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29/02/2024

DEMOCRACY NOW!
Vie et mort d'Aaron Bushnell : Un aviateur US s'immole pour protester contre le soutien des USA à Israël dans la bande de Gaza
Entretien avec Levi Pierpoint et Ann Wright

Democracy Now!, 28/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Invités

  •     Levi Pierpont, ancien membre de l'armée de l'air US, objecteur de conscience et ami d'Aaron Bushnell.
  •     Ann Wright,colonelle de l'armée US à la retraite et ancienne fonctionnaire du département d'État US.

Dans un acte qui a capté l'attention du monde entier, Aaron Bushnell, un membre actif de l'armée de l'air US âgé de 25 ans, s'est immolé par le feu devant l'ambassade d'Israël à Washington dimanche pour protester contre l'assaut d'Israël sur Gaza et le soutien des USA à la campagne militaire. Bushnell, qui a diffusé son action en direct, a déclaré : « Je ne serai plus complice d'un génocide », avant de s'immoler par le feu et de crier à plusieurs reprises « Palestine libre » alors qu'il était englouti par les flammes. Il a été déclaré mort à l'hôpital plus tard dans la journée. Democracy Now ! s'entretient avec l'ami de Bushnell et objecteur de conscience Levi Pierpont, qui affirme que la mort de son ami n'était pas un suicide mais qu'il s'agissait d'utiliser sa vie pour envoyer un message en faveur de la justice. « Nous devons honorer le message qu'il a laissé », déclare Pierpont, qui affirme que Bushnell est mort « pour attirer l'attention des gens sur le génocide qui se déroule en Palestine ». Ann Wright, colonelle de l'armée US à la retraite et ancienne diplomate, retrace l'histoire de l'auto-immolation pour protester contre la guerre et explique comment l'acte de Bushnell pourrait avoir un impact sur la politique usaméricaine dans le cadre de la guerre contre Gaza. « C'était un acte de courage, un acte de bravoure, pour attirer l'attention sur la politique des USA », déclare Mme Wright, qui apporte son soutien à Pierpont et à d'autres anciens combattants qui militent pour la paix, en direct à l'antenne.

Transcription

 AMY GOODMAN : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman à New York, avec Juan González à Chicago.

Un avertissement à notre public : Cette séquence contient des images et des descriptions graphiques.

Le matin du 25 février, Aaron Bushnell, un membre actif de l'armée de l'air US âgé de 25 ans, a publié sur Facebook un lien vers le service de diffusion de vidéos en direct Twitch avec une légende qui disait, je cite : « Beaucoup d'entre nous aiment se demander : “Qu'est-ce que je ferais si vivais pendant l'esclavage ? Ou du temps de Jim Crow dans le Sud ? Ou de l'apartheid ? Que ferais-je si mon pays était en train de commettre un génocide ? La réponse est que vous êtes en train de le faire. En ce moment même » a-t-il écrit.

Aaron Bushnell a ensuite envoyé à un ami une copie de son testament, qu'il avait préparé quelques jours auparavant. Il y confie son chat à son voisin pour qu'il en prenne soin. Quelques heures plus tard, peu avant 13 heures (heure locale), Aaron Bushnell s'est dirigé vers l'ambassade d'Israël à Washington, portant son uniforme de l'armée de l'air. Il a lancé la retransmission en direct sur son téléphone et s'est exprimé alors qu'il s'approchait des portes de l'ambassade.

    AARON BUSHNELL : Je suis un membre actif de l'armée de l'air des USA et je ne serai plus complice d'un génocide. Je suis sur le point de m'engager dans un acte de protestation extrême, mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine des mains de leurs colonisateurs, ce n'est pas du tout extrême. C'est ce que notre classe dirigeante a décidé de considérer comme normal. »

AMY GOODMAN : Aaron Bushnell a ensuite posé son téléphone par terre, s'est placé devant la porte de l'ambassade d'Israël et s'est aspergé d'un liquide, avant de s'immoler par le feu. Il a crié plusieurs fois « Palestine libre » alors qu'il était consumé par les flammes. Ce sont ses derniers mots.

