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03/11/2023

FAUSTO GIUDICE
Petite histoire d'un mot qui répand la terreur

 Fausto Giudice, Basta!, 11/9/2010

« Un terrorista no es sólo alguien con un revólver o una bomba, sino también aquel que propaga ideas contrarias a la civilización occidental y cristiana
Un terroriste n’est pas seulement quelqu’un avec un revolver ou une bombe, mais aussi celui qui propage des idées contraires à la civilisation occidentale et chrétienne
»
Général Videla, chef de la junte militaire argentine, responsable de la disparition forcée de 30 000 “terroristes”, 1978
En ce 11 septembre, où tous les médias de la planète nous abreuvent d’images et de discours sur l’horrible attentat de 2001, il m’a semblé utile d’apporter une modeste contribution à l’analyse du phénomène qualifié de terrorisme, en commençant par l’histoire même de ce mot. Il n’est en effet pas inutile, pour comprendre une réalité complexe et surtout obscure, de déconstruire les mots utilisés pour la désigner et la décrire.

Dans un rapport d’étude publié en 1988, l’armée US constatait qu’il existait plus de 100 définitions du terrorisme. Et l’ONU elle-même n’est pas parvenue à ce jour à établir une définition universellement acceptable. Ce n’est pas étonnant : les combattants de liberté des uns sont les terroristes des autres. Les éphémères maîtres nazis de l’Europe occupée qualifiaient les résistants qui , de la Norvège au Danemark, leur tiraient dessus ou posaient des bombes pour faire dérailler leurs trains militaires, de terroristes. Idem pour les occupants sionistes de la Palestine, qui ont eux-mêmes été les premiers, dès 1936, à utiliser l’arme de l’attentat aveugle contre des civils pour parvenir à leurs fins.

Terroristes d’hier et d’avant-hier


Aujourd’hui, et depuis le 11 septembre 2001, terroriste est synonyme d’islamiste. Il n’en a pas toujours été ainsi : dans l’Europe des années 1970, terroriste désignait les clandestins des Brigades rouges italiennes, de la Fraction armée rouge, des Cellules révolutionnaires et du Mouvement du 2 Juin en Allemagne fédérale, de la Angry Brigade anglaise, d’Action directe en France, des Cellules communistes combattantes (Belgique), du Mouvement du 17 Novembre et Rigas Feraios (Grèce), sans oublier, bien sûr, l’ETA basque et l’IRA irlandaise. Ailleurs dans le monde, des Tupamaros uruguayens et des Weathermen usaméricains au FPLP palestinien, les « terroristes » étaient généralement des gens d’extrême-gauche, issus de diverses scissions du mouvement communiste international.
Le sens actuel du mot terroriste - combattant clandestin utilisant des méthodes de lutte armée non-conventionnelles pour déstabiliser l’ennemi – est relativement récent : il remonte à la fin du XIXème siècle.
Sa première utilisation connue date du 24 janvier 1878 : ce jour-là, à Saint-Pétersbourg, Vera Zassoulitch, militante russe du groupe Zemlia i Volia (Terre et Liberté), pénètre dans le bureau du gouverneur et chef de la police Trepov. Elle lui tire une balle dans la tête, le laissant pour mort, avant de se livrer elle-même à la police. Posant son arme après avoir tiré, elle prévient d’emblée ses accusateurs potentiels par la phrase: «Je suis une terroriste, pas une tueuse», affirmant ainsi la nature politique de son geste.La veille, lors de sa visite à la prison de la ville, Trepov avait ordonné qu’on fouette un détenu qui avait refusé de se découvrir devant lui , ce qui fut aussitôt fait : le détenu y perdit un œil. Vera réagissait ainsi au «procès des 193» militants qui venait d’avoir lieu, au cours duquel 36 prévenus avaient été condamnés à des peines de déportation. Terre et Liberté était un mouvement socialiste, populiste, né du mouvement étudiant de 1868. Suite à la répression de ce mouvement, plusieurs centaines d’étudiants avait décidé de fuir les villes et d’aller au peuple, dans la Russie profonde, bref de prendre le maquis parmi les masses paysannes. Devant la répression féroce qu’ils subirent, une partie d’entre eux décidèrent de recourir au terrorisme, en exécutant des bourreaux du peuple .Leurs successeurs, les socialistes-révolutionnaires, furent décimés par les Bolcheviks, une fois ceux-ci parvenus au pouvoir en 1917. Pour en revenir à Vera Zassoulitch, l’étonnant est qu’elle fut acquittée à son procès par la cour d’assises, sous les applaudissements de l’assistance, le jury populaire étant unanime à reconnaître que la cruauté du gouverneur Trepov légitimait le coup de feu de Vera.

