “travail forcé”. Dans la pièce, le “robot” est conçu pour servir d’esclave à l’homme, mais il finit par se rebeller.

Notes de l’auteur

[1] Fanon, Frantz, Les damnés de la terre. Paris : François Maspero, 1968, p. 13 (« La bourgeoisie colonialiste, quand elle enregistre l’impossibilité pour elle de maintenir sa domination sur les pays coloniaux, décide de mener un combat d’arrière-garde sur le terrain de la culture, des valeurs, des techniques, etc. […] Le fameux principe de l’égalité des hommes trouvera son illusion dans les colonies dès lors que le colonisé posera qu’il est l’égal du colon ».)

[2] Fanon, Frantz, Peau noire, masques blancs [Préface (1952) et postface (1965) de Francis Jeanson. Paris, Éditions du Seuil, 1965, p. 99 : « Je commence à souffrir de ne pas être un Blanc dans la mesure où l’homme blanc m’impose une discrimination, fait de moi un colonisé, m’extorque toute valeur, tutte originalité, me dit que je parasite le monde. […] Alors j’essaierai tut simplement de me faire blanc, c’est-à-dire j’obligerai la Blanc à reconnaître mon humanité. Mais, nous dira M. Mannoni, vous ne pouvez pas, car il existe au profond de vous un complexe de dépendance. […] le Blanc obéit à un complexe d’autorité, à un complexe de chef, cependant que le Malgache obéit à un complexe de dépendance. Tout le monde est satisfait. »

[3] Majfud, Jorge. Cyborgs. Izana Editores, Madrid, 2012.

[4] Business Insider UK. “Donald Trump Quoted Bots on Twitter 150 Times, Analysis Claims.” Business Insider, Insider, 11 Apr. 2016,

[5] Woolley, Samuel C., and Philip N. Howard. Computational Propaganda: Political Parties, Politicians, and Political Manipulation on Social Media. Oxford Studies in Digital Poli, 2018, p. 7.

[6] Zaller, John R., et Zaller J. R. The Nature and Origins of Mass Opinion. Cambridge UP, 1992, p. 10.

[7] Au-delà de la vieille arrière-cour, de 1971 à 1977 et avec un budget de cinq millions de dollars (plus de 30 millions en valeur 2020), l’International Education Program in Gynecology and Obstetrics a formé 500 médecins dans 60 pays, dont le Chili de Pinochet et l’Iran du Shah. Le 21 avril 1977, le directeur du Bureau de la population du gouvernement fédéral, le Dr R. T. Ravenholt, a déclaré que l’objectif de Washington était de stériliser 570 millions de femmes pauvres, soit un quart de toutes les femmes fertiles du monde (J. Majfud, La frontera salvaje. 200 años de fanatismo anglosajón en América Latina, 2021, p. 502).

[8] "Meet Tay - Microsoft A.I. Chatbot with Zero Chill". Archive.org, 2016,

[9] Majfud, Jorge. “La tiranía del lenguaje (colonizado).” Página12, 20 Feb. 2022,.

[10] Sandvig, Christian, et al. "When the Algorithm Itself Is a Racist : Diagnosing Ethical Harm in the Basic Components of Software". International Journal of Communication, vol. 10, 2016, pp. 4972-4990,

[11] "Webcam Can’t Recognize Black Face". Thestar.com, thestar.com, 23 déc. 2009,

[12] Dyer, Richard. White. Londres : Routledge, 1997.   

30/04/2023

JORGE MAJFUD
Lettre ouverte à l'ambassadeur des USA chargé du Venezuela

  Jorge Majfud, 28/4/2023
Traduit par Faustinho Das Mortes

 Monsieur l'Ambassadeur James Story, 

Je suis heureux d'apprendre que la nouvelle politique du gouvernement usaméricain inclut la possibilité de lever les sanctions économiques contre le Venezuela, une vieille pratique de Washington depuis le début du 20ème siècle et qui consistait à ruiner les économies des pays ayant des gouvernements indépendants ou non-alignés. Comme ce fut le cas au Chili, où les sanctions contre le gouvernement démocratique d'Allende n'ont été levées que lorsque Washington et la CIA ont comploté pour détruire cette démocratie le 11 septembre 1973 et la remplacer par la dictature brutale d'Augusto Pinochet. Ce n'est qu'ensuite que les sanctions ont été remplacées par des millions de dollars d'aide pour produire le fameux “miracle chilien”, qui n'a pas empêché plusieurs crises économiques et sociales. Les exemples sont nombreux, mais je n'entrerai pas dans les détails. Ce qui est sûr, c'est que les responsables ne comparaîtront jamais devant un tribunal national ou international pour leurs crimes contre l'humanité. La justice est pour les pauvres et pour les perdants.

