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01/08/2021

GID'ON LEV
Comment l'égalité de genre et la technologie ont ruiné la sexualité : entretien avec la psychanalyste Danielle Knafo

Gid'on Lev ןועדג בל, Haaretz, 3/6/2021 

Traduit par Fausto Giudice

Le BDSM est partout, le porno pousse les gens normaux [sic] à la pédophilie et les obstacles sont le meilleur moyen de pimenter les choses dans la chambre à coucher. Danielle Knafo, spécialiste de la sexualité, annonce une nouvelle ère de perversion.

Le sexe fait vendre, excite, intrigue, galvanise. Et ce n'est pas un goût acquis, mais quelque chose qui est là dès les premiers instants de notre existence.

« Le nourrisson humain est excité par tout, chaque chose excite sexuellement les nourrissons, ils ne sont pas sélectifs », explique la spécialiste de la sexualité et psychanalyste Danielle Knafo. « Le nourrisson se moque de savoir si vous êtes homme, femme ou trans, si vous êtes vieux ou jeune, animal ou objet inanimé - il est excité par tout. Le point de départ de chacun d'entre nous est la sexualité polymorphe, comme l'appelait Freud, c'est ainsi que nous commençons notre vie, et cela a une influence énorme ».

Ce début passionnant entraîne très vite un clash douloureux. « Le fait est que nous devons vivre en société et que, par conséquent, nous ne pouvons pas faire tout ce que nous souhaitons », explique Knafo. « Et une grande partie de ce qui nous est interdit est liée à la sexualité. Les lois, les parents, le système scolaire, la religion - ils sont tous là pour nous contrôler, et principalement pour contrôler notre sexualité. C'est ce qui nous rend si complexes. Ce n'est pas seulement parce que nous avons de fortes pulsions. Le problème, c'est que la société ne cesse de nous dire : « Tu ne peux pas », elle essaie constamment de restreindre notre sexualité polymorphe innée ».

Cette contrainte est vécue comme un traumatisme et laisse des cicatrices qui façonnent la suite de notre vie en tant qu'êtres sexuels. « Le traumatisme existe à différents niveaux », poursuit-elle. « Tout le monde n'a pas été abusé sexuellement, mais en tant qu'êtres humains, nous vivons tous un traumatisme de limites : Peu importe la bonté de nos parents, ils nous disent quoi faire, et cela semble toujours agressif du fait même qu'ils nous commandent. Mon fils a été en colère contre moi pendant des années parce que je lui ai dit qu'il devait aller à l'école hébraïque. Il avait l'impression que je lui avais causé un traumatisme, et ce pour quelque chose de simple, de positif. Je l'ai envoyé dans un bon endroit. Tous les parents sont des dictateurs, plus ou moins éclairés, qui règnent pendant une très longue période : 18 ans ».

Souvent, la façon dont la psyché fait face aux traumatismes inévitables de l'enfance, dit Knafo, est de retourner à l'endroit de la blessure pendant les relations sexuelles adultes : « Il est dangereux de retourner à l'endroit où s'est produit le traumatisme, nous pouvons être blessés à nouveau, mais si cela ne se produit pas, il peut y avoir un sentiment de réussite, de contrôle, et c'est excitant. Par exemple, un patient dont la famille se moquait de sa masculinité - ses sœurs aînées et sa mère l'habillaient avec des vêtements de fille et l'humiliaient. Quand il a grandi, il s'est travesti. Il ne veut pas être une femme, il s'habille seulement comme une femme, puis sort son pénis et dit : « Ha ! Je suis un homme, malgré ce que vous m'avez fait ». Et cette excitation le fait jouir ».

« Le désir humain est agité, et les gens sont en permanence à la recherche de sensations fortes », note-t-elle, « y compris des sensations interdites et des expériences qui reconstruisent inconsciemment des blessures, des humiliations et des événements déstabilisants de l'enfance restés sans traitement ». L'une des perversions les plus répandues est celle des hommes qui enfilent une couche pour bébé et se font humilier par une dominatrice. Ils rejouent quelque chose qui leur est arrivé, mais se sentent désormais maîtres de la situation et en tirent même du plaisir ».

