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17/07/2023

YOSSI MELMAN
Dan Arbel, l’agent du Mossad qui a essuyé les plâtres du fiasco de Lillehammer, brise le silence
Retour sur l’assassinat d’Ahmed Bouchikhi le 21 juillet 1973

Yossi Melman, Haaretz, 15/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Agent du Mossad, il a risqué sa vie au cours de multiples missions secrètes, mais il est associé à une opération qui a été très médiatisée - et très mal menée. À 85 ans, Dan Arbel n’est plus disposé à garder le silence sur l’histoire mensongère que nous avons entendue à propos du fiasco de Lillehammer, il y a exactement 50 ans.

 

Dan Arbel : « On a dit que l’opération était digne d’amateurs parce que “les agents ont rendu les voitures de location”. Mais j’avais reçu l’ordre clair de les rendre. Parfois, on ne voit pas les choses dans leur ensemble, mais on comprend que quelqu’un les voit, alors on exécute [les ordres] ». Photo : Tomer Appelbaum

Il s’agissait d’une mission vraiment bizarre, même selon les critères du Mossad. À la fin des années 1960, le Danemark, considéré comme un pionnier dans le domaine de la promiscuité sexuelle, a autorisé la publication et la diffusion de magazines pornographiques, mais en a interdit l’exportation. La demande était énorme, il y avait du fric à se faire. L’agence d’espionnage israélienne y a vu une opportunité.

Il s’agissait d’un plan créatif : faire sortir clandestinement les publications du Danemark et les vendre aux marins des navires marchands arabes, ce qui permettrait aux agents de terrain de l’agence de recruter et de collecter des informations sur les marins, leurs navires et les marchandises qu’ils achetaient et vendaient.

A l’époque, le Mossad disposait à Copenhague d’un agent capable de mettre en œuvre le plan. Il s’appelait Dan Arbel. Il avait été recruté par l’organisation en 1965. Il a été chargé de créer dans la capitale une entreprise d’import-export qui fournirait des services à travers l’Europe et le Moyen-Orient. Baptisée Viking, ce serait une société écran pour le Mossad, permettant à ses agents de pénétrer dans les pays arabes afin d’y recueillir des informations et d’y mener des opérations spéciales.

Arbel demande à un ami de jeunesse de s’associer à l’exportation des magazines. C’était illégal, mais les bénéfices étaient intéressants et l’ami  accepte. Cependant, avant que les articles ne soient expédiés du Danemark vers l’Allemagne, puis vers l’Italie, les douaniers ont eu vent de l’opération et l’ami a été arrêté. Néanmoins, Arbel lui-même réussit : des milliers de magazines sont sortis clandestinement du pays et vendus pour quelques sous aux marins et aux officiers des navires commerciaux arabes qui accostent dans les ports italiens. Au cours de l’opération, entièrement financée par le Mossad, de nombreuses informations ont été recueillies, qui ont facilité le recrutement d’agents et se sont révélées précieuses pour Israël.

Ce n’est qu’une des nombreuses opérations audacieuses auxquelles Arbel a participé au cours de ses huit années au sein du Mossad. Il a infiltré la Libye, a été détenu en Syrie, a photographié des sites d’armes chimiques en Égypte, a acheté un navire qui transportait clandestinement de l’uranium destiné au réacteur nucléaire israélien de Dimona, et bien d’autres choses encore. Cependant, aucune de ces missions n’a été rendue publique ; elles ont tout au plus été mentionnées en passant. Le nom d’Arbel n’a été lié explicitement qu’à l’affaire de Lillehammer - la mission ratée dans la ville de villégiature norvégienne qui a eu lieu il y a 50 ans ce mois-ci. L’objectif était d’assassiner Ali Hassan Salameh, une figure de proue de Septembre noir, une organisation palestinienne militante. Mais, à la suite d’une erreur d’identité, les agents du Mossad ont tué un serveur d’origine marocaine, nommé Ahmed Bouchikhi, qui résidait dans la ville. Certains membres de l’équipe israélienne ont été arrêtés et jugés en Norvège.

Arbel, un homme doux et gentil, est un héros tragique. Il a été perçu comme le responsable de l’opération ratée, parce qu’il a parlé lors de son interrogatoire par la police danoise. Aujourd’hui, à 85 ans, il veut réparer ce qu’il considère comme une erreur historique et accepte pour la première fois de donner sa version des faits.

