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19/12/2022

  MICHELE GIORGIO
Sondage : sans négociations ni droits, les Palestiniens “votent” pour la lutte armée

Michele Giorgio, Pagine Esteri, 17 /12/ 2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

En faisant défiler les résultats du sondage que vient de publier le Palestinian Center for Policy and Survey Research (Pcpsr), le sociologue Khalil Shikaki n'hésite pas à parler d'un « changement radical survenu en quelques mois » dans l'opinion publique palestinienne, notamment en Cisjordanie. Le chiffre le plus frappant est la forte augmentation, par rapport au sondage précédent, du soutien à la lutte armée contre l'occupation israélienne. « Soixante-douze pour cent des 1 200 personnes interrogées sont favorables à l'émergence de groupes armés similaires à La Tanière des lions », indique Shikaki en faisant référence à l'organisation qui a son fief dans la casbah de Naplouse et qui rassemble des militants de différentes orientations politiques.

L'emblème du groupe armé de Naplouse Arin Al Ousoud (La Tanière des Lions) 

Une croissance que Shikaki voit également comme une conséquence de l'escalade en Cisjordanie où les raids de l'armée israélienne se répètent, presque quotidiennement. Le bilan provisoire des Palestiniens tués en 2022 est de 166, dont des femmes et des mineurs. Dans le même temps, souligne le sociologue, « nous assistons à un net recul du pourcentage de ceux qui soutiennent la solution des deux États (Israël et Palestine), compte tenu de l'absence de négociations diplomatiques ». Le soutien à une résolution négociée du conflit est maintenant de 32%. Il y a dix ans, le soutien était de 55 %.

Le sondage n'a fait que révéler en chiffres ce qui est palpable dans les rues de Cisjordanie. L'absence de toute perspective de solution politique à l'occupation qui a commencé en 1967, et l'intensification de la campagne militaire israélienne, semblent avoir convaincu un nombre croissant de Palestiniens, en particulier les plus jeunes, que la seule option est la lutte armée.

Pendant ce temps, une grande partie de la population perd confiance dans l'Autorité nationale palestinienne (ANP) du président Abou Mazen. 87% des personnes interrogées ont déclaré aux chercheurs du Pcpsr que l'ANP n'a pas le droit d'arrêter les membres des groupes armés pour empêcher les attaques contre l'armée israélienne. 79% se sont également opposés à la reddition des combattants et à la remise de leurs armes à l'ANP.

Ces chiffres prennent une signification encore plus grande si l'on tient compte du fait que la classe moyenne palestinienne - composée principalement d'employés, d'entrepreneurs et de professionnels de l'ANP - a été, au cours des vingt dernières années, largement opposée non seulement à la lutte armée, mais également réticente à soutenir une nouvelle Intifada populaire contre l'occupation, car cela aurait remis en question son statut. Une position qui, expliquent les analystes palestiniens, a changé face à l'insoutenabilité de l'occupation qui dure depuis 55 ans.

Les entrepreneurs, grands et petits, pour ne citer qu'un exemple, ont de plus en plus de mal à opérer dans les marges étroites autorisées par les règles et procédures imposées par l'Administration civile israélienne (AC), qui, pour le compte des forces armées, est chargée de gérer la vie quotidienne de millions de Palestiniens, à l'exception des compétences spécifiques de l’ANP d'Abou Mazen. En accordant des permis de travail en Israël à 140 000 travailleurs palestiniens, l’AC a rendu une proportion importante de familles de Cisjordanie dépendantes de l'État juif, tout en améliorant leurs conditions de vie. En même temps, elle n'a rien fait pour tous les autres.

Les Palestiniens, des travailleurs aux entrepreneurs, sont soumis chaque jour à l'obligation d'obtenir des permis, des autorisations et autres auprès des occupants, tandis que, parfois à quelques centaines de mètres seulement de leurs maisons, les colons israéliens jouissent de la liberté de mouvement et de tous les droits. Ces aspects se reflètent également dans les résultats de l'enquête du Pcpsr.

Et les Palestiniens s'attendent à ce que la situation générale se dégrade lorsque les ministres et les dirigeants de l'aile droite ultra-nationaliste du nouveau gouvernement israélien prendront leurs fonctions. 61% des personnes interrogées pensent que l'exécutif dirigé par Benyamin Netanyahou sera plus extrémiste, 64% s'attendent à ce que le prochain gouvernement expulse des familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est, 68% qu'il évacue de force les Bédouins palestiniens de Khan al-Ahmar, et 58% qu'il modifie le statu quo à la mosquée Al-Aqsa. Des prédictions qui ne sont certainement pas infondées.

