12/03/2023

THE GUARDIAN
L'affaire Lineker menace de faire tomber les dirigeants de la BBC et de compromettre les projets des conservateurs britanniques en matière d'asile

Vanessa Thorpe, Michael Savage et Toby Helm, The Observer/The Guardian, 11/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La chaîne est contrainte de réduire sa couverture télévisuelle, tandis que le président et le directeur général de la BBC sont appelés à démissionner en raison de la crise.



Le 7 mars, Gary Lineker a publié deux tweets.
Le premier commentait l’annonce de la ministre Suella Braverman* intitulée “Trop c'est trop. Nous devons arrêter les bateaux” par ces mots : “Ciel, c'est plus qu'horrible”.
Le deuxième disait : “Il n'y a pas d'afflux massif. Nous accueillons beaucoup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s'agit juste d'une politique incommensurablement cruelle dirigée contre les personnes les plus vulnérables dans un langage qui n'est pas différent de celui utilisé par l'Allemagne dans les années 30, et je suis à côté de la plaque?”

Le conflit déclenché par la suspension de Gary Lineker de la BBC est devenu incontrôlable samedi soir, menaçant de faire tomber les plus hauts dirigeants de la société et même de faire dérailler certaines parties de la nouvelle politique controversée du gouvernement en matière de droit d'asile.

La crise a atteint de nouveaux sommets lorsque la BBC a été contrainte de réduire considérablement sa couverture sportive à la télévision et à la radio et de mettre à l'antenne son émission Match of the Day - normalement animée par Lineker - sans présentateurs, sans experts et sans les interviews habituelles d'après-match avec les joueurs, dont beaucoup se sont montrés solidaires de Lineker. L'émission, prévue pour 80 minutes, ne sera diffusée que pendant 20 minutes samedi soir.

Samedi soir, le président de la BBC, Richard Sharp, et son directeur général, Tim Davie, ont tous deux fait l'objet de pressions croissantes pour qu'ils démissionnent, après que des personnalités du monde du sport et des médias ont défendu le droit de Lineker de critiquer ce qu'il considère comme un langage raciste utilisé par les ministres pour promouvoir leur politique d'immigration. Samedi soir, Davie a insisté sur le fait qu'il ne démissionnerait pas.

Signe que le gouvernement craignait d'être considéré comme étant à l’origine de la suspension de Lineker, le premier ministre, Rishi Sunak, l'a décrit comme « un grand footballeur et un présentateur talentueux ». Il a déclaré qu'il espérait « que la situation actuelle entre Gary Lineker et la BBC pourra être résolue rapidement, mais c'est à juste titre une question qui relève de la BBC et non du gouvernement ».

 
Un supporter de Manchester City avec une pancarte en soutien à Gary Lineker, présentateur de la BBC, avant le match de Première Division de samedi contre Crystal Palace (gagné par 1 à 0 par Manchester). Photographie : Tony Obrien/Reuters

Le personnel de la BBC, ancien et actuel, a critiqué la manière dont la société a traité les questions plus larges de liberté d'expression et de neutralité qui sont au cœur de la dispute.

Plusieurs ont comparé l'affaire Lineker à la controverse qui entoure Sharp, qui fait l'objet d'un examen minutieux pour le rôle qu'il a joué dans l'obtention d'un prêt de 800 000 livres sterling par Boris Johnson, lorsqu'il était premier ministre, à un moment où Sharp lui-même postulait pour le poste de président de la BBC.

Samedi, alors que les répercussions se faisaient sentir dans le monde du sport, des médias et de la politique, le manager allemand de Liverpool, Jürgen Klopp, est intervenu pour défendre le droit de Lineker à s'exprimer sur ce qu'il considère comme des questions de droits humains : « C'est un monde très difficile à vivre, mais si je comprends bien, il s'agit d'une opinion sur les droits humains et cela devrait être possible de le dire ».

Lineker a été critiqué par la ministre de l'Intérieur Suella Braverman après avoir comparé le langage utilisé par les ministres pour décrire leurs politiques d'asile à celui des nazis dans l'Allemagne des années 1930. Vendredi soir, la société a demandé à l'ancien attaquant anglais de se retirer de l'émission Match of the Day, le temps de trouver une solution.

The Observer croit savoir que Lineker s'est vu signifier qu'il n'avait pas d'autre choix après avoir refusé une offre visant à régler l'affaire par des excuses. Plus tôt dans la semaine, il avait reçu l'assurance qu'aucune mesure ne serait prise à son encontre, ce qui a amené certains à soupçonner que les pressions exercées par le gouvernement ont fait changer d'avis la BBC à son égard.

Immédiatement après l'annonce de sa suspension, d'autres présentateurs et experts ont manifesté leur solidarité, notamment Ian Wright, Alan Shearer et Jermaine Jenas, des habitués de Match of the Day. Alex Scott, présentatrice de Football Focus, s'est retirée de son émission, tandis qu'une grande partie des reportages sportifs de BBC Radio 5 Live ont été remplacés par du contenu enregistré.

Alors que des signes indiquent que la querelle pourrait changer la perception du public sur la politique du gouvernement, il y avait des signes d'un profond malaise parmi les principaux Tories [Conservateurs] sur la nouvelle approche de la crise des petites embarcations [small boats crisis, expression médiatique en usage au Royaume-Uni, NdT]. Selon la nouvelle politique, les réfugiés arrivant au Royaume-Uni seront détenus et expulsés « dans les semaines qui suivent », soit vers leur propre pays s'il est sûr, soit vers un pays tiers [en l’occurrence, le Rwanda, NdT].

