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17/08/2022

ALON SCHWARZ
Comment camoufler un massacre : le cas de Tantoura

 Alon Schwarz, Haaretz, 12/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
 

Alon Schwarz est un cinéaste israélien, réalisateur des films documentaires "Les secrets d'Aïda" (2017) et "Tantoura" (2022)|.  

 

Le sionisme doit évoluer pour survivre, écrit le réalisateur du documentaire « Tantoura ». Les Israéliens devraient être assez forts pour reconnaître les souffrances de l'autre partie. Reconnaître la Nakba est un premier pas vers un avenir de paix


Les habitants de Tantoura, trois semaines après la bataille. Prendre ses responsabilités ne signifie pas renvoyer les réfugiés à Tantoura et expulser les kibboutzniks de Nahsholim.Photo : Benno Rothenberg / Meitar Collection, Pritzker Family National Photography Collection, National Library of Israel

La principale technique utilisée pour faire taire Teddy Katz il y a près d'un quart de siècle était de rechercher quelques erreurs dans les citations qui apparaissent dans sa thèse de maîtrise sur l'affaire de Tantoura – qui faisait des centaines de pages – et de le menacer ensuite d'un procès-bâillon [alléguant la diffamation mais en réalité destiné à l’intimider pour qu’il se taise]. Le but était de rejeter toute sa thèse comme indigne et aussi de le faire récuser.

Des articles d'opinion récents sur le sujet dans Haaretz en hébreu – par le rédacteur de musique du journal Haggai Hitron, et par l'avocat Giora Erdinast - ainsi qu'un article publié par l'historien Yoav Gelber sur un autre site en hébreu, ont été écrits en réponse à mon film «Tantoura ». Tous sont des exemples du phénomène si commun à la gauche et à la droite d'Israël de nier ou de minimiser la « Nakba » palestinienne (arabe pour « catastrophe ») pendant la guerre de 1948.

C'est l'une des tentatives les plus sérieuses de l'histoire israélienne pour cacher des crimes de guerre et faire taire un débat. Les articles d'Erdinast, Hitron, Gelber et d'autres personnes partageant les mêmes idées incluent de nombreux détails biaisés ou incorrects. Ils ont pour effet de jeter du sable dans les yeux des Israéliens ordinaires, qui ne possèdent pas nécessairement les outils nécessaires pour vérifier les affirmations des auteurs.

Beaucoup d'Israéliens trouvent du réconfort dans ces articles, dont le véritable but est de préserver la belle histoire réchauffant le cœur avec laquelle nous avons grandi, et ainsi permettre à la répression nationale de notre propre histoire de continuer : Nous n'avons expulsé personne, les Arabes se sont enfuis tout seuls, les Forces de défense israéliennes sont l'armée la plus morale du monde, nos soldats ne commettent jamais de massacres.

Avant de traiter de la fausseté de ces articles, j'aimerais ajouter une observation générale qui s'applique également à la lettre que le recteur de l'Université de Haïfa, le professeur Gur Alroey, a envoyée à tous les professeurs en juin dernier la veille de la projection de mon film. « Tantoura » n'aspire ni à aborder la qualité de l'écriture académique de Teddy Katz ni la question de savoir s'il a mal cité quelques-unes des interviews qu'il a enregistrées au magnéto il y a 23 ans lorsqu'il était étudiant. Ce ne sont pas les questions intéressantes, et c'est pourquoi le film ne les traite pas. Ce qui est intéressant, c'est ce qui s'est réellement passé à Tantoura le 23 mai 1948, et comment cela a été obscurci et réduit au silence dans la société israélienne, presque obsessionnellement, depuis. Le film permet au public d'écouter directement le matériau brut enregistré par Katz. Il combine également des entretiens récents avec des soldats qui se trouvaient sur les lieux et présente les conclusions d'une enquête approfondie et nouvelle fondée sur des documents, des photographies aériennes militaires et d'autres documents d'archives.

L'affirmation selon laquelle les inexactitudes dans un petit nombre de citations dans l'œuvre de Katz signifient que le film mérite d'être ignoré est simplement une tromperie visant à réduire au silence toute l'affaire. La thèse principale de Katz était qu'au cours de la journée du 23 mai 1948, après la fin de la bataille nocturne, les FDI ont tué de nombreux hommes désarmés à Tantoura, commettant des crimes de guerre horribles. Je maintiens que Katz a raison.

