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30/08/2023

Luis E. Sabini Fernández
La philosophie est-elle nécessaire ou superflue ?
L'Uruguay est-il périphérique et subalterne ou/et tout petit et autonome ?

Luis E. Sabini Fernández, Futuros Magazine, 14/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le gouvernement de Luis Lacalle Pou prend des mesures pour réduire la présence de la philosophie dans l'enseignement secondaire et pour restreindre l'astronomie, en en faisant une matière “optionnelle”, diminuant ainsi la contribution qu'elle peut apporter à la compréhension du monde par les jeunes élèves.

Cette attaque ou ce mépris de la pensée abstraite se fonde souvent sur l'accent mis sur des matières utiles et concrètes telles que l'anglais, la technologie, l'économie et la finance. Pour que les élèves « tirent le meilleur parti de leur temps d'étude ».

 

Il s'agit d'un vieux débat de l'histoire uruguayenne, qui a certainement existé aux USA, en Europe et dans les pays asiatiques.

Ce “rappel à l’ordre” et un certain dédain pour les sujets abstraits ou sans rapport avec les besoins en matière d’emploi ont eu un curieux précédent sous la présidence du père de l'actuel président, Luis Alberto Lacalle Herrera (1990-1995). Et l'on peut penser que ce sont les mêmes puissances idéologiques qui veulent voir la jeune génération intégrée “comme il se doit” dans un monde de plus en plus high-tech.

Mais nous nous n’avons pas affaire à des considérations désintéressées, comme le proclament nos hommes politiques.

 
"Citoyen, le pays a besoin de Vous
et Vous, vous devez aller travailler.
Ne portez pas préjudice à votre pays,
Donnez -vous à fond et vous verrez
comme nous avancerons"
"Publicité" du 7 juillet 1973 de la junte issue du coup d'État du 27 juin

La critique d'une éducation prétendument intellectualiste ne cache pas que, par exemple, l’entreprise papetière UPM promeut une éducation instrumentale pour nos enfants et nos jeunes dans les zones proches de ses usines, afin que ses travailleurs puissent exécuter leurs tâches de manière experte, même s'ils manquent d'expérience de discernement, et que tout effort visant à générer une aptitude critique se dilue.

Le type de formation que le monde des entreprises transnationales exige est celui d'une main d'œuvre à leur service, certes au fait des évolutions technologiques, mais oublieuse de toute réflexion (le monde hyper-technologique de notre époque a déjà ses spécialistes pour cela, comme toute société de maîtres en a toujours eu).

La question posée par les programmes de l'enseignement secondaire est complexe. Parce que les projets humanistes, érudits et intellectuels qui ont caractérisé l'Uruguay libéral, celui de la plus grande partie du XXe siècle, n'ont pas contribué à former des jeunes capables de gérer leur propre avenir et celui de la société dans laquelle ils vivent, de l'intérieur, d'en bas. Parce que, en tant que société périphérique, notre développement s'est fait de l'extérieur et d'en haut.

Néanmoins, l'Uruguay a une histoire relativement riche de philosophie, du moins dans le concert de l'Amérique du Sud et centrale.

Peut-être même cela est-il dû à son origine : un territoire séparé d'un concert politique plus large, qui a été contraint pour des raisons géopolitiques (par les puissants de l'époque et par ses voisins) à être “indépendant” ou ”libre”, ce qui l’a obligé à générer, sinon sa propre histoire, du moins son propre chemin. Peut-être est-ce à cause du poids politique des premiers projets d'indépendance sur ce territoire ; le rêve confédéral d'Artigas, peut-être à cause des nouveaux apports qui sont tombés sur notre terre sans concertation mais avec férocité, et l'ont fécondée, comme, par exemple, les émigrations ou plutôt les refuges politiques des pré-communards parisiens de 1848 et peu après, ceux des communards parisiens de 1871. [1]  Cet apport a façonné l'Uruguay et en particulier la Montevideo du XIXe siècle, “la Nouvelle Troie*”, ce qui s'est traduit culturellement par un phénomène particulier : tout au long du XIXe siècle, il y a eu en Uruguay plus de livres édités en français qu'en espagnol.