Plusieurs députés conservateurs de haut rang, dont Priti Patel, elle-même partisane d'une ligne dure en matière d'immigration lorsqu'elle était en charge du ministère de l'intérieur, devraient faire part de leurs inquiétudes quant aux conséquences du projet de loi, qui sera examiné en deuxième lecture aux Communes lundi, sur le traitement des enfants qui arrivent au Royaume-Uni avec leurs parents. D'autres députés conservateurs craignent qu'il n'enfreigne le droit international et les obligations du Royaume-Uni en matière de traités internationaux.

Tobias Ellwood, président conservateur de la commission parlementaire de la défense, a déclaré qu'il avait besoin d'être rassuré sur l'existence d'itinéraires praticables permettant aux véritables demandeurs d'asile d'atteindre le Royaume-Uni « afin que cela soit perçu comme une véritable tentative de sauver des vies ... et pas seulement comme une rhétorique grandiloquente qui a mis en colère des gens comme Gary Lineker ».

Cette querelle a éclipsé un mini-sommet bilatéral entre Sunak et Macron vendredi, qui était censé “réinitialiser” les relations anglo-françaises et tracer une voie à suivre concernant les bateaux transportant des demandeurs d'asile traversant la Manche.

La BBC s'est excusée pour les changements apportés au programme sportif du week-end et a déclaré qu'elle « travaillait dur pour résoudre la situation et espérait le faire bientôt ».

Le leader travailliste Sir Keir Starmer a accusé la BBC de “céder” aux députés conservateurs, déclarant qu'un tel comportement était “le contraire de l'impartialité”. « La BBC s'est gravement trompée dans cette affaire et elle est maintenant très, très exposée », a déclaré Starmer. « Car au cœur de cette affaire se trouve l'échec du gouvernement en matière de système d'asile. Et plutôt que d'assumer la responsabilité du gâchis qu'il a provoqué, le gouvernement cherche à blâmer n'importe qui d'autre - Gary Lineker, la BBC, les fonctionnaires, le “blob**” ».

Ed Davey, le chef de file des libéraux-démocrates, a appelé Sharp à démissionner. « Nous avons besoin d'une direction à la BBC qui défende nos fières valeurs britanniques et qui puisse résister à la politique constamment turbulente d'aujourd'hui et aux tactiques d'intimidation des conservateurs.

« Malheureusement, sous la direction de Richard Sharp, ce n'est pas le cas : sa nomination et sa position sont désormais totalement intenables et il doit démissionner ».

GIDEON LEVY
Sameh Aqtash était un travailleur humanitaire qui avait des amis colons. Cela ne l’a pas sauvé du pogrom

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 11/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Sameh Aqtash, travailleur humanitaire, venait de rentrer de Turquie dans son petit village de Cisjordanie après avoir organisé des transports de nourriture par camion pour les survivants du tremblement de terre. Il a été abattu au passage de colons pogromistes qui se dirigeaient vers la ville de Huwara.

Sameh Aqtash à Bursa. Photo Yeni Safak

 Voici Rim, à qui Sameh donne du lait au biberon. Dans cette vidéo familiale, on voit également une main douce et caressante qui la caresse doucement. Rim est une gazelle que Sameh Aqtash a trouvée dans la nature et qu’il a adoptée. Rim est le mot arabe qui désigne cette délicate créature, et c’est aussi le nom de la fille de Sameh, âgée de 8 mois. Aujourd’hui, il ne pourra plus s’occuper d’aucune d’entre elles : un Israélien armé - peut-être un colon, mais peut-être aussi un soldat - a abattu Sameh, 37 ans, la semaine dernière. Le mot “meurtre” est la meilleure façon de définir cet acte horrible.


Sameh donnant le biberon à un bébé gazelle. Photo : famille Aqtash

C’était la nuit où des colons se sont déchaînés dans la ville de Huwara, le 26 février, un jour après que deux colons israéliens ont été tués à proximité par des Palestiniens. Certains des membres de la foule déchaînée, empêchés de se joindre au pogrom par les barrages routiers de l’armée érigés avec un certain retard, ont décidé de déverser leur rage sur les habitants du minuscule et tranquille village voisin de Za’atara. Lorsque les villageois ont tenté de se protéger et de protéger leurs biens contre les émeutiers qui étaient sur le point d’envahir Za’atara, sous les auspices des Forces de défense israéliennes, quelqu’un a tiré sur Sameh et l’a tué.

C’était un individu singulier, un musulman pieux qui voyageait dans le monde entier et se portait volontaire pour aider les personnes dans le besoin. Quatre jours avant son assassinat, il était revenu d’un séjour de dix jours en Turquie, où il avait aidé les survivants du récent tremblement de terre. Il y a quelques années, il avait parcouru l’Asie et l’Afrique, aidant à construire des mosquées et à creuser des puits au Bangladesh et en Ouganda. Aujourd’hui, il est mort. Et sa mort risque de rester impunie.

11/03/2023

GIANFRANCO LACCONE
Durabilité, consommateurs et Made in Italy*

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Relier des faits apparemment éloignés, comme l’image de la production italienne et le changement climatique, n’est pas difficile si l’on a l’habitude de regarder la réalité en perspective et d’essayer de comprendre où elle va finir par aboutir. 