Comme vous le savez, en 1989, la population vénézuélienne est descendue dans la rue pour protester contre la politique de son gouvernement, qui tentait de mettre en œuvre ce que l'on a appelé plus tard la doctrine du consensus de Washington. Des centaines de personnes (probablement des milliers) ont été massacrées par les forces de répression, mais le président George H. Bush n'a pas bloqué ou puni le gouvernement vénézuélien par des sanctions ; au contraire, il est venu à la rescousse du président Carlos Andrés Pérez avec une aide de plusieurs millions de dollars et un engagement à radicaliser les mesures mêmes contre lesquelles la population protestait.

PEDRIPOL

Selon des économistes comme Jeffrey Sachs, les sanctions actuelles contre le peuple vénézuélien sont responsables de la mort de dizaines de milliers de Vénézuéliens et, en partie, des millions d'émigrants. Je comprends que la guerre contre la Russie et les derniers accords de paix négociés par la Chine entre deux autres grands producteurs de pétrole, l'Arabie Saoudite et l'Iran, rendent nécessaire et urgent un réexamen du cas vénézuélien.

Mais parlons de démocratie, c'est l'essentiel. Vous avez récemment fait une déclaration officielle appelant les Vénézuéliens à s'inscrire sur les listes électorales pour les prochaines élections. C'est une idée que nous soutenons presque tous. Mais cette déclaration officielle est le reflet d'une histoire vieille de deux siècles, au cours de laquelle l'Amérique latine a souffert de l'ingérence des gouvernements et des entreprises privées des USA.

Dans les années 1940, l'un des pays les plus éloignés de l'influence géopolitique des USA, l'un des plus rebelles et des plus détestés pour cette raison, selon les diplomates de Washington de l'époque, était l'Argentine. Son indépendance et son manque d'obéissance ont suscité des interventions politiques de la part de l'ambassadeur usaméricain de l'époque, Spruille Braden. En s'immisçant dans la campagne électorale de 1945, Braden a inventé l'anti-péronisme avant même que le péronisme ne naisse. On pourrait citer des dizaines de cas similaires et vous le savez. En géopolitique, la troisième loi de Newton se vérifie, mais jamais dans les mêmes proportions. Presque toujours, l'action écrase la réaction avec une dictature coloniale, mais parfois, c'est le contraire qui se produit et cela s'appelle une révolution.

Dans votre communication du 27 avril [voir vidéo ci-dessous], vous avez averti les Vénézuéliens que le gouvernement de M. Maduro essaierait de les convaincre de ne pas voter. Vous avez également qualifié certains représentants de l'Assemblée nationale de “scorpions” qui utilisent divers sigles politiques pour diviser les votes.

Pouvez-vous imaginer que la règle d'or des relations internationales, le principe de réciprocité, soit appliquée et que l'ambassadeur d'un pays d'Amérique latine s'adresse aux USAméricains dans un message officiel pour favoriser les républicains ou les démocrates ? Pouvez-vous imaginer que l'un d'entre eux demande aux USAméricains de démocratiser le système électoral en éliminant le collège électoral, un héritage du système esclavagiste, comme tant d'autres choses ? Ou le système disproportionné qui assure deux sénateurs par État, alors que certains États sont quarante fois plus peuplés que d'autres ? Ou que les citoyens usaméricains de la colonie de Porto Rico se mobilisent pour réclamer le droit de vote ? Ou que les entreprises cessent d'écrire les lois au Congrès et de donner des centaines de millions de dollars aux candidats à chaque élection ? Vous imaginez ?