C'est avec ce bagage culturel, totalement européaniste bien que ne s'inscrivant pas dans la matrice ibérique qui caractérise tant de nouveaux États dans les Amériques au sud du Rio Bravo, que l'Uruguay entre dans le XXe siècle et que, presque immédiatement, José Batlle y Ordóñez, fils du président Lorenzo Batlle, lance dans ce petit pays une modernisation particulière qui aura pour mot d'ordre une démocratisation unitaire, qu'il qualifiera d'institutionnelle.

Le fondateur d'une des dynasties politiques uruguayennes, pour une raison circonstancielle et fortuite, a réussi à placer le pays sur une voie unique. Une chose qui, compte tenu des origines de l'Uruguay, s'était avérée difficile. Le pays a été divisé, bicéphale, pendant une bonne partie du XIXe siècle - blancs et rouges, gouvernement de la défense et des douanes d'Oribe, unitaires partisans de l’union avec l’Argentine (aporteñados) et pro-Brésiliens (abrasilerados), docteurs contre caudillos - et la mort au combat d'Aparicio Saravia, chef armé de l'armée de miliciens du Parti national, a mis fin à la “Révolution de 1904” [la guerre civile qui opposa les colorados urbains et “modernes”  aux blancos, ruralistes, caudillistes et “traditionalistes”, qualifiés de “révolutionnaires” NdT].

 


Affiches batllistes pour l'enseignement gratuit, le vote des femmes et contre le nazifascisme. Les femmes uruguayens ont été les premières à exercer le droit de vote vote en Amérique latine, en 1927

Avec JByO, un processus de démocratisation et de sécularisation face à l'Église catholique s'est amorcé : divorce par la seule volonté de la femme, abolition des mauvais traitements infligés aux prisonniers, acceptation des revendications syndicales, abolition de la peine de mort, de la tauromachie, des combats de coqs et de nombreuses autres mesures similaires, le tout (ou presque) au cours de la première décennie du XXe siècle.


La droite classique - celle des latifundia, du crucifix et des affaires entre gentlemen - déborde de haine. Elle est contre le communisme qu'elle croit voir dans le batllisme.

Luis E. Sabini Fernández
Filosofía: ¿necesaria o prescindible?
¿Uruguay periférico y subalterno o/y pequeñito y autónomo?

Luis E. Sabini Fernández, Revista Futuros, 14-8-2023

El gobierno de Luis Lacalle Pou está tomando medidas para achicar la presencia de la filosofía en los estudios secundarios y restringir los de astronomía, convertida su asignatura en “opcional”, con lo cual se empalidecen los aportes que puedan brindar a los jóvenes estudiantes para la comprensión del mundo.



Este ataque o desprecio al pensamiento abstracto suele ampararse en la relevancia que se quiere otorgar a materias útiles y concretas, como inglés, tecnología, economía y finanzas. Para que los alumnos “aprovechen su tiempo de estudio”.

Es un debate viejo en la historia uruguaya, y por cierto tiene que haber existido en EE.UU., en Europa, en los países asiáticos.

El “llamado de atención” y cierto desdén ante materias abstractas o ajenas a las necesidades laborales, tuvo un curioso antecedente en la presidencia del padre del actual presidente. Y uno podría considerar que se trata de las mismas usinas ideológicas que quieren ver a las generaciones jóvenes integrándose “como corresponde” en un mundo cada vez más altamente tecnificado.

Pero no estamos en medio de consideraciones desinteresadas, como proclaman nuestros políticos.

La crítica a una educación presuntamente intelectualista no tiene empacho en que, por ejemplo, UPM promueva una educación de tipo instrumental para nuestros niños y jóvenes en áreas cercanas a sus plantas, para que sus operarios puedan hacer sus tareas con pericia, aunque resulten carentes de toda experiencia de discernimiento, y se diluya consiguientemente todo empeño en generar capacidad crítica.