Les deux seuls autre cas de « terroristes » acquittés par un tribunal que je connaisse sont ceux de Soghomon Tehlirian et de Sholem (Samuel) Schwarzbard.



Le premier était un militant social-démocrate arménien qui avait
abattu publiquement, le 15 mars 1921, à Berlin, Talat Pacha, ancien Grand Vizir de Turquie, et l’un des principaux ordonnateurs du génocide arménien de 1915, dont Tehlirian était un rescapé. L’action faisait partie de l’Opération Nemesis décidée par le parti Dachnak (Fédération révolutionnaire arménienne) contre les responsables du génocide, dont 9 furent assassinés entre 1920 et 1922. Le procès en cour d’assises à Berlin amena l’avocat polonais Raphael Lemkin, l’homme qui allait inventer le concept juridique de génocide, à se poser la question : « Pourquoi un homme est-il puni quand il tue un autre homme ? Pourquoi le meurtre d’un million de personnes est-il un moindre crime que le meurtre d’un simple individu ? »

Le second, un poète anarchiste juif de Bessarabie, avait abattu le 25 mai 1925, en plein Quartier Latin à Paris, Simon Petlioura, leader nationaliste ukrainien en exil, responsable de pogroms anti-juifs en 1919, au cours desquels Schwarzbard avait perdu toute sa famille. Le 18 octobre 1927, il est acquitté par un jury populaire.

Un autre « terroriste » qui n’eut pas la même chance fut Udham Singh, un militant de l’indépendance indienne, qui abattit le 13 mars 1940 à Londres l’ancien gouverneur britannique du Pendjab Michael O'Dwyer et fut pendu pour cela le 31 juillet de la même année. Udham était un rescapé du massacre commis par les troupes britanniques sous les ordres du général Reginald Dyer devant le Temple d’Or d’Amritsar le 13 avril 1919, massacre qui fit environ 1600 morts. Il avait préparé son acte pendant 21 ans. Celui-ci fut aussitôt condamné par Gandhi et Nehru, mais en 1952 Nehru décerna à titre posthume le titre de Chahid (martyr) à Udham Singh, devenu d’emblée une figure légendaire et populaire en Inde.

Mais avant de désigner une forme d’action militante extrême menée par des groupes ou des individus sans pouvoir, le terrorisme – et donc la Terreur avec un grand t – a désigné pendant très longtemps un
« principe gouvernemental du despotisme » (MONTESQUIEU, Esprit des lois, VI, 9, 1748). La Terreur la plus célèbre dans l’histoire est celle qui fut instaurée par la Convention en juin 1793 et finit en juillet 1794 par l’exécution de celui-là même qui l’avait instaurée, Maximilien Robespierre, « l’Incorruptible », pour combattre les dangers internes et externes qui quettaient la jeune République : «  La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible [...] elle est une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux pressants besoins de la patrie ». La Convention –le parlement révolutionnaire -, en instaurant le régime de Terreur, se référait explicitement à l’Antiquité romaine, à l’état de terror cimbricus instauré par le Sénat de Rome en l’an 105 avant l’ère chrétienne. L’histoire de cette terreur cimbre est d’une actualité étonnante. Elle vaut la peine d’être relatée ici.