Ce serait tout de même moins grave si l'on considère qu'il n'y a jamais eu de pays latino-américain qui ait envahi les USA, leur ait pris la moitié de leur territoire, ait renversé plusieurs gouvernements et ait installé des dictatures militaires pour protéger les entreprises privées latino-américaines. Connaissez-vous un seul exemple ? Vous n'en connaissez pas, n'est-ce pas ? Mais si un tel cas hypothétique se produisait, non seulement cet ambassadeur perdrait son poste, mais s'il s'agissait de l'ambassadeur de Bolivie ou du Venezuela, le monde attendrait déjà un “changement de régime” ou un nouveau blocus.

Comme si cela ne suffisait pas, vous avez demandé aux Vénézuéliens de “parler à leurs voisins” parce que “les élections peuvent être gagnées”. Ce n'est pas une nouveauté dans l'histoire tragique de l'Amérique latine, comme vous le savez et comme le savent beaucoup mieux les Latino-Américains, dont la mémoire ancienne et nouvelle est jonchée d'ingérences tragiques, de coups d'État et de “dictatures amies” sanglantes soutenues par Washington et les entreprises qui ont plus de pouvoir que vous et que n'importe quel autre ambassadeur. Ce qui est peut-être nouveau, c'est que cela n'est même plus caché ou nié, comme c'était le cas, par exemple, au temps de Mister Kissinger.

Quand allons-nous comprendre qu'il est dans l'intérêt du peuple usaméricain et latino-américain de cesser de se faire des ennemis avec cette ingérence paternaliste et arrogante, qui va à l'encontre des principes élémentaires des relations internationales ?

Quand allons-nous cesser de représenter des intérêts particuliers et penser sérieusement au bien commun des peuples libres et indépendants ?

Quand allons-nous comprendre qu'il est non seulement plus juste et moins tragique, mais encore plus économique de se faire des amis plutôt que des ennemis, que la “sécurité nationale” dépend de la première et non de la seconde option ?

Quand allons-nous cesser de voir le monde comme un film d'Indiens contre cow-boys, de super-héros contre méchants, de flics contre voleurs où nous nous arrogeons toujours le rôle de cow-boys, de flics et de super-héros, en oubliant l'histoire tragique qui est à l'origine des “méchants” alors que le monde nous laisse de plus en plus seuls ?

Quand allons-nous nous changer pour faire de ce monde un endroit plus juste, avec des règlements plus équitables et moins de guerres suprémacistes ?

Quand allons-nous cesser de contrôler la vie des autres au nom de bonnes vieilles excuses et nous atteler à résoudre nos propres problèmes nationaux, qui s'aggravent de jour en jour ?

Est-ce que nous acceptons seulement que le monde change (et, comme toujours, s'adapte à nos exigences) et que nous ne le fassions pas ?

Combien de temps allons-nous continuer à rater notre coup en prétendant donner des leçons au monde sur la liberté, la démocratie et les droits humains, toujours par la force des sanctions économiques, quand ce n'est pas par des bombardements notoires ? Combien de temps allons-nous donner des leçons sur la façon de vivre alors que nous ne savons même pas comment le faire nous-mêmes ?

Salutations distinguées,

Jorge Majfud
 
James "Jimmy" Story est l'ambassadeur de l'Unité des affaires vénézuéliennes, basée à l'ambassade des USA à Bogota, en Colombie.

JORGE MAJFUD
Open letter to the U.S. ambassador for the Venezuela Affairs Unit

    Jorge Majfud, 28/4/2023

Mr. Ambassador James Story:

I am pleased to learn that the new policy of the United States government includes the possibility of lifting economic sanctions against Venezuela, an old Washington practice since the beginning of the 20th century, which consisted of ruining the economies of countries with independent or non-aligned governments. As was the case in Chile, when the sanctions against the democratic government of Allende were lifted only when the plot of Washington and the CIA succeeded in destroying that democracy in its 9/11 of 1973 to replace it with the brutal dictatorship of Augusto Pinochet. Only then were the sanctions replaced by millions in aid to produce the touted “Chilean Miracle”, which even so did not prevent several economic and social crises. The examples are multiple, but I will not go into more detail. The good thing is that those responsible will never, ever face any national or international court for their crimes against humanity. Justice is for the poor and for the losers.


As you know, in 1989 the Venezuelan population took to the streets to protest against the policies of their government, which was trying to implement what later became known as the Washington Consensus doctrine. Hundreds of people (probably thousands) were massacred by the forces of repression, but President George H. Bush did not block or punish the Venezuelan government with sanctions, but instead came to the rescue of President Carlos Andrés Pérez with multimillion-dollar aid and with the commitment to radicalize the same measures against which the population protested.