 

Attendez, est-ce que c'est répandu ?

« Très ! »

Je ne vous suis pas.

« Le psychanalyste britannique Brett Kahr a analysé les fantasmes sexuels de 23 000 hommes et femmes de tous âges. Il a constaté que beaucoup d'entre eux contiennent des images fortes de sadisme, de masochisme et d'autres formes de mal. Si nous devions réaliser nos fantasmes, bon nombre d'entre nous finiraient en prison, a-t-il écrit. Les perversions proviennent de lieux de conflits, d'abus, de traumatismes. Les gens prennent quelque chose de très dur et essaient inconsciemment d'en faire quelque chose ».

Déformer la vérité

Mme Knafo, professeur de psychologie clinique à l'université de Long Island, est l'une des principales théoriciennes de la sexualité au monde. Les fruits de ses années de recherche sont concentrés dans son livre de 2020 intitulé « The New Sexual Landscape and Contemporary Psychoanalysis » (coécrit avec Rocco Lo Bosco ; Confer Books), qui mêle les idées thérapeutiques aux dernières recherches sociologiques. Knafo est née dans la ville portuaire de Safi, dans l'ouest du Maroc, et a déménagé avec ses parents aux USA lorsqu'elle était enfant. « C'était un énorme changement », raconte- t-elle, « mais le foyer est resté marocain - la nourriture, la tradition, la musique ». Elle continue à se rendre fréquemment au Maroc et est la vice-présidente de l'association judéo-musulmane des Marocains de New York.

 

À  l'âge de 17 ans, Knafo est venue seule en Israël et a étudié l'hébreu (sa quatrième langue, après le français - qu'elle parlait à la maison -, l'anglais et l'espagnol). Elle obtient deux diplômes universitaires en Israël, en psychologie clinique et en littérature anglaise, puis retourne aux USA où elle suit une formation de psychanalyste. Elle a ensuite passé une autre période en Israël, où elle a donné naissance à son fils, son unique enfant, en tant que mère célibataire. Nous nous rencontrons dans l'appartement qu'elle loue à Tel Aviv, rue Hayarkon, au bord de la mer, lors d'une visite en Israël, au cours de laquelle elle a donné une conférence à l'université de Tel Aviv.

Les recherches de Mme Knafo sur la sexualité l'ont amenée à des réflexions qui vont au-delà de la chambre à coucher.

« En psychanalyse, nous mettons l'accent sur la sexualité, mais la perversion peut apparaître dans toutes les activités humaines », dit-elle. « C'est un phénomène très répandu aujourd'hui dans les grandes entreprises, dans le secteur de la santé mentale, dans les gouvernements. Elle existe dans tout système qui, dans son activité, déforme son sens et son but originels. Prenons le système policier, par exemple. Il est évident qu'ils sont là pour nous garder, pour nous protéger, mais nous voyons un policier appuyer sur le cou de quelqu'un pendant neuf minutes et demie - c'est une perversion du maintien de l'ordre, il fait le contraire de ce qu'il est censé faire ».

La perversion, observe Knafo, est le phénomène qui caractérise le plus notre époque. Dans son livre de 2016, « The Age of Perversion: Desire and Technology in Psychoanalysis and Culture », elle écrit : « Bien que nous soyons d'accord pour dire que l'anxiété, le narcissisme, la terreur et la psychopathie sont des forces puissantes dans la culture d'aujourd'hui, nous les voyons subsumés dans ce que nous appelons l'âge de la perversion ».

Qu'est-ce que la perversion ?

« Un aspect central de la perversion est le déni d'un aspect de la réalité. Le principal mécanisme de défense dans la perversion, selon Freud, est celui du désaveu. La perversion implique toujours l'illusion que la réalité n'est pas ce qu'elle est, ce qui est une caractéristique centrale de notre culture. La perversion s'accompagne d'une objectivation, d'une déshumanisation et d'une exploitation, qui sont également très présentes dans la société actuelle ».