On peut voir un agent [de sécurité de ‘lambassade] arrivé sur les lieux brandir une arme et la pointer sur Aaron Bushnell alors qu'il brûle vif et s'effondre sur le sol. Un policier l'asperge avec un extincteur. Alors que l’agent continue de pointer son arme sur Aaron, le policier lui crie, je cite, « Je n'ai pas besoin d'armes. J'ai besoin d'un extincteur. »

Aaron Bushnell a été transporté dans un hôpital voisin et son décès a été constaté quelques heures plus tard. Son acte extrême de protestation contre l'assaut d'Israël sur Gaza a fait la une des journaux du monde entier. Des veillées ont été organisées en son honneur à Washington, ici à New York, à San Antonio, au Texas, à Portland et ailleurs.

Ali Abunimah, fondateur de The Electronic Intifada, a écrit sur les réseaux sociaux, je cite : « Aaron Bushnell a donné sa vie pour que l'Amérique entende son message : Mettez fin au génocide. Il a continué à appeler "Palestine libre" malgré une douleur intense et horrible. Il a donné sa vie pour que les habitants de Gaza puissent vivre. Il n'y a pas de plus grand amour que celui-là. J'éprouve de la tristesse et de l'admiration pour cet être humain », a écrit Abunimah.

Pour en savoir plus, nous sommes rejoints par deux invités. Ann Wright, ancienne colonelle et ancienne diplomate usaméricaine, a passé 29 ans dans l'armée US et dans la réserve. En mars 2003, elle a démissionné. Elle a depuis travaillé avec les groupes anti-guerre CodePink et Veterans for Peace. Elle est co-auteure de Dissent : Voices of Conscience. Son nouvel essai sur Common Dreams s'intitule « Pourquoi quelqu'un se tuerait-il pour arrêter une guerre ? À propos d'Aaron Bushnell et d'autres » Elle nous rejoint depuis Hawaï. Elle a démissionné en 2003 à cause de la guerre en Irak. Levi Pierpont, un ami d'Aaron Bushnell, nous rejoint depuis Southfield, dans le Michigan. Ils se sont rencontrés lors de l'entraînement de base à la base aérienne de Lackland à San Antonio, au Texas, en mai 2020. Levi est ensuite devenu objecteur de conscience.

Nous vous souhaitons à tous deux la bienvenue à Democracy Now ! C'est une rubrique très difficile à réaliser. Levi, nous voulons commencer par vous. Vous étiez un ami d'Aaron. Parlez-nous de lui, puis dites-nous quand vous avez appris ce qui s'était passé. Racontez-nous votre rencontre, votre décision de devenir objecteur de conscience - lui est resté dans l'armée - et ce que vous avez compris de ce qui s'est passé ce week-end.

LEVI PIERPONT : Oui. J'ai rencontré Aaron Bushnell lors de l'entraînement de base. Et dès le premier jour où je l'ai rencontré, j'ai vu qu'il était vraiment gentil. J'ai très vite compris qu'il avait un sens aigu de la justice. Nous sommes devenus amis. Et chaque fois que les gens à l'entraînement de base parlaient de moi ou de lui, nous prenions la défense l'un de l'autre. Et il m'a toujours défendu.

J'ai fini par être libéré en tant qu'objecteur de conscience. Nous nous sommes parlé tout au long de ce processus. Au moment où j'ai commencé à avancer dans le processus et à approcher de sa fin - je suis sorti en juillet 2023 - il a estimé qu'il était déjà suffisamment proche de sa propre date de fin pour décider de ne pas suivre le même chemin. Je l'ai compris, car le processus d'objection de conscience peut durer plus d'un an. Je savais donc qu'il était toujours dans le coup.

Il est ensuite allé faire SkillBridge [Pont de talents, programme de formation professionnelle de l'armée, NdT] dans l'Ohio, et c'est là que je l'ai rencontré à Toledo, le 5 janvier. C'était la première fois que je le voyais depuis l'entraînement de base. Et c'est malheureusement la dernière fois que je l'ai vu. Et, bien sûr, vous savez, l'autre jour, j'ai appris ce qui s'était passé. Donc, oui.