« Pendant des années, j’ai été stigmatisé et sali parce qu’on me rendait responsable de l’échec de l’opération », explique-t-il à Haaretz. Arbel, qui a également été interviewé dans le cadre d’un nouveau documentaire israélien, Mossad and the Curse of Lillehammer [Le Mossad et la malédiction de Lillehammer], créé par Gidi Maron, Emmanuel Nakash et Noam Tepper, et récemment diffusé sur la chaîne israélienne Channel 8, ajoute : « Ma famille et moi n’avons pas réagi aux rumeurs abusives, nous avons gardé le silence ».

Suite à une erreur d’identité, les agents du Mossad ont tué Ahmed Bouchikhi, un serveur d’origine marocaine. Photo : NTB SCANPIX MAG via AFP

08/07/2023

OMER BENJAKOB
Les chasseurs de têtes et l’argent US recrutent à prix d’or des pirates israéliens pour la cyberguerre

Omer Benjakob est journaliste spécialisé dans la désinformation et la cybernétique pour Haaretz. Il a fait partie du consortium de journalisme d'investigation Project Pegasus et s'intéresse à l'intersection entre la technologie et la politique. Il écrit également sur Wikipédia. Benjakob est né à New York et a grandi à Tel Aviv. Il est titulaire d'une licence en sciences politiques et en philosophie, a obtenu une maîtrise en philosophie des sciences et est chargé de recherche au Learning Planet Institute à Paris. @omerbenj

 

Defense Prime, qui a recruté au moins quatre pirates informatiques israéliens, n’est que le dernier exemple en date des entreprises usaméricaines et européennes qui se lancent dans le cyberjeu offensif, alors qu’Israël met au pas le groupe NSO et ses semblables


L’offre d’emploi a été publiée il y a environ deux mois en hébreu sur la page LinkedIn du principal chasseur de têtes de hackers israéliens. Le poste : chercheur senior en vulnérabilités - terme industriel désignant un pirate informatique capable de trouver des failles dans les mécanismes de défense de différents systèmes technologiques. Lieu : Espagne. Employeur : Une nouvelle “startup israélo-américaine” qui opère actuellement “sous les radars”, comme l’indique l’annonce.

Le salaire, Haaretz l’a confirmé, est le double de celui versé par les entreprises israéliennes actives sur le marché déjà lucratif de la cybernétique offensive. Les candidats qui obtiennent le poste bénéficient également d’un déménagement entièrement financé pour eux et leur famille d’Israël à Barcelone.

L’annonce ne mentionne aucun nom, mais Haaretz peut confirmer que l’entreprise qui se cache derrière est Defense Prime, une nouvelle cyber-entreprise fondée par des Israéliens expatriés aux USA. Elle est enregistrée aux USA et ses opérations naissantes sont menées dans le cadre de la législation et de la réglementation usaméricaines - tout en essayant d’inciter les Israéliens à abandonner leur travail dans des entreprises telles que NSO et à choisir de travailler aux USA, ou du moins avec les USA.

Haaretz a appris qu’au cours des derniers mois, au moins quatre pirates informatiques chevronnés ont quitté leur emploi en Israël, dans des entreprises appartenant à des Israéliens ou même dans l’establishment de la défense israélienne pour rejoindre la nouvelle entreprise. Deux de ces chercheurs chevronnés ont en fait quitté deux entreprises locales de cyber-armes, qui ont également perdu un expert en sécurité des opérations qui a récemment rejoint Defense Prime. L’un des autres pirates informatiques chevronnés vient d’une entreprise israélienne de Singapour, et un autre a été recruté au sein d’un organisme de défense israélien. Selon l’une des nombreuses sources qui ont parlé à Haaretz pour cet article, le chercheur était considéré comme un grand talent et son départ vers la nouvelle entreprise est considéré comme un coup dur potentiel pour les capacités cybernétiques de l’État israélien.

Il ne s’agit pas seulement de talents : selon des sources, l’entreprise a également discuté de la possibilité d’acheter des actifs de Quadream, une entreprise israélienne de cyberoffensive qui a récemment fermé ses portes. Il s’agit de la dernière d’une série d’entreprises similaires qui ont cessé leurs activités après la crise dans ce domaine controversé, aujourd’hui au cœur d’une crise entre Israël et les USA, et leurs institutions de défense respectives. Contrairement à l’embauche de pirates informatiques, la vente de toute technologie provenant d’une entreprise comme Qaudream, spécialisée dans le piratage des iPhones, nécessite l’autorisation du ministère israélien de la défense.


