GIDEON LEVYPour les soldats israéliens, un Arabe n’est qu’un Arabe, même s’il est vice-président de la Knesset

Gideon Levy, Haaretz, 22/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Trois membres de la Knesset de la Liste Unifiée, majoritairement arabe, ont effectué une visite à Hébron la semaine dernière. À l'un des barrages routiers, un soldat de la brigade Golani a bloqué le député (et vice-président de la Knesset) Ahmad Tibi et lui a aboyé dessus : « Tu te prends pour qui ? Avec moi, tout le monde y passe ».

Les FDI ont soutenu le soldat, Channel 12 a grondé Tibi, le président de la Knesset et député de Yesh Atid Mickey Levy a soutenu Tibi avec un courage inhabituel, le père du soldat a déposé une plainte contre Tibi et Tibi a déposé une plainte contre le soldat. Et voilà, une carte d'Israël 2021. À l'exception de Levy, dont on n'aurait pas pu s'attendre à ce qu'il soutienne Tibi - après tout, ce dernier est un député arabe et, de surcroît, de la Liste Unifiée - chacun a rempli son rôle.

Tibi et ses collègues ont visité un lieu que la plupart des députés travaillistes et de Yesh Atid n'ont jamais visité. On ne peut pas être un membre sérieux de la Knesset sans visiter au moins une fois ce bastion de l'apartheid israélien. La plupart des Israéliens n'y sont jamais allés non plus. Vous ne pouvez pas être un citoyen honnête sans exploser de colère face à ce qui s'y passe.

Je suis sûr que Tibi, face au soldat, était en colère et frustré. Je n'ai jamais été dans la zone H2 (où Israël exerce un contrôle militaire total) à Hébron sans éprouver ces sentiments. C'est impossible de ne pas en éprouver. Pour moi, cela s'accompagne d'un sentiment de honte et de culpabilité à l'égard de la population occupée et expulsée, un sentiment dont le Palestinien Tibi est épargné.

 Le brave soldat Ofek avec Baruch Marzel...

Dans un endroit où il n'y a pas d'êtres humains, les députés de la Liste Unifiée ont essayé d'être des êtres humains, mais le soldat de Golani leur a dit qu'ils n'avaient rien à faire là. Le soldat de Golani a dit qu'avec lui, personne ne passait. Juste après l'incident, Elor Azaria, le soldat israélien condamné pour avoir tué un assaillant palestinien neutralisé en 2016, est arrivé sur les lieux pour une visite médiatisée en soutien au soldat, qui avait pris une photo avec le militant d'extrême droite Baruch Marzel en souvenir.

 ...et avec Elor Azaria

Pour la plupart des Israéliens, y compris deux anciens porte-parole des forces de défense israéliennes, Oded Ben-Ami et Nir Dvori, qui ont critiqué Tibi à la télévision, le héros de l'histoire, c’est le soldat.

Dans les médias, ils l'appellent un « soldat de combat Golani ». Ce n'est pas un soldat de combat. Il n'y a pas de soldats de combat israéliens à Hébron parce qu'il n'y a pas de guerre à Hébron. À Hébron, il y a une occupation brutale et une armée d'occupation cruelle qui la maintient. Chaque soldat à Hébron se comporte brutalement ; c'est impossible de ne pas le faire, c'est le travail et quelqu'un doit le faire. Lorsque le soldat Golani aboie à Tibi « personne ne me passe dessus », il remplit son rôle. Aucun Arabe ne lui passera sous le nez, c'est son travail.

C'est une bonne chose que l'armée l'ait soutenu parce qu'il est stationné là uniquement pour faire ce travail de soldat redoutable et veiller à ce qu'aucun Arabe ne lui échappe. Il est clair que si un colon lui fait face, « personne ne m'échappe » devient « tout le monde m'échappe », parce que les soldats à Hébron sont formés pour être redoutables uniquement envers la population occupée, jamais envers l'occupant.

Nous vivons, rappelons-le, dans l'État juif. Attendre d'un soldat de 19 ans qu'il fasse la distinction entre un Arabe israélien et un Palestinien, entre un membre arabe de la Knesset et un terroriste, est bien sûr une exigence excessive et inutile. Une résolution aussi élevée est destinée aux libéraux au grand cœur, pas aux soldats de combat pour qui chaque Arabe est un Arabe.

Les médias ont également joué le rôle attendu. Le correspondant militaire Dvori a sermonné Tibi pour avoir « agressé » le soldat et a déclaré que si Tibi voulait exercer une influence, il devait rejoindre la coalition [au pouvoir].

« Tibi est un provocateur », a gazouillé Dvori. Tibi est le provocateur, pas l'occupation. C'est évident. C'est ce que les téléspectateurs veulent entendre. C'est ce que leur télévision leur dit depuis des années. Ben-Ami a défendu Dvori et a dit que le soldat faisait fidèlement son devoir. Et cela aussi est on ne peut plus précis - le rôle de Dvori est de protéger l'armée et d'empêcher toute critique et c'est effectivement ce qu'il a fait.

Un soldat intimidant bloque le passage de Tibi, et le soldat a le dessus. Un soldat intimidant bloque le chemin d'un député et Israël acclame le soldat.

Qu'y a-t-il à dire de plus ?