Affichage des articles dont le libellé est Médiamensonges. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Médiamensonges. Afficher tous les articles

20/12/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Gaza : un silence radio tellement assourdissant qu’il s’est brisé


 

Luis E. Sabini Fernández, 19/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Depuis plus de deux mois, les forces israéliennes bombardent sans relâche la bande de Gaza, commettant le plus grand massacre télévisé de personnes désarmées de l’histoire du monde. Les dirigeants israéliens ont généralement utilisé un langage génocidaire explicite pour décrire leurs plans, certains suggérant même l’utilisation d’armes nucléaires pour anéantir complètement la population de Gaza, qui compte plus de deux millions d’habitants. Des dizaines de milliers de bâtiments ont été démolis, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles, des universités et tous les bâtiments liés à une société et à ses activités, qui, lorsqu’ils sont utilisés comme cibles d’artillerie dans des conflits militaires, ont toujours été considérés [jusqu’à présent] comme des crimes de guerre. Même lorsque le procureur général de la Cour pénale internationale s’est récemment rendu en Israël », et l’on aurait pu supposer que cette visite était liée à l’attaque surprise du 7 octobre et à la réaction sans précédent des commandants israéliens qui ont assassiné à gauche et à droite, nous avons pu constater, avec inquiétude, que leur objectif, rappelle Unz, « était de fabriquer des accusations et des actes d’accusation contre le Hamas et d’autres groupes palestiniens pour la mort de civils israéliens au début du mois d’octobre ».  [1]

Et pourtant, ce scandale éthique, politique, médiatique (et militaire, évidemment) est à peine discuté, car la grande majorité des médias d’incommunication de masse n’abordent guère le sujet, et s’ils le font, ils le réduisent à une confrontation à armes égales entre le Hamas et Israël. 


Nous pourrions même la formuler comme une loi sur les médias : plus un média se révèle établi et “honorable”, moins il s’intéressera à ce qu’Unz considère comme “le plus grand massacre télévisé d’une population désarmée dans l’histoire du monde”.

Parce que si la mort d’Israéliens a de l’importance sur la scène internationale, la mort de Palestiniens n’en a pas.

À cet égard, je comprends qu’il est approprié de dire quelque chose au sujet de l’action entreprise par les Palestiniens qui a déclenché/justifié/favorisé l’action militaire en réponse à l’opération de prise d’otages menée par le Hamas.

Au-delà de ma sympathie limitée pour les mouvements fondés sur des croyances divines, le Hamas « rejette le droit d’Israël à avoir dépossédé les Palestiniens de leur patrie en 1948 et de les avoir emprisonnés dans des ghettos surpeuplés comme Gaza ». Des paroles impeccables de Jonathan Cook (extrait de son article que je cite en note 3). Il convient de rappeler que même les Nations unies reconnaissent un droit de résistance à l’oppression coloniale et à la dépossession qui en découle. Et l’action du Hamas fait partie de cette lutte. En ce qui concerne la réalité de cette journée clé du 7 octobre, plusieurs enquêtes ont déjà noté qu’en plus de l’envahissement du quartier général régional israélien et de l’assassinat de militaires plus ou moins surpris qui s’en est suivi, le sang a coulé en raison de la réaction excessive de l’armée israélienne (de nombreux Israéliens ont été tués par des "tirs amis").


Bien qu’il y ait beaucoup d’occultation et que la partialité des médias soit abyssale, l’homme est incorrigible et il y a des exceptions. Je retranscris maintenant les paroles de René Pérez Joglar, le rappeur portoricain connu sous le nom de Residente de Calle 13 : « Depuis octobre, j’ai décidé de reporter la sortie de mon album face à tout le génocide macabre qui détruit lentement la Palestine. Je ne me sens pas bien, ça me fait trop mal et je me demande quand nous nous sommes déshumanisés au point de voir des têtes d’enfants exploser devant nous et de ne rien dire ».

Residente pose d’autres questions : « Pourquoi ne pas tout arrêter comme pour la pandémie, tout arrêter et se concentrer sur ce qui se passe à Gaza au lieu de mettre en ligne un article modélisant des vêtements [...] ou une soirée [...], s’arrêter un instant, chercher des informations sur la Palestine et dénoncer le génocide qu’Israël est en train de commettre avec le soutien des USA ». La citation de Residente date du 12 décembre.

 

En effet, nous vivons, comme dans la fable du roi nu qui se sentait si bien habillé, dans une situation schizoïde où de plus en plus de gens trouvent le comportement israélien méprisable, mais face à l’épée de Damoclès qui pèse sur eux s’ils osent critiquer quoi que ce soit de juif et s’exposent à l’accusation d’antisémitisme, ils choisissent tout simplement d’éviter le sujet.