L’école militaire de formation à la cyberguerre Ashalim, située au CyberSpark de Beer Sheva (inauguré en 2014), forme de 500 à 600 cyberguerriers par an, destinés à l’exercice de tâches dans tous les secteurs de l’armée israélienne et dans le secteur privé en Israël et dans le monde. Ce cyber-campus a servi de modèle au Cyber Campus de La Défense à Paris, voulu par Emmanuel Macron et inauguré en 2022


Crise des logiciels espions

Il n’est pas le seul : au cours des deux dernières années, depuis que la crise entre Israël et les USA a éclaté à la suite d’une série de révélations concernant l’utilisation abusive du logiciel espion Pegasus de NSO, des dizaines de pirates informatiques israéliens et d’autres personnes employées dans le domaine de la cybernétique offensive ont quitté le pays pour travailler à l’étranger. Certains sont partis travailler pour d’autres Israéliens qui opéraient déjà en dehors du pays et de ses mécanismes de contrôle. D’autres rejoignent des entreprises étrangères basées en Europe ou aux USA - des entreprises qui, selon certaines sources, bénéficient également du soutien de leurs services de renseignement locaux non israéliens. Elles notent l’augmentation du nombre de sociétés italiennes et espagnoles en particulier, mais il s’agit surtout de sociétés soutenues par l’establishment de la défense et la communauté du renseignement usaméricains.

Defense Prime n’est que la plus récente et la plus bruyante de ce que les sources disent être une nouvelle génération de cyber-entreprises non-israéliennes actuellement en pleine ascension et prenant une part du talent et de la part de marché de leurs concurrents israéliens. Selon des sources et une enquête menée par Haaretz, l’entreprise rejoint une liste croissante d’entreprises nouvelles ou existantes qui ont considérablement développé leurs activités au cours des deux dernières années, parallèlement aux tentatives visant à contrôler l’industrie cybernétique israélienne et à mettre un terme à la prolifération des logiciels d’espionnage commerciaux.

En Europe, des sources indiquent que des entreprises existantes comme Memento Labs ou Data Flow en Italie, Interrupt Labs au Royaume-Uni et Varistone en Espagne se sont développées au cours des 18 derniers mois, également avec l’aide de talents israéliens. Il existe également de nouvelles entreprises, en particulier aux USA, qui sont apparues parallèlement à la pression exercée par les USA sur Israël dans le sillage de l’affaire du NSO.

Eqlipse, très présent sur les médias sociaux, ne rate pas une occasion de faire sa pub : concerts, marathons, célébrations patriotiques en tous genres


Eqlipse Technologies, par exemple, a été créée l’année dernière pour offrir ce qu’elle appelle des capacités de cyberveille et de renseignement d’origine électromagnétique (“SIGINT”) à spectre complet pour des “clients clés en matière de sécurité nationale au sein du ministère de la défense et de la communauté du renseignement”, selon un communiqué de presse d’Arlington Capital, qui soutient l’entreprise. L’expression “spectre cybernétique complet” est un euphémisme utilisé dans l’industrie pour désigner les capacités défensives et offensives. Malgré son jeune âge, Eqlipse emploie déjà plus de 600 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de 200 millions de dollars.

Une autre entreprise, Siege Technologies, également usaméricaine, a été créée en 2019 mais a intensifié ses activités au cours des deux dernières années. Elle se concentre exclusivement sur « la fourniture de capacités cybernétiques offensives et défensives essentielles au gouvernement américain », selon son site web.

Selon certaines sources, ces entreprises et leurs annonces publiques - rares dans le monde secret du renseignement cybernétique - s’inscrivent dans une tendance plus large : Les entreprises et les invesisseurs usaméricains pensent que, parallèlement à la critique publique de la cyber-offensive, l’establishment de la défense usaméricaine et la Maison Blanche sont intéressés par le développement de leur propre industrie - et sont prêts à payer pour cela.

Le chouchou de Netanyahou

Le marché cybernétique offensif d’Israël, qui était autrefois la coqueluche du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de l’establishment de la défense israélienne, traverse la pire crise qu’il ait connue depuis sa création, d’après certaines sources.

Après des années de “cyber-diplomatie” - une politique menée par Netanyahou dans le cadre de laquelle Israël utilise la vente de cyber-armes pour réchauffer les relations diplomatiques avec des pays qui lui sont historiquement hostiles - Israël a fait volte-face. Selon certaines sources, il est loin le temps où le ministère de la Défense autorisait la vente de logiciels espions de qualité militaire à des pays comme le Rwanda ou l’Arabie saoudite.

