Ryan Grim et Murtaza Hussain, DropSiteNews,
2/10/2025
Traduit par Tlaxcala
Tout semble se mettre en place pour Larry Ellison. Le milliardaire cofondateur du géant technologique Oracle, qui a été épisodiquement l’homme le plus riche du monde (doublant Musk au poteau), et fervent soutien d’Israël, s’apprête à jouer un rôle de premier plan dans la refonte de TikTok aux USA. Son fils, David Ellison, est en passe de prendre le contrôle de larges pans des médias, dont CBS News, CNN, Warner Brothers et Paramount, et aurait recruté la star facho Bari Weiss, de la Free Press, pour orienter la ligne éditoriale.
« La famille Ellison est en train
de monopoliser l’attention et les données, de la même manière que les
Vanderbilt l’ont fait avec les chemins de fer et les Rockefeller avec le
pétrole », résumait récemment Wired. La manière dont elle prévoit
d’exploiter ce monopole devrait être testée dans ce que le président Donald
Trump appelle la « Nouvelle Gaza », une zone franche techno-dystopique
administrée par un Conseil de la paix dirigé par Trump et par le
véhicule politique et commercial de longue date d’Ellison, Tony Blair. Ellison
a donné ou promis plus de 350 millions de dollars à l’Institut Tony Blair, que
Blair a utilisé pour promouvoir la vision d’Ellison : une alliance entre
gouvernement, pouvoir des grandes entreprises et surveillance technologique. En
fournissant l’infrastructure de bases de données et des services de cloud
computing à d’autres géants comme FedEx et NVIDIA, Oracle est discrètement
devenu l’une des entreprises les plus puissantes du monde.
En tant que chef de la diplomatie
usaméricaine, le secrétaire d’État Marco Rubio a également joué un rôle dans
les discussions sur TikTok, qui ont orienté l’entreprise vers Ellison, après
avoir mené, en tant que sénateur, la charge visant à diaboliser l’application.
Il a aussi été étroitement impliqué dans le lancement du plan de Trump pour
l’avenir de Gaza, qui confie l’enclave à Blair. Le gendre de Trump, Jared
Kushner, avait chargé l’Institut Blair au printemps dernier d’élaborer un plan
pour l’après-guerre à Gaza, récemment finalisé, selon le Times of Israel.
Que Rubio se retrouve dans une
position aussi centrale tient en partie à Ellison, qui a été un grand mécène de
l’ancien sénateur cubano-usaméricain de Floride. Ellison a d’abord « évalué »
la loyauté de Rubio envers Israël dès le début de 2015, selon des échanges de
courriels inédits examinés par Drop Site. Rubio s’est fait connaître
comme un jeune sénateur conservateur soutenu par le Tea Party en 2010, lançant
une campagne présidentielle lors du cycle de 2016. En tant que secrétaire
d’État, Rubio a engagé une répression sans précédent contre la liberté d’expression,
allant jusqu’à détenir et tenter d’expulser des critiques d’Israël, précisément
pour le « crime » de leur critique d’Israël.
New York, novembre 2011 : rencontre Prosor-Le Pen fille à l'ONU
Au début de l’année 2015, Ellison échangeait des courriels avec Ron Prosor, qui terminait alors son mandat d’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies ; il est aujourd’hui ambassadeur d’Israël en Allemagne.
L’ambassadeur d’Israël
en Allemagne, Ron Prosor, s’adresse à de jeunes juifs de toute l’Europe à la
Porte de Brandebourg, lors du lancement du congrès européen de la jeunesse
juive CTEEN, sous le regard de Felix Klein (à droite), commissaire fédéral
allemand à l’antisémitisme, le 13 décembre 2024 à Berlin. Environ 500
adolescents juifs participaient à cet événement de quatre jours, baptisé «
Shabbat à travers l’Europe », dans la capitale allemande. CTEEN est l’association
de jeunesse de l’organisation juive internationale Chabad.