AMY GOODMAN : Nous vous présentons nos plus sincères condoléances, Levi. Quand vous avez appris, avez-vous d'abord entendu qu'un homme s'était auto-immolé, puis qu'il s'agissait d'Aaron ?

LEVI PIERPONT : Oui. Je venais de voir les gros titres. Je ne pense pas avoir cliqué sur l'un d'entre eux pour lire quoi que ce soit. Et oui, lundi, une amie m'a contacté, et elle savait que j'avais été objecteur de conscience, que j'avais été dans l'armée de l'air, et qu'elle savait que l'histoire en général pourrait être difficile pour moi. Elle ne savait pas que je le connaissais. Et c'est elle qui m'a finalement envoyé son nom par SMS. J'ai immédiatement craqué, je l'ai appelée et je lui ai dit : « C'était mon ami. Je suis allé à l'entraînement de base avec lui. » Et elle m'a réconforté. Et j'ai repensé à toutes les conversations que nous avions eues. J'ai revu le dernier SMS que j'ai reçu de lui. Et j'ai pleuré.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Levi, dans ces conversations, avez-vous eu une idée de la raison pour laquelle Aaron a décidé de s'engager dans l'armée et de l'évolution de son point de vue sur l'armée usaméricaine ?

LEVI PIERPONT : Oui. Je sais que lorsque nous avons parlé pour la première fois, nous avions les mêmes objectifs et les mêmes intérêts pour l'armée. Nous voulions en quelque sorte sortir de notre bulle, découvrir les USA, le monde, rencontrer des gens d'autres horizons. Je me souviens donc que lorsque nous avons tous deux appris où nous serions stationnés, c'était un peu ironique. J'ai appris que j'allais être stationné à la base aérienne de Minot, et il a appris qu'il allait retourner à Lackland, où nous avIons suivi notre entraînement de base. Nous avons donc tous les deux eu le sentiment que nous allions peut-être explorer un peu moins de choses que ce que nous pensions, mais que nous étions prêts pour notre carrière.

Et je sais qu'au fil des ans, nous avons tous les deux changé d'avis sur la guerre, en grande partie à cause de ce que nous avons vu dans l'armée, en grande partie à cause des choses que nous avons apprises parce que nous en faisions partie. Et je sais que lui et moi avons été encouragés par des personnes sur YouTube qui réalisaient des vidéos sur les mouvements de justice sociale aux USA ;

JUAN GONZÁLEZ : J'aimerais inviter Ann Wright à participer à la conversation. Sur la question des auto-immolations, nous en avons déjà eu deux pour protester contre la guerre à Gaza. Mais vous avez fait remarquer que pendant la guerre du Viêt Nam, pas moins de cinq USAméricains se sont auto-immolés pour protester contre l'engagement des USA au Viêt Nam. Pourriez-vous nous en parler ? Vous avez récemment écrit à ce sujet pour Common Dreams.

ANN WRIGHT : Oui. C'est une situation triste, c'est certain. Nous sommes de tout cœur avec la famille et les amis d'Aaron.

De même, il y a presque 60 ans, en 1965, alors que la guerre du Vietnam commençait, une femme quaker de 82 ans, Alice Herz, s'est suicidée par auto-immolation, suivie environ six mois plus tard par un autre quaker, Norman Morrison, de Baltimore, qui s'est rendu au Pentagone et s'est immolé par le feu, sans savoir que l'endroit qu'il avait choisi au Pentagone se trouvait juste en dessous du bureau du secrétaire à la défense McNamara. Apparemment, son auto-immolation a eu un effet important sur McNamara, bien qu'il n'ait pas arrêté la guerre dans un premier temps, mais elle a eu un effet sur lui personnellement et sur sa famille. Puis un jeune homme à San … - ou plutôt, d'abord à New York, sur la place des Nations unies. Donc, oui, il y a eu cinq personnes qui se sont immolées par le feu à cause d'une décision politique des USA d'entrer en guerre.