La raison : l’enquête Projet Pegasus, à laquelle Haaretz a également participé, a révélé l’utilisation abusive du logiciel espion par les États clients de NSO dans le monde entier, ainsi que la révélation que l’Ouganda a utilisé le logiciel espion pour pirater les téléphones des fonctionnaires du département d’État usaméricain en Afrique. Cette dernière affaire a provoqué une crise diplomatique entre Washington et Jérusalem, la Maison Blanche exhortant Israël à restreindre ses cyber-entreprises. La décision d’ajouter NSO et Candiru, une autre cyber-entreprise israélienne, à une liste noire du ministère usaméricain du commerce a indiqué à Israël que les USAméricains étaient sérieux.

Israël a réagi en inversant sa politique. Il a communiqué aux médias une liste tronquée des pays auxquels les entreprises de cybernétique peuvent désormais vendre leurs produits, liste qui ne comprend pratiquement plus que des États occidentaux.

Selon certaines sources, toutes les petites entreprises qui se sont développées dans l’ombre de NSO et qui vendaient des logiciels espions à des pays non occidentaux ont perdu leur capacité à faire des affaires presque du jour au lendemain. Au cours des 18 derniers mois, la plupart des entreprises n’ont pas pu obtenir de licence pour conclure ne serait-ce qu’un seul nouveau contrat ; dans certains cas, les contrats existants ont également été annulés.

En réaction, de plus en plus d’entreprises ont commencé à fermer leurs portes ou à se retirer du marché offensif, se concentrant plutôt sur des formes moins intrusives de surveillance “passive”, qui ne sont pas réglementées de manière aussi stricte. Cognyte a par exemple fermé Ace Labs, sa filiale spécialisée dans le piratage téléphonique. Bien que les leaders du marché, NSO et Paragon - qui se concentre presque exclusivement sur les marchés occidentaux et a réussi à garder sa réputation intacte - poursuivent leurs activités, ils sont également en difficulté. D’autres, comme Nemesis, Wintego, Kela, Magen et Quadream, ont complètement cessé leurs activités, selon certaines sources, ou ont au moins déclaré qu’elles les avaient arrêtées et transférées à l’étranger ou qu’elles les avaient rebaptisées.

Des sources industrielles de haut niveau ont passé l’année dernière à avertir que la nouvelle politique israélienne d’apaisement avec les USAméricains se retournerait contre eux. Elles affirment que la perte de talents et les dommages causés à l’industrie nuiront également à l’establishment de la défense israélienne et pourraient même faire perdre à Israël son avantage dans le cyberespace militaire. Sans la capacité de retenir les meilleurs talents en Israël, ces pirates ne seront plus disponibles pour servir dans des unités comme la 8200 - où ceux qui travaillent à l’étranger ne peuvent pas toujours revenir pour le service de réserve en raison de préoccupations liées au secret.

« Lorsque ces personnes travaillent à l’étranger, elles ne sont pas seulement en dehors de l’écosystème israélien, mais aussi dans un nouvel écosystème, et ces pays en profitent », explique une source industrielle. « Cela ne fait pas qu’affaiblir Israël, cela rend aussi les Européens et les Américains - et qui sait d’autres - plus forts ».

Selon des sources industrielles, la pression usaméricaine sur Israël n’est pas seulement le résultat de préoccupations en matière de droits humains, mais fait également partie de ce qu’elles considèrent comme une politique plus large visant à affaiblir l’industrie cybernétique d’Israël et à renforcer celle des USA à ses dépens. À titre d’exemple, ils citent la tentative de L3Harris, un géant usaméricain de la défense technologique, d’acheter NSO après qu’il a été placé sur la liste noire. L’opération n’a pas abouti en raison des objections des responsables israéliens, mais elle a bénéficié du soutien de l’establishment usaméricain de la défense et devait permettre à NSO d’être retiré de la liste noire, a-t-on laissé entendre à l’époque.

Des rapports ont également révélé que les organismes de défense usaméricains avaient eux-mêmes acheté une version de Pegasus, allant jusqu’à l’offrir à Djibouti dans le cadre du soutien US à ce pays. Le décret de la Maison Blanche interdisant aux organismes usaméricains d’utiliser des logiciels espions tels que Pegasus, ont noté les experts à l’époque, était formulé de manière à permettre aux USA de continuer à produire, à vendre et même à utiliser ces technologies eux-mêmes.

Complexe militaro-industriel cybernétique

En fait, L3Harris fait partie d’une poignée d’entreprises de défense usaméricaines qui disposent de leurs propres unités cybernétiques offensives, et des sources affirment qu’il s’agit là de la véritable toile de fond de la montée en puissance d’entreprises telles que Defense Prime.