Selon votre définition, Israël est un pays pervers.

« Il y a ici un désaveu de la réalité palestinienne. Je suis restée ici pendant deux semaines et personne n'en a parlé, comme si elle n'existait pas. Dans la perversion, vous prenez une tranche de réalité que vous ne pouvez pas supporter, et vous la niez, l'invalidez ou l'inversez. Par exemple, le fétichiste qui ne peut faire l'amour avec une femme que si elle porte des talons hauts. C'est une perversion très courante, mais que se passe-t-il ici ? Selon Freud, cet homme a en fait peur des organes génitaux féminins, et sa seule façon d'approcher une femme est d'effacer la différence entre les sexes, ce qu'il fait en lui donnant un phallus : la chaussure à talon haut. Mais c'est une illusion : Il n'y a pas de phallus réel, elle porte juste des chaussures. Autre exemple : la nécrophilie. J'ai écrit un article à ce sujet. Le nécrophile nie que l'objet est en fait mort ».

Le nécrophile n'est-il pas excité par le fait que le corps est mort ?

« Non, ce qui l'excite, c'est que l'objet ne peut pas résister - tout comme il y a des gens qui droguent les femmes pour qu'elles soient complètement soumises. Mais il imagine que le cadavre est vivant et qu'il peut l'aimer. Il y a un déni de la différence entre vivant et mort ».

Revenons un instant sur l'attitude pervertie à l'égard des Palestiniens.

« Nous imaginons qu'ils n'existent pas, et puis de temps en temps une guerre éclate et le désaveu ne fonctionne pas. Soudain, les gens doivent faire face à la réalité. Mais ce n'est pas seulement que nous nions leur existence ; nous ignorons leur humanité, leurs droits civils. C'est une perversion, car nous aimons penser que nous sommes une démocratie, que nous sommes humains et moraux. Mais ensuite, ils [les Palestiniens] ne sont pas vaccinés. Nous sommes les gentils, mais allez aux postes frontières et voyez ce que l'on fait aux gens. C'est la définition de la perversion : la déshumanisation, le traitement des gens comme objet et non comme sujet. Vous le voyez en politique, dans les affaires, même en psychologie. Aux USA, lorsqu'ils attrapaient des suspects de terrorisme, des psychologues étaient chargés de l'interrogatoire ».

 

Emmanuel Dunand/AFP

J'imagine que le Mossad et le service de sécurité Shin Bet emploient également des psychologues.

« Ce sont des gens qui sont censés soigner les autres, les aider, et ils font usage de leurs connaissances pour superviser la torture ! Ils renversent l'essence même de la profession. C'est de la perversion ».

Que diriez-vous de Benjamin Netanyahou ?

 

« Oh, c'est une question difficile ».

Partout dans le monde, c'est le sexe qui fait vendre les journaux. En Israël, le sexe a un concurrent sérieux.

« Netanyahou est un génie politique qui croit que les règles qui s'appliquent aux autres s'appliquent pour l’atteindre. Il ne veut pas accepter certains aspects de la réalité, il ne veut pas renoncer à son pouvoir ; son sentiment d'omnipotence est sans limite.

Pense-t-il vraiment qu'il est au-dessus des lois, que ce qu'il fait est bien ?

« Oui, il nie un aspect de la réalité ».

C'est pourquoi c'est si convaincant pour les autres.

« Regardez Trump. Vous vous souvenez qu'il a brandi la Bible mais que le livre était à l'envers ? On lui a demandé quelle partie de la Bible il préfère, et il a répondu : 'J'aime tout'. Il est évident qu'il n'a jamais lu la Bible, mais les évangéliques pensent qu'il est le messie. Trump est la personne la plus éloignée de la moralité et de la religion au monde, et ils nient cette réalité. C'est de la perversion. Et bien sûr, le plus grand déni est celui du fait qu'il a perdu les élections face à [Joe] Biden ».