Mais il s’agit bien de ce que décrit Unz : un massacre télévisé à une échelle jamais vue auparavant. Il y a eu, bien sûr, des massacres bien plus importants, mais le fait que nous les "regardions" en même temps, qu’ils se déroulent en toute impunité au vu et au su de tous et en particulier des références morales du monde, du Conseil de sécurité, de l’Assemblée de l’ONU, de nos gouvernants en général, élus par le vote des populations, de la Cour pénale internationale, dont on a déjà vu ce qu’elle a fait à Israël (sans envisager d’enquêter sur le massacre aveugle et massif de villageois palestiniens, hommes, femmes, enfants, vieillards, bébés). Dans cette opération, à laquelle Israël a initialement attribué 1 400 Israéliens tués, il a fallu écarter les militaires israéliens tués pendant l’opération, qui sont estimés entre 300 et 400, et ensuite, la traînée de morts laissée par la contre-attaque israélienne, dont on sait déjà qu’elle a éliminé des centaines d’êtres humains à partir d’hélicoptères, où un nombre énorme d’Israéliens ont perdu la vie (ceux qui ont tenté de quitter la rave party en voiture, par exemple, et surtout les Israéliens qui ont tenté de quitter la rave party en voiture), par exemple, et surtout les Israéliens qui étaient pris en otage par des Palestiniens et qui ont été tués avec leurs ravisseurs lors de la prétendue opération de sauvetage, l’armée israélienne ayant ainsi brutalement mis un terme à toute négociation. Les dernières estimations font état de dizaines de victimes civiles israéliennes.  

La prise d’assaut du quartier général israélien pour Gaza aux premières heures du 7 octobre, qui gardait le camp de concentration, et immédiatement après l’opération de prise d’otages ont rendu furieux les commandants militaires (si l’on admet qu’ils ont été pris par surprise, car la thèse selon laquelle Israël "a laissé faire le Hamas" pour justifier une terrible riposte est également répandue). D’une manière ou d’une autre, l’“armée brancaleone” (en armement, mais très efficace) a atteint une grande partie de ses objectifs : payer les militaires de la même monnaie que celle dont les Israéliens se servent impunément depuis des décennies,[2] et "récolter" des otages pour en faire de futures monnaies d’échange.

Tout cela est épouvantable, mais semble être une évolution soi-disant logique des mesures prises contre Gaza au moins depuis 2005, car rappelons-nous les paroles du boucher Ariel Sharon lorsqu’il a dû retirer les colonies sionistes de Gaza : « Nous partons, mais nous allons leur rendre la vie impossible ».

 

Quelque six heures après l’attaque par les Palestiniens, l’armée renforce avec encore plus de violence la dénégation qu’elle a entrepris depuis 17 ans maintenant ; non seulement des libertés les plus élémentaires, comme le droit de circuler, l’accès aux soins de santé ou à l’eau potable, mais maintenant le massacre aveugle et généralisé sous le prétexte de rechercher et de se venger des auteurs de l’opération. Mais, comme le rappelle à juste titre Cook, « Israël n’a jamais caché qu’il punit les habitants de Gaza parce qu’ils sont gouvernés par le Hamas, qui rejette le droit d’Israël à avoir dépossédé les Palestiniens de leur patrie en 1948 et de les avoir emprisonnés dans des ghettos surpeuplés comme celui de Gaza ». [3]

Comme l’explique Cook à juste titre, cette politique israélienne subvertit tous les efforts déployés après la Seconde Guerre mondiale pour empêcher les atteintes au droit le plus fondamental à la vie, comme le bombardement de Dresde en 1945, qui n’avait aucun but militaire, mais servait simplement à montrer qui commandait, et l’utilisation de bombes atomiques pour anéantir la vie de centaines de milliers de Japonais à Nagasaki et à Hiroshima (avec une mort immédiate et différée par contamination).

Cherchant à établir une base pour le droit international, les Conventions de Genève ont interdit les “punitions collectives”. Cook résume ainsi la situation : « Ce qu’Israël fait à Gaza est la définition même de la punition collective. C’est un crime de guerre : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 52 semaines par an, pendant 16 [maintenant 17] ans (ibid.) ».

Pour compléter l’observation précise de Cook, je pense que, dans le même temps, la politique de massacre de la population civile, maintenant à un rythme industriel, répond à la politique déjà employée de vidage de la population, qui était la Nakba de 1948 et de “s’en tirer à bon compte”, pour garder “bibliquement” cette terre (Gaza n’était pas juive selon la Bible ; les références bibliques ne sont guère plus qu’une feuille de vigne).