Les origines de Defense Prime remontent à un fonds de capital-risque usaméricain et aux deux entrepreneurs israéliens - dont l’un est un ancien de l’appareil de défense israélien. Le fonds lui-même n’est pas lié à la nouvelle entreprise, mais cette dernière est née d’une tentative antérieure du fonds d’entrer sur le marché de la cybernétique, avec le soutien d’une liste de hauts responsables des services de renseignement et de la défense. Ces derniers allaient de l’ancien chef de la National Security Agency, Keith Alexander, un général quatre étoiles à la retraite, à des responsables de l’unité de renseignement militaire israélienne 8200 et du Mossad, ainsi que des services de renseignement allemands. Comme indiqué, le fonds n’est pas impliqué dans la nouvelle entreprise, et on ne sait pas combien de ces fonctionnaires, s’il y en a, ont quitté la société de capital-risque et se sont impliqués dans le projet.

Dans le même temps, des entreprises telles que L3Harris et Raytheon, comme l’a constaté Haaretz, recrutent activement pour des postes aux capacités clairement offensives. Qu’il s’agisse de “chercheurs en exploitation de failles” ou d’experts en recherche ou en criminalistique sur iOs ou Android, les travailleurs sont recherchés par les entreprises de défense usaméricaines, qui ont toutes deux conclu des contrats avec des organismes officiels US pour différentes formes de cybercriminalité. Il en va de même pour General Dynamics, l’une des cinq plus grandes entreprises de défense usaméricaines.

CACI, une autre entreprise usaméricaine spécialisée dans la sécurité intérieure et les drones, se targue également de “capacités cybernétiques offensives contre les plateformes adverses”. L’entreprise est actuellement à la recherche d’une personne ayant des compétences en « criminalistique informatique / criminalistique d’appareils mobiles... analyse et méthodologies d’intrusion par rétro-ingénierie, analyse des renseignements et évaluation des vulnérabilités ». Leidos et une autre société appelée ManTech sont également de plus en plus actives dans ce domaine, selon des sources et des offres d’emploi. Ensemble, ces entreprises permettent à l’USAmérique de bénéficier d’une cyberindustrie militaire en plein essor.

L’entreprise italienne Data Flow est un bon exemple de cette tendance. Elle s’occupe directement des exploitations de failles (et non des logiciels espions) et a récemment décidé d’ouvrir une boutique aux USA, signe de la nouvelle centralité du marché usaméricain. L’entreprise, qui, selon son site ouèbe, recrute actuellement un chercheur en exploitation de failles pour iPhone et Android, compte également un Israélien senior qui a quitté un poste similaire dans une entreprise israélienne l’année dernière.

Ce n’est pas la première fois que de grosses sommes d’argent tentent d’attirer les talents israéliens. Toutefois, selon certaines sources, lorsque la société Dark Matter, soutenue par les Émirats arabes unis, a tenté d’attirer des pirates informatiques israéliens et usaméricains en leur offrant des salaires mirobolants (jusqu’à 1 million de dollars par an, selon les rumeurs), les établissements de défense usaméricains et israéliens ont pu tirer la sonnette d’alarme. Lorsque des entreprises usaméricaines et européennes font de même, Israël est impuissant. En effet, pendant des années, Israël a évité d’appliquer ses lois sur les exportations de défense aux personnes et aux capacités techniques, se contentant de réglementer la vente de technologies défensives ou militaires.

« Nous ne sommes pas en Corée du Nord, vous ne pouvez pas dire aux gens où ils doivent vivre et avec qui ils doivent travailler », déclare un haut fonctionnaire du secteur qui a perdu du personnel au cours des derniers mois. « Si quelqu’un préfère vivre et travailler à Washington ou en Espagne, c’est son droit ».

Les sources des différentes entreprises indiquent qu’avec la crise - et le climat politique en Israël qui pousse de nombreux Israéliens à envisager de quitter le pays - elles ont du mal à retenir les talents. Outre la menace usaméricaine, elles notent également que les entreprises israéliennes qui opèrent depuis longtemps en dehors d’Israël en récoltent également les fruits, et pas seulement en termes de talents.

À titre d’exemple, ils citent la société Intellexa, détenue et dirigée par deux anciens hauts responsables des services de renseignement israéliens, qui a été impliquée dans une série de controverses au cours de l’année écoulée. Elle a remporté un certain nombre de contrats lucratifs que des entreprises israéliennes ont été contraintes de refuser pour des raisons de réglementation et de respect des droits humains. Ils notent également l’existence de deux nouvelles cyber-entreprises à Singapour, liées à Rami Ben Efraim, ancien haut commandant de l’armée de l’air israélienne, qui a été attaché militaire dans ce pays d’Asie du Sud-Est et qui travaille désormais dans le secteur privé.