El tipo de capacitación que el mundo de los consorcios transnacionales demanda es para una mano de obra a su servicio, seguramente al día en desarrollos tecnológicos, pero ajena a toda reflexión (para esa instancia el mundo hipertecnologizado de nuestro presente ya tiene a sus especialistas, como por otra parte toda sociedad de amos ha tenido siempre).

La cuestión planteada con los planes de estudios secundarios es compleja. Porque a su vez, los proyectos humanistas, eruditos e intelectuales que han caracterizado al Uruguay liberal, al de la mayor parte del siglo XX, tampoco han ayudado a generar jóvenes capaces de gestionar su propio futuro y el de la sociedad en que viven, desde adentro, desde abajo. Porque, como sociedad periférica que somos, nuestros desarrollos han sido desde afuera y desde arriba.

Pese a todo, Uruguay tiene una historia relativamente rica con la filosofía, al menos en el concierto sur y centroamericano.

Tal vez hasta su origen –territorio desgajado de un concierto político mayor, que se vio forzado por razones geopolíticas (de los poderosos de entonces y de los vecinos) a ser “independiente” o “libre”– obligándose así a generar ya no una historia propia, pero sí un camino propio; tal vez por la carga política de los primeros proyectos independentistas sobre este territorio; el sueño artiguista confederal, tal vez por nuevas contribuciones que sin concierto pero con  feracidad cayeron en nuestra tierra, y la abonaron, como por ejemplo, las emigraciones o mejor dicho los refugios políticos de los comuneros de París de 1848 y poco después, los de los comuneros parisinos de 1871 [1]  aporte que configuró el Uruguay y particularmente el Montevideo del s XIX; ”la Nueva Troya*”, y que se tradujo culturalmente en el peculiar fenómeno que a lo largo de todo el siglo XIX fueron más las ediciones uruguayas en francés que en castellano.

Con ese bagaje cultural, totalmente europeísta aunque no en la matriz ibérica que caracterizara a tantos estados nuevos de las Américas al sur del Río Bravo, entra el Uruguay al siglo XX y casi enseguida José Batlle y Ordóñez, hijo del presidente Lorenzo Batlle, iniciará una peculiar modernización en el pequeño país que tendrá como  consigna una democratización unitaria, que denominará institucional.

El fundador de una de las dinastías políticas del Uruguay, por un motivo circunstancial, azaroso, logrará encauzar al país en una senda única. Algo que dado el origen del Uruguay, había resultado arduo. El país estuvo dividido, bicéfalo, buena parte del s XIX -blancos y colorados, el gobierno de la Defensa y la Aduana de Oribe, aporteñados y abrasilerados, doctores vs. caudillos-,  y la sorpresiva muerte de Aparicio Saravia, el jefe armado del ejército miliciano del Partido Nacional, acabará con la “Revolución de 1904”.

Con JByO se inicia así un proceso de democratización, de laicización enfrentado a la Iglesia Católica, se consigue el divorcio por la sola voluntad de la mujer, quedan abolidos los malos tratos a los presos, la aceptación de las demandas sindicales, se suprime la pena de muerte, la tauromaquia, la riña de gallos y muchas medidas por el estilo, todo ello (o casi todo) en la primera década del s XX.


La derecha clásica -la del latifundio, el crucifijo y los  negocios entre caballeros-  estaba que reventaba de odio. Contra ese comunismo que creía ver en el batllismo.

20/08/2023

MANUELA ANDREONI
L’Uruguay sous le choc d’une sécheresse “inattendue”

Manuela Andreoni, The New York Times, 10/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une sécheresse dévastatrice a frappé un pays qui semblait disposer d’eau douce en abondance.