Sur le site internet auquel participent le désormais nonagénaire Noam Chomsky et de nombreux intellectuels attachés à la vérité, ils titrent l’un de leurs derniers billets : « Une usine de meurtres de masse », en référence aux bombardements hautement calculés – y compris avec des outils d’intelligence artificielle - des villes et des routes de Gaza.[4]

Pour répugnante et monstrueuse qu’elle soit, cette expérience n’en est pas moins inédite. Parce que jusqu’à présent, ces politiques génocidaires étaient menées dans la discrétion, avec peu d’accès à ces événements, et en l’occurrence, depuis le 7 octobre, grâce à la ténacité des journalistes sur le terrain, presque tous palestiniens, mais aussi parce que les écrans technologiques actuels rendent visible en permanence l’information qui circule, si ce n’est sans restriction, avec beaucoup de dynamisme (malgré les digues de confinement des maîtres de l’info), nous sommes de plus en plus nombreux à “être au parfum”.

Et nous espérons que nous serons de plus en plus nombreux à remettre en cause les journalistes oiseux qui parlent de choses “importantes” ou insignifiantes en évitant autant que possible le mauvais sentiment d’être taxés d’antisémitisme.

Comme le dit avec pédagogie Andrew Anglin : « La définition officielle de l’“antisémitisme” avant le 7 octobre 2023 était “haïr les Juifs sans raison” ; la définition après cette date est “dire que les Juifs devraient arrêter de tuer des bébés”.[5]

Ce qu’Israël commence à récolter pourrait être le début de la fin de son impunité. Chutzpah comprise.

Notes

[1]  Ron Unz, "Eliminating the Entire Palestinian People", unz.review, 11 déc. 2023.

[2] Le nombre de soldats israéliens tués au cours de l'opération n'a pas de précédent.

[3]  Jonathan Cook, “Guerre Israël-Palestine : tout autant qu’Israël, l’Occident a le sang de Gaza sur les mains, 13 octobre 2023.

[4] Une fabrique d’assassinats masse » : Au cœur du bombardement « calculé » d’Israël sur Gaza de https://www.france-palestine.org/Une-fabrique-d-assassinats-de-masse-Au-coeur-du-bombardement-calcule-d-Israel

 

-"La mort des trois otages israéliens qui arboraient un drapeau blanc est due à une erreur lamentable.
-"Nos soldats les ont pris pour trois civils palestiniens arborant un drapeau blanc."

29/10/2023

JORGE MAJFUD
Les nazis de notre temps ne portent pas la moustache

Jorge MajfudEscritos Críticos, 28/10/2023

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

C’est une tragique ironie de l’histoire que ceux qui, dès le début, ont condamné les actions belliqueuses du Hamas et du gouvernement israélien soient accusés d’être en faveur du terrorisme par ceux qui ne font que condamner le Hamas et justifier le terrorisme massif, historique et systématique du gouvernement israélien.


Heureusement, des centaines de milliers de Juifs (surtout dans l’hémisphère nord) ont eu le courage que les évangéliques ou les laïques politiquement corrects et prévisibles n’ont pas eu de descendre dans la rue et dans les centres du pouvoir mondial pour clarifier que l’État d’Israël et le judaïsme ne sont pas la même chose, une confusion fondamentale, stratégique et fonctionnelle qui se trouve au cœur du conflit et ne profite qu’à quelques-uns avec la complicité fanatique et ignorante de beaucoup d’autres.

 

En fait, des dizaines de milliers de studieux juifs des livres saints du judaïsme, tels que la Torah, ont affirmé que le judaïsme était antisioniste. Beaucoup diront que c’est une question d’opinion, mais je ne vois pas pourquoi leur opinion devrait être moins importante que celle du reste des charlatans bellicistes.

 

Ce sont ces Juifs, qui savent que leur coexistence avec les musulmans a été, pendant des siècles, bien meilleure que cette tragédie moderne, qui ont crié à Washington et à New York “Pas en notre nom”, “Arrêtez le génocide de l’apartheid” et qui, dans bien des cas, ont été arrêtés pour avoir exercé leur liberté d’expression, qui, dans les démocraties impériales, a toujours été la liberté de ceux qui n’étaient pas assez importants pour défier le pouvoir politique, comme le montre, par exemple, la liberté d’expression à l’époque de l’esclavage. Mais c’est à eux que reviendra la dignité conférée par l’histoire.