Et maintenant, nous avons - vous savez, 60 ans plus tard, nous avons deux personnes en moins de trois mois qui ont fait le même acte, je dirais, courageux de se suicider pour attirer l'attention du public usaméricain et du monde sur ce dont les USA sont complices, c'est-à-dire le génocide israélien et le génocide usaméricain des Palestiniens à Gaza.

AMY GOODMAN : Je voulais juste passer en revue quelques autres exemples historiques qui ont provoqué des ondes de choc dans de multiples conflits. Vous avez Thich Quang Duc, un moine qui a attiré l'attention sur le traitement des bouddhistes vietnamiens par le gouvernement ; puis Mohamed Bouazizi en Tunisie, qui a déclenché le printemps arabe en s'immolant par le feu - c'était avant l'Égypte, et cela a déclenché le soulèvement en Tunisie ; Malachi Ritscher, un musicien qui a appelé à la fin de l'invasion usaméricaine de l'Irak. Un manifestant pro-palestinien s'est également immolé devant le consulat d'Israël à Atlanta en décembre, mais nous ne connaissons pas son nom. Cet événement n'a pratiquement pas attiré l'attention.

Et il y a eu tout un débat dans les médias en ce moment, ceux qui en parlent comme - ne veulent même pas en parler. Je veux dire, je pense qu'au début, des journaux comme le New York Times n'ont même pas rapporté qu'il avait dit « Palestine libre », et d'autres médias non plus. Puis, au fil du temps, ils ont parlé de ce qui s'était passé. Mais toute la question d'entrer dans un débat sur la maladie mentale et de ne pas vouloir encourager quelque chose comme ça alors que vous entendez quelqu'un comme Ali Abunimah parler de l'incroyable bravoure d'Aaron, qu'en pensez-vous ?

ANN WRIGHT : Eh bien, c'est incroyablement courageux. Et une personne - eh bien, il n'y a aucune preuve qu'Aaron souffrait d'une quelconque maladie mentale. C'était une personne très consciencieuse qui voyait ce que les USA faisaient dans le cadre de son poste au sein de l'armée usaméricaine. On pourrait dire qu'il n'est pas le premier à se suicider à cause de ce que font les USA. Chaque jour, 22 vétérans se suicident à cause de ce qu'ils ont fait dans l'armée usaméricaine. Ce qu'a fait Aaron est donc très, très courageux. Je ne peux pas m'imaginer franchir ce pas. C'était un acte de courage, un acte de bravoure, pour attirer l'attention sur les politiques usaméricaines.

JUAN GONZÁLEZ : Levi Pierpont, je voulais vous demander - vous avez grandi en tant que chrétien évangélique. Aaron Bushnell a assisté à des services religieux catholiques pendant son entraînement de base. Comment pensez-vous que ses opinions religieuses ont influencé ses croyances et, en fin de compte, son action ?

LEVI PIERPONT : Je pense qu'en fin de compte, au moment où il a fait ce qu'il a fait, il ne s'identifiait à aucune religion en particulier. Mais je sais que pour moi, même si je suis plus agnostique que je ne l'ai été en grandissant, mes racines évangéliques m'influencent toujours. Elles influencent mon sens de la justice. Et elles m'ont dit, dès mon plus jeune âge, qu'il fallait défendre ses convictions. J'imagine que c'était la même chose pour Aaron. Ainsi, même si je ne crois pas qu'il croyait encore à la foi catholique au moment de sa mort, je sais que cette éducation a eu un impact profond sur lui, et je suis sûr qu'elle a influencé son sens de la justice.

AMY GOODMAN : Levi Pierpont, Aaron vivait à San Antonio, où se trouve la base de Lackland. Il faisait beaucoup de travail d'entraide avec des sans-abri, il était très connu dans ces campements. Comment voulez-vous que nous nous souvenions de lui, en pensant à lui ces derniers jours, à ce dont vous parlez dans les veillées et avec vos amis ?