 

09/05/2021

La rafle : histoire, mémoire, politique et justice
Entretien avec Enzo Traverso sur l’Opération « Ombres rouges »

Par Andrea Brazzoduro, Zapruder, 7/5/2021

Traduit par Fausto Giudice

Vu le caractère obscène des réactions qui ont accompagné l'indigne rafle de réfugiés italiens à Paris, le 28 avril 2021, nous avons demandé à Enzo Traverso – l'un des principaux historiens du monde contemporain -de raisonner ensemble sur la « saison conflictuelle » entre histoire, mémoire, politique et justice. Parmi ces termes, la statue du commandeur est en fait l'histoire, c'est-à-dire le travail de compréhension des événements du passé. Comment l'arrestation d'une poignée d'hommes et de femmes aux cheveux blancs devrait-elle permettre à l'Italie de « faire les comptes avec l'Histoire » – quand ce n’est pas carrément avec le XXème siècle – comme ils l'ont écrit certains ? D'une part, ces ex-militants politiques sont traités comme des criminels de droit commun, selon les diktats d'une idéologie présentiste des plus frustes et incultes. D’autre part on convoque (abusivement) toute la panoplie des memory studies pour imposer un récit du traumatisme, fondé sur le paradigme victimaire. Sur quoi se base l’affirmation que, dans la société italienne, il y aurait une plaie ouverte à l'égard des années 70 ? Comme en France pour l'occupation de l'Algérie, il semble plutôt que l’on ait à faire à une utilisation politique explicite de l'histoire, qui n'a rien à voir avec les processus sociaux réels d’élaboration mémorielle.

Autour de ces thèmes,  à  partir de la « rafle parisienne », nous avons interviewé Enzo Traverso pour essayer d'aller au-delà du monologue collectif qui fait rage dans le débat public.


 
Des femmes et des hommes aux cheveux gris, entre 60 et 78 ans, transférés en menottes, à l'aube, dans les chambres de sécurité de l'anti-terrorisme. « Ombres rouges » est le nom choisi pour la rafle où, le 28 avril, 2021, ont été arrêtés 7 anciens militants de la gauche révolutionnaire réfugiés en France depuis des années, et accusés par la justice italienne d'une série de crimes qui vont de l'association subversive au meurtre commis, selon l’accusation, entre 1972 et 1982. S’agit-il d’« en finir avec la XXème Siècle », comme l’écrit le quotidien Repubblica ?

Le XXème Siècle a fini dans le lointain 1989, lorsque le mur de Berlin est tombé et que la Guerre froide s'est achevée. Depuis, le monde a changé, et avec lui de l'Italie, qui n'est pas plus celle d’il y a 32 ans. À bien des égards, c'est encore pire : ce que les médias définissent généralement comme la “deuxième” et la “troisième” république nous fait regretter la première, créée par des hommes et des femmes qui ont combattu le fascisme et ont créé un nouveau pays. L'héritage du XXème siècle, toutefois, reste écrasant, et beaucoup de maux structurels continuent de peser sur notre pays. Il suffit de penser de la mafia, à la question du Midi, au racisme, et à la corruption. Certains se sont aggravés, comme le chômage des jeunes et le racisme post-colonial, beaucoup plus fort depuis que le pays est devenu une terre d'immigration. Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, l'Italie est entrée dans la part la plus riche du monde occidental; depuis une trentaine d’années trente ans, elle s’en éloigne : elle connaît un constant déclin démographique, mais ne veut pas intégrer les immigrés, en leur refusant la citoyenneté, même à ceux de la deuxième génération; son élite vieillit, mais les jeunes restent exclus, et la péninsule connaît une diaspora intellectuelle impressionnante, similaire à celle des pays du Sud; les élites économiques se sont considérablement enrichies, sans produire de développement. Repubblica est l'un des miroirs les plus fidèles, car c’est désormais le PDG de Fiat qui annonce publiquement la nomination des directeurs de ce quotidien. « En finir avec le XXème Siècle », ce serait affronter ce nœud de problèmes. Pour Repubblica, il semble plutôt que ce soit le sens de l'extradition de Marina Petrella, Giorgio Pietrostefani et quelques autres réfugiés.