Le réservoir de Paso Severino en Uruguay le mois dernier. Photo : Gaston Britos/EPA, via Shutterstock

Depuis des mois, les Uruguayens boivent, cuisinent et se lavent avec de l’eau salée. La plus longue sécheresse jamais enregistrée dans le pays a laissé sa capitale, Montevideo, presque complètement à sec, ce qui a obligé la ville à ajouter de l’eau saumâtre à ses réserves.

La crise est frappante pour un pays qui semblait bénéficier d’une eau douce abondante et qui semblait être en avance sur le changement climatique, comme l’a rapporté le Times Magazine l’année dernière. Mais la sécheresse qui a sévi pendant trois ans a mis le pays à genoux.

Le stress hydrique est une préoccupation majeure dans le monde entier. Une crise similaire se produit actuellement dans certaines régions de l’Iran, et vous vous souvenez peut-être de la sécheresse de 2018 au Cap, et d’une autre à São Paulo, au Brésil, en 2015.

Le changement climatique n’est pas directement à l’origine de la sécheresse en Uruguay et dans l’Argentine voisine, comme nous l’avions signalé l’année dernière. Mais le réchauffement de la planète a été un facteur de chaleur extrême qui a aggravé la sécheresse, selon les scientifiques, en augmentant la perte d’humidité du sol et des plantes. La déforestation en Amazonie pourrait également avoir joué un rôle.

Quelle que soit l’ampleur du rôle du changement climatique, la sécheresse a mis en évidence le fait que les effets secondaires et les conséquences inattendues d’une planète qui se réchauffe peuvent perturber à peu près n’importe quel endroit sur terre.

Forage de puits dans le jardin

Le réservoir de Paso Severino, en Uruguay, qui alimente en eau plus de la moitié des 3,4 millions d’habitants du pays, n’avait plus que 2,4 % de sa capacité à la fin du mois de juin. Les autorités ont donc commencé à ajouter de l’eau provenant du Río de la Plata, un estuaire où l’eau douce de deux grands fleuves se mélange à l’eau salée de l’océan Atlantique.

L’afflux d’eau salée a fait grimper les niveaux de sodium et de chlorure à plus du double des niveaux considérés comme sûrs selon les directives internationales. Le gouvernement a demandé aux tout-petits, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de maladies rénales et cardiaques chroniques d’éviter l’eau du robinet.

Les habitudes ont été bouleversées pour tout le monde. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de l’eau en bouteille l’utilisent pour tout. « Nous cuisinons les pâtes, lavons la salade et faisons du café avec elle », a écrit le mois dernier le journaliste uruguayen Guillermo Garat dans un article de Times Opinion. Avec l’eau du robinet, « les lave-vaisselle laissent des traces salées sur les verres et les assiettes. Se brosser les dents a le goût d’une gorgée d’eau de piscine ».



Manifestation contre les pénuries d’eau et la salinité à Montevideo en mai. Photo : Eitan Abramovich/Agence France-Presse - Getty Images

De nombreux habitants ont essayé de forer leurs propres puits dans l’espoir de trouver de l’eau potable, mais il n’y a guère de solutions à court terme, si ce n’est d’attendre la pluie. La sécheresse s’est un peu atténuée ces dernières semaines : le réservoir de Paso Severino est actuellement à environ 15 % de sa capacité. Mais si les niveaux de sel ont baissé par rapport à l’apogée de la crise, les recommandations du gouvernement en matière de santé restent valables.

Nous nous sommes tous endormis

Cela n’était pas censé se produire en Uruguay. Le pays a démontré sa capacité à agir de manière décisive et prévoyante pour lutter contre le changement climatique.

Une série de pannes d’électricité au début des années 2000 a incité le pays à révolutionner son infrastructure énergétique. Grâce à un plan gouvernemental et à des milliards de dollars d’investissements privés, 98 % de l’électricité uruguayenne provient de sources renouvelables. (Pour en savoir plus, lire l’article du Times Magazine).