Un peuple étrange venu du Nord
Les historiens débattent toujours pour savoir si les Cimbres étaient un peuple germain ou celte. Quoiqu’il en soit, on sait qu’ils vivaient dans le Jutland, à la pointe extrême du Danemark actuel. Ce peuple se mit en marche vers l’an 110 avant l’ère chrétienne, chassé par des inondations catastrophiques, peut-être dues à un réchauffement climatique (eh oui ! déjà…). La cohorte de ces réfugiés climatiques de l’Antiquité – qui comptaient entre 300 000 et un million d’hommes, femmes et enfants – erra à travers l’Europe pendant 10 ans, cherchant asile. Refoulés par les habitants de la vallée du Rhin, par les Helvètes, par les Ibères, par les habitants de la région de l’actuelle Toulouse – qui pourtant auraient du faire preuve de compréhension pour ces réfugiés, étant eux-mêmes des Volques tectosages, autrement dit des « chercheurs de toit », venus là deux siècles auparavant en provenance de l’Europe centrale -, par ceux de l’actuelle Provence, ils parvinrent enfin, après avoir traversé les Alpes, dans la région de Vercelli, au nord de Turin, en l’an 101 avant l’ère chrétienne. Et là, 65 000 guerriers cimbres se heurtèrent à dix légions romaines commandées par le général Marius, qui les massacrèrent et ramenèrent les survivants comme esclaves à Rome.

Cet afflux d’esclaves devait d’ailleurs provoquer une dégringolade du prix des esclaves. Le Sénat de Rome, devant la panique provoquée dans le peuple face au danger – plutôt imaginaire – d’invasion cimbre, qui lui rappelait le traumatisme de « l’invasion gauloise » 3 siècles plus tôt, avait proclamé l’état de terreur cimbre, donnant les pleins pouvoirs au général Marius, un Volsque d’origine plébéienne, prototype du self made man militaire, une sorte de Napoléon ou de Mussolini avant la lettre, qui avait combattu sur tous les fronts où l’Empire romain rencontrait de la résistance, capturant entre autres le chef numide (Berbère de la future Algérie) Jugurtha, et écrasant les Teutons et les Ambrons à Orange, en Gaule. Tandis que Marius guerroyait contre les Barbares, ses complices à Rome s'occupaient de liquider physiquement ses opposants. Ils devaient à leur tour se faire exécuter en punition de leurs crimes, dont le cher Marius se lava évidemment les mains.

Les récits des historiens romains sur la bataille des Champs raudaniens dans la plaine de Vercelli, où s’affrontèrent Romains et Cimbres, et au cours de laquelle les chefs cimbres Boirix et Lugius trouvèrent la mort, sont épiques. Les Cimbres, grands, aux cheveux noirs, sont décrits comme des guerriers féroces, pour ne pas parler de leurs femmes Un extrait de La vie de Marius (in Vies parallèles, chap. III, 96-117 ap. J.-C.), de Plutarque :