 

Quand la lumière reviendra à Gaza et que le monde apprendra ce qu’une des plus puissantes armées nucléaires du monde, avec la complicité de l’Europe et des USA, a fait à un ghetto sans armée et à un peuple qui n’a droit qu’à respirer, quand il le peut, il apprendra que ce ne sont pas des milliers mais des dizaines de milliers de vies aussi précieuses que les nôtres, écrasées par la haine raciste et mécanique de malades, dont quelques-uns disposent d’un grand pouvoir politique, géopolitique, médiatique et financier, qui, en fin de compte, gouvernent le monde.

 

Naturellement, la propagande commerciale tentera de le nier. L’histoire ne le pourra pas. Elle sera implacable, comme elle l’est généralement lorsque les victimes ne dérangent plus.

 

Beaucoup se tairont, tremblant devant les conséquences, devant les listes noires (journalistes sans travail, étudiants sans bourses, hommes politiques sans dons, comme l’ont même rapporté des médias comme le New York Times), devant l’opprobre social dont souffrent et souffriront ceux qui oseront dire qu’il n’y a pas de peuples ni d’individus choisis par Dieu ou par le Diable, mais de simples injustices d’une puissance déchaînée.

Qu’une vie vaut autant et de la même manière qu’une autre.

 

Que le peuple palestinien (avec une population huit fois supérieure à celle de l’Alaska, quatre ou cinq fois supérieure à celle d’autres États usaméricains), coincé dans une zone invivable, a les mêmes droits que n’importe quel autre peuple à la surface de la sphère planétaire.

Que les Palestiniens, hommes, femmes et enfants écrasés par les bombes aveugles, ne sont pas des “animaux à deux pattes”, comme le prétend le Premier ministre Netanyahou (s’ils étaient des chiens, ils seraient au moins mieux traités). Les Israéliens ne sont pas non plus “le peuple de la lumière” combattant “le peuple des ténèbres”.

 

Que les Palestiniens ne sont pas des terroristes parce qu’ils sont nés Palestiniens, mais l’un des peuples qui a le plus souffert de la déshumanisation et du siège constant, du vol, de l’humiliation et du meurtre en toute impunité depuis près d’un siècle.


Mais ceux qui osent protester contre un massacre historique, un parmi tant d’autres, sont, comme par hasard, ceux qui sont accusés de soutenir le terrorisme. Il n’y a là rien de nouveau. C’est ainsi que les terroristes d’État ont toujours agi dans toutes les parties du monde, tout au long de l’histoire et sous des drapeaux de toutes les couleurs.



Arcadio Esquivel, Costa Rica, 2017


05/02/2023

JORGE MAJFUD
Les cent millions de morts du communisme
Et les mille millions du capitalisme

 Jorge Majfud, Escritos Críticos, 29/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Résumé d’un chapitre du livre à paraître “Moscas en la telaraña” (Des mouches dans la toile d’araignée)

Je sais que ce n’est nécessaire d’aucun point de vue, mais pour commencer, je tiens à préciser que je ne suis pas communiste. J’ai d’autres idées, moins parfaites, sur ce que devraient être la société et le monde, qui n’est pas celui-ci, si fanatiquement fier de ses propres crimes. Mais comme j’ai horreur de la propagande du maître qui accuse toute autre forme de pensée de propagande, me voici à contre-courant une nouvelle fois.

Dans La frontera salvaje (2021), nous nous sommes arrêtés à l’Opération Oiseau-Moqueur, l’un des plans les plus secrets et, en même temps, les plus connus de la guerre psychologique et culturelle organisée et financée par la CIA pendant la guerre froide. Examinons maintenant l’un des cas les plus médiatisés et viralisés des années 1990, Le Livre noir du communisme, publié par l’ex- maoïste Stéphane Courtois et d’autres universitaires en 1997. Nous ne nous attarderons pas maintenant sur la psychologie bien connue du converti, car ce n’est pas nécessaire. Le livre était une sorte de Manuel du parfait idiot latino-américain*, mais du premier monde et avec beaucoup plus de vie médiatique.


Ce livre est à l’origine des innombrables publications sur les réseaux sociaux sur “les cent millions de morts du communisme”, alors que ses auteurs eux-mêmes estiment un nombre inférieur, entre 65 et 95 millions. Les spécialistes du domaine (les auteurs ne le sont pas) ont noté que Courtois a répertorié tous les événements où un pays communiste était impliqué et a pris le chiffre le plus élevé dans tous les cas.

Par exemple, la Seconde Guerre mondiale est attribuée à Hitler et à Staline, alors que c’est le second qui est le principal responsable de la défaite du premier, et que c’est le premier, et non le second, qui a causé cette tragédie. En outre, il conclut que Staline a tué plus qu’Hitler, sans examiner les raisons de chaque tragédie et en attribuant à Staline une partie des 70 à 100 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’un a commencé la guerre et l’autre l’a terminée. Les vingt millions de morts russes sont attribués à Staline. Les spécialistes de l’ère soviétique estiment la responsabilité de Staline à un million de morts, ce qui est un chiffre horrible, mais bien en deçà de ce qui lui est attribué et encore plus loin de tous les massacres causés par les autres superpuissances victorieuses, les anciens alliés de Staline.