Contrairement à ce qu'Hitron a écrit sur Haaretz en juin dernier, le film ne se concentre pas sur la question de savoir si 12, 20 ou 200 personnes ont été tuées à Tantoura. Cette affirmation est une tentative d'aplatir et de cadrer le sujet, en le limitant au débat sur un nombre qui est de toute façon inconnu. Le documentaire raconte une histoire beaucoup plus large, qui inclut le contexte de la guerre de 1948 et examine comment la mémoire personnelle et nationale est construite et réprimées Il comprend différentes versions de ce qui s'est passé à Tantoura, y compris les récits de nombreuses personnes interrogées qui nient qu'un massacre ait eu lieu.

Pour lire la suite, télécharger le document 

Sur le même thème, lire

Un documentaire israélien reconstitue le massacre de Tantoura en mai 1948 : ses auteurs passent aux aveux

Trailer du film

 


04/08/2022

GIDEON LEVY
Kafr Qassem : les Israéliens refusent d'être hantés par les fantômes des massacres passés. Qu'est-ce que ça signifie pour l'avenir ?

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Faire une bombe d'une taupinière. Pas la bombe que nous aurions dû souhaiter, mais une bombe bien plus dangereuse - la publication des minutes du procès de Kafr Qassem n'a même pas fait sourciller. Les médias, à l'exception de Haaretz, ont à peine commenté, le public a baillé, l'affaire est morte. Cela se produit à chaque fois : Les organisations de soldats remuent ciel et terre, la censure militaire interdit et ensuite, on n'entend qu'un bâillement. Le bâillement est toujours la bonne partie : ceux qui rendent public le sombre passé suscitent pour beaucoup des sentiments de fierté et de soutien, ou des déclarations tristement ridicules sur le manque d'autres choix. La guerre, quoi.

Rim Ammar, dont le grand-père paternel a été l’une des victimes du massacre de Kafr Qassem. Photo : Tomer Appelbaum

La procédure se répète : Tantoura ou Kafr Qassem, le massacre des prisonniers en 1967 ou le massacre de Lod en 1948, Jénine, Jénine ou le meurtre des adolescents sur la plage de Gaza - rien n'entame le sentiment de totale justesse des Israéliens, ou du moins leur autosatisfaction, du côté de la gauche sioniste comme de la droite. Ces dernières semaines, il s'agissait à nouveau de Tantoura et de Kafr Qassem. Même s'il était encore possible de discuter de Tantoura, pour Kafr Qasem les documents ont résolu la vérité qui aurait dû résonner. Si à Tantoura il était encore possible de tout mettre sur le dos de Teddy Katz et d'Alon Schwarz, le chercheur et le réalisateur du film, à Kafr Qassem la vérité officielle était exposée, tranchante et douloureuse.

Pour qui, exactement ? Les Arabes connaissaient la vérité depuis toutes ces années, et pour eux, la publication des documents n'était pas une nouvelle, ni un réconfort tardif. Les Juifs n'ont pas voulu savoir pendant toutes ces années et ne veulent pas savoir, même après qu'on leur a jeté la vérité au visage. Il était également possible de faire confiance aux médias israéliens qui sauraient une fois de plus choyer leurs consommateurs en cachant et en obscurcissant la vérité. En quoi avons-nous besoin de Kafr Qassem maintenant ?

Peut-être est-il possible de comprendre le détournement de notre regard des taches du passé héroïque telles qu'elles nous ont été racontées, mais ce passé n'est pas terminé, pas plus que le déni et les excuses fallacieuses. Quiconque n'a pas été ému par les révélations sur Kafr Qassem ne l'est pas non plus par les coups de pied donnés à un manifestant de 15 ans à Al Mughayyir, 66 ans plus tard. C'est pourquoi ignorer Kafr Qassem est si grave.