« Israël et les entreprises israéliennes ont toujours pu concurrencer celles qui essayaient d’opérer dans le dos du ministère israélien de la Défense et en dehors de son champ de compétence réglementaire », a déclaré une source. « Mais c’était à l’époque où l’industrie locale était vivante et dynamique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ».

Defense Prime et le ministère de la Défense israélien, sollicités, n’ont pas répondu à cet article.


Seth - Hacker Rat, par TheLivingShadow

26/10/2022

YOSSI MELMAN
L'opération en Malaisie montre le recours croissant à l'externalisation par le Mossad

Yossi Melman, Haaretz, 25/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Jusqu'à présent, le Mossad ne s'est écarté de ses méthodes d'opérations spéciales qu'à l'égard de l'Iran. Exploiter une cellule malaisienne pour enlever un expert en informatique palestinien serait un changement pour la « brigade internationale » de l'agence

L'arrestation de ressortissants malaisiens qui, selon des informations locales, ont enlevé un homme de Gaza à Kuala Lumpur au nom du Mossad en septembre et l'ont interrogé sur ses liens avec la branche armée du Hamas, est une erreur embarrassante qui pourrait affecter les plans et les futures opérations d'espionnage israéliennes en Asie du Sud-Est.

Cette affaire a attiré beaucoup d'attention en Malaisie. Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette info. La première, et la plus importante, est que l'opération est apparemment une expansion du recours à l'externalisation [outsourcing] par le Mossad.

Si, dans un passé récent, l'agence a utilisé des agents étrangers principalement pour recueillir des informations et seulement rarement pour des opérations spéciales – la plupart des actions « difficiles » et violentes étant aussi « bleues et blanches » que le drapeau israélien – dans ce cas, des Malaisiens ont apparemment été embauchés pour une opération locale d'enlèvement et d'interrogatoire.

Il s'agit d'un détail important, car jusqu'à présent, il a été signalé que le Mossad ne s'écartait de ses méthodes de fonctionnement et de recrutement que dans le cas de l'Iran.

Le chef du Mossad de l'époque, Yossi Cohen, a laissé entendre en juin 2021, dans une interview d'adieu à l'émission de télévision d'investigation israélienne « Uvda », que des agents étrangers opéraient en Iran pour le Mossad dans son opération de vol des archives nucléaires de Téhéran. Cependant, des informations étrangères ont également attribué des actes de sabotage et des assassinats dans la République islamique au Mossad.

On peut supposer que cette « brigade internationale » subit une formation approfondie, et que les experts du Mossad leur enseignent les secrets de la profession – mais à un niveau inférieur à celui des agents israéliens.

La rigueur du « travail israélien » n'est pas seulement une question de fierté nationale. Le Mossad traitait toujours avec respect les agents étrangers qu'il recrutait ou exploitait, et ne les voyait jamais comme des « traîtres » ou des « mouchards ». De grands efforts ont été déployés pour les convaincre d'être motivés à travailler pour Israël en raison de valeurs, d'intérêts et d'idéologies communs, ainsi que pour établir des liens de fraternité et de solidarité, et non pour exploiter leurs faiblesses. La communauté du renseignement n'a jamais aimé le terme « shtinker » [“puant”, collaborateur, informateur, importé en hébreu israélien de l’allemand stinken, puer, NdT] )pour décrire ses agents étrangers.

D'un autre côté, il est tout à fait logique de compter sur des étrangers dans des États ennemis ou hostiles. La principale considération ici, bien sûr, est de minimiser le risque de capture pour les Israéliens opérant sous des identités étrangères, avec la peine de mort ou d'emprisonnement prolongée que cela impliquerait. De là, il n’y a qu’un pas au recrutement de mercenaires. Le hic est que quelqu'un qui s'enrôle pour une poignée de dollars est susceptible de devenir agent double et d'aller travailler pour l'adversaire si celui-ci paie plus.

En outre, l'utilisation d'étrangers dans des opérations complexes réduit les capacités du Mossad et entrave la pleine exploitation de son potentiel technologique et humain – en raison de la nécessité de ne pas révéler des moyens et des méthodes de fonctionnement avancés à ceux dont la loyauté peut être mise en cause.

Fonctionnement similaire

Selon les médias malaisiens, le Palestinien qui a été enlevé et interrogé est un expert en informatique qui peut pirater des smartphones et est soupçonné de travailler pour le département de cyber-guerre du Hamas.