En 1945, le général LeMay a dévasté plusieurs villes japonaises, dont Nagoya, Osaka, Yokohama et Kobe, trois mois avant les bombes atomiques. Dans la nuit du 10 mars, LeMay ordonne le largage de 1 500 tonnes d’explosifs sur Tokyo à partir de 300 bombardiers B-29. 500 000 bombes pleuvent de 1 h 30 à 3 h du matin. 100 000 hommes, femmes et enfants ont été tués en quelques heures et un million d’autres ont été gravement blessés. Un précédent pour les bombes au napalm a été testé avec succès. "Les femmes couraient avec leurs bébés comme des torches enflammées sur le dos", se souviendra Nihei, un survivant. "Je ne m’inquiète pas de tuer des Japonais", a déclaré le général LeMay, le même général qui, moins de deux décennies plus tard, recommanderait au président Kennedy de larguer quelques bombes atomiques sur La Havane pour résoudre le problème des rebelles barbus. Au début des années 1980, le secrétaire d’État Alexander Haig dira au président Ronald Reagan : "Donnez-moi juste l’ordre et je transformerai cette île de merde en un parking vide".

Le livre de Courtois énumère deux millions de morts en Corée du Nord attribués au communisme sur les trois millions de morts totaux, sans tenir compte du fait que les bombardements aveugles du général MacArthur et d’autres “défenseurs de la liberté” ont anéanti 80 % du pays. Depuis 1950, des centaines de tonnes de bombes ont été larguées en une seule journée, qui, selon Courtois, ses répétiteurs de Miami et l’oligarchie latino-américaine, n’auraient pas été responsables de la mort de nombreuses personnes.

Courtois compte également un million de morts au Vietnam à cause des communistes, sans considérer qu’il s’agissait d’une guerre d’indépendance contre les puissances impériales de la France et des USA, qui a fait au moins deux millions de morts, dont la plupart n’étaient pas des combattants mais ont subi les classiques bombardements aériens usaméricains (inaugurés en 1927 contre Sandino au Nicaragua) et l’utilisation du produit chimique Agent Orange, qui a non seulement a rayé de la carte un million d’innocents sans distinction mais dont les effets sur les mutations génétiques se font encore sentir aujourd’hui.

Il attribue également la barbarie du régime des Khmers rouges au Cambodge entièrement au “communisme”, juste parce que le régime était communiste, sans mentionner que Pol Pot avait été soutenu par Washington et les entreprises occidentales ; que c’est le Vietnam communiste qui a vaincu les USA, ce qui a mis fin à cette barbarie, alors que l’Occident a continué à soutenir les génocidaires en les reconnaissant à l’ONU comme gouvernement légitime jusque dans les années 1980. Entre 1969 et 1973, il est tombé plus de bombes sur le Cambodge (500 000 tonnes) que sur l’Allemagne et le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Il en a été de même pour la Corée du Nord et le Laos. En 1972, le président Nixon a demandé : « Combien en avons-nous tué au Laos ? » Ce à quoi son secrétaire d’État, Ron Ziegler, a répondu : « Environ dix mille, ou peut-être quinze mille ». Henry Kissinger a ajouté : « Au Laos, nous avons également tué environ dix mille, peut-être quinze mille personnes ». Le dictateur communiste qui suivra, Pol Pot, dépassera largement ce chiffre, massacrant un million de ses concitoyens. Les Khmers rouges, enfants de la réaction anticolonialiste contre l’Occident, ont été soutenus par la Chine et les USA. C’est un autre régime communiste, celui du Vietnam, qui a vaincu les USA, a mis fin au massacre de Pol Pot après le massacre de 30 000 Vietnamiens. Outre les personnes massacrées par les bombes de Washington rien qu’au Laos et au Cambodge, des dizaines de milliers d’autres personnes continuent de mourir depuis la fin de la guerre, à cause de bombes qui n’ont pas explosé lors de leur largage.