La sécheresse a été un coup particulièrement dur pour le pays, le premier au monde à faire de l’accès à l’eau un droit fondamental.

« Ici, en Uruguay, l’eau propre fait partie de notre identité nationale », a écrit Garat. « Les écoliers apprennent que le pays a la chance de disposer d’une eau abondante et de qualité, grâce à de nombreux grands fleuves et à six grandes nappes aquifères ».

J’ai demandé à Ramón Méndez, ancien directeur national de l’énergie, ce qui n’a pas fonctionné cette fois-ci. Il m’a répondu que l’Uruguay avait été pris par surprise parce que ses habitants pensaient qu’il ne manquerait jamais d’eau douce. Après tout, il en avait tellement.


Le réservoir de Canelón Grande est une source d’eau essentielle pour Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Photo : Matilde Campodonico/Associated Press

 « Nous avons pris du retard pour avoir une vision de la planification stratégique de l’eau », dit-il. Les critiques ont déclaré que la mauvaise gestion d’une série de gouvernements - l’un penchant vers la gauche, l’autre vers la droite - est en grande partie à blâmer. Le mois dernier, l’ancien président José Mujica a présenté ses excuses au peuple uruguayen, partageant la responsabilité avec son successeur.

« Nous aurions dû le faire avant », a déclaré Mujica à propos de la nécessité d’augmenter les réserves d’eau douce du pays. « Les gens vont m’en vouloir, mais nous nous sommes tous endormis ».

« Il n’y a pas de sécheresse, il n’y a que des pillages »

Les Uruguayens en colère ont manifesté dans les rues tout au long de la crise.

Ils sont en colère contre l’énorme secteur bovin du pays, car une vache typique consomme 40 litres d’eau par jour. Ils sont en colère contre Google qui prévoit d’installer dans le pays un centre de données qui nécessitera des millions de litres d’eau par jour pour refroidir les serveurs. Ils sont en colère contre un projet d’hydrogène vert parce qu’il utilisera de grandes quantités d’eau souterraine.

« Les gens en ont retiré un sentiment de rejet à l’égard de tout ce qui utilise de l’eau qui n’est pas destinée à la consommation humaine », m’a dit Méndez.

Selon Reuters, des graffitis ont été peints sur le mur de l’entreprise publique de distribution d’eau : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est jute un pillage ».


“Pour les quartiers : de l’eau salée. Pour ceux d’en haut : des profits et de l’eau en bouteille. Ce n’est pas une sécheresse, mais un pillage”

La crise est survenue au moment où l’Uruguay tentait d’élaborer une stratégie pour l’avenir de son économie, au-delà des exportations de bœuf et de soja.

« Tout est à débattre en ce moment », dit Méndez, « et c’est une bonne chose, car c’est le bon moment pour construire une vision stratégique pour l’avenir, pour mettre sur la table la facture de l’eau, la facture environnementale du pays ».

J’ai demandé à Carmen Sosa [Commission nationale pour la défense de l'eau et de la vie (CNDAV)], une militante qui mène des manifestations sur l’eau depuis des décennies, ce qu’elle pensait des conséquences de ce moment pour l’Uruguay. Bien qu’elle soit préoccupée par des projets comme celui de Google, elle se réjouit que l’eau et le changement climatique soient devenus des sujets de débat importants pour les Uruguayens.

« Je pense que les gens ont commencé à comprendre », dit-elle.

27/06/2023

FRANCESCA LESSA
Cinquante ans après le coup d'État en Uruguay, pourquoi si peu de personnes ont-elles été traduites en justice pour les crimes de la dictature ?

Francesca Lessa, The Conversation, 26/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Francesca Lessa (1980) est maîtresse de conférences en études et développement latino-américains et chercheuse à l'Université d'Oxford. Elle est l'auteure du récent ouvrage The Condor Trials : Transnational Repression and Human Rights in South America, publié par Yale University Press (2022). Elle est coordinatrice et chercheuse principale du projet Plan Cóndor.