24. (…) Catulus, qu'on avait envoyé pour défendre contre les Cimbres le passage des Alpes, désespérant de garder ces défilés, et craignant, s'il était obligé de diviser son armée en plusieurs corps, qu'elle ne fût trop affaiblie, redescendit en Italie, et, mettant devant lui la rivière d'Abesis, il éleva des deux côtés de bons retranchements, afin d'en empêcher le passage, et bâtit un pont qui lui donna la facilité de couvrir les places qui étaient au delà du fleuve, si les Cimbres, après avoir franchi les détroits, allaient les attaquer. Mais ils méprisaient tellement leurs ennemis, et les insultaient si ouvertement, que sans aucune nécessité, et seulement pour faire parade de leur audace et de leur force, ils s'exposaient tout nus à la neige, grimpaient sur les montagnes, à travers des monceaux de neige et de glace ; et parvenus au sommet, ils s'asseyaient sur leurs boucliers, et glissant le long des rochers, ils s'abandonnaient à la rapidité de la pente sur le bord de précipices d'une profondeur effrayante. Quand enfin ils eurent transporté leur camp près de celui des Romains, et qu'ils eurent examiné comment ils pourraient passer la rivière, ils résolurent de la combler. Coupant donc, comme autrefois les géants, les tertres des environs, déracinant les arbres, détachant d'énormes rochers et de grandes masses de terre, ils les roulaient dans le fleuve, pour en resserrer le cours. Ils jetaient en même temps, au-dessus du pont que les Romains avaient construit, des masses d'un grand poids, qui, entraînées par le courant, venaient battre le pont, et en ébranlaient les fondements. La plupart des soldats romains, effrayés d'une pareille entreprise, abandonnèrent le grand camp, et se retirèrent. Catulus se conduisit alors en habile et parfait général, qui préfère à sa propre gloire celle de ses concitoyens. Quand il vit qu'il ne pouvait persuader ses soldats de rester, et que, cédant à leur frayeur, ils pliaient bagage, il ordonna qu'on levât l'aigle ; et courant aux premiers rangs, qui étaient déjà en marche, il se mit à leur tête, aimant mieux que la honte de cette retraite tombât sur lui seul plutôt que sur sa patrie, et que les soldats eussent l'air, non de prendre la fuite, mais de suivre leur général. Les Barbares s'emparèrent du fort que Catulus avait construit au delà du fleuve. Remplis d'admiration pour les soldats romains, qui l'avaient défendu avec la plus grande valeur, et s'étaient exposés si courageusement pour leur patrie, ils les laissèrent aller à des conditions honorables, dont ils convinrent en jurant sur leur taureau d'airain. On dit que ce taureau fut pris après la bataille, et porté dans la maison de Catulus, comme les prémices de sa victoire. Les Barbares, trouvant le pays sans défense, firent partout un horrible dégât.

25. Cette conjoncture fâcheuse fit appeler Marius à Rome : en l'y voyant arriver, tout le monde crut qu'il allait recevoir les honneurs du triomphe, et le sénat s'empressa de les lui décerner ; mais il les refusa, soit qu'il ne voulût pas priver de leur part de cette gloire les soldats qui avaient partagé ses périls, ou que son motif fût de rassurer le peuple sur ses craintes, en déposant, entre les mains de la fortune de Rome, la gloire de ses premiers succès, et se promettant de l'en retirer plus brillante après de nouveaux exploits. Il tint dans le sénat les discours qu'exigeait la circonstance ; après quoi il se hâta d'aller joindre Catulus, dont il releva le courage par sa présence ; il fit venir aussi son armée des Gaules. Dès qu'elle fut arrivée, il passa le Pô, afin d'empêcher les Barbares de pénétrer dans l'Italie cispadane. Mais ceux-ci différaient de combattre, parce qu'ils attendaient, disaient-ils, les Teutons, dont le retard les étonnait fort, soit qu'ils ignorassent réellement leur défaite, soit qu'ils voulussent paraître n'y pas croire : car ils accablaient d'outrages ceux qui venaient leur en porter la nouvelle. Ils envoyèrent même à Marius des ambassadeurs chargés de lui demander, pour eux et pour leurs frères, des terres et des villes où ils pussent s'établir. Marius ayant demandé aux ambassadeurs de quels frères ils voulaient parler, ils répondirent que c'étaient les Teutons. Tous ceux qui étaient présents éclatèrent de rire, et Marius leur dit en plaisantant : « Ne vous inquiétez plus de vos frères ; ils ont la terre que nous leur avons donnée, et qu'ils conserveront à jamais. » Les Barbares, ayant senti l'ironie, s'emportèrent en injures et en menaces, et lui déclarèrent qu'il allait être puni de ses railleries, d'abord par les Cimbres, et ensuite par les Teutons, lorsqu'ils seraient arrivés.
« Ils le sont, répliqua Marius ; et il serait peu honnête de vous en aller sans avoir salué vos frères. » En même temps il ordonna qu'on amenât, chargés de chaînes, les rois des Teutons, que les Séquaniens avaient faits prisonniers, comme ils s'enfuyaient dans les Alpes.