Le plus grand nombre ajouté aux 94 millions de victimes du communisme concerne la famine catastrophique qui a sévi dans la Chine de Mao dans les années 1960. Cette famine de 1958-62 n’a pas fait 60 millions mais, très probablement, entre 30 et 40 millions et n’était en aucun cas un plan d’extermination délibéré et raciste, à la manière ceux des nazis en Allemagne ou des Britanniques en Inde. La nécessité de l’industrialisation a été répétée dans des pays comme le Brésil et l’Argentine, et leur seul péché a été d’être en retard. Dans le cas de la Chine, elle a combiné une politique désastreuse avec des problèmes climatiques. Néanmoins, l’espérance de vie en Chine a commencé à s’améliorer rapidement à partir des années 1960. Pendant la même période de la guerre froide, le nouvel État démocratique indien a commencé à améliorer l’espérance de vie de sa population. Mais cela n’était pas dû à un quelconque plan, mais simplement au fait de ne plus être une colonie affamée, brutalisée et pillée par l’Empire britannique, qui, rien qu’entre 1880 et 1920, a été responsable de la mort de 160 millions de personnes.

1878

Cependant, en cette période de démocratie capitaliste en Inde, les décès attribuables à l’absence de réformes sociales s’élèvent à 100 millions. Amartya Sen, économiste mondialement primé et professeur à l’université de Harvard, et Jean Drèze, de la London School of Economics, avaient publié en 1991 Hunger and Public Action, où ils analysaient avec une rigueur statistique plusieurs cas négligés de famines mondiales causées par des systèmes, des modèles et des décisions politiques. Au chapitre 11, ils observent : « Si l’on compare le taux de mortalité de 12 pour mille de l’Inde avec celui de 7 pour mille de la Chine et si l’on applique cette différence à une population de 781 millions d’habitants en Inde en 1986, on obtient une estimation de la surmortalité en Inde de 3,9 millions par an ».

La presse grand public n’a pas repris l’histoire et le monde n’en a pas entendu parler. Au contraire, six ans plus tard, Le Livre noir du communisme et d’autres ouvrages du même genre commercial, qui se vendent vite, se consomment vite et sont faciles à digérer, sont devenus célèbres comme par magie.

Nous avons précédemment analysé la position de l’intellectuel et diplomate indien et britannique Shashi Tharoor et des professeurs Jason Hickel et Dylan Sullivan sur l’impact des politiques impériales du capitalisme, qui contredit les récits populaires les plus promus par les médias grand public et les agences gouvernementales, ce qui pourrait être résumé par l’une de leurs conclusions : "Dans toutes les régions étudiées, l’incorporation dans le système mondial capitaliste a été associée à une baisse des salaires en dessous du minimum vital, à une détérioration de la taille humaine et à un pic de la mortalité prématurée ».

Si, avec les mêmes critères que Courtois et ses répétiteurs, on continuait à compter les millions d’indigènes tués aux Amériques dans le processus qui a rendu le capitalisme possible en Europe, les dix millions de morts au moins que le roi belge Léopold II a laissés dans l’entreprise appelée Congo et tant d’autres massacres de Noirs en Afrique qui n’ont pas d’importance, ou en Inde, ou au Bangladesh, ou au Moyen-Orient, on dépasserait facilement plusieurs centaines de millions de morts dans n’importe quel Livre noir du capitalisme.

Plus que ça. Utsa Patnaik, économiste de renom et professeure à l’université Jawaharlal Nehru, a calculé que la Grande-Bretagne a volé à l’Inde 45 billions de dollars rien qu’entre 1765 et 1938 et a causé, au cours de ces siècles, la mort non pas de cent millions mais de plus d’un milliard de personnes. Le chiffre auquel aboutit son livre publié par Columbia University Press de New York, qui semble à première vue exagéré, n’est pas moins excessif que celui attribué par Courtois sur la même base - mais mieux documenté.

Un seul des deux récits fait les gros titres et atteint sa cible : dans les démocraties détournées, ce n’est pas le poids des vérités qui compte, mais la somme des opinions inoculées.

NdT

* Manuel du parfait idiot latino-américain : essai de de Plinio Apuleyo Mendoza, Carlos Alberto Montaner et Álvaro Vargas Llosa (le fils), préfacé par Mario Vargas Llosa (le père), publié en 1996, qui se voulait une réponse “libérale” aux Veines ouvertes de l’Amérique latine (1971) d’Eduardo Galeano. Les auteurs ont récidivé en 2077 avec une suite, El regreso del idiota (Le retour de l’idiot). Commentaire d’Atilio Boron sur l’opus : « un catalogue de trivialités, de mensonges et de faussetés sur les causes du sous-développement de nos pays et qui, selon l’analyse incisive de ces auteurs, est dû au penchant malsain des Latino-américains pour l’étatisme et le caudillisme (...) une monstruosité, préfacée par Mario Vargas Llosa, qui démontre irréfutablement que la droite est incapable de produire des idées et que son discours est incapable de transcender le niveau des bons mots, le niveau le plus élémentaire et primaire de l’intellection. » (in Página 12, 29/3/2008)