J’aborde cette question parce que les institutions italiennes et européennes vont bientôt légiférer sur la manière, le lieu et les raisons de produire des biens manufacturés de manière durable, en les intégrant dans un système d’économie circulaire. Ce débat est en cours au sein de notre Parlement, avec une enquête sur le “Made in Italy”, et il est bien avancé au sein des institutions européennes, qui sont désormais sur le point de lancer (si la médiation de la présidence suédoise porte ses fruits) un règlement-cadre pour l’élaboration de spécifications d’éco-conception {éco-design) pour les produits durables (abrogeant ainsi la directive 2009/125/CE actuellement en vigueur.


 En gros, on discutera de ce qu’il faut faire pour soutenir les marques italiennes et l’UE interviendra pour réglementer l’éco-conception, un secteur de production fondamental pour ceux qui prétendent, comme les entreprises italiennes, être des diffuseurs de qualité et d’originalité.

Je tiens pour acquis que les productions et les produits manufacturés affectent le changement climatique, qu’ils soient originaux et le fruit de l’ingéniosité locale ou fabriqués à l’aide de méthodes et de matériaux introduits artificiellement dans une région. La question est de savoir ce qu’il faut faire pour réduire leur impact sans provoquer des effets secondaires de plus en plus désastreux : qu’il s’agisse d’impacts négatifs tels que la pollution par des matériaux et résidus toxiques ou la destruction de la stabilité sociale, ou même d’impacts écologiquement positifs mais sans réelle articulation sociale (par exemple des produits trop chers pour être diffusés en masse), on tentera de réglementer et de contrôler leur organisation et leur diffusion, dans le but d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 - de facto étendu à 2050 - en améliorant la condition sociale dans l’UE et, pour notre part, en faisant du Made in Italy une marque communautaire. Si seulement !

Le Made in Italy joue un rôle clé dans notre économie, par exemple dans des secteurs tels que l’agroalimentaire, le textile, l’habillement et la chaussure qui couvrent une grande partie des produits manufacturés et représentent les exportations italiennes en expansion. Son image est un élément d’affirmation sur les marchés, car elle permet de vendre certaines productions très particulières (produits sélectionnés parmi les vins, les vêtements, les chaussures, par exemple) comme des productions d’élite, entraînant également le prix et l’image des autres productions italiennes vers des niveaux plus élevés, en particulier à l’exportation. Un effet sonore, obtenu lorsqu’un produit est formellement imité, évoquant ses caractéristiques, sans utiliser ses ingrédients et sans reproduire les processus de production et les propriétés considérées comme “authentiques”, qui existe dans le Made in Italy lui-même et ne doit pas être sous-estimé. Il doit être corrigé car il est à la base d’un “effet papillon”, négatif à bien des égards, et pour le combattre, il suffirait d’étudier, d’innover et de produire selon les règles qui, à moyen terme, seront les seules à être utilisées pour la vie sur la planète.

Ici commencent les notes douloureuses car la propension actuelle des entreprises italiennes à innover est limitée : elle ne concerne qu’un tiers d’entre elles, et nous pensons que pour ceux qui veulent être à l’avant-garde dans le monde, il serait nécessaire que 75% des entreprises aient une telle propension. Les entreprises italiennes souffrent d’un manque d’évolution numérique et de niveaux de sécurité et de pollution souvent inférieurs aux normes de l’UE (je pense, par exemple, au secteur de la production animale dans la vallée du Pô). En outre, dans le système de production italien, il existe une condition particulière, la diffusion des petites entreprises, qui est sa croix et son bonheur : elle représente sa limite pour faire face à l’augmentation des coûts et, d’autre part, sa grande opportunité pour devenir un exemple de production durable et d’économie circulaire. En effet, ce n’est qu’au niveau local que l’on peut trouver les fondements de la circularité avec un faible impact environnemental, et en Italie, avec ses conditions spécifiques très répandues de climat, de territoire, de distribution sociale et d’organisation de la communauté, les conditions sont réunies pour une grande expérimentation de méthodes innovantes, circulaires et durables dans une économie avancée complexe.

10/03/2023

SHEREN FALAH SAAB
“La gauche israélienne ne veut pas que les Arabes participent à son combat”
Rencontre avec Atallah Mansour, premier Palestinien de 1948 devenu journaliste israélien

Sheren Falah Saab, Haaretz, 9/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Remarque linguistique préliminaire du traducteur : l’auteure, elle-même druze, donc “arabe”(i.e. palestinienne) pratique l’usage dominant israélien consistant à parler de Palestiniens seulement quand il s’agit des habitants des territoires occupés depuis 1967, tandis que les Palestiniens de 1948, en partie citoyens israéliens, sont désignés comme “Arabes”, pour les distinguer des “Juifs”, ce qui relève du délire paranoïaque sioniste, vu qu’une bonne partie des Israéliens juifs sont d’origine arabe, et constitue un déni de réalité : ces “Arabes” sont palestiniens, point barre. Allez, Israéliens, encore un effort pour appeler un chat un chat…

Après avoir couvert la société arabe pendant 34 ans pour Haaretz, le vétéran du journalisme Atallah Mansour est aujourd’hui plus inquiet que jamais.

Atallah Mansour : « Je n’étais pas dans la poche de qui que ce soit et je n’étais pas non plus le porte-parole d’une communauté particulière. J’ai fait mon travail de journaliste ». Photo : Gil Eliyahu

 Tout a commencé dans un petit café du village de Jish, en Haute Galilée. Six ans après la création de l’État d’Israël, Atallah Mansour a 20 ans [1954, NdT]. Jeune homme ambitieux, il dirige la branche locale du mouvement de jeunesse Hanoar Haoved Véhalomed [La jeunesse qui travaille et qui étudie, mouvement socialiste sioniste créé en 1924, NdT]. Mansour discute avec le propriétaire du café, essayant d’ignorer tout ce qui l’entoure - la pauvreté, l’ignorance, le manque d’emplois et le gouvernement militaire - mais ce jour-là, il se sent particulièrement frustré.

Ses frustrations l’ont amené à écrire une lettre à David Ben-Gourion, décrivant ses propres problèmes et la situation des jeunes Arabes. Le Premier ministre, qui rencontrait rarement les Arabes à l’époque, a immédiatement compris la valeur historique de la lettre de Mansour et lui a répondu quelques jours plus tard. « Je suis très heureux du désir d’unité qui palpite à chaque ligne de votre lettre », lui écrit-il, et il l’invite à une réunion chez lui, à Sde Boker, pour discuter de la possibilité de former un mouvement de jeunesse commun aux Juifs et aux Arabes.

Mansour a relaté cette rencontre dans l’hebdomadaire Haolam Hazeh [“Ce monde”, racheté par Uri Avnery et Shalom Cohen en 1950, NdT]. Il a expliqué qu’il souhaitait informer les lecteurs de l’importance d’un partenariat entre Juifs et Arabes par l’intermédiaire d’un mouvement de jeunesse. « Je n’ai jamais pensé à être payé pour un article de journal, je voulais simplement écrire sur la rencontre. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler dans les médias hébraïques », dit-il aujourd’hui à propos du moment critique qui l’a ensuite amené à travailler comme journaliste pour Haaretz.

La lettre de David Ben-Gourion à Mansour. Photo : Gil Eliyahu

Ce mois-ci, M. Mansour a reçu un doctorat honorifique de l’université de Tel-Aviv en reconnaissance de son travail novateur dans les médias et de sa contribution à l’intégration de la communauté arabe dans la société israélienne, tout en préservant son identité arabe.

M. Mansour, premier journaliste arabe à travailler dans les médias israéliens, a commencé sa carrière à Haaretz en 1958 et a couvert la société arabe pendant les 34 années qui ont suivi. « Je n’étais dans la poche de personne et je n’étais pas non plus le porte-parole d’une communauté particulière. J’ai fait mon travail de journaliste », déclare-t-il.

La plupart de mes amitiés avec des Juifs sont des amitiés avec des personnes issues de cercles de gauche. Ce sont des relations basées sur le respect, mais les Juifs et les Arabes sont comme l’huile et l’eau : ils ne se mélangent pas vraiment.

Dès le début, il a compris les défis que représentait la couverture de la communauté arabe pour les médias israéliens. Il se souvient d’une manifestation de militants communistes arabes en mai 1958 à Nazareth, qu’il a couverte pour Haolam Hazeh.

ANTONIO MAZZEO
Netanyahou à Rome : une alliance politico-militaire encore plus étroite entre l'Italie et Israël

Antonio Mazzeo, Pagine Esteri, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'attente a été longue, mais le résultat de la visite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en Italie, la première depuis sa visite il y a huit ans à l'occasion de l'Expo de Milan, semble acquis : Rome et Tel-Aviv renforceront encore plus le partenariat diplomatico-militaire et l'échange de systèmes de guerre. 

 La rencontre du jeudi 9 mars entre Netanyahou et Giorgia Meloni a été préparée dans les moindres détails et les éventuels accords entre les forces armées et les industries de guerre respectives auraient été préparés le 18 janvier lors de la rencontre officielle entre le ministre de la Défense Guido Crosetto et l'ambassadeur de l'État d'Israël en Italie, Alon Bar. « Au cours de la rencontre, la volonté d'intensifier la coopération entre l'Italie et Israël s'est manifestée », a rapporté le service de presse de la Défense. « Les relations bilatérales, la coopération en matière de défense (G2G - Government to Government), l'Ukraine et la Méditerranée élargie ont été les principaux sujets au centre des discussions ».

Benjamin Netanyahou arrive à Rome vingt ans après la signature du mémorandum d'entente Italie-Israël sur la coopération dans le secteur militaire, un accord qui accorde une attention particulière à l'échange de matériel d'armement, à l'organisation des forces armées, à l'éducation et à la formation du personnel, ainsi qu'à la recherche et au développement dans le domaine industrialo-militaire. Le mémorandum prévoit également des « échanges d'expériences entre experts des deux parties » et la « participation d'observateurs à des exercices militaires ». Il a été signé au nom de l’Italie par le ministre de la Défense de l'époque, Antonio Martino (gouvernement Berlusconi II) ; la ratification par le Parlement, à la quasi-unanimité, a eu lieu en mai 2005.

La coopération entre les forces armées israéliennes et italiennes s'est développée ces dernières années, en particulier dans le domaine de la formation et des opérations. « L'armée de l'air israélienne a été déployée à plusieurs reprises en Sardaigne et a effectué des exercices de taille considérable avec l'armée de l'air italienne », rapporte une note du ministère israélien de la Défense datée du 2 novembre 2018. « Les deux forces aériennes ont également procédé à des échanges réguliers d'équipages et leurs personnels respectifs participent à divers cours de formation. ». L'armée de l'air italienne est engagée dans la formation de pilotes israéliens au Centre international de formation (ITC) de Pise pour la qualification sur l'avion C-130J Super Hercules ; en même temps, le personnel italien se rend cycliquement à la base aérienne de Palmachim (près de la ville de Rishon LeZion, sur la côte méditerranéenne) pour mener des cours de qualification dans l'exploitation d'aéronefs télécommandés. A plusieurs reprises, des militaires israéliens ont été les hôtes du Centre de vol expérimental et du Département de médecine aéronautique et spatiale de Pratica di Mare (Rome) : il s'agit de deux organismes chargés des essais en vol d'aéronefs et de systèmes d'armes, ainsi que de la formation et de l'expérimentation dans le domaine de la médecine aéronautique et spatiale.

09/03/2023

AVNER GVARYAHU
À Huwara, nous avons vu notre vrai visage

Avner Gvaryahu, Haaretz, 6/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avner Gvaryahu est le co-directeur exécutif de Shovrim Shtika/ Breaking the Silence (Briser le silence), une ONG de vétérans de l’armée israélienne ayant servi dans les territoires occupés depuis 1967. Né de parents sionistes religieux à Rehovot, il a un diplôme en travail social de ‘l’Université de Tel-Aviv et une maîtrise en droits humains de l’Université Columbia (USA). Il a fait son service militaire de 2004 à 2007, dans les parachutistes (comme son père), comme sergent d’une unité d’opérations spéciales de snipers, principalement autour de Naplouse et de Jénine, après quoi il a rejoint Breaking the Silence, constatant que « le problème n’était pas le soldat individuel mais l’ensemble du système d’occupation ». Le groupe fasciste étudiant Im Tirtzu l’a qualifié d’“agent étranger”. @AGvaryahu FB

Il y a une semaine, quelque 400 colons sont entrés dans le village de Huwara, en Cisjordanie, ont mis le feu à des maisons avec leurs occupants à l’intérieur, ont tiré sur des journalistes et ont apparemment abattu un Palestinien de 37 ans. David Ben-Gourion a dit un jour que lorsque nous aurons un voleur juif, une prostituée juive et un meurtrier juif, nous saurons que nous avons un pays.

 Soldats et colons à ‘Huwara le lendemain du pogrom, la semaine dernière. Photo : Moti Milrod

Et voilà. Nous avons même des pogromchiks* juifs, et ils bénéficient du soutien total des députés, des ministres, des maires et des journalistes. Personne ne paie le prix - ni les auteurs, ni ceux qui les soutiennent. Avant que vous ne vous en rendiez compte, nous n’en parlerons plus. Nous parlerons d’une déclaration d’un politicien quelconque. Comment le sais-je ? Parce que c’est arrivé tant de fois auparavant.

 

Amog Cohen, désormais député de Force juive, a un passé très lourd : membre de l’unité Yoav de la police "anti-émeutes" qui terrorise les Bédouins du Néguev, il se vante ouvertement de ses méfaits, comme ci-dessous, contre la famille Al Touri, qui a porté plainte (sans suite). Il a aussi créé une milice armée pour « pour sauver le Néguev israélien », financée par une collecte organisée par le même groupe qui a recueilli des fonds pour soutenir les frais de justice de Netanyahou


Vous vous souvenez du député d’Otzma Yehudit, Almog Cohen ? Il venait à peine de déclarer que le député de Yesh Atid, Merav Ben-Ari, avait une voix de femme de ménage et qu’il fallait parler aux Arabes comme on parle à des moutons, et il a été oublié à cause de la loi interdisant les aliments au levain dans les hôpitaux pendant la Pâque. Il s’est cependant excusé. Mais seulement à Ben-Ari, parce qu’avec les Arabes, c’est le « langage qu’ils comprennent parfaitement », a-t-il dit, mais ne chipotons pas.

08/03/2023

PAOLO CACCIARI
Le fusil à l’épaule du marché

 Paolo Cacciari, Comune-Info, 6/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Paolo Cacciari (Venise, 1949), diplômé en architecture, est journaliste et auteur, mais aussi activiste dans les mouvements sociaux, environnementaux et de décroissance. Élu député lors de la 15e législature (2006-2008), il a été, dans les années 2000, administrateur, conseiller et adjoint au maire de la ville de Venise à plusieurs reprises. Il est cofondateur de l’Association nationale pour la décroissance. Entre autres publications, il collabore au site web comune-info.net. Il est l’auteur de nombreux essais sur des sujets liés à l’économie solidaire. Entre autres, Decrescita o barbarie [Décroissance ou barbarie] (Carta e Intra Moenia, 2006), “Viaggio nell’Italia dei beni comuni [Voyage dans l’Italie des biens communs] (Marotta & Cafiero, 2012), “Vie di fuga” [Chemins de fuite] (Marotta & Cafiero, 2014), “101 piccole rivoluzioni” [101 petites révolutions] (Altreconomia, 2017), rivoluzioni” (Altreconomia, 2017), “Ombre verdi. L’imbroglio del capitalismo green. Cambiare paradigma dopo la pandemia” [Ombres vertes. L’arnaque du capitalisme vert] (Altreconomia, 2020) et -avec d’autres auteurs- de “L’Economia trasformativa“ (Altreconomia, 2020).

 Intervention à la conférence “Au-delà de la guerre Décroissance et non-violence“ organisée par l’Université de la Paix des Marches et l’Association pour la Décroissance, qui s’est tenue à l’Université de Macerata le 22/02/2023.