26. Les Cimbres n'eurent pas plutôt entendu le rapport de leurs ambassadeurs, qu'ils marchèrent sur-le-champ contre Marius, qui se tenait tranquille dans son camp, et se contentait de le garder. Ce fut, dit-on, pour cette bataille que Marius mit au javelot un changement utile. Jusqu'alors le fer et la hampe étaient cloués ensemble par deux chevilles de fer ; Marius n'en laissa qu'une, et, à la place de l'autre, il en mit une de bois, beaucoup plus aisée à rompre : changement bien imaginé, afin que la pique, en s'attachant au bouclier de l'ennemi, n'y restât pas droite, mais que la cheville de bois en se rompant fit plier la hampe à l'endroit du fer, et que, tenant encore au bouclier, elle traînât à terre et embarrassât l'ennemi. Boïorix, roi des Cimbres, à la tête d'un détachement peu nombreux de cavalerie, s'étant approché du camp de Marius, provoqua ce général à fixer le jour et le lieu du combat, pour décider qui resterait maître du pays. Marius lui répondit que les Romains ne prenaient jamais conseil de leurs ennemis pour combattre ; que cependant il voulait bien satisfaire les Cimbres sur ce qu'ils demandaient. Ils convinrent donc que la bataille se donnerait dans trois jours, et dans la plaine de Verceil, lieu commode aux Romains pour y déployer leur cavalerie, et aux Barbares pour étendre leur nombreuse armée. Les deux partis, arrivés au rendez-vous, se mirent en bataille. Catulus avait sous ses ordres vingt mille trois cents hommes, et Marius trente-deux mille, qui, placés aux deux ailes, environnaient Catulus, dont les troupe occupaient le centre. C'est ainsi que l'écrit Sylla, qui fut présent à cette bataille. On dit que Marius donna cette disposition aux deux corps de son armée, parce qu'il espérait tomber, avec ses deux ailes, sur les phalanges ennemies, et ne devoir la victoire qu'aux troupes qu'il commandait, sans que Catulus y eût aucune part, et pût même se mêler avec les ennemis. En effet, lorsque le front d'une bataille est fort étendu, il est ordinaire que les ailes débordent sur le centre, qui se trouve alors très enfoncé. On ajoute que Catulus en fit l'observation dans l'apologie qu'il fut obligé de faire, et qu'il se plaignit hautement de la perfidie de Marius.

27. L'infanterie des Cimbres sortit en bon ordre de ses retranchements ; et s'étant rangée en bataille, elle forma une phalange carrée, qui avait autant de front que de profondeur, et dont chaque côté couvrait trente stades de terrain. Leurs cavaliers, au nombre de quinze mille, étaient magnifiquement parés ; leurs casques se terminaient en gueules béantes et en mufles de bêtes sauvages : surmontés de hauts panaches semblables à des ailes, ils ajoutaient encore à la hauteur de leur taille. Ils étaient couverts de cuirasses de fer et de boucliers dont la blancheur jetait le plus grand éclat ; ils avaient chacun deux javelots à lancer de loin, et dans la mêlée ils se servaient d'épées longues et pesantes. Dans cette bataille, ils n'attaquèrent pas les Romains de front ; mais s'étant détournés à droite, ils s'étendirent insensiblement, dans le dessein de les enfermer entre eux et leur infanterie, qui occupait la gauche. Les généraux romains s'aperçurent à l'instant de leur ruse ; mais ils ne purent retenir leurs soldats, dont l'un, s'étant mis à crier que les ennemis fuyaient, entraîna tous les autres à leur poursuite. Cependant l'infanterie des Barbares s'avançait, semblable aux vagues d'une mer immense. Marius, après s'être lavé les mains, les éleva au ciel, et fit vœu d'offrir aux dieux une hécatombe. Catulus, de son côté, ayant levé les mains au ciel, promit de consacrer la fortune de ce jour, et de lui bâtir un temple. Marius fit aussi un sacrifice ; et lorsque le prêtre lui eut montré les entrailles de la victime, il s'écria : « La victoire est à moi. » Mais à peine les deux armées commençaient à se charger, qu'il survint un accident qui, au rapport de Sylla, parut l'effet de la vengeance céleste sur Marius. Le mouvement d'une multitude si prodigieuse fit lever un tel nuage de poussière, que les deux armées ne purent plus se voir. Marius, qui s'était avancé le premier avec ses troupes, pour tomber sur l'ennemi, le manqua dans cette obscurité ; et ayant poussé bien au delà de leur bataille, il erra longtemps dans la plaine, tandis que la fortune conduisit les Barbares vers Catulus, qui seul eut à soutenir tout leur effort avec ses soldats, au nombre desquels était Sylla. L'ardeur du jour et les rayons brûlants du soleil, qui donnait dans le visage des Cimbres, secondèrent les Romains. Ces Barbares, nourris dans des lieux froids et couverts, et endurcis aux plus fortes gelées, ne pouvaient supporter la chaleur ; inondés de sueur et tout haletants, ils se couvraient le visage de leurs boucliers, pour se défendre de l'ardeur du soleil ; car cette bataille se donna après le solstice d'été, trois jours avant la nouvelle lune du mois d'août, appelé alors sextilis. Ce nuage de poussière servit même à soutenir le courage des Romains, en leur cachant la multitude des ennemis ; chaque bataillon ayant couru charger ceux qu'il avait en face, ils en vinrent aux mains avant que la vue du grand nombre des Barbares eût pu les effrayer. D'ailleurs l'habitude du travail et de la fatigue avait tellement endurci leurs corps, que, malgré l'extrême chaleur et l'impétuosité avec laquelle ils étaient allés à l'ennemi, on ne vit pas un seul Romain suer ou haleter : c'est le témoignage que Catulus lui-même leur rend en faisant l'éloge de ses troupes.