D'après ce que vous dites, il s'avère qu'entre un quart et la moitié des citoyens usaméricains sont pervertis d'une manière ou d'une autre, et il en va de même en Israël. Netanyahou bénéficie d'un large soutien de la part des groupes de population mizrahi et traditionalistes, même s'il est totalement laïc et ashkénaze.

« Je suis d’origine marocaine, et ce n'est pas la politique que j'aimerais voir. Mais oui, si vous voulez renforcer votre tradition religieuse et que vous votez pour Netanyahou - il y a quelque chose de pervers là-dedans, parce que cela signifie agir contre vos valeurs traditionalistes. Vous commencez à voir cela partout. Le leader déforme la vérité et les gens le suivent ».

Suivre un dirigeant pervers signifie-t-il que vous devenez vous aussi pervers ? « Cela signifie que vous acceptez de prendre part à l'illusion pervertie, de nier un aspect de la réalité ».

La perversion peut-elle être un phénomène collectif ?
« Bien sûr. Le nazisme était une perversion collective ».

Discernez-vous une perversion collective à cette échelle aujourd'hui ?

 

« Il y a beaucoup de pays qui évoluent dans une direction fasciste. Le déni de la crise environnementale est une perversion sociale collective. Le monde risque d'être détruit, tout le monde pourrait mourir, et nous le nions ».

La mort et le sexe

La négation de la mort est la perversion la plus ancienne, la plus grande et la plus courante de toutes. C'est aussi ici que la perversion et la sexualité s'unissent dans toute leur force.

Knafo : « La perversion est en effet la subversion de la société, de la religion, des lois, de tout ce qui nous limite. Le pervers veut faire éclater les limites, et cela inclut les limites du corps. Le corps tombe malade, vieillit et meurt. Le pervers le nie. Le sexe nous fait nous sentir vivants, et il donne aussi la vie. C'est donc la force contraire à cette limitation absolue qui existe en nous et que nous voulons tous briser. Le sexe est un combat avec la mort, et la perversion est la révolte existentielle qui s'implante dans la conscience d'un animal conscient de lui-même ».

Les gens mouraient et protestaient contre ce fait il y a mille ans aussi. Pourquoi alors notre époque est-elle l'âge de la perversion ?

« Il y a eu de nombreuses époques de perversion, la nôtre n'est pas la première. Mais deux choses distinguent notre époque. Tout d'abord, la finalité de la mort est un problème plus important aujourd'hui qu'aux époques précédentes, où la plupart des gens croyaient en un plan divin et en la promesse de l'immortalité. Mais ce qui rend notre époque sans précédent dans sa perversion, c'est la technologie - la vitesse à laquelle la technologie progresse et change tout dans notre vie. Il y a aussi des choses merveilleuses à ce sujet, mais il y a aussi des aspects de notre utilisation de la technologie et de notre dépendance à la technologie qui rendent notre déshumanisation des autres plus extrême, et beaucoup plus courante ».

Les gens ont tendance à supposer que la déshumanisation est toujours dirigée vers l'autre, et non vers soi-même.

« Mais les deux vont toujours de pair. Si vous déshumanisez l'Autre, vous vous identifiez aussi toujours à lui inconsciemment. C'est ce qui se passe dans la pornographie. Il n'y a pas de sujets dans la pornographie, il n'y a pas d'intimité. Si vous regardez du porno, vous tuez quelque chose en vous : la capacité de vous intéresser à l'autre, la capacité de vous identifier à l'humanité de l'autre. J'ai traité pas mal de pornomanes - beaucoup d'entre eux développent le sentiment d'être comme des zombies, ils se perdent eux-mêmes ».


Danielle Knafo. Photo Daniel Tchetchik

Mme Knafo affirme qu'elle n'est pas contre la pornographie. Elle trouve même deux choses à dire en sa faveur (« Si vous avez une préférence sexuelle singulière mais que vous vivez dans une communauté conservatrice, vous ne vous sentirez pas aussi isolé ou étrange [si vous utilisez du porno] ; et cela peut aussi pimenter la vie sexuelle des couples »). Mais elle est très opposée à deux phénomènes liés à la pornographie, qu'elle trouve tous deux très problématiques.