Photo Sean
Gallup/Getty Images
À l’époque, Rubio était considéré
comme un sérieux prétendant dans la primaire présidentielle républicaine, qui
allait finalement inclure le candidat outsider Donald Trump. Les courriels
montrent le diplomate israélien et Ellison organisant une rencontre, Prosor
sollicitant l’avis d’Ellison sur Rubio en tant que candidat potentiel
susceptible de défendre la cause d’Israël.
Quelques heures plus tard,
Ellison répondit par l’affirmative. « Salut Ron. Super rencontre avec Marco
Rubio. Je l’ai mis en relation avec Tony Blair », ajoutant : « Marco sera un
grand ami d’Israël. »
Un mois plus tard, Ellison, qui
avait soutenu Mitt Romney en 2012, organisa une levée de fonds pour Rubio dans
son manoir de Woodside, en Californie. Ce ne fut que le début d’un soutien plus
large que le milliardaire de la tech allait offrir pour renforcer la campagne
de Rubio. Au cours de la primaire de 2015-2016, Ellison injecta 5 millions de
dollars dans le super PAC [Comité d’action
politique] Conservative
Solutions, qui soutenait Rubio, lequel, comme Ellison l’espérait en
privé, défendit avec vigueur Israël tout au long de sa candidature
présidentielle et au-delà.
Le soutien d’Ellison à Rubio
surprit certains observateurs politiques à l’époque. Steven Hilton, directeur
général de la plateforme de financement participatif politique CrowdPac
(aujourd’hui Crowdblue), déclara au San Francisco Chronicle qu’il
trouvait « intéressant » qu’Ellison, qui n’était pas alors connu pour soutenir
des causes de droite, « appuie un candidat aussi conservateur que Marco Rubio
», spéculant que cela pouvait « refléter l’effort passé de Rubio pour mettre en
œuvre une réforme de l’immigration, une question cruciale pour des dirigeants
de la Silicon Valley comme Ellison ».
Les demandes de commentaires
adressées à Ellison, au département d’État usaméricain et à l’ambassade
d’Israël en Allemagne, où Prosor est actuellement en poste, sont restées sans
réponse.
La correspondance entre le
diplomate israélien et Ellison fait partie d’une archive de courriels publiée
par Handala, un groupe de hackers soupçonné de liens avec le ministère iranien
du renseignement. Les documents furent ensuite obtenus par Distributed Denial of Secrets, un site
non lucratif de lanceurs d’alerte et de partage de fichiers, où ils sont
actuellement accessibles à un cercle restreint de chercheurs et de journalistes
vérifiés. Bien que les courriels aient été publiés sans métadonnées permettant
d’en vérifier l’authenticité, ils contiennent des centaines de photographies,
documents et autres informations provenant de Prosor et de ses contacts, dont
certaines données non publiques confirmées comme exactes par Drop Site.
L’archive s’arrête en 2016, ce
qui laisse penser que les données avaient été exfiltrées avant leur mise en
ligne par Handala en octobre 2024. L’annonce par le « Handala Hack Team » de
l’accès aux courriels de Prosor intervint à peu près au même moment où le
groupe divulguait une série de courriels de l’ancien Premier ministre israélien
Ehud Barak. (Drop Site a publié le 28 septembre un article sur Jeffrey
Epstein servant d’intermédiaire pour un accord de sécurité israélien avec
Barak.) Les horodatages de ces courriels indiquaient que Handala se trouvait
dans le même fuseau horaire que Téhéran. Lorsqu’il publia les courriels de
Prosor, le groupe menaça également le diplomate : « Ta mort est proche. »
L’Institut Tony Blair pour le
changement global
Ellison a donné ou promis plus de
350 millions de dollars au projet de transformation mondiale de Blair, ce qui a
fait de lui le plus grand donateur et contribuant à l’expansion de l’institut à
travers le monde, selon une nouvelle enquête du New Statesman et de Lighthouse
Reports. L’Institut Tony Blair (TBI) est devenu en pratique une antenne
d’Oracle, ont rapporté ces médias, avec des conseillers clés de Blair siégeant
à la fois aux conseils d’Oracle et du TBI :
« Les