Défaite des Cimbres, par Alexandre-Gabriel Decamps 1833. Le Louvre 

28. La plupart des ennemis, et surtout les plus braves d'entre eux, furent taillés un pièces ; car, pour empêcher que ceux des premiers rangs ne rompissent leur ordonnance, ils étaient liés ensemble par de longues chaînes attachées à leurs baudriers. Les vainqueurs poussèrent les fuyards jusqu'à leurs retranchements ; et ce fut là qu'on vit le spectacle le plus tragique et le plus affreux. Les femmes, vêtues de noir et placées sur les chariots, ruaient elles-mêmes les fuyards, dont les uns étaient leurs maris, les autres leurs frères, ou leurs pères ; elles étouffaient leurs enfants de leurs propres mains, les jetaient sous les roues des chariots ou sous les pieds des chevaux, et se tuaient ensuite elles-mêmes. Une d'entre elles, à ce qu'on assure, après avoir attaché ses deux enfants à ses deux talons, se pendit au timon de son chariot. Les hommes, faute d'arbres pour se pendre, se mettaient au cou des nœuds coulants, qu'ils attachaient aux cornes ou aux jambes des bœufs, et, les piquant ensuite pour les faire courir, ils périssaient étranglés, ou foulés aux pieds de ces animaux. Malgré le grand nombre de ceux qui se tuèrent ainsi de leurs mains, on fit plus de soixante mille prisonniers, et on en tua deux fois autant. Les soldats de Marius pillèrent le bagage : mais les dépouilles, les étendards et les trompettes furent portés, dit-on, au camp de Catulus : ce qu'il allégua comme une preuve certaine que la victoire était son ouvrage. Il s'éleva à cette occasion une vive dispute entre ses troupes et celles de Marius ; afin de la terminer à l'amiable, on prit pour arbitres les ambassadeurs de Parme, qui étaient alors au camp. Les soldats de Catulus les menèrent au milieu des morts restés sur le champ de bataille, et leur firent voir qu'ils étaient tous percés de leurs piques ; il était facile de les reconnaître, parce que Catulus avait fait graver son nom sur les bois des piques de tous ses soldats. Cependant on fit honneur à Marius de ce succès, soit à cause de sa première victoire, soit par égard pour sa dignité. Le peuple même lui donna le titre de troisième fondateur de Rome, parce qu'il avait délivré sa patrie d'un aussi grand danger que celui dont les Gaulois l'avaient autrefois menacée. Lorsque les Romains, au milieu de leurs femmes et de leurs enfants, se livraient dans leurs repas domestiques aux transports de la joie la plus douce, ils offraient à Marius, en même temps qu'à leurs dieux, les prémices de leurs mets, et lui faisaient les mêmes libations ; ils voulaient ne décerner qu'à lui seul les deux triomphes ; mais il refusa de triompher sans Catulus ; il crut devoir se montrer modeste dans une si grande prospérité : peut-être aussi craignait-il les soldats de Catulus, bien déterminés, si l'on privait leur général de cet honneur, de s'opposer au triomphe de Marius.