« L'une d'elles est que les enfants d'aujourd'hui sont exposés à la pornographie avant de développer leurs goûts sexuels en tant que jeunes gens - ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. En moyenne, les enfants d'aujourd'hui sont exposés au porno à l'âge de 9 à 11 ans ! Les images pornographiques sont très fortes, et elles les troublent. Ils voient du porno et se disent : « C'est ce que je veux ». Cela leur impose quelque chose de l'extérieur au lieu qu'ils développent leurs propres désirs ».

« Le deuxième problème du porno est la dépendance. De plus en plus de personnes deviennent dépendantes, même à un très jeune âge. Plus un enfant est jeune lorsqu'il est exposé au porno, plus il devient facilement dépendant. Le cerveau est plus influençable [à cet âge]. En Chine, il existe des centaines de camps de rééducation pour les enfants qui sont devenus dépendants de la pornographie. Je traite actuellement deux hommes dépendants. Tous deux sont dans des relations à long terme et n'ont pas eu de rapports sexuels avec leurs partenaires depuis des années. Pourtant, ils les aiment. Les hommes sont plus nombreux à être dépendants, mais les femmes rattrapent leur retard. Trente pour cent des spectateurs de porno sont des femmes, et il y a des accros parmi elles aussi ».

Knafo cite des chercheurs qui affirment que sans la pornographie, le web imploserait. « La pornographie est ce qui fait vivre l'internet. Une visite sur six sur le web est destinée à la pornographie, et selon les estimations, 80 % du dark web est consacré à la pornographie enfantine. Si vous voulez comprendre l'importance du sexe, il vous suffit d'aller sur l'internet. Je dis à mes étudiants que s'ils veulent connaître l'inconscient de leurs patients, ils doivent leur demander quels sites ils utilisent. S'ils s'intéressent à la pornographie, demandez-leur ce qu'ils regardent, à qui ils s'identifient ».

Vous demandez réellement à vos patients ce qu'ils font en ligne ?

« Absolument ! Je demande quand c'est approprié, mais je demande absolument. Et la réponse est toujours une surprise. Je suis thérapeute depuis de nombreuses années, j'ai travaillé avec des centaines de patients, et je suis à nouveau surprise à chaque fois que j'apprends quelque chose sur la vie sexuelle des patients, sur leurs habitudes de consommation de porno. C'est l'une des choses que je ne peux pas deviner à l'avance ».

Pourquoi la sexualité est-elle un aspect si inattendu de notre personnalité ?

« Parce que c'est une région compartimentée du comportement, qui subit une dissociation. Notre personnalité est relativement cohésive, mais c'est quelque chose qui n'en fait pas partie. Notre vie sexuelle est séparée du reste de la vie, dès l'enfance. Les parents reflètent tout ce que fait l'enfant : L'enfant mange, le parent mange avec lui, l'enfant va même aux toilettes avec le parent. Mais le sexe est toujours derrière des portes fermées, le parent ne le reflète pas. Si l'enfant commence à se toucher, on ne dit pas : « Que c’est mignon ! Il a découvert son petit zizi ! » Le message est que c'est privé, secret. C'est le seul domaine de comportement que les parents détournent. Et quand l'enfant grandit, cela devient encore plus problématique pour les parents. Alors cette partie de notre identité nous devient étrangère ».

Non seulement les parents ne l'observent pas, mais ils l'interdisent.

« Nous avons notre sexualité polymorphe dès la naissance, et les parents ne cessent de dire : "Pas encore, pas encore - quand tu seras grand". Mais les enfants ne sont pas capables de retarder la gratification. Quoi ? Attendre 15 ans ? Je le veux maintenant ! Alors que faisons-nous ? On fantasme. C'est pourquoi fantasmer est un aspect si central de la sexualité humaine. Dès le plus jeune âge, on nous dit : 'Mets ça de côté, attends', mais nous ne mettons rien de côté, nous créons des histoires qui deviennent une partie de notre sexualité, qui est largement inconsciente ».

C'est une autre raison pour laquelle le sexe est une question si complexe.

« Les humains ont non seulement une pulsion sexuelle, qui est biologique, mais aussi une pulsion érotique. L'éros est l'ajout de sens au sexe, l'ajout de fantasmes au sexe, l'ajout de complexité au sexe ».

On ne peut pas simplement faire l'amour.

« Pas vraiment. Il pourrait y avoir du sexe relativement simple, mais même dans ce cas, il y aura toujours cet aspect humain, l'érotique. Devrais-je être avec cette personne ? Est-ce que c'était trop rapide ? Trop lent ? Veut-elle que je le fasse ? C'est là, tout le temps, en arrière-plan. Les animaux n'ont pas ça, ils font juste ce qu'ils font. Ils n'ont pas de problèmes d'impuissance, ce qui, soit dit en passant, est un problème que les jeunes hommes connaissent de plus en plus aujourd'hui. Un quart des hommes qui souffrent d'impuissance ont moins de 40 ans ».

 

Trop de problèmes

On aurait pu penser que les problèmes sexuels seraient en baisse, étant donné que la société est de plus en plus ouverte.

« Les choses sont ouvertes, autorisées, mais à côté de cela, il y a plus d'anxiété autour de la sexualité. Les jeunes ont moins de rapports sexuels et commencent plus tard, même si la maturité sexuelle arrive plus tôt. Entre un quart et un tiers des jeunes au Japon, des gens qui sont dans la période de leur vie où les hormones sont les plus fortes, renoncent au sexe. Ils ont décidé que c'était trop compliqué. Ils ont même un mot pour ça : mendokusai, qui signifie "trop de problèmes". Ils peuvent se masturber en regardant du porno, mais avec d'autres personnes, c'est trop compliqué ! Et c'est vrai. Les gens sont problématiques, compliqués. Tu dois penser tout le temps : Qu'est -ce qu'il veut ? Est-ce que ça veut dire que je suis engagée maintenant ? Est-ce que je vais bien ? »

Un substitut à la relation humaine qui s'est répandu ces dernières années, grâce à la technologie, est l'utilisation de poupées sexuelles. Knafo parle d'une longue étude qu'elle a menée aux USA sur des hommes qui entretiennent une vie sexuelle et familiale avec des poupées. L'un d'eux, par exemple, est marié depuis 25 ans à une poupée qu'il a nommée Sidore - une poupée sexuelle japonaise. « Il a même appris le japonais pour pouvoir lui parler ».

 

Attendez une minute - elle parle japonais ?

« Non, bien sûr que non, elle ne parle pas, c'est une poupée ». Mais c'est exactement là que le déni intervient. Je l'ai interrogé à ce sujet - c'est une personne très intelligente  et il m'a répondu : " Je marche sur une ligne très mince entre le fait de savoir que c'est une poupée et de penser qu'elle est humaine. Et parfois, je franchis la ligne. Je lui ai demandé comment il expliquait leur relation longue et stable, et il m'a répondu : 'Nous ne nous disputons jamais.' »

 

Charmant. Ils ne connaissent probablement pas non plus de baisse de désir après avoir eu des enfants, avoir dû contracter un emprunt, etc.

« Cela s'est produit, en fait. Comme pour les couples humains après quelques années de vie commune. Cet homme a pris une deuxième poupée comme amante. Il se disait qu'il l'avait prise pour que Sidore ne soit pas seule quand il était au travail. Nous avons tous besoin de renouvellement. Il y a une équation : "L'excitation sexuelle égale l'attraction plus l'obstacle." »

 

Donc pour un couple de longue date un peu blasé, vous recommanderiez d'ajouter un obstacle ?