Le 27 juin, l'Uruguay célèbre les 50 ans du déclenchement de son coup d'État. Ce jour-là, en 1973, le président Juan Maria Bordaberry et les forces armées ont fermé le parlement et inauguré 12 années de terreur d'État (1973-1985).

Cet anniversaire est l'occasion de réfléchir aux raisons pour lesquelles l'Uruguay n'a pas traduit davantage de personnes en justice pour les violations des droits de l'homme commises pendant cette dictature.


L'ancien président de l'Uruguay, Juan María Bordaberry, a été reconnu coupable en 2010 de violations des droits humains et condamné à une peine de 30 ans de prison. AP/Alamy

Pendant des décennies, l'Uruguay a été surnommé “la Suisse de l'Amérique latine, en raison de sa longue stabilité, de ses traditions démocratiques et de son État-providence. En 1973, le régime uruguayen n'a pas fait l'objet d'une grande attention, peut-être en raison de la réputation du pays et de sa situation géopolitique, éclipsé par deux voisins plus importants, l'Argentine et le Brésil. Cette année-là, l'attention internationale s'est concentrée sur le coup d'État spectaculaire contre le président chilien, Salvador Allende.

Emprisonnement, interrogatoire et torture

Cependant, le régime uruguayen était tout aussi violent et répressif. En peu de temps, l'Uruguay s'est vu attribuer un nouveau surnom : la “chambre de torture de l'Amérique latine. Au début de l'année 1976, l'Uruguay avait la plus forte concentration de prisonniers politiques par habitant au monde.

Selon Amnesty International, un citoyen sur 500 était en prison pour des raisons politiques et « un citoyen sur 50 avait connu une période d'emprisonnement qui, pour beaucoup, comprenait des interrogatoires et des actes de torture ». Outre les milliers de personnes emprisonnées et torturées, la dictature a laissé derrière elle 197 disparitions forcées parrainées par l'État et 202 exécutions extrajudiciaires entre 1968 et 1985.

La répression a été brutale non seulement à l'intérieur des frontières de l'Uruguay, mais aussi au-delà. Mon livre sur l'opération Condor - une campagne de répression menée par les dictatures sud-américaines, avec le soutien des USA, pour réduire au silence les opposants en exil - montre que les Uruguayens représentent le plus grand nombre de victimes (48 % du total) persécutées au-delà des frontières entre 1969 et 1981.

Justice ou impunité ?

L'Uruguay a renoué avec la démocratie le 1er mars 1985, avec l'investiture du président Juan Maria Sanguinetti. Les perspectives de justice ont été limitées dès le départ. Les généraux uruguayens et les représentants des trois partis politiques avaient négocié la transition dans le cadre du pacte du Club Naval.

Ce dernier établissait, entre autres, un calendrier pour le retour de la démocratie, restaurait le système politique préexistant à la dictature, y compris la constitution de 1967, et appelait à des élections nationales en novembre 1984. Les élections ont eu lieu, mais certains hommes politiques en ont été bannis.

En décembre 1986, le parlement démocratique a sanctionné la loi 15.848 sur l'expiration des droits punitifs de l'État. Cette “loi sur l'impunité a effectivement protégé les officiers de police et les militaires de l'obligation de rendre des comptes pour les atrocités commises pendant la dictature, garantissant ainsi le contrôle et la surveillance de la justice par l'exécutif. Elle a été introduite à un moment où les forces armées s'opposaient de plus en plus à l'ouverture d'enquêtes judiciaires sur les crimes commis dans le passé.

La loi d'expiration a permis de garantir que la politique d'impunité soutenue par l'État, qui consiste à ne pas punir les crimes, resterait en place pendant 25 ans, jusqu'en 2011. J'ai analysé ailleurs les hauts et les bas de la relation de l'Uruguay avec l’obligation de rendre des comptes.