LEVI PIERPONT : Je veux que les gens se souviennent que sa mort n'est pas vaine, qu'il est mort pour mettre en avant ce message. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre meure de cette façon. S'il m'avait posé la question, je l'aurais supplié de ne pas le faire. J'aurais fait tout ce que j'aurais pu pour l'en empêcher. Mais, de toute évidence, nous ne pouvons pas le ramener. Et nous devons honorer le message qu'il a laissé. Je lui aurais dit que ce n'était pas nécessaire pour faire passer le message. Je lui aurais dit qu'il y avait d'autres moyens. Mais en voyant la façon dont les médias réagissent maintenant, maintenant que cela s'est produit, il est difficile de ne pas penser qu'il avait raison, que c'était exactement ce qu'il fallait pour attirer l'attention des gens sur le génocide qui se produit en Palestine. Je veux que les gens se souviennent de son message.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Ann Wright, quel est votre sentiment sur la façon dont le mouvement ici dans ce pays pour arrêter cette guerre génocidaire à Gaza s'est construit, et ce que le sacrifice d'Aaron Bushnell peut contribuer à cela ?

ANN WRIGHT : Eh bien, c'est un mouvement énorme, énorme. Et l'administration Biden doit le reconnaître, comme l'ont dit les invités précédents. Je veux dire que les électeurs leur adressent un message. Il s'agit d'un mouvement massif de jeunes, de personnes de toutes les religions, qui disent, quel que soit leur confession religieuse, que cette tuerie est condamnable. Il faut y mettre fin.

Et je dirais à Levi, vous savez, nous avons des vétérans pour la paix, et nous avons About Face, des organisations d'anciens combattants qui aimeraient vous offrir leur soutien, parce que c'est dur, vraiment dur. Mais c'est pour le peuple de Gaza, le peuple de Palestine, que nous faisons cela, pour mettre fin à ces politiques horribles, horribles, que notre pays mène actuellement. Le meurtre d'innocents pour les USA et pour Israël doit cesser. Et cessez le feu maintenant.

AMY GOODMAN : Ann, je crois savoir qu'une flottille pour Gaza est en train de s'organiser. Nous n'avons que 30 secondes. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?

ANN WRIGHT : Oui. Nous devons agir. Je veux dire qu'en ce moment, il y a beaucoup de discussions. Des camions sont bloqués dans tout le nord de l'Égypte. Et notre mouvement pour la flottille de Gaza, nous allons bientôt faire quelque chose. Et nous vous tiendrons tous au courant - pardonnez-moi - dès que nous aurons les plans pour défier à nouveau le blocus naval israélien de Gaza.

AMY GOODMAN : Et savez-vous, Levi, puisqu'il ne nous reste que 10-15 secondes, si Aaron aurait qualifié cela de suicide ?

LEVI PIERPONT : Non, absolument pas.

AMY GOODMAN : Expliquez.

LEVI PIERPONT : C'était - il n'avait pas de pensées de suicide. Il pensait à la justice. C'est de cela qu'il s'agissait. Il ne s'agissait pas de sa vie. Il s'agissait d'utiliser sa vie pour envoyer un message.

AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier tous les deux pour votre présence parmi nous. Levi Pierpont, ami très cher d'Aaron Bushnell, lui, Levi, est un objecteur de conscience. Et Ann Wright, vétérane de l'armée US depuis 20 ans. Amy Goodman et Juan González. Merci de nous avoir rejoints.

01/12/2021

AMIRA HASS
Une journée de notre vie comme nation d’occupants et de spoliateurs

Amira Hass, Haaretz, 30/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Avons-nous, nous, Juifs israéliens, développé une mutation dans notre matériel génétique en raison du processus prolongé et imparable de domination d'un autre peuple et d'accaparement de ses terres ? Si la pollution et les radiations provoquent des mutations, pourquoi les ordres et le pouvoir d'envahir, de détruire, de piller et de tuer qui ont été donnés au fil des ans à des masses d'Israéliens armés de 18 ans ne provoqueraient-ils pas des changements génétiques - et pas seulement psychologiques et comportementaux - en eux et, plus tard, dans leur progéniture ?