liens entre Oracle et le TBI ne sont pas seulement rhétoriques. En 2023, les
retraites communes étaient devenues monnaie courante. Au siège de l’institut à
One Bartholomew Place, à Londres, les équipes se réunissaient au sous-sol avec
des dirigeants d’Oracle… Des cadres supérieurs du TBI ont été accueillis au
siège d’Oracle à Austin, au Texas, coordonnés par un employé du TBI chargé de
“développer et gérer” le partenariat avec Oracle. D’anciens employés se
souviennent d’autres retraites conjointes plus anciennes, organisées
discrètement dans les propriétés d’Ellison aux USA. »
« Il est difficile de transmettre
à quel point les deux organisations sont profondément connectées », a déclaré
un ancien employé du TBI. « Les réunions donnaient l’impression qu’ils
faisaient partie de la même organisation. »
À mesure que le partenariat entre
TBI et Oracle s’approfondissait, des employés racontent qu’ils ont commencé à
voir le personnel d’Oracle s’insérer dans les calendriers des employés du TBI
pour organiser des réunions, afin de savoir ce que faisait l’institut dans
différents pays et « identifier des opportunités », se souvient un ancien
employé du TBI. Rapidement, les employés des deux entités avaient des appels
conjoints réguliers.
En d’autres termes, si cette
relation se poursuit, Ellison et Oracle sont en position de jouer un rôle de
premier plan dans la reconstruction de Gaza. Nous n’avons pas à deviner quel
type de société Ellison souhaiterait voir émerger. Lors d’un appel aux investisseurs
l’an dernier, il a déclaré que la surveillance de masse était inévitable et
maintiendrait les citoyens dans leur « meilleur comportement ».
« Nous allons avoir de la
supervision », a dit Ellison. « Chaque policier sera supervisé en permanence,
et s’il y a un problème, l’IA signalera ce problème et le communiquera à la
personne appropriée. Les citoyens seront sur leur meilleur comportement car
nous enregistrons et rapportons constamment tout ce qui se passe. »
Dans les mois qui suivirent leur
discussion sur Rubio et sa capacité à être un bon défenseur d’Israël, les
fuites suggèrent qu’Ellison et Prosor ont maintenu une correspondance
épisodique. Prosor se plaignait amèrement auprès d’Ellison du traitement injuste
qu’Israël recevait selon lui à l’ONU.
En juin de cette année-là, Prosor
envoya à Ellison un message indiquant qu’il « courait avec des extincteurs
d’incendie ici à l’ONU », ajoutant : « Même selon les normes de l’ONU, ce
qu’ils essaient de faire à Israël est scandaleux !! » À l’époque, l’ambassadeur
menait un effort diplomatique pour contrer un rapport du Conseil des droits de
l’homme de l’ONU qui concluait qu’Israël avait commis des violations des droits
humains durant sa guerre de 2014 dans la bande de Gaza, lorsque des soldats et
avions israéliens avaient tué plus de 1 000 civils palestiniens et blessé plus
de 11 000 autres. Prosor accusa l’ONU d’avoir été « prise en otage par des
organisations terroristes ».
Vers la fin de son mandat à
l’ONU, en septembre 2015, Prosor participa à une autre initiative visant à
empêcher l’Assemblée générale de hisser un drapeau palestinien lors de sa
prochaine session. Le diplomate israélien recontacta Ellison pour l’informer de
ses efforts : « Je viens de prononcer mon dernier discours aujourd’hui à
l’Assemblée générale sur la question du drapeau palestinien. Ils vont hisser
leur drapeau, alors que l’ONU hisse un drapeau blanc, cédant à tous les
caprices et volontés palestiniens », écrivit Prosor à Ellison.
En guise de conclusion, il
suggéra qu’ils reprennent contact afin de continuer à collaborer sur des
méthodes de soutien à Israël. Prosor écrivit : « Je vais me réinstaller en
Israël, et j’aimerais te parler de certaines idées que j’ai, qui pourraient coïncider
avec ce dont nous avions parlé lors de notre dernière rencontre, concernant ton
souhait de t’impliquer davantage en Israël. » L’archive de courriels, qui
s’arrête au début de 2016, ne contient aucune correspondance supplémentaire.