PEDRIPOL

According to economists such as Jeffrey Sachs, the current sanctions against the people of Venezuela are responsible for the death of tens of thousands of Venezuelans and, in part, of the millions of emigrants. I understand that the war against Russia and the most recent peace agreements promoted by China between two other large oil producers, Saudi Arabia and Iran, make a reconsideration of the case of Venezuela necessary and urgent.

But let’s talk about democracy, which is what matters. You recently made an official statement urging Venezuelans to register to vote in the upcoming elections. An idea that almost all of us support. But for you to say it and officially represents an old story of two centuries that Latin America has had to suffer due to the interference of the governments and private corporations of the United States.

In the 1940s, one of the countries furthest from the geopolitical influence of the United States and one of the most rebellious and hated for that very reason, according to Washington diplomats at the time, was Argentina. Its independence and its lack of obedience motivated the political interventions of the American ambassador of the time, Spruille Braden. With his involvement in the 1945 electoral campaign, Braden invented anti-Peronism before Peronism was born. We can mention dozens of similar cases and you know it. In geopolitics Newton’s Third Law is fulfilled, although never in the same proportion. Almost always the action crushes the reaction with some colonial dictatorship, but sometimes the opposite happens and it is called revolution.

In your April 27 statement [see video below], you warned Venezuelans that the government of Mr. Maduro will try to convince them not to vote. You also described some representatives of the National Assembly as “scorpions”, who use different political acronyms and names to divide votes.

Can you imagine if the golden rule of international relations is applied, the principle of reciprocity, and the ambassador of some Latin American country addresses the Americans in an official message to favor Republicans or Democrats? Imagine if one of them asked the Americans to democratize the electoral system by eliminating the Electoral College, a legacy of the slave system, like so many other things? Or the disproportionate system that ensures two senators per state, regardless of the fact that some states have forty times the population of others? Or that the US citizens of the colony of Puerto Rico mobilize to claim the right to vote? Or that corporations stop writing laws in Congresses and donate hundreds of millions of dollars to candidates in every election? Can you imagine?
In spite of everything, it would be less serious, considering that there was never a Latin American country that invaded the United States, that took half of its territory, that overthrew several governments and installed military dictatorships to protect Latin American private companies. Do you know any example? No, right? But if that hypothetical case occurred, not only would that ambassador lose his position, but, if he were the ambassador of Bolivia or Venezuela, the world would already be waiting for “a change of regime” or a new blockade.

As if that were not enough, you asked Venezuelans to “talk to their neighbors” because “the elections can be won.” It is not that this is something new in the tragic history of Latin America that, as you know and it is known much better by Latin Americans, whose old and new memory is littered with tragic interference, coups d’état and bloody “friendly dictatorships” supported by Washington and corporations that have more power than you and any other ambassador. Perhaps what is new is that it is no longer even hidden or denied, as Mr. Kissinger, for example, used to do.

When are we going to understand that it is in the interest of the American and Latin American people to stop making enemies with these paternal, arrogant interferences and against elementary principles of international relations?

When are we going to stop representing special interests and think seriously about the common good of free and independent peoples?
When are we going to understand that it is not only fairer and less tragic, but even cheaper to make friends than enemies, that “national security” involves the former, not the latter?

When are we going to stop seeing the world as a movie about Indians against cowboys, superheroes against villains, cops against robbers where we always assume the role of cowboys, policemen and superheroes forgetting the tragic story that originated “bad guys” while the world is leaving us more and more alone?
When are we going to change to make this world a fairer place, with more equitable agreements and less supremacist wars?
When are we going to stop controlling the lives of others in the name of old and beautiful excuses and dedicate ourselves to fixing our own national problems that are more and more serious every day?
Is it that we only accept that the world changes (and, as always, adapts to our demands) and we don’t?

How long will we continue to fail in style while we try to teach the world lessons in freedom, democracy, and human rights, always with the force of economic sanctions, if not well-known bombings?
How long are we going to give lessons on how to live when we don’t even know how to do it?
 
Sincerely,
Jorge Majfud


 
James “Jimmy” Story is the Ambassador for the Venezuela Affairs Unit, located at the United States Embassy in Bogota, Colombia