« Oui, tout ce qui peut introduire du renouveau, un peu de piment, dans la relation. Cela peut être un fantasme de l'une des parties, ou l'ajout d'une troisième personne. »

Photo Alberto Pezzali/AP

  C'est-à-dire, la solution polyamoureuse - ou la deuxième pratique populaire de notre époque : le BDSM.

« L'une des raisons pour lesquelles le BDSM est si populaire aujourd'hui, je pense, est l'égalité croissante dans les relations entre les sexes. Dans le passé, l'homme était responsable, il était le pourvoyeur, et la femme était plus soumise et dépendante. Aujourd'hui, il y a moins de tension, et le BDSM la ramène. Car que fait-il, après tout ? Il rend une personne dominante et l'autre soumise. Et on peut alors préserver le jeu de pouvoir dans le sexe, même s'il n'existe pas dans la vie de tous les jours ».
« Une étude a révélé que les Scandinaves, dont les relations entre les sexes sont plus égalitaires, ont moins de rapports sexuels que dans les cultures où les différences existent encore. J'ai une patiente qui a un partenaire attentionné, doux et charmant, mais il ne l'excite pas au lit. Alors elle exige qu'il joue les machos. Cela montre à quel point la sexualité peut être détachée de ce que nous sommes dans la vie quotidienne. Dans la vie de tous les jours, elle veut un homme soft - mais pas au lit ».

Alors que Facebook propose 60 genres au choix, peut-on encore parler de différences entre les hommes et les femmes ? Cette distinction n'est-elle pas devenue obsolète ?

« Le genre est une structure fluide et diverse. C'est un mélange de culture et d'expériences qu'une personne a vécues dans différents contextes, voire un résultat de notre créativité. Mais nous sommes toujours nés dans un corps biologique. De nombreuses personnes qui changent de sexe modifient également leur corps biologique, en prenant des hormones ou en se faisant opérer. L'un de mes patients, qui est passé de femme à homme, m'a raconté que le jour où il a commencé à prendre de la testostérone, il est entré dans un ascenseur et a voulu frapper tous les occupants. Il est donc impossible de dire qu'il n'y a pas de différence entre les hommes et les femmes.

« D'ailleurs, il y a aussi des différences entre les hommes et les femmes dans les perversions. Les hommes expriment la perversion, comme beaucoup d'autres pathologies, de manière plus extérieure. Ils déshumanisent l'autre, le manipulent et l'objectivent. Les femmes, elles, vont s'intérioriser, s'objectiver ou objectiver quelqu'un qui leur est lié et qu'elles considèrent comme leur rejeton, comme leur enfant ».

Et alors l'objet de la perversion est l'enfant ?

« Oui. Il y a des femmes à la maternité perverse, comme celles qui font tout pour que leur enfant devienne quelqu'un - un mannequin, ou un musicien. Elles sont obsessionnelles, et l'enfant devient un objet pour elles. Les femmes qui ont recours à la chirurgie plastique à répétition essaient aussi de se transformer en objet parfait ».

 Le BDSM joue exactement sur cette tension, entre l'intériorisation et l'extériorisation de la perversion.

« C'est une pratique qui a toujours existé, mais à la cave. Maintenant, elle est partout, à cause des changements dont nous avons parlé. Même Harvard a un club BDSM ! Partout où vous allez, on peut vous apprendre à attacher votre partenaire ».

N'est-ce pas un peu manquer le but ? S'il n'est plus dans la cave, à quoi sert-il ?

« Il est vrai que le frisson vient souvent du fait de faire quelque chose que l'on n'est pas censé faire. C'est pourquoi les gens deviennent plus extrêmes. Dans une étude, nous avons constaté que les personnes qui ont commencé par du porno soft s'y habituent simplement, puis ont besoin de quelque chose de plus intense. C'est une pente très glissante. Tout le monde pense que pour être pédophile, il faut être 'comme ça', mais une étude a montré que certaines personnes n'avaient aucun penchant pédophile, mais qu'elles sont devenues dépendantes du porno, sont passées du porno soft au porno de plus en plus dur, et ont fini par devenir pédophiles ».

