NAIZ, 24/10/2025
Traduit par Tlaxcala
L’Audience nationale espagnole a mis en cause l’un des principaux chefs d’entreprise basques dans le cadre d’une enquête sur la vente d’armes à Israël : José Antonio Jainaga, président de Sidenor. Il est accusé d’avoir vendu de l’acier destiné à la fabrication d’armement à Israël, sans autorisation du gouvernement espagnol ni enregistrement officiel.
L’enquête
judiciaire
Le juge Francisco de Jorge, de l’Audience nationale, enquête sur le président de Sidenor, José Antonio Jainaga Gómez, et deux autres dirigeants pour “contrebande” et “complicité dans un crime contre l’humanité” ou “génocide”, en lien avec la vente d’acier à la société d'abord appelée Israel Military Industries puis IMI Systems, avant de devenir Elbit Systems Land suite à son rachat par Elbit Systems.
Selon le
tribunal, le juge considère que les personnes mises en cause savaient
parfaitement que le matériel serait utilisé pour la production d’armement.
Ce vendredi,
le juge a levé le secret de l’instruction et a indiqué que la vente d’acier
aurait été réalisée sans autorisation du gouvernement espagnol et sans
inscription au registre correspondant, selon un rapport de la Commissariat
général de l’Information daté du 10 septembre.
Les trois
personnes poursuivies – à la suite d’une plainte de l’Association Comunitat Palestina de Catalunya et de la
Campagne Fin al comercio
de armas con Israel– ont été convoquées pour être interrogées le 12
novembre.
Jainaga est
une figure majeure du patronat basque, étroitement liée au gouvernement de Lakua*
(Vitoria-Gasteiz). Son influence s’est illustrée dans l’opération visant à
consolider la propriété du constructeur ferroviaire Talgo, où il a dirigé le “consortium
basque”.
Les
arguments du juge
Pour le
magistrat Francisco de Jorge, les faits commis à Gaza sont de notoriété
publique, tant par la couverture médiatique quotidienne que par les qualifications
provisoires de crimes émises par la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que
par les dénonciations de la Rapporteure spéciale de l’ONU, Francesca Albanese,
et par l’UNRWA, entre autres.
Selon lui,
ces faits pourraient constituer à la fois un délit de contrebande, au sens de
la Loi organique de répression du commerce illicite, et un délit de complicité
dans un crime contre l’humanité (articles 29 et 607 bis du Code pénal), ou, à
titre subsidiaire, un délit de complicité dans un génocide (article 607).
Le juge
estime que ces faits sont également imputables à la société Clerbil S.L.,
administratrice unique de Sidenor Holdings Europa.
En revanche,
il considère qu’il n’est pas approprié, à ce stade, de poursuivre Sidenor
Aceros Especiales S.L.U. en tant que personne morale, “en raison du rôle actif
de ses salariés, de leur contribution à la dénonciation publique et de leurs
efforts pour empêcher la poursuite de l’activité présumée illégale”.
Le tribunal précise que cette décision se fonde sur la Directive européenne (UE) 2019/1937 et sur la loi espagnole 2/2023 du 20 février, qui protège les lanceurs d’alerte et la lutte contre la corruption.
Le juge souligne que cette protection peut s’appliquer à des personnes morales considérées comme informatrices, puisqu’il s’agit ici de protéger les intérêts des travailleurs par le biais de la société concernée, laquelle ne sera pas affectée par les mesures conservatoires ni par d’éventuelles sanctions pénales contre d’autres entités ».
Méga-graffiti
à l’entrée sud du port de Barcelone, où sont stockés les containers transportés
par la compagnie israélienne ZIM
Integrated Shipping Services (créée en 1945 par l’Agence Juive et
l'Histadrout)
La
plainte pour contrebande et génocide
La plainte à
l’origine de l’enquête a été déposée le 1er juillet par la Comunitat Palestina
de Catalunya, accusant Sidenor de “possible délit de contrebande” et réclamant
des “mesures urgentes”, notamment l’inspection et la saisie d’un conteneur du
navire ZIM Luanda au port de Barcelone, où se trouverait le matériel.
Selon l’organisation Prou Complicitat Amb Israel [Assez de complicité avec Israël], le ZIM Luanda était amarré à Barcelone pour charger 40 blocs de barres d’acier produits par Sidenor et destinés au port israélien de Haïfa.
La plainte
mentionnait également “un possible crime de génocide et des crimes contre
l’humanité.”
Suspension
des ventes de Sidenor après des pressions basques
Ce même jour,
Sidenor annonçait la suspension de ses ventes d’acier à Israël, justifiant sa
décision par la suspension, en avril, des autorisations d’exportation décidée
par le gouvernement espagnol.
L’entreprise
précisait alors que ses ventes à des entreprises israéliennes représentaient
moins de 0,5 % de son chiffre d’affaires total en 2024.
Ce vendredi,
Sidenor a publié un communiqué bref, indiquant qu’elle avait confié l’affaire à
ses avocats et qu’elle suivrait leurs instructions “pour répondre au juge et
lui fournir toutes les informations disponibles”.
Ces
événements coïncidaient, le 1er juillet, avec une conférence de
presse des syndicats ELA, LAB et ESK**, aux côtés de la plateforme BDZ, qui
exigeaient de Sidenor l’arrêt immédiat de toute relation commerciale avec
Israël et la suspension de l’envoi prévu d’acier depuis Barcelone ce jour-là.
Le mouvement
BDZ Euskal Herria (Boycott,
Désinvestissement, Sanctions Pays Basque) dénonçait déjà le fait que que, comme d’autres
entreprises basques telles que CAF ou Metro Bilbao, Sