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30/07/2021

GIDEON LEVY
Mohammed Tamimi allait chercher son petit frère lorsque des soldats israéliens l'ont abattu à bout portant

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 30/7/2021
Traduit par Fausto Giudice

La porte d'une jeep de l'armée israélienne qui était entrée dans le village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, s'est soudainement ouverte sans raison apparente et un soldat a tiré sur Mohammed Tamimi, 17 ans, sous le regard choqué de son cousin.

 

 En haut, Mahmoud Tamimi, le jeune frère de Mohammed, qui a été tué la semaine dernière.

Mahmoud Tamimi grimpe sur le tronc de l'olivier mort dans la cour de sa maison, et hisse le drapeau de la Palestine. C'est un garçon de 13 ans qui a perdu vendredi dernier son frère aîné, Mohammed, 17 ans, abattu par des soldats des Forces de défense israéliennes alors qu'il venait le chercher. Leur jeune frère, Mustafa, porte le nom d'un autre Mustafa Tamimi, leur cousin, qui a été tué par des soldats en 2011.

 

Mohammed Munir Tamimi est la cinquième personne tuée ces dernières années dans le village de Nabi Saleh, non loin de Ramallah en Cisjordanie, dont la quasi-totalité des habitants sont issus du clan Tamimi. Le village voisin, Deir Nidham, est également une localité presque entièrement composée de Tamimi, et c'est là que vivait la famille du dernier tué, Mohammed, avant de déménager elle aussi à Nabi Saleh il y a trois ans.

 

Compliqué ? Beaucoup moins que de voir Mahmoud accrocher son drapeau national sur le tronc d'un olivier, encore totalement traumatisé par la mort de son frère. De tous les meurtres commis à Nabi Saleh, la mort de Mohammed est peut-être le plus criminel de tous. Les soldats n'avaient aucune raison apparente d'entrer dans le village il y a une semaine, alors que tout était calme - et encore moins d'ouvrir la porte blindée de leur jeep, de tirer à bout portant sur le jeune dans l'estomac, puis de fermer la porte. Et comme si cela ne suffisait pas, les soldats qui marchaient derrière le véhicule ont tiré d'autres balles sur l'adolescent blessé qui tentait de fuir pour sauver sa vie dans une maison adjacente, mais s'est effondré, en sang, en chemin.

 


Mohammed Tamimi

Nabi Saleh a mis fin à ses manifestations anti-occupation régulières du vendredi en 2016, après six ans, lorsque les FDI ont commencé à utiliser des tireurs d'élite et des balles réelles contre les habitants non armés. Mais plus de personnes y ont été tuées depuis la fin des manifestations que pendant la période où elles se déroulaient. Mustafa Tamimi a été tué en 2011, Rushdi Tamimi en 2012, Saba Ubaid de Salfit, un autre village de Cisjordanie, a été tué à Nabi Saleh en 2017 et Izz a-Din Tamimi a été tué en 2018. Aujourd'hui, Mohammed Tamimi a rejoint la liste.

 

Vendredi, la première rumeur qui s'est répandue était que c'était Mohammed, le frère d'AhedTamimi, la jeune militante-héroïne de la lutte populaire des Palestiniens, qui avait été tué. Il y a des dizaines, voire des centaines de personnes qui s'appellent Mohammed (ou Mohammad ou Muhammad) Tamimi. L'adolescent qui a été abattu n'était pas le frère d'Ahed, mais son cousin. Le frère d'Ahed était avec lui lorsqu'il a été tué ; les deux jeunes étaient proches.

 

Le père d'Ahed, Bassem Tamimi, l'un des leaders de la lutte à Nabi Saleh, nous a rejoints lors de notre visite à la salle des fêtes où la famille endeuillée recevait les condoléances à Deir Nidham. Le père endeuillé, Munir, parle couramment l'hébreu, ayant travaillé pendant des décennies en Israël et dans les colonies. Pendant 30 ans, il a travaillé comme rénovateur de maisons et technicien en climatisation dans la colonie de Beit Aryeh. Il a de nombreux amis là-bas qui voulaient lui présenter leurs condoléances, nous dit-il, mais il leur a suggéré de s'abstenir de lui rendre visite pendant la période de deuil tendue dans le village.

 Munir Tamimi, le père de Mohammed

 « Ce sont des amis-frères qui voulaient venir, mais je veux m'assurer que personne ne sera blessé », dit-il.

 

La salle était à moitié pleine lorsque nous sommes arrivés lundi en début d'après-midi. La scène portait les décorations d'un mariage, mais l'ambiance était sinistre. Dattes séchées et café amer, le menu standard. 

 

Bassem Tamimi raconte qu'une jeep est arrivée à Nabi Saleh vers 16h30 et s'est arrêtée à la station-service à l'entrée du village avant de poursuivre sa route. C'était calme à ce moment-là. Pendant les années de manifestations, les FDI ont arrêté environ 400 habitants, la plupart des adolescents et des enfants, dont 16 femmes, sur une population locale totale d'environ 600 personnes. Lorsque la jeep est arrivée cette fois-ci, les jeunes ont commencé à    lui jeter des pierres. Les soldats ont tiré des grenades lacrymogènes, et un nuage de gaz a recouvert le village - une expérience familière.

 
Mais Mahmoud, le jeune frère du défunt, a récemment guéri d'un cancer de l'œil, et sa mère, craignant que le gaz ne mette en danger l'œil en voie de guérison, a envoyé Mohammed chez des parents où Mahmoud avait reçu l'ordre de se rendre, afin de le ramener à la maison. Leur père était en train d'installer un climatiseur dans le village voisin de Deir Abu Mash'al à ce moment-là.

 

 La maison de la famille Tamimi à Nabi Saleh, cette semaine. Plus de personnes ont été tuées depuis que les manifestations y ont pris fin en 2016 que pendant les six années où elles ont eu lieu

 

Munir, 52 ans, a encore quatre enfants. C'est un homme solidement bâti, fait pour son boulot. Il a rencontré sa femme, Baraa, 40 ans, en Jordanie. Sa famille a émigré il y a longtemps aux USA, et elle aussi a la nationalité usaméricaine. Pendant les 13 premières années de leur mariage, Israël ne lui a pas permis d'entrer en Cisjordanie, et la famille a été partagée entre Zarqa en Jordanie et Nabi Saleh. Le travail de Munir se trouve en Cisjordanie, mais sa femme n'a pas été autorisée à s'y rendre. Il partage sa vie entre ici et là-bas, traversant la Jordanie tous les deux ou trois mois pour voir sa famille, puis rentrant chez lui.

 

Le débat sur la loi sur la citoyenneté, qui empêche la réunification des familles de Palestiniens en Israël et qui a récemment fait la une de l'actualité, ne tient pas compte du fait qu'avec la même cruauté, le pays empêche même les Palestiniens de Cisjordanie de vivre avec leur partenaire de Jordanie.

 

La famille Tamimi a donc été déchirée, jusqu'au jour où l'autorisation d'entrée tant convoitée est arrivée et où Baraa a été autorisée à entrer en Cisjordanie - mais en tant que touriste, sans statut de résidente. C'était il y a huit ans ; depuis, elle y est restée avec son mari et ses enfants, avec un visa qui a depuis longtemps expiré. Ainsi, elle n'ose pas quitter la Cisjordanie pour rendre visite à sa famille aux USA ou pour se rendre en Jordanie, sachant qu'Israël ne la laissera pas revenir. À une occasion, elle a été arrêtée à un poste de contrôle, mais les soldats l'ont laissée partir après qu'elle les eut suppliés. Elle n'a pas assisté aux funérailles de sa grand-mère et de son grand-père aux USA. Aujourd'hui, en raison de la réglementation sur le coronavirus, sa mère n'a pas pu faire le voyage de là-bas pour la réconforter dans son angoisse de la perte de Mohammed.

 


  Les funérailles de Mohammed Tamimi

Vendredi 23 juillet, Mohammed s'est levé vers 8h30 pour aller travailler dans l'oliveraie familiale en vue de la récolte d'automne. Dans l'après-midi, alors que les gaz lacrymogènes se répandent dans le village, sa mère, inquiète, l'envoie chercher son jeune frère Mahmoud pour tenter de le ramener à la maison. Selon son père, Mohammed n'a rien fait pour provoquer les soldats. La jeep des FDI s'est arrêtée près de lui, sa porte s'est ouverte et le seul coup de feu tiré a atteint Mohammed. Il s'est écroulé de douleur et a tenté de s'enfuir avec les forces qui lui restaient, mais quatre soldats à pied l'ont alors abattu de deux autres balles.

 

Les médecins qui l'ont soigné ont ensuite dit à son père que l'une des trois balles avait explosé dans l'estomac de l'adolescent et n'avait pas laissé un seul organe interne intact. Tout est déchiré à l'intérieur, lui ont-ils dit. Le cousin Mohammed, fils de Bassem choqué, a dit à son père qu'il avait « vu le riz se déverser de l'estomac de Mohammed ». Selon Munir, qui a vu le corps de son fils dans le petit hôpital de Salfit, une balle l'a frappé à la hanche droite, une autre est entrée par le dos et est ressortie par l'estomac - ou vice versa - et la balle la plus mortelle de toutes a frappé les fesses et s'est élancée vers le haut dans tout le corps, faisant des ravages.

 

Trois vidéos ont été tournées par trois témoins oculaires locaux. Dans un des clips, on voit la porte blindée du véhicule des FDI s'ouvrir pendant une fraction de seconde, puis le soldat à côté du conducteur tire un coup de feu et referme la porte ; un autre soldat ouvre ensuite la porte arrière et la referme immédiatement. Dans le deuxième clip, on voit la jeep dans la rue, où des villageois la bombardent de chaises en plastique et de pierres, sans faire de dégâts. Le troisième clip montre les taches de sang et les personnes évacuant Mohammed du chemin menant à une maison voisine. On ne sait pas très bien ce qui a précédé, mais on sait encore moins ce que la jeep faisait là et pourquoi elle s'est arrêtée de manière si provocante au milieu du village. Le drapeau rouge et blanc de la brigade des parachutistes flotte au vent au-dessus de la tour fortifiée qui domine l'entrée du village, signe que les soldats qui ont abattu Mohammed portaient également les bérets rouges caractéristiques.

 Un graffiti sur un mur de Nabi Saleh représente Mohammed Tamimi

Haaretz a demandé à l'unité du porte -parole des FDI pourquoi le véhicule de l'armée est entré dans le village en premier lieu et pourquoi Mohammed Tamimi a été abattu. Pourquoi avec des balles réelles ? Et pourquoi trois balles dans le ventre ? La réponse : « Suite à l'incident en question, une enquête a été ouverte par le département des enquêtes criminelles de la police militaire, après quoi les conclusions seront transférées pour examen au bureau du procureur militaire ».

 

Mohammed était apparemment encore à moitié conscient lorsque les voisins l'ont emmené d'urgence dans un petit taxi collectif à l'hôpital de Salfit ; il a marmonné qu'il avait mal au ventre. Il est mort sur la table d'opération. Lorsque son père, abasourdi, est arrivé à l'hôpital, il était trop tard.

 

Lors de notre visite cette semaine, son frère Mahmoud, un garçon pâle à l'œil malade, nous a emmenés à l'endroit où Mohammed a été tué et nous a montré la tache de sang sur la route et une autre à l'endroit où il est tombé, en route vers la maison.

 

En quittant Nabi Saleh, nous avons vu Ahed Tamimi revenir de ses études à l'université de Birzeit dans sa petite voiture. En mars 2018, elle a été reconnue coupable de quatre chefs d'accusation pour avoir agressé un officier et un soldat de Tsahal, et condamnée à huit mois de prison. Sa tante et son oncle ont été tués par l'armée. Un autre parent nommé Mohammed, 15 ans, a reçu une balle dans la tête en 2017 en face de sa maison par des soldats utilisant une balle métallique enrobée de caoutchouc ; il a perdu un œil et reste handicapé. Aujourd'hui, son cousin Mohammed Munir Tamimi a lui aussi été tué.

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