Affichage des articles dont le libellé est Satire. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Satire. Afficher tous les articles

25/10/2022

REINALDO SPITALETTA
Molière et le rire absolutiste
400 ans et pas une ride  

Reinaldo Spitaletta, Chapeau de magicien, El Espectador 24/10/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Contre le roi, contre le pouvoir, contre les hypocrites et les flagorneurs qui prient tout en posant leur hache sur le cou de quelqu'un qui deviendra bientôt un décollé, il ne reste plus que la folie de l'art. Il ne nous reste plus, à nous qui subissons les oppressions du seigneur féodal, du prince, du président, d’un quelconque dictateuricule, que le rire comme réconfort et comme sarbacane pour lancer des fléchettes qui, nous le savons, bien qu'empoisonnées, ne mettront pas à bas l’establishment, mais lui causeront des démangeaisons et d'autres désagréments.

Représentation du « Malade imaginaire » à Versailles, devant Louis XIV et sa cour, avec Molière en scène, à l'été 1674 (Gravure de Jean Lepautre, 1618-1682) ; Photo Josse / Bridgeman Images

Cette année a été celle de Molière, celle de ses œuvres, de ses passions, de ses personnages, de ses relations avec le pouvoir, en l'occurrence le pouvoir absolu et divin du Roi Soleil, et de tout ce qu'il a laissé derrière lui avec ses comédies, avec son rire. Les anniversaires, qu'ils soient de naissance ou de mort, dans le cas d'artistes, de scientifiques, de philosophes (pas tant ceux de politiciens) et d'autres penseurs, qu'on a aussi appelés tire-au-cul, galvaudeux,  pique-assiettes et tout autre nom d’oiseau désignant quiconque, du point de vue utilitariste, ne donne pas de plus-values, sont une occasion de passage en revue, d'apprentissage, de mémoire et d'avoir de nouvelles références.


Ce Molière, moins connu sous son nom de Jean-Baptiste Poquelin, est de nouveau sur le devant de la scène (qu’il n’a d'ailleurs jamais quittée), à l'occasion des quatre cents ans de sa naissance. Le fils du tapissier du roi revient sur les planches (dont il ne s'est jamais éloigné non plus), aux causeries et conférences, à sortir dans les journaux et à circuler de bouche à oreille, bien que ce ne soit qu'une façon de parler. On aimerait que notre vie quotidienne soit plus ouverte aux conversations sur un artiste du XVIIe siècle (rien à cirer, diront certains), dont les archétypes et les personnages continuent à donner du grain à moudre.

Ces commémorations ne manqueront pas de rappeler que Molière, avec toutes ses rigolades, était un mélancolique, en plus d’être (comme l'a signalé Harold Bloom dans sa mosaïque de cent esprits créatifs et exemplaires) un cocu éminent, qui dépendait « entièrement de la protection de Louis XIV, le Roi Soleil, dont le critère littéraire était heureusement excellent ». Et sa peur d'être toujours en train de montrer les cornes, il l'a donnée à voir dans plusieurs de ses comédies et farces, dont L'école des femmes, l'une de ses œuvres les plus célèbres.

Ces éphémérides, surtout  de quelqu'un qui connaissait les pouvoirs du rire, nous rapprochent de l'homme et de l'artiste. Ce monsieur baroque, qui a étudié avec les jésuites, est devenu avocat et a été accusé en son temps d'inceste, a dû avoir du génie pour créer près de trois cent cinquante personnages. Tant de gens, tant d'experts et de chercheurs se sont occupés de sa vie, de sa passion et de son œuvre, comme, par exemple, Julio Gómez de la Serna, traducteur et auteur d'une merveilleuse étude introductive aux Œuvres complètes de Molière, en espagnol éditées par Aguilar.

Molière, qui provoqua tant d’« aboiements dans la meute des envieux » de son époque (rappelons cette peste des envieux a été abondante à toutes les époques), est un créateur d'archétypes terribles, universels, qui sont valables là-bas comme ici. Nous sommes pleins de tartuffes, d'hypocrites et de faux dévôts, à la « double» morale(tte). Interdit après sa première, bien que sa représentation eût été jusqu'à faire mdr l'absolutiste Roi Soleil, Tartuffe a donné des boutons aux curés et autres maîtres ès-pruderie. Ah, et il va sans dire que, malgré toutes les oppositions moraloïdes, le roi a accordé de nouvelles distinctions et réajustements de pension à l'artiste qui, rappelons-le, était non seulement auteur, mais acteur et metteur en scène. Les pensions en question ne semblaient pas si faciles à payer et le scandale de Tartuffe a atteint la santé du grand comédien.

Des gens comme Voltaire, Boileau, J.J. Rousseau se sont occupés de la vie et l’œuvre de Molière, et certains autres avec des intentions malveillantes, comme ce fut le cas au début du XXe siècle avec le poète Pierre Louÿs (il déclara avec une volonté perverse de discréditer son compatriote, que Molière n'était pas l'auteur de ses œuvres, mais que c’était le grand tragédien Corneille, etc.). Molière a bu le lait de la poésie populaire médiévale, a appris l'histoire du rire dans les carnavals et autres fêtes, et dans une partie de sa vie il a été un bululú [acteur ambulant espagnol de « one man show », jouant tous les rôles, NdT] ou un ménestrel.

Avec le musicien d'origine italienne Jean-Baptiste Lully (créateur de l'opéra français et courtisan de Louis XIV), et le chorégraphe Pierre Beauchamp, Molière est l'auteur de ballets comiques, tels que Le Bourgeois gentilhomme et L'Amour médecin, entre autres. Il participe à une révolution dans la danse et le théâtre. Tout comme il a fait la satire d'autres milieux sociaux, les médecins ont eu droit à une bonne volée de bois vert. Tuberculeux, en plus d'hypocondriaque, Molière a représenté dans le dernier spectacle de sa vie le Malade imaginaire (comédie en trois actes, 1673). « Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies », dit Argan, le protagoniste de cette comédie. La légende dit que Molière est mort sur scène.