Toujours sur la base de ces infos, il y a environ quatre ans, le Mossad a recruté une femme locale dans la trentaine, qui a été formée en tant qu'enquêteur privé et en renseignements commerciaaux. On peut supposer que les recruteurs se sont présentés à elle comme les propriétaires d'une entreprise et lui ont offert un emploi – dans ce qui est connu comme « recrutement sous un drapeau étranger ». Selon les infos, elle a ensuite été envoyée en Europe pour y suivre une formation complémentaire.

Pour l'enlèvement, qui aurait eu lieu à 22 h le 28 septembre près des tours Petronas dans la capitale Kuala Lumpur, la femme a recruté 11 personnes localement. La tentative d'enlèvement a été faite lorsque le Palestinien est monté dans la voiture avec un autre programmeur informatique palestinien, mais n'a été que partiellement réussie : la cellule a réussi à attraper un seul d'entre eux dans la voiture, selon les infos locales. Le second s'est rendu à un poste de police dans un délai de 40 minutes et a déposé une plainte.

Selon les rapports, la personne enlevée a été emmenée dans une cabane éloignée, battue et interrogée sur vidéo par deux Israéliens au sujet de ses activités pour le Hamas. Dans de tels cas, les agents du Mossad sont responsables de l'opération tandis que le service de sécurité de Shin Bet est responsable de l'interrogatoire.

La police et les services de sécurité malaisiens ont agi efficacement. Selon les rapports, ils ont localisé la cabane dans les 24 heures, l'ont perquisitionnée, ont libéré la personne enlevée et ont arrêté les personnes impliquées.

Al Jazeera a cité une « source malaisienne bien informée » disant qu'une enquête avait « découvert une cellule du Mossad » dans le pays qui était impliquée dans l'espionnage de sites importants, y compris les aéroports, et qui cherchait à « pénétrer les entreprises électroniques gouvernementales ». La source a également déclaré que deux membres du Hamas avaient quitté la Malaisie immédiatement après l'incident.

Il est clair que si les ravisseurs l'avaient désiré, ils auraient tué la personne enlevée. Cependant, il semble que leur objectif était de l'interroger sur ses compétences et ses connexions, et sur les plans du Hamas.

Il y a quelques mois, il y a eu une opération similaire attribuée au Mossad dans laquelle des inconnus ont enlevé un agent des Gardiens de la Révolution en Iran, l'ont amené en Israël pour l'interroger et l'ont ensuite relâché. Certaines parties de l'interrogatoire ont été divulguées à la chaîne d'opposition londonienne Iran International, considérée comme un porte-voix du Mossad.

La Malaisie est un pays à majorité musulmane qui n'entretient pas de relations diplomatiques avec Israël. Ses dirigeants ont souvent fait des déclarations antisémites [sic], mais on a signalé de légers changements d'attitude ces dernières années. Des touristes de Malaisie se sont rendus en Israël ; des diplomates et des hommes d'affaires israéliens ont rencontré leurs homologues malaisiens ; et certains liens commerciaux se développent également entre les pays. Par le passé, il a également été rapporté que le Mossad avait essayé d'établir des liens avec les services de sécurité malaisiens, mais qu'il avait reçu une fin de non-recevoir.

En même temps, un nombre relativement important de Palestiniens étudient en Malaisie, principalement dans les domaines de la science, de l'informatique et de l'ingénierie – offrant ainsi une réserve potentielle pour le Hamas afin d'améliorer ses capacités dans des domaines tels que les roquettes, les missiles, les drones et la cyber-guerre. Dans le passé, le Shin Bet révélait que des militants du Hamas pratiquait du parapente en Malaisie.

En outre, selon des informations étrangères, c'est là que des membres du Mossad ont assassiné Fadi al-Batsh, un ingénieur électrique palestinien de Gaza qui appartenait au Hamas. Deux inconnus à moto l'ont abattu alors qu'il se rendait à une mosquée locale en avril 2018 – la même année où, selon les rapports, le Mossad a recruté la femme qui était à la tête de la cellule qui a effectué la dernière opération à Kuala Lumpur. Le Hamas a affirmé en janvier dernier avoir arrêté un suspect dans l'assassinat d'al-Batsh.

Aussi embarrassantes soient-elles, les erreurs du type de celles qui se seraient produites en Malaisie portent atteinte à la réputation du Mossad mais constituent un danger professionnel. Lorsqu'un tel événement se produit, des protocoles d'urgence visant à minimiser les dommages et à couvrir les pistes sont activés immédiatement – y compris l'annulation d'opérations similaires en Malaisie ou dans les pays voisins. En d'autres termes, plusieurs années de travail et d'investissements considérables passent à la trappe. [les pauvres, on est bien tristes pour eux, NdT]

Le Cabinet du Premier Ministre, dont relève le Mossad, a refusé de commenter cette affaire.