« Avec le temps, les armes changent »
Ellison n’a jamais caché son
soutien massif à Israël. En plus de son rôle croissant de courtier politique,
Ellison, qui est brièvement devenu l’homme le plus riche du monde cette année
grâce à la hausse du cours des actions Oracle, déclara lors d’une collecte de
fonds en 2014, en présence d’autres milliardaires pro-israéliens, qu’« il n’y a
pas de plus grand honneur » que de soutenir l’armée israélienne. En 2017,
Ellison offrit 16,6 millions de dollars à l’association Friends of the IDF,
ce qui constitua le plus grand don jamais fait à cette organisation. Ellison
est également connu pour sa proximité avec le Premier ministre israélien
Benyamin Netanyahou, qui a déjà été invité sur l’île privée hawaïenne qu’il
possède.
“Nous croyons qu’il faut ancrer l’amour et le respect d’Israël dans la culture américaine ”
Safra Catz, PDG d’Oracle
En plus de la position
personnelle d’Ellison, un reportage de Responsible Statecraft basé sur
une autre série de courriels divulgués, provenant de l’ancien Premier ministre
israélien Ehud Barak, montre que d’autres hauts responsables d’Oracle partagent
son objectif d’influencer l’opinion publique usaméricaine en faveur d’Israël.
Dans un message de 2015 à Ehud Barak, Safra Catz exposa ses propres efforts
pour façonner l’opinion publique usaméricaine en faveur d’Israël, l’exhortant à
soutenir une émission de téléréalité sur les « Femmes de Tsahal » (Women of
the IDF) destinée à redorer l’image de l’armée israélienne, et soulignant
que le sentiment pro-israélien devait être intégré dans la culture usaméricaine
dès le plus jeune âge pour contrer la montée du mouvement BDS (Boycott,
Désinvestissement, Sanctions).
« Cela signifie faire passer le
message au peuple américain d’une manière qu’il puisse assimiler », expliqua
Catz à Barak, ajoutant : « Nous croyons qu’il faut ancrer l’amour et le respect
d’Israël dans la culture américaine. »
Aux côtés de son fils David, le
rôle d’Ellison comme magnat des médias devrait croître dans les années suivantes
— et son rôle dans le rachat pour plusieurs milliards de dollars de TikTok
pourrait bien être sa tentative la plus importante de remodeler l’environnement
médiatique de l’après-7 octobre. Dans le cadre de l’accord, Oracle auditera
l’algorithme crucial de contenu de TikTok, lequel sera « réentraîné et exploité
aux USA, en dehors du contrôle de ByteDance [entreprise chinoise, basée aux îles Caïmans,
propriétaire de TikTok, NdT] », selon la porte-parole de la Maison-Blanche,
Karoline Leavitt.
Depuis le début de la guerre et
du génocide dans la bande de Gaza, les responsables pro-israéliens aux USA se
sont focalisés sur TikTok, accusé d’être le principal facteur expliquant la
baisse rapide du soutien à Israël parmi les jeunes USAméricains. Cette
conviction a également été relayée par des responsables israéliens, ainsi que
par des activistes pro-israéliens influents tels que Jonathan Greenblatt,
directeur de l’Anti-Defamation League, qui a souligné lors d’une audition à la
Knesset israélienne plus tôt cette année l’importance de « s’approprier »
l’application.
Netanyahou lui-même a été le plus
explicite sur l’importance, pour Israël et ses partisans, de prendre le
contrôle de la plateforme vidéo — un cadeau qu’Ellison semble aujourd’hui prêt
à lui offrir.
« Avec le temps, les armes
changent … les plus importantes aujourd’hui sont sur les réseaux sociaux », a
déclaré Netanyahou à un groupe d’influenceurs pro-israéliens réunis au Consulat
général d’Israël à New York en septembre, affirmant que l’acquisition de TikTok
était « l’achat le plus important en cours actuellement ».
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