L’épopée cimbre connut un regain au XIXème et au XXème siècle du Danemark à l’Italie, où un peintre de Foggia, militant de l’indépendance italienne, Francesco Altamura, peignit ce Triomphe de Marius à Vercelli en 1859 et 1864, un travail de commande du Grand-Duc de Toscane puis du Roi du Piémont, futur roi d’Italie. Il est évident ici que les Cimbres de l’Antiquité sont identifiés aux Autrichiens contemporains, et les Romains aux Italiens.

 
La Terreur rouge
Au XXème siècle, la terreur redevient une forme d’exercice du pouvoir. Les Bolcheviks décrètent la Terreur rouge, en se référant explicitement à la Terreur française de 1793, en août 1918. En une semaine, la Tchéka massacre 1300 otages bourgeois en représailles contre l’assassinat de son chef de Petrograd Moïssei Uritsky et contre une tentative d’attentat contre Lénine. Le 5 septembre, le Conseil des commissaires du peuple publie un décret intitulé Sur la Terreur rouge, appelant à « isoler les ennemis de classe de la République soviétique dans des camps de concentration, et de fusiller sur-le-champ tout individu impliqué dans des organisations de Gardes-Blancs, des insurrections ou des émeutes ». Les contre-révolutionnaires répondent par la Terreur blanche. La police secrète soviétique voit ses effectifs gonfler. En avril 1918, les tchékistes ne sont que 1 000. En janvier 1919, ils sont 37 000. Au printemps 1921, à la fin de la guerre civile, leur nombre est monté à 280 000. Et ils ne se sont pas contentés de liquider des « ennemis de classe » : ils ont profité de la confusion de la guerre civile pour écraser toute dissidence ou opposition révolutionnaire, ouvrière ou paysanne, et toute revendication ouvrière, ouvrant ainsi une voie royale au futur Petit père des Peuples, un certain Joseph Djougatchvili, entré dans l’histoire sous le nom de Staline (L’Homme d’acier). Ce séminariste défroqué géorgien avait commencé sa brillante carrière comme bandit et racketteur à Bakou, en Azerbaïdjan : lui et sa bande offraient aux Arméniens fortunés de cette ville une protection contre les pogromistes azéris, et, quand ceux-ci refusaient, ils les livraient aux Azéris, qui se faisaient une joie de les massacrer.

Si Lénine, Trotsky et Staline se retrouvaient d’accord pour condamner vertueusement le recours aux terrorisme comme moyen de lutte révolutionnaire, s’opposant ainsi aux populistes et socialistes-révolutionnaires, ils étaient d’accord sur la nécessité d’exercer la terreur de masse pour maintenir et asseoir la dictature du prolétariat. On connaît la suite : une dictature sur le prolétariat.

Un mot-tiroir

Ces quelques péripéties dans l’aventure de la famille de mots associés au terrorisme montrent que les mots sont tout aussi élastiques que la réalité qu’ils prétendent désigner. Avant de les utiliser, il faut donc toujours se poser la question : « qui sont les véritables terroristes ? » C’est ce raisonnement salubre qui avait amené le chef des informations de l’agence de presse Reuters, après le 11 septembre 2001, à recommander aux journalistes de l’agence, d’éviter d’employer le terme de terroristes à tort et à travers. Ce pour quoi il fut sévèrement tancé par les médias US.

Pour conclure, une remarque sur un fait curieux digne de réflexion  : le farsi, la langue persane, n’a pas de mot propre pour terrorisme. Elle utilise le mot d’origine latine. Quant à l’arabe, il utilise un néologisme basé sur le radical rhab, intimider, terrifier, qui a donné aussi bien irhabi – terroriste – que ra'hib, qui signifie...moine (chrétien).

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