Aujourd'hui, l'Uruguay a la réputation d'être un leader régional dans certains domaines des droits humains (par exemple, les droits reproductifs et le mariage égalitaire). Mais il n'a obtenu qu'une justice très limitée pour les atrocités commises à l'époque de la dictature.

Comparaison entre l'Uruguay et l'Argentine

En juin 2023, les tribunaux uruguayens ont prononcé des sentences dans seulement 20 affaires pénales et condamné 28 accusés au total, dont certains étaient impliqués dans plusieurs affaires (chiffres compilés à partir de données fournies par moi-même et par l'ONG Observatorio Luz Ibarburu).

À titre de comparaison, les tribunaux argentins ont rendu 301 verdicts depuis 2006, avec 1 136 personnes condamnées pour les crimes de la dictature (1976-1983).

De même, au 31 décembre 2022, 606 verdicts définitifs avaient été rendus dans des procès pour des crimes commis pendant la dictature au Chili, 487 dans des affaires pénales et civiles (entendues ensemble), et 119 uniquement dans des affaires civiles, selon les données de l'Observatoire de la justice transitionnelle de l'université Diego Portales.

Avec des collègues de l'Université d'Oxford, nous avons développé une approche pour expliquer pourquoi certains pays demandent des comptes aux auteurs de violations passées des droits humains, alors que d'autres ne le font pas.

Elle repose sur quatre facteurs : la demande de la société civile, l'absence d'acteurs ayant un droit de veto (tels que les hommes politiques qui s'opposent à l'obligation de rendre des comptes ou à l'ouverture d'une enquête sur les violations des droits humains commises dans le passé), l'autorité judiciaire nationale et la pression internationale. Cette approche fondamentale permet de comprendre les luttes persistantes en Uruguay. Bien que ces quatre facteurs soient en jeu dans le pays, ils s'opposent les uns aux autres et favorisent globalement l'impunité.

L'Uruguay a subi des pressions internationales importantes, notamment le célèbre verdict "Gelman" rendu en 2011 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui a joué un rôle déterminant dans l'abrogation de la loi d'expiration en 2011. Parallèlement, la société civile n'a cessé de réclamer justice, depuis le référendum historique de 1989 visant à annuler la loi d'expiration jusqu'aux appels les plus récents à modifier la loi de 2006 sur les réparations pour les prisonniers politiques.

Il ne fait aucun doute que la plupart des progrès en matière de justice, de vérité et de réparations ont été réalisés en Uruguay grâce aux efforts inlassables des militants et des ONG, y compris la centrale syndicale, qui ont incité les autorités à enquêter.

Néanmoins, l'Uruguay ne s'est jamais engagé à faire de l'enquête sur les atrocités du passé une politique d'État, comme l'a fait l'Argentine. Un ensemble d'acteurs puissants, dont les forces armées, divers hommes politiques et des juges de la haute cour, ont veillé à ce que le mur de l'impunité reste en place, à quelques exceptions près.

Le manque d'indépendance judiciaire et la sanction de quelques juges courageux qui ont tenté de défier l'impunité dans les années 1990 et 2000 - plus récemment Mariana Mota - ont également entravé les progrès.

Un autre facteur est le nombre important d'arrêts de la Cour suprême qui ont minimisé la gravité des crimes commis pendant la dictature.

Un changement positif pourrait toutefois se profiler à l'horizon. Un nouveau code de procédure pénale introduit en 2017 signifie que les allégations datant de l'époque de la dictature (déposées depuis lors) font l'objet d'une enquête plus rapide. En outre, la création en 2018 d'un procureur spécialisé dans les crimes contre l'humanité - une demande de longue date des défenseurs des droits humains - a permis d'augmenter le nombre d'enquêtes faisant l'objet d'un procès, et ce à un rythme plus rapide.

Comme l'a dit le poète uruguayen Mario Benedetti à propos de la mémoire et de l'oubli, lorsque la vérité balayera enfin le monde : “esa verdad será que no hay olvido” – “cette vérité sera qu'il n'y a pas d'oubli”.