Le massacre de citoyens israéliens, après la création de l'État, avant une guerre et non au milieu de celle-ci - pour lequel personne n'a été puni sérieusement, personne n'a accepté de responsabilité, personne n'a pensé à offrir des réparations et seuls quelques-uns étaient prêts à s'excuser - ne suscite même pas de gêne morale. Le meurtre de personnes innocentes, dont les enfants sont ici parmi nous, ne nous intéresse pas, nous, les Juifs israéliens supérieurs. Nous ne pleurons que nos propres morts, et nous pleurons beaucoup. Dans l'État juif, seul ce qui arrive aux Juifs est considéré comme important.

Même aujourd'hui, tout n'a pas été publié : Le tristement célèbre plan Hafarperet ("Taupe") est toujours classé secret. Pourquoi ? Sa publication constitue également un "risque pour la sécurité". L'ennemi va savoir, les vents vont hurler. Alors, chers censeurs, ôtez toute inquiétude de vos cœurs, même les guerriers du passé peuvent dormir en paix. Leur bonne réputation ne sera jamais entachée. Personne en Israël ne s'offusquera d'un plan diabolique d'expulsion des Arabes israéliens. Tout peut être publié. À l'exception de quelques gauchistes bornés, personne n'en perdra le sommeil. Permettez la publication de Hafarperet et de toutes les autres vérités dérangeantes. Aucune tache du passé du pays ne peut assombrir le sentiment de satisfaction des Israéliens, qui n'a pas de frontières.

Il y avait un plan de transfert en 1956 ? De nombreux Israéliens déplorent qu'il n'ait pas été mis en œuvre. C'est trop tard ? Pas nécessairement. Combien d'Israéliens s'offusqueraient aujourd'hui d'un transfert de population sous les auspices de la prochaine guerre ? Il faut trouver le moment opportun, l'obscurité appropriée et la bonne excuse - et cela pourrait très bien arriver. Après cela, nous pouvons compter sur les médias : Ils le dissimuleront à la conscience du public, cette fois encore.

Quiconque ne s'émeut pas des révélations du passé ne s'émeut pas non plus de ce qui se passe dans le présent, et ne lèvera pas le petit doigt face à ce qui pourrait bien se produire dans le futur. La crainte des Arabes israéliens d'un nouveau transfert ne s'est pas seulement atténuée depuis Tantoura, elle s'est même renforcée, et à juste titre. L'apathie israélienne absolue à l'égard des ombres du passé contribue largement à alimenter cette peur paralysante. 

 
Une cérémonie commémorative marquant en 2006 le 50e  anniversaire du massacre de Kafr Qassem. Photo : Nir Kafri


04/02/2022

GIDEON LEVY
Dites-moi ce qui n’est pas vrai dans le rapport d'Amnesty International sur Israël

Gideon Levy, Haaretz, 3/2/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que les malédictions et les cris s'apaisent - Amnesty est antisémite, le rapport est plein de mensonges, la méthodologie est absurde - on doit se demander : qu'est-ce qui est incorrect, précisément, dans le rapport sur l'apartheid ?

Des colons et des soldats israéliens se rassemblent dans l'avant-poste sauvage récemment établi à Evyatar, près de la ville de Naplouse, en Cisjordanie, en juillet 2021. Photo : AP Photo/Oded Balilty

Israël n'a-t-il pas été fondé sur une politique explicite visant à maintenir l'hégémonie démographique juive, tout en réduisant le nombre de Palestiniens à l'intérieur de ses frontières ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Cette politique n'existe-t-elle pas encore aujourd'hui ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Israël ne maintient-il pas un régime d'oppression et de contrôle des Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés depuis 1967 au profit des Juifs israéliens ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Les règles d'engagement face aux Palestiniens ne relèvent-elles pas d’une politique consistant à tirer pour tuer, ou au moins pour mutiler ? Oui ou non ? Vrai ou faux ? Les expulsions de Palestiniens de leurs maisons et le refus de permis de construire ne font-ils pas partie de la politique israélienne ? Oui ou non ? Vrai ou faux ?

Cheikh Jarrah n'est-il pas un lieu d'apartheid ? La loi de l'Etat-nation n'est-elle pas de l’apartheid ? Et le refus de réunification des familles ? Et les villages (bédouins) non reconnus ? Et la « judaïsation » ? Existe-t-il une seule sphère, en Israël ou dans les territoires, dans laquelle il existe une égalité véritable, absolue, sauf de nom ?