Augmenter la mise

Quelque chose de similaire se produit en politique. Ce qui était autrefois extrême, illégal, est aujourd'hui considéré comme légitime.

« C'est le même processus. On s'habitue à quelque chose et puis on ressent le besoin de faire monter les enchères ».


Comment tout cela s'accorde-t-il avec le fait qu'en Occident, nous vivons dans une société qui est probablement la plus politiquement correcte de l'histoire de l'humanité ?

« Tout d'abord, c'est bien qu'il y ait plus de liberté d'être ce que l'on est et de ne pas être attaqué pour cela. Mais parfois, cela va à de tels extrêmes que cela devient perverti en soi. Dans le monde universitaire, on ne peut presque plus rien dire. Dans mon université, nous avions un professeur très connu qui, à une occasion, a utilisé le mot "émeute" au lieu du terme acceptable, "manifestation". Il a été puni. Eh bien, il y a vraiment des émeutes, pas seulement des manifestations. Le fait est que chaque fois qu'il y a quelque chose d'interdit, une perversion apparaît ».

 

Plus l'interdiction est stricte, plus sa violation sera flagrante.

« Vous dites que cela m'est interdit ? Je vais vous montrer ce qui est interdit ! Donc nous avons Black Lives Matter d'un côté, et du porno raciste florissant de l'autre côté. La pornographie sur Internet est la chose la plus éloignée du politiquement correct. L'inceste est l'une des catégories populaires sur les sites de sexe. Nous avons appris qu'il y a un tabou qui est universel, dans toutes les cultures. Et puis le porno arrive et nous montre : oubliez le tabou ! L'idiotie se déchaîne sur les sites pornographiques ».

 

Nous avons parlé d'agression, de traumatisme, de perversion. Et l'amour ? Y a-t-il un lien entre le sexe et l'amour ?

« Il pourrait y en avoir, mais il n'y a pas besoin d'en avoir ».

 

Mais c'est l'idéal. 
« C'est le fantasme de nous tous. Nous avons grandi avec ces contes de fées - 'et ils vécurent heureux … »

 

Et baisèrent comme des fous.

« On n'arrive jamais à ce moment-là dans les contes de fées ! Bien sûr, ils peuvent aller ensemble - l'amour et le sexe - et c'est merveilleux quand ça arrive. Mais parfois, ça n'arrive pas, et c'est très bien comme ça. Cela ne veut pas dire que le couple n'est pas bon. Lorsque j'étais étudiante en psychologie - il y a longtemps - on disait que seules les personnes psychologiquement saines avaient une bonne vie sexuelle. C'est faux. Je travaille avec des personnes très perturbées, et certaines d'entre elles ont une sexualité formidable. Et il y a aussi des gens en bonne santé, avec un excellent partenariat, des couples qui sont les meilleurs amis, et ils n'ont pas eu de rapports sexuels depuis des années ».

Mais l'amour n'améliore-t-il pas le sexe ? Toutes les autres conditions étant égales, le sexe avec amour n'est-il pas préférable ?

« Parfois ça améliore les choses, parfois ça les gâche. Il y a des gens qui ne peuvent apprécier le sexe que lorsqu'ils sont avec quelqu'un qu'ils n'aiment pas, qui ne leur rappelle pas maman, ou quelqu'un dont ils n'ont pas à tenir compte des sentiments ».

 On ne peut donc pas dire que l'amour contribue au sexe.

« C'est possible. Mais ça peut aussi être le contraire. Le sexe est une chose étrange. Susie Orbach, qui était la psychothérapeute de la princesse Diana, a écrit un livre intitulé 'L'impossibilité du sexe'. C'est tout simplement impossible. Nous en avons besoin, nous le voulons, cela nous rend fous, nous ne pouvons pas y renoncer. Même lorsque les gens ne peuvent pas avoir de relations sexuelles, ils y pensent sans cesse. C'est quelque chose de tellement significatif dans notre vie extérieure, et encore plus dans notre vie intérieure, si ce n'est directement, du moins comme une sublimation. C'est partout ».

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