 

26/11/2022

JORGE MAJFUD
Onze problèmes de notre temps

Jorge Majfud, Escritos Críticos, 22/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Intervention au VIIe Congrès Interocéanique d'Études Latinoaméricaines. Faculté de philosophie et de littérature. Université nationale de Cuyo, Argentine, 17 novembre 2022

Le besoin réel d'une pensée latino-américaine propre continue d'être une vieille utopie, non pas parce qu'il n'y a pas matière à penser dans notre continent, mais parce que toutes les formes propres ont été réprimées et diabolisées depuis 1492. Depuis lors, le continent est passé de main en main jusqu'à aujourd'hui, où l'idéologie dominante et néocoloniale du marché étouffe toute alternative, sous l'antique et efficace ressource de la diabolisation, payée par les sociétés financières et propagée par les médias qui la servent et par les fanatiques qui la subissent.

Même si cela l’a été dans des proportions variables, le pouvoir a toujours été entre les mains d'une minorité. Si nous considérons comme un progrès social la répartition égale du pouvoir dans une société, nous pouvons constater que, au moins au cours des cinq cents dernières années en Occident, tous les progrès politiques, sociaux et économiques ont été la conséquence du maintien des autres minorités à l'écart du pouvoir. Ces minorités ont été criminalisées, diabolisées, discréditées et ont subi des menaces, des exécutions, des massacres ou simplement le silence des majorités complices du pouvoir. Ainsi, alors que ces minorités critiquaient et résistaient à la brutalité du système esclavagiste, pas mal de Noirs, d'Indiens, de femmes et de pauvres ont appris à d'autres Noirs, Indiens, femmes et pauvres à être de bons Noirs, Indiens, femmes et pauvres.


"Des fois le diable apparaît sur mon écran et je ne sais pas si je dois appeler un technicien ou un exorciste". El Roto, España

Aujourd'hui, non sans paradoxe, les islamophobes entraînent l'Occident dans le même processus que celui produit par les puissances occidentales dans le monde arabo-persan, transformant des pays laïques et socialistes en paradigmes du fanatisme religieux ("El lento suicidio de Occidente", 2002). La théocratisation de la politique aujourd'hui ne se réduit pas à se vanter que Dieu vote pour notre parti politique et nous aide à gagner des championnats de football, mais à une formation culturelle (le produit d'un endoctrinement qui commence dès l'enfance) selon laquelle le plus grand mérite intellectuel est d'avoir la foi à tout prix. Si cela est indiscutable au sein de toute religion, cela perd tout son sens lorsque ces mêmes individus sortent de leurs gonds et confondent leur religion avec leur idéologie et leur église avec leur pays.

09/04/2022

FAUSTO GIUDICE
Boutcha, un Timişoara du XXIème Siècle

 Fausto Giudice, BastaYekfi, 9/4/2022

Le 1er avril 2022, le maire de Boutcha, une banlieue résidentielle de 36 000 habitants au nord-ouest de Kiev, annonce que la ville a été « libérée » la veille 31 mars des occupants russes. Simultanément, la police ukrainienne annonce qu’elle y a lancé la chasse aux « saboteurs » et aux « agents russes déguisés en civils ». Le 2 avril, l’avocat ukrainien Ilya Novikov publie sur sa page facebook une vidéo provenant d’une page ukrainienne sur Telegram, d’une minute neuf secondes montrant un convoi de blindés ukrainiens se déplaçant sur une rue de Boutcha. On peut compter douze corps, dont un a les mains liées dans le dos avec un bandeau blanc.

Dans les heures qui suivent, l’ensemble de la « socialmediasphère », puis des médias traditionnels, se déchaîne. « Les Russes ont commis des crimes de guerre à Boutcha, ils ont massacré 300 civils ». Personne n’a vu 300 cadavres. Certaines photos montrent des sacs noirs censés contenir des corps. On veut bien croire qu’ils contiennent des morts, mais cela ne nous dit pas quand et comment ils sont morts.  Les photos, les vidéos se succèdent dans un chaos total : un même corps apparaît sur diverses photos à des endroits différents. Des corps apparaissent, disparaissent, réapparaissent avec des détails différents. Certaines photos montrent des corps aux mains attachées dans le dos, d’autres avec un brassard blanc au bras. Durant le mois pendant lequel des troupes russes ont occupé Boutcha et les localités avoisinantes, les civils étaient encouragés à arborer des brassards blancs pour afficher qu’ils étaient des civils non hostiles. Les civils, militaires et paramilitaires ukrainiens portaient, eux, des brassards bleus. Les militaires russes auraient donc, selon le récit dominant, tué des civils qui ne leur étaient pas hostiles. Ils sont donc aussi fous que leur chef, Poutine, le Grand Satan de 2022.