 

Prenons un jour de notre vie en tant que nation d’occupants et de spoliateurs : le 23 novembre 2021. Des dizaines de soldats et d'officiers de l'administration civile israélienne en Cisjordanie - sans compter les planificateurs, conseillers juridiques et commandants impliqués dans les coulisses - ont détruit et confisqué des habitations, des tentes, des bergeries, une route et même un futur mausolée. En une seule journée, selon B'Tselem, 22 Palestiniens de Jérusalem, des collines du sud d'Hébron et des régions de Ramallah et de Naplouse ont perdu leur maison.

À    la fin de cette journée, les membres du service ont-ils ressenti une sentiment de supériorité ? Ou une léthargie, comme après une journée de paperasserie ? De la fatigue, due à leur lever matinal ? Comment expliquer qu'eux, et des dizaines de milliers de soldats, d'officiers et de juristes avant eux, soient convaincus que ce qu'ils font est bien ?

Combien de soldats qui ont tiré sur les genoux de manifestants le long de la frontière de la plus grande prison du monde, la bande de Gaza, se réveillent dans la détresse devant l'invalidité permanente qu'ils ont causée à ces condamnés à perpétuité ? Leur indifférence à l'égard du désastre qu'ils ont infligé aux autres est-elle le résultat d'un lavage de cerveau et des mensonges que leur ont fait ingurgiter les écoles et les médias, ou ont-ils hérité de parents et de grands-parents qui ont fait la même chose ?

Ces questions me sont venues à l'esprit lorsque j'ai lu la déclaration de Nave Shabtay Levin, 17 ans, sur son intention de refuser le service militaire, même au prix d'aller en prison pour cela.

« Comme tous les enfants israéliens, j'ai été élevé sur la base d’un héritage militaire violent et raciste », a-t-il écrit. « En CE2, nous connaissions tous déjà les histoires 'héroïques' des fondateurs de l'État, comment de braves soldats avaient expulsé des gens de chez eux pour que nous puissions vivre ici à la place. ... Lorsque nous n'étudiions pas, nous jouions - nous nous déguisions en soldats, nous tenions des fusils jouets et nous prétendions être ces soldats. ... En grandissant, l'endoctrinement a grandi avec nous. Au collège, ils nous ont dit d'apprendre l'arabe. Non pas pour pouvoir parler et se lier d'amitié avec des filles de notre âge ... mais pour que, lorsque nous nous introduisions dans leurs maisons, nous puissions leur dire de rassembler leur famille dans le salon. ... Quand les gens apprennent que nous sommes au lycée, ils demandent immédiatement : "Que ferez-vous dans l'armée ?" ».

Nave et les objecteurs de conscience Shahar Perets, qui doit retourner cette semaine à la prison militaire pour la quatrième fois, et Eran Aviv, qui a été exempté du service militaire après 114 jours passés dans une prison militaire, sont-ils une mutation d'une mutation, ou le changement génétique les a-t-il ignorés ?

Ou peut-être ne s’agit-il pas de changements génétiques, mais plutôt d'une recâblage spécial de nos cerveaux due à la communication entre nos cellules nerveuses et la pratique de l'asservissement des Palestiniens ? Entre nos cellules nerveuses et le processus enivrant de la spoliation de leurs terres et de leur transmission aux Juifs ? Il n'est que raisonnable de penser que nos neurones ont été affectés pendant les décennies où nous avons développé un modèle anachronique mais sophistiqué de colonialisme de peuplement. Partout dans le monde - y compris dans les régions qui se sont construites sur la destruction de la vie des peuples indigènes par l'entreprise de colonisation et de suprématie européenne - le câblage du cerveau a changé et l'on admet les crimes horribles commis. Mais il ne faut pas oublier : la reconnaissance a été tardive. Dans bon nombre de ces États, les peuples autochtones ont été réduits démographiquement, économiquement et politiquement à de minuscules minorités en raison d'un génocide délibéré et non planifié, parallèlement à la migration massive des colons.

L'épidémie de suprématie juive devrait faire de plus en plus de victimes. Que les esprits des objecteurs de conscience ne soient pas devenus accros à la puissance ou que ces jeunes adultes soient des anticorps à l'épidémie de suprématie - pour l'avenir de cet endroit, puissent-ils se multiplier.