Lire le rapport, c'est désespérer. C'est tout ce que nous savions, mais condensé. Pourtant, aucun désespoir ou remords n'a été ressenti en Israël. La plupart des médias l'ont marginalisé et estompé, et les chœurs de la hasbara l'ont rejeté. Le ministre de la propagande, Yair Lapid, a récité ses lignes et est passé à l'attaque avant même la publication du rapport. Le ministre des Affaires de la diaspora, Nachman Shai, a rapidement suivi. Le rapport international n'est pas encore né qu'Israël le dénonce tout en négligeant de répondre à un seul de ses points. Une organisation après l'autre, dont certaines sont importantes et honnêtes, appelle cela de l'apartheid, et Israël dit : antisémitisme.

S'il vous plaît, prouvez qu'Amnesty a tort. Qu'il n'y a pas deux systèmes de justice dans les territoires, deux ensembles de droits et deux formules pour la distribution des ressources. Que la légitimation d'Evyatar n'est pas de l’ apartheid. Que le fait que les Juifs puissent récupérer leurs biens d'avant 1948 alors que les Palestiniens se voient refuser le même droit n'est pas de l'apartheid. Qu'une colonie verdoyante juste à côté d'une communauté de bergers sans électricité ni eau courante n'est pas de l'apartheid. Que les citoyens arabes d'Israël ne font pas l'objet d'une discrimination systématique et institutionnelle. Que la ligne verte n'a pas été effacée. Qu'est-ce qui n'est pas vrai ?

Même Mordechai Kremnitzer [prof de droit à l’Université Hébraïque de Jérusalem, né à Fürth, près de Nuremberg en 1948, NdT] a été effrayé par le rapport et l'a attaqué. Ses arguments : le rapport ne distingue pas les territoires occupés depuis 1967 d'Israël, et il traite le passé comme si c'était le présent. C'est ainsi que cela se passe lorsque même les universitaires de gauche s'engagent dans la défense de la propagande sioniste. Accuser Israël des péchés de 1948 et le qualifier d'apartheid, c'est comme accuser les USA d'apartheid en raison du passé des lois de ségrégation Jim Crow, écrit-il dans le Haaretz de mercredi.

La différence est que le racisme institutionnalisé aux USA a progressivement disparu, alors qu'en Israël, il est plus vivant et plus fort que jamais. La ligne verte a également été effacée. Il s'agit d'un seul État depuis un certain temps déjà. Pourquoi Amnesty devrait-elle faire cette distinction ? L'année 1948 continue. La Nakba continue. Une ligne droite relie Tantoura et Jiljilya. À Tantura, ils ont massacré, à Jiljilya, ils ont fait mourir un homme de 80 ans, et dans les deux cas, la vie des Palestiniens ne vaut rien.

Bien entendu, il n'y a pas de propagande sans applaudissements pour le système judiciaire. « La contribution importante du conseiller juridique du gouvernement et des tribunaux qui, contre une large majorité politique, ont empêché l'interdiction des candidats et des listes arabes à la Knesset... Un parti arabe rejoignant la coalition rend immédiatement ridicule l'accusation d'apartheid », écrit Kremnitzer.

C'est tellement bon de brandir la Haute Cour de Justice, qui n'a pas empêché une seule iniquité de l'occupation, et Mansour Abbas pour prouver qu'il n'y a pas d'apartheid. Soixante-quatorze ans d'existence d'un État sans une ville nouvelle arabe, sans une université arabe ou une gare dans une ville arabe, tout cela est éclipsé par le grand blanchisseur de l'occupation, la Haute Cour de justice, et un partenaire arabe mineur de la coalition, et même celui-ci est considéré comme illégitime.

Le monde continuera à lancer des invectives, Israël continuera à les ignorer. Le monde dira apartheid, Israël dira antisémitisme. Mais les preuves continueront de s'accumuler. Ce qui est écrit dans le rapport ne découle pas de l'antisémitisme, mais contribuera à le renforcer. Israël est le plus grand motivateur des pulsions antisémites dans le monde d'aujourd'hui.


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