Après et en même temps que les médias et réseaux sociaux, les politiciens entrent dans la danse : Joe Biden, Ursula von der Leyen, Josep Borrell, tous dénoncent le « crime de guerre de Boutcha ». La Russie est exclue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Zelensky, le « serviteur du peuple », héros sempityernel d’un feuilleton sans fin, réclame un « Tribunal de Nuremberg pour Poutine ». Et enfin, voilà le pape himself qui, dans une scène digne de Nanni Moretti, brandit et embrasse un drapeau ukrainien « provenant de la ville martyre de Boutcha », au cours d’une cérémonie où il remet des œufs de Pâques à des enfants ukrainiens. Aucun média ayant publié des photos ou la vidéo de la scène n’a expliqué ce qui était écrit sur le drapeau : «4ème Centurie cosaque de Maidan ». La centurie (« sotnya») était l’unité de base des troupes cosaques des diverses armées dans lesquelles elles ont servi. Durant ce que Radio Free Europe baptisa « l’Euromaidan » de 2013-2014, le service d’ordre organisé par le politicien, au départ néonazi puis girouette, Andriy Paroubiy, était structuré en groupes portant de tels noms poétiques évoquant le « glorieux passé » ukrainien, autrement dit le combat contre le « judéo-bolchevisme ».

Lire la suite 

 Monument local à Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe (1891-1940) né à Kiev, qui passait ses vacances dans la datcha familiale à Boutcha

 

20/03/2022

LUIS CASADO
Le monde est grand
Vu de Moscou

 Luis Casado, 20/3/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Le monde est grand, dit Luis Casado, mais l' « Occident », c'est-à-dire les USA et l'Union européenne (12 % de la population mondiale), s'arroge l'exclusivité de l'opinion de la « communauté internationale ». La balance est en train de changer. La « volatilité » de l'ordre mondial s’accentue. Cette fois, il n'est pas certain que Mickey sorte vainqueur de ces tensions...


Voici à quoi ressemblent les supermarchés de Moscou cette semaine. Les sanctions de l' « Occident » fonctionnent à l'envers...

 

De mes pérégrinations professionnelles, qui m'ont conduit sur les cinq continents, j'ai tiré une leçon : malgré tous ses efforts, le monde ne se résume pas à ce qu'on appelle l' « Occident », ou « communauté internationale », appellation qui, comme le dit Régis Debray, a été monopolisée par les USA et leur protectorat européen. Moins de 12 % de la population mondiale.

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Amérique du Sud, la Malaisie, l'Éthiopie et une longue liste d'autres pays et régions du monde ne font pas partie de cette éphémère « communauté internationale » qui accapare le monopole de l'opinion planétaire.

 

Il y a des années, en traversant l'aéroport de Changi à Singapour, j'ai été stupéfait de voir en quelques minutes plus de diversité de peuples, d'ethnies, de cultures, de langues, de dialectes, de vêtements, de couleurs de peau, de religions, de musique et de nourriture que je n'en avais jamais connue de toute ma vie. Une partie de ces 88% qui ne comptent pas.

 

Réduire le monde à l’ « l'Occident » présente des avantages : on peut ainsi massacrer en Palestine, en Yougoslavie, en Irak, en Iran, au Yémen, au Mali, en Libye, en Syrie, en Afghanistan... sans sanctions d'aucune sorte, puisque « l'Occident » et la « communauté internationale » sont du côté des massacreurs. Les Palestiniens, les Yougoslaves, les Irakiens, les Iraniens, les Yéménites, les Maliens, les Libyens, les Syriens et les Afghans... peuvent aller se faire voir. Pour le temps qu'il faudra : le drame palestinien a déjà, je le sais par cœur, 73 ans : je suis né en 1948, l'année de la Nakba, la « catastrophe », l'année où Israël a été inventé sur un territoire peuplé d'Arabes.

 

Lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, la condamnation de l'"Occident" et de la "communauté internationale" a été totale. Le monde entier s'est soulevé contre la Russie. Vraiment ? Des pays comme l'Inde et la Chine se sont abstenus. Tout comme le Sénégal, ancienne colonie française où l’« influence » de la métropole se fait encore sentir. Et d'autres pays encore qui estiment que l'OTAN porte une lourde responsabilité dans la question ukrainienne, responsabilité occultée par la presse, la radio et la télévision « occidentales ». Cette dernière - et je mesure ce que je dis - a adopté une méthode de reportage goebbelsienne : tout mensonge stupide passe, déguisé en demi-vérité, et à la fin, il en reste toujours  quelque chose.