Deux sons de cloche



03/10/2022

YOSSI MELMAN/MOSHE SHAVERDI
Les fatidiques 48 heures du Mossad avant la guerre du Yom Kippour (Octobre 1973)

 Yossi Melman & Moshe Shaverdi, Haaretz, 29/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yossi Melman (Pologne, 1950) est un écrivain et journaliste d'investigation israélien. Il est chargé du renseignement et des affaires stratégiques au quotidien Haaretz. Bibliographie. @yossi_melman

Moshe Shaverdi est un chercheur indépendant qui étudie la guerre du Yom Kippour.

Un groupe d'anciens agents du Mossad a décidé de vérifier si des informations cruciales sur la guerre imminente auraient pu être obtenues plus tôt

Récemment, certains membres d'Agmon, une organisation d'anciens membres et retraités du Mossad, ont décidé d'examiner les actions du Mossad dans les années précédant la guerre de Yom Kippour en octobre 1973. Leur initiative n'est pas officielle mais a reçu la bénédiction du chef du Mossad, David Barnea.


« Dubi », dont le nom complet est secret conformément aux instructions du Mossad. Photo : Yossi Melman

L'idée n'est pas d'absoudre le chef du renseignement militaire de l'époque, Eli Zeira, pour ses échecs et la faiblesse des renseignements (comme l'a établi la Commission Agranat, qui a examiné le manque de préparation d'Israël à la guerre, ce qui a conduit à la démission de Zeira). C'était simplement pour examiner la conduite du Mossad et de Zvi Zamir, le chef du Mossad à l'époque.

Les personnes à l'origine de l'initiative ont demandé à « Dubi », dont le nom complet est secret, conformément aux instructions du Mossad, le seul officier responsable de l'affaire qui a manipulé l'agent du Mossad, le Dr Ashraf Marwan, pendant 28 ans, de rejoindre leurs rangs. Il a refusé, invoquant des raisons personnelles.


Ashraf Marwan a épousé Mona, la fille de Gamal Abdel Nasser, en 1966

Marwan est considéré comme l'agent de haute qualité le plus important que le Mossad ait eu dans les années précédant la guerre du Yom Kippour. Chimiste de profession, il avait étudié dans une université britannique et épousé la fille du président égyptien Gamal Abdel Nasser, après la mort duquel il devint un conseiller proche du successeur de Nasser, Anouar Sadate. Par la suite, il devint un riche homme d'affaires qui vendait, entre autres, des armes.


Le protocole original, écrit à la main en hébreu par "Dubi" après sa rencontre dramatique avec Ashraf Marwan à Londres à la veille de la guerre du Yom Kippour en octobre 1973.

Protocole top secret

De 23h45 le 05/10/73 à 02h00 le 06/10/73

Rencontre entre le Chef du Mossad, Ranak (nom de code de Dubi l'agent en charge, l'Ange (nom de code d'Ashraf Marwan) sur la place ... (supprimé par la censure)

Écrit par Ranak

Q. Ce qui s'est passé avec vous après que nous ayons empêché l'attaque terroriste sur la place… (supprimé par la censure) (il s'agit de l'attaque déjouée à Rome quelques mois plus tôt, préparée par des combattants de l'OLP, dans l'intention d’ abattre un avion El-Al)

R. « Tout va bien. Nous avons eu de longues conversations et nous sommes finalement arrivés à la conclusion que l'équipe frappée (les terroristes) s'était comportée de manière inappropriée et qu'il y avait trop de personnes impliquées dans l'opération. Mais parlons de la guerre.

Q. Qu'en est-il de la guerre ?

R. Il y a 99% de chances que la guerre commence demain samedi.

Q. Pourquoi demain ?

R. Parce que c'était décidé. C'est vos vacances.

Q Comment la guerre commencera-t-elle ?

R. Elle commencera simultanément de deux côtés, l'égyptien et le syrien.

Q ; C’était quoi l’idée ? C'était décidé il y a six mois. Chaque armée avait au moins deux divisions. Les deux ont été transférées au front la semaine dernière. Sadate a pris une décision le 25 septembre sur la date de la guerre, mais il ne le dit à personne. Plus tard, il a demandé à préparer son quartier général au palais Al Taha et c'est là que j'ai compris qu'il était sérieux. Le 29 septembre, Sadate a convoqué son conseil national de sécurité pour une réunion secrète et les a informés de sa décision de déclencher bientôt la guerre. Il n'a pas dit à quelle date. Les membres du conseil, tous ses employés, étaient d'accord et personne ne s'y est opposé… »