Traduit par Fausto Giudice
Après une soirée, Ahmad 'Abdu est monté dans sa voiture dans une ville proche de Ramallah, où la police des frontières lui a tendu une embuscade et l'a abattu. Sa famille dit que les flics l'ont pris pour son oncle.
Ahmad 'Abdu. Photo : avec l'aimable autorisation de la famille
Il y a longtemps qu'une telle liquidation n'avait pas eu lieu dans les territoires occupés. Un assassinat de sang-froid - une exécution sans procès, exactement comme le coup d'une organisation criminelle. Mais l'organisation qui a exécuté ce contrat opère au nom de l'État d'Israël : C'est l'Unité Spéciale Anti-Terroriste (Yamam) de la Police des Frontières.
Les images des caméras de sécurité dans la rue ne laissent aucune place au doute : Ahmad 'Abdu monte dans sa voiture garée, une MG bleue, dans un quartier résidentiel tranquille et aisé de la ville d'El Bireh, près de Ramallah. Il est 4h37 du matin et la rue est déserte. Il démarre la voiture, allume les lumières. Soudain, une Volkswagen Caddy grise apparaît. Trois officiers de Yamam en uniforme en sortent et ouvrent le feu sur la voiture d’ 'Abdu. Les éclairs des tirs sont visibles dans l'obscurité. 'Abdu tente d'ouvrir la porte mais tombe à la renverse, saignant abondamment. Les soudards le sortent de la voiture, peut-être pour vérifier le meurtre, et le traînent sur quelques mètres le long de la route. Ils laissent ensuite le corps ensanglanté là où il se trouve et repartent rapidement.
L'événement s'est produit à l'aube du 25 mai dans le quartier d'Umm al-Sharayet à El Bireh. Abdu, un jeune homme de 25 ans originaire du camp de réfugiés voisin d'Al-Amari, revenait d'une soirée avec des amis. Ils l'ont déposé à côté de sa voiture, qu'il avait garée sous une cabane en tôle à l'extérieur de l'immeuble Al-Kiswani ; son oncle, Mohammed Abu Arab, vit au sous-sol.
Les images montrent la police des frontières bloquant la voiture d'Ahmad 'Abdu et lui tirant dessus.
Abdu ne savait pas, et personne d'autre ne le savait, qu'il était recherché par Israël. En effet, les forces de sécurité palestiniennes ont déclaré à la famille après son assassinat qu'elles n'avaient pas reçu de demande pour l'arrêter et le remettre à Israël. Le fait est qu'il dormait chez lui et ne faisait aucun effort pour se cacher de qui que ce soit, affirme la famille, ajoutant qu'il n'avait jamais été arrêté ou interrogé par les autorités sur quoi que ce soit.
'Abdu devait se marier le mois dernier avec Baraa Al Bau, du village d'Atara ; il avait passé tout son temps à organiser le mariage et à achever la construction de sa nouvelle maison de 90 mètres carrés dans le camp de réfugiés. Il a passé la dernière soirée de sa vie, avant de sortir plus tard avec ses amis - on ne sait pas où ils sont allés - avec Baraa. Il lui a promis une surprise avant le mariage, mais n'a pas donné de détails. La famille pense qu'il voulait dire qu'il parviendrait à finir de construire la maison avant le jour de leur mariage.
Une semaine auparavant, le 18 mai, une manifestation avait eu lieu au carrefour DCO, à l'entrée nord de Ramallah. À l'époque, l'opération israélienne contre le Hamas était en cours dans la bande de Gaza, la Cisjordanie était en émoi par solidarité avec les Gazaouis bombardés, et les soldats des forces de défense israéliennes avaient la gâchette encore plus facile que d'habitude. L'armée affirme qu'un participant à la manifestation a tiré sur ses soldats. Apparemment, 'Abdu était un suspect. Mais après qu'il a été tué, son oncle, Abu Arab, a été arrêté ; il est soupçonné d'avoir tiré.
Alors, les assassins de Yamam ont-ils mal identifié la victime ? Et pourquoi fallait-il le tuer alors qu'il aurait pu être facilement arrêté ? L'oncle, d'ailleurs, s'est rendu aux autorités à la fin de la période de deuil de trois jours pour son neveu et depuis lors, il est en détention et subit des interrogatoires ; sa femme a également été arrêtée puis relâchée. La famille est convaincue que les officiers de Yamam croyaient avoir assassiné Abu Arab.
Les photographies de la MG bleue montrent des impacts de balles sur le côté gauche. Les photos du corps d’ 'Abdu montrent qu'une balle a pénétré dans son épaule gauche, ce qui semble être la cause de sa mort. Des voisins qui se sont précipités sur les lieux l'ont vu allongé sur le sol, du sang suintant de sa bouche, probablement à cause d'une blessure interne. Ses coudes étaient meurtris, apparemment parce qu'il avait été traîné sur la route. D'autres balles ont touché sa jambe gauche.
Les témoignages des voisins, recueillis immédiatement après la fusillade par Iyad Hadad, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem, racontent la même histoire. Entendant des coups de feu dans la rue tranquille, les voisins ont regardé dehors et ont vu les policiers de Yamam. Le temps qu'ils trouvent le courage de descendre, les Israéliens étaient déjà partis. Un voisin se souvient avoir entendu un faible appel à l'aide. Un autre a entendu un gargouillis, puis le silence. Une voisine a crié de sa fenêtre : « Ils l'ont tué ! Ils l'ont tué ! »
L'ambulance du Croissant-Rouge qui est arrivée à 4 h 45, après avoir été appelée par les voisins, a transporté 'Abdu dans un hôpital de Ramallah, où son décès a été constaté. Les résultats de l'autopsie n'ont pas encore été communiqués à la famille.
Le porte-parole de la police des frontières, Tamir Faro, a fait la déclaration suivante à Haaretz cette semaine : « Les combattants de Yamam opéraient dans le but de mettre en détention un collaborateur de terroristes. Le tir a été exécuté conformément aux règles d'engagement. Les combattants de Yamam ainsi que les organisations de sécurité continueront à travailler pour la sécurité du public, tout en risquant leur vie, avec détermination et professionnalisme ».
La voiture d'Ahmad 'Abdu, percée de balles. Photo Iyad Hadad / B'Tselem
Le même jour, à 7 heures du matin, le « capitaine Halabi » du service de sécurité du Shin Bet a appelé Ayman Abu Arab, un autre oncle du côté de la mère de Mohammed, et a exigé que son frère Mohammed Abu Arab se présente immédiatement au centre d'interrogatoire d'Ofer. Ayman, qui porte un T-shirt Versace noir lorsque nous le rencontrons, est un militant du Fatah. Il a été arrêté 13 fois et a passé 14 ans et trois mois dans les prisons israéliennes. Il a 48 ans - Mohammed en a 43 - et travaille comme mécanicien de bulldozer. Père de cinq enfants, Ayman a deux épouses et possède deux appartements, l'un à El Bireh et l'autre à Al Amari.
La dernière fois qu'Ayman a vu son neveu, quatre jours avant que celui-ci ne soit tué, 'Abdu lui a demandé de lui trouver du travail pour l'aider à financer le mariage et la construction de sa maison. 'Abdu était employé dans la boulangerie d'El Bireh qui appartient à la famille de sa fiancée ; avant cela, il était agent d'entretien à la municipalité d'El Bireh. Le dernier soir de sa vie, il a acheté du knafeh pour sa fiancée et sa petite sœur.
Lorsqu’ Ayman a reçu l'appel de « Halabi », il était encore à l'hôpital de Ramallah, assommé par le chagrin, et s'occupait du transfert du corps de son neveu pour l'inhumation. Le capitaine Halabi lui a dit qu'il était désolé de la mort de son neveu, dit Ayman. « Savez-vous pourquoi il a été tué ? » a demandé l'homme du Shin Bet, avant de répondre à sa propre question : « Parce qu'il a aidé son oncle, Mohammed ». L'officier a exigé qu'Ayman fasse venir Mohammed. Ayman lui a dit que la famille était plongée dans son chagrin. Le capitaine Halabi a rappelé à 17 heures, exigeant que Mohammed se présente immédiatement.
Une manifestation à l'entrée de Ramallah, le 18 mai. Photo ISSAM RIMAWI / Anadolu Agency
« Vous avez fait ce que vous avez fait et maintenant vous voulez Mohammed ? », a répondu Ayman. « Nous sommes en deuil. Mohammed est mal en point, mentalement. Donne-nous trois jours pour faire notre deuil. Quand la période de deuil sera terminée, il viendra chez vous ».
Le Shin Bet a continué à appeler Ayman, et pendant ce temps, Mohammed a disparu. La famille avait peur que lui aussi soit assassiné, comme 'Abdu. Mohammed a insisté pour ne pas se rendre avant la fin de la période de deuil. "Vous avez tué mon neveu, et vous voulez que j'arrête maintenant la période de deuil et de recevoir des condoléances ? Je ne viendrai pas ».
Halabi a été relayé pour les appels par le « capitaine Sahar » et le « capitaine Khalil ». Hadad, de B'Tselem, a entendu l'une des tentatives de persuasion de Halabi. Halabi a promis que l'interrogatoire serait court.
Le samedi soir 29 mai, à la fin de la période de deuil, les trois frères de Mohammed - Ayman, Karim et Amin - ont accompagné leur frère recherché à la prison d'Ofer. Ils avaient appelé l'agent du Shin Bet pour l'informer qu'ils étaient en route. Des forces importantes les attendaient à l'extérieur. Mohammed a été emmené pour un long interrogatoire dans le centre d'interrogatoire du Shin Bet situé dans le Complexe russe au centre de Jérusalem.
Le quartier d'Umm al-Sharayet à El Bireh, où Ahmad 'Abdu a été abattu. Il devait se marier le mois dernier. Photo Alex Levac
Deux semaines plus tard, le Shin Bet a appelé le frère de Mohammed, Amin, et lui a demandé de leur amener la femme de Mohammed, Nisrin, 28 ans. La famille est certaine que la demande de l'amener pour un interrogatoire était destinée à faire pression sur Mohammed. Elle a été libérée au bout de sept heures, mais dix jours plus tard, elle a reçu l'ordre de se présenter pour un nouvel interrogatoire. Cette fois, elle a été détenue pendant cinq jours avant d'être libérée. Son interrogatoire a porté sur sa participation à la manifestation où les coups de feu ont été tirés. Selon la famille, le fils de Mohammed tenait un fusil jouet lors de la manifestation, à laquelle ils avaient assisté par curiosité.
Ayman dit qu'il est convaincu que le Shin Bet a reçu de fausses informations. Il demande pourquoi ils n'ont pas appelé la famille pour qu'elle puisse dénoncer 'Abdu, comme ils l'ont fait pour Mohammed, au lieu de le liquider de sang-froid au milieu de la nuit et sans procès.
« Qui est responsable de ce meurtre ? Qui dédommagera la famille ? », demande-t-il : des questions superflues auxquelles il n'y a et il n’y aura pas de réponse.
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