Jouer avec la mort, par Bernard Gillam, Puck Magazine1883

 Il existe une branche de l’économie qui étudie l’économie de la paix. Elle trouve ses racines dans le pacifisme libéral des Lumières, de Montesquieu à Kant, elle rencontre Jeremy Bentham et Herbert Spencer, elle atterrit chez le prix Nobel Norman Angell pour renaître après la Seconde Guerre mondiale avec Keynes, Kenneth Boulding et les Économistes pour la paix et la sécurité, et elle a été récemment ravivée par le travail de Raul Caruso, Économie de la paix (il mulino, 2022). Les économistes de la paix étudient les conditions économiques les plus favorables pour éviter les conflits armés entre et au sein des États-nations. Leur approche est délibérément “a-morale”, ils ne font pas appel à la dimension éthique, ils se limitent délibérément à démontrer que les guerres ne sont pas opportunes d’un point de vue strictement économique, même pour les supposés vainqueurs. En appliquant les critères d’évaluation du “coût d’opportunité” de la macroéconomie classique (en utilisant même les modèles mathématiques les plus sophistiqués), ils montrent que “tout compte fait”, le simple fait de maintenir un état permanent de dissuasion armée, même en “temps de paix”, avec la nécessaire modernisation continue de l’appareil militaire, soustrait de l’argent au développement économique et social. À cela s’ajoute la destruction nette et directe de ressources matérielles dans les inévitables conflagrations armées des conflits (perte de capital fixe, humain et social).

Les économistes de la paix savent bien que les guerres ne sont pas causées uniquement par des raisons économiques, par la volonté de s’approprier violemment les richesses et les ressources d’autrui. Nous savons que les guerres trouvent leur origine dans les profondeurs obscures de l’âme humaine et, plus précisément, de l’âme masculine. Le ventre qui engendre les guerres n’est certainement pas celui d’une femme ; il se trouve dans la volonté de conquérir et de dominer, dans la pulsion de domination qui conduit à la haine de ceux qui ne se soumettent pas et va jusqu’à chercher leur mort ; il se cache dans l’hybris, dans l’avidité, dans le contrôle total qui va jusqu’à supprimer toute vie, Delenda Carthago. Mais il est certain que dans la politique de guerre entre États, un rôle fondamental et déclencheur est joué par les intérêts économiques, le désir de faire prévaloir sa propre position sur les marchés, ses propres “motifs d’échange” dans les relations commerciales.

Les économistes de la paix estiment que la démonstration de la non-rentabilité de la guerre pour le bon fonctionnement de l’économie et le bien-être des peuples est un argument essentiel, réaliste et fort pour convaincre les gouvernements et les parlements de ne pas s’engager dans des politiques coûteuses de réarmement et de militarisation. De bons exemples de cette façon de voir les choses nous ont été donnés ces derniers jours par Jeffrey D. Sachs (conseiller du Secrétaire général des Nations unies António Guterres et président du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies) qui écrit : « Le plus grand ennemi du développement économique est la guerre » (What Ukraine needs to learn from Afghanistan, in Other News 20/02/2023, en français ici) et par un groupe d’économistes keynésiens de gauche, dont Emiliano Brancaccio co-auteur de l’appel The Economic Conditions for Peace (publié par le Financial Times le 17/02/2023, en français ici) qui appelle à « créer les conditions économiques d’une pacification du monde avant que les tensions militaires n’atteignent un point de non-retour ».

Demandons-nous alors ce qui empêche la réception d’un argumentaire aussi rigoureux, voire évident, contre les politiques de guerre. Le “complexe militaro-industriel” (qui effrayait déjà un président usaméricain Dwight Eisenhower au plus fort de la guerre froide), les stratèges des ministères de la guerre et leurs porte-parole dans les grands médias tiennent des discours diamétralement opposés à ceux des économistes de la paix. Selon eux, les dépenses de défense et de sécurité nationale sont le principal moteur de la croissance économique. Pour plusieurs raisons. Parce qu’elles protègent l’expansion de la libre initiative économique contre les ennemis de l’intégration du marché mondial. Autrement dit, les cuirassés d’hier et les missiles supersoniques d’aujourd’hui ont pour mission de protéger les intérêts des entreprises - et des États auxquels elles appartiennent - partout où ils sont menacés. Ensuite, les dépenses militaires sont utiles parce qu’elles financent l’innovation technologique la plus avancée, sur laquelle reposent la productivité et la compétitivité de l’industrie. N’oublions pas non plus la fameuse fonction “anticyclique” de la guerre : détruire pour reconstruire. Le “capitalisme du désastre” (Naomi Klein) est un moteur sûr pour déclencher de nouveaux cycles d’accumulation et de hausse du PIB. Mais il me semble qu’il existe un autre élément qui fait des politiques de guerre un pilier de l’ordre socio-économique actuel et que l’on pourrait appeler warfare state [État guerrier, réf. au welfare state, l’État-providence, NdT]. Les dépenses de l’État en matière de sécurité intérieure et extérieure (armées, police, agents de sécurité, divers corps de mercenaires et appareils technologiques de surveillance à distance) fournissent la main-d’œuvre en “dernier recours” pour le maintien du consensus du système économique dans son ensemble. Aux USA, la main-d’œuvre des gardiens (travailleurs ayant des fonctions de contrôle et de surveillance armée) représentait déjà 26,1 % de l’ensemble de la main-d’œuvre salariée il y a dix ans (dernières données que j’ai pu trouver), ce qui en faisait le premier secteur économique en termes d’emploi. Pour se faire une idée de son poids, il suffit de se rappeler qu’au plus fort de l’effort de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, les personnes employées dans la sécurité aux USA dépassaient légèrement les 40 % de la force active. L’emploi de sécurité enregistre les coûts économiques de la méfiance dans les relations humaines et n’augmente pas (directement du moins) la formation de nouveaux capitaux. En bref, il s’agit - comme le disent nos économistes de la paix - d’une énorme dépense improductive.

Nous sommes plongés dans une économie de guerre. Notre économie est déjà une économie qui fonctionne pour et avec la guerre. Les militaires ont gagné la guerre en temps de paix. Il suffit de regarder les données du SIPRI sur l’évolution des dépenses militaires directes des États. Après une brève période de déclin de 1989 à 1998, qui a permis de faire quelques économies (“dividendes de la paix”), après la dissolution du Pacte de Varsovie et l’avancée de la mondialisation, les dépenses militaires (de 1992 à 2014) ont de nouveau augmenté à des taux impressionnants : 650 % en Chine, 780 % en Algérie, 430 % au Qatar, 230 % en Arabie saoudite, 200 % au Brésil, 190 % en Inde. Il y a actuellement 75 missions de maintien de la paix de l’ONU en cours. La guerre en Ukraine accroît encore la demande d’équipements militaires. Volodymyr Zelensky montre la voie. Dans les pays membres de l’OTAN, nous dépassons les 2 % du PIB nécessaires pour faire face aux “champs de bataille du futur” (espace extra-atmosphérique, biosphère, cyberespace...) avec des armes de plus en plus sophistiquées : armes autonomes telles que les robots tueurs, les drones, les missiles hypersoniques, les lasers, les armes nucléaires mobiles ciblées et de faible puissance...

 Comme déjà écrit, leur but n’est pas de “gagner des guerres” où qu’elles éclatent (on rappelle souvent que l’armée usaméricaine n’a pas gagné de guerre sur le terrain depuis la Seconde Guerre mondiale), mais d’imposer l’ordre le plus commode de leur côté (royaume, État, empire) même en temps de paix : la paix armée. La guerre, avant d’être destruction et mort, est un système socio-économique fondé sur la menace permanente (Si vis pacem para bellum), sur la subordination des États et des peuples ennemis, sur la défiance, la peur et la terreur.

Cependant, les politiques d’expansion économique fondées sur la guerre comportent des coûts évidents et des risques effrayants. Le pas entre les menaces et le “cri de guerre” peut être très court (Richard Cobden, 1817). Les principaux acteurs de l’expansion économique le reconnaissent encore aujourd’hui. Le Word Economic Forum, le think tank de milliardaires qui se réunit chaque année à Davos, produit,comme chaque année, une étude intéressante, le Global Risks Report 2023, dans laquelle il recueille les avis des PDG et directeurs généraux des grands conglomérats industriels et financiers. Ces messieurs se déclarent très préoccupés par la “ragmentation géopolitique” qui se produit suite à l’entrée en crise de la mondialisation et à la résurgence du protectionnisme nationaliste. Ils écrivent : « La guerre économique devient la norme, avec des affrontements croissants entre les puissances mondiales et l’intervention des États sur les marchés au cours des deux prochaines années. Les politiques économiques seront utilisées de manière défensive, pour renforcer l’autonomie et la souveraineté des puissances rivales, mais elles seront aussi de plus en plus utilisées de manière offensive pour limiter la montée en puissance des autre ». Il poursuit: « L’augmentation récente des dépenses militaires et la prolifération des nouvelles technologies accessibles à un plus grand nombre d’acteurs conduiront à une course mondiale aux armements. Le paysage mondial des risques à long terme pourrait impliquer des conflits multi-domaines et des guerres asymétriques avec le déploiement ciblé d’armes de nouvelle technologie à une échelle potentiellement plus destructrice que celle observée au cours des dernières décennies. Les mécanismes transnationaux de contrôle des armements doivent donc s’adapter rapidement à ce nouvel environnement de sécurité afin de renforcer les coûts moraux, politiques et de réputation pouvant dissuader d’une escalade accidentelle ou intentionnelle ».

S’il est vrai que la fragmentation et la renationalisation des économies augmentent les risques de conflit entre des États déterminés à conserver leurs zones d’influence, il est également vrai que même la mondialisation néolibérale des marchés n’a pas fait ses preuves en matière de pacification du monde. L’optimisme des économistes libéraux pacifistes repose sur une foi inébranlable dans le libre marché. Leur thèse de longue date est que “l’esprit du commerce” et le désir des masses populaires d’accroître leur bien-être matériel sont le meilleur antidote à la dissipation des ressources économiques pour soutenir les dépenses militaires et les guerres. D’où l’idée qu’une augmentation des échanges économiques internationaux et une plus grande interdépendance dans la production de biens de consommation entraîneraient moins de conflits armés et forcerait les États à mettre de côté leurs objectifs hégémoniques pour privilégier la création d’accords et d’institutions visant à réglementer les marchés et le commerce. L’idée de Keynes d’un système de gouvernance mondiale impartiale de l’économie qui, par le biais d’instruments financiers, serait en mesure de “compenser” et de “niveler” équitablement les déséquilibres entre les différentes zones géographiques de la planète a lamentablement échoué en raison des politiques économiques mises en œuvre par les institutions transnationales qui auraient dû prévenir et résoudre les différends entre les États et les différentes régions du monde. Pensons à la Banque mondiale, au FMI, au GATT, à l’OMC et aux résultats de leurs actions : concentration maximale du commandement économique autour de quelques conglomérats industriels et financiers transnationaux, d’une part, et inégalités croissantes entre les populations, les classes sociales, les hommes et les femmes, d’autre part.

En conclusion, les relations pacifiques stables nécessitent des conditions économiques équilibrées. Des relations pacifiques stables nécessitent des conditions économiques équilibrées, favorables à tous. Jusqu’à présent, ni les modèles de libéralisation des marchés à l’échelle de la planète, ni les modèles protectionnistes mis en place par les États n’ont réussi à réduire les conflits armés. Il y a probablement un “bug” dans le système économique, un défaut d’origine qui rend cette économie structurellement inadaptée à la paix. Je ne voudrais pas répéter pour la énième fois le cri de douleur du pape Bergoglio : « Cette économie tue ». Mais il est le seul chef d’État (bien que fondé sur un ordre monarchique et patriarcal) à avoir clairement mis le doigt sur le problème. Le conflit d’intérêts est la caractéristique structurelle de l’économie de marché capitaliste. Celle-ci repose sur la rivalité entre les entreprises pour s’approprier les moyens de production au prix le plus bas possible (énergie, matières premières, main-d’œuvre, technologie) et se disputer les débouchés de leurs produits. La compétition économique façonne et conditionne également les comportements humains individuels et interpersonnels. Le moteur de cette économie est la cupidité (profit, accumulation, rentes) et le résultat ne peut être que l’hostilité et l’antagonisme entre les personnes, entre les communautés, entre les États. La racine de la guerre - si l’on voulait vraiment la déraciner - se trouve dans la violence structurelle sur laquelle reposent les modes de production, de distribution et de reproduction qui triomphent aujourd’hui sous toutes les latitudes. Un système mortifère et biocide. Parce qu’il génère des guerres, colonise et militarise les esprits, coupe toute relation avec l’autre différent de soi, détruit la biosphère, réduit les espaces de vie de toutes les espèces vivantes.

Pour “répudier” la guerre, il faut inventer et pratiquer une économie de paix. Une économie désarmée, “sans guerre”, tout d’abord. Jusqu’à présent, l’économie de guerre a été le bras armé de l’économie de marché. Les économistes de la paix, dans leur optimisme, nous disent au contraire qu’il serait possible de repenser l’économie en enlevant le fusil de l’épaule du marché. Nous aimerions espérer que cela soit vrai, mais nous ne voyons pas le bout du tunnel.

Désarmons le monde !

 

07/03/2023

March 8: International Women's Day Journée internationale des droits des Femmes Internationaler Frauentag Día Internacional de Lucha de las Mujeres

Pourquoi le 8 mars n’est pas « la journée de la femme »

Journée internationale des droits des femmes 2023 Paris

Internationaler Frauentag Veranstaltungen in Berlin

REINALDO SPITALETTA
Sang et sueur de femme

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, 7/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme la Journée internationale des femmes s’est banalisée ! Elle n’est plus qu’une caricature, vidée de son histoire et de sa mémoire. Il a été dit que le capitalisme est habile à transformer en marchandise ce qui était autrefois une menace pour sa stabilité et ses contraintes. Ce qui a émergé comme une demande sociale, avec des protestations populaires, avec des soulèvements, avec des morts et de nombreuses blessures, avec du sang, doit être transformé en une frivolité, car il peut être vendu et dépouillé de son contexte.

La lutte des femmes pour la conquête de leurs droits est longue, avec une présence peu visible mais historique dans la Révolution française, et un vaste catalogue de manifestations de protestation aux XIXe et XXe siècles. Le capitalisme, qui, selon les mots de Marx, est né « ruisselant de sang par tous les pores », a introduit des horaires de travail inhumains, ce qui a donné lieu à des mouvements de protestation colossaux en Europe et aux USA, comme La lutte pour les “Trois Huit”.

Aux luttes des travailleuses pour des revendications économiques s’ajoutent des luttes pour des droits politiques, comme le suffrage et l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Au milieu des luttes aux USA, il y a eu des grèves et des mouvements héroïques, comme ceux des célèbres Martyrs de Chicago, qui ont conduit à la création mondiale du 1er  Mai. Les immigrés, en masse, deviennent une main-d’œuvre bon marché dans les usines, comme les usines textiles, avec une majorité de travailleuses.

Dans Une histoire populaire des États-Unis, Howard Zinn dépeint des paysages austères de travailleurs exploités jusqu’à la moelle et raconte les nombreuses luttes des femmes et des hommes pour la dignité et une vie meilleure. Un poète populaire, Edwin Markham, a écrit dans le magazine Cosmopolitan sur les conditions de travail misérables : « Dans des pièces non ventilées, les mères et les pères cousent jour et nuit... et les enfants qui jouent sont appelés par les patrons à travailler aux côtés de leurs parents ».

Dans diverses usines textiles, notamment aux USA, de graves accidents ont eu lieu, avec de nombreux décès, en raison des conditions infrahumaines d’exploitation et d’insécurité industrielle. Les femmes, entassées dans les usines, travaillent seize heures par jour. À New York, au début du XXe siècle, il y avait cinq cents ateliers de confection. « Dans ces trous insalubres, tous, hommes, femmes et jeunes, travaillaient soixante-dix à quatre-vingts heures par semaine, y compris les samedis et les dimanches ! Le samedi après-midi, ils accrochaient un panneau disant : “Si vous ne venez pas le dimanche, inutile de venir le lundi” », témoigne une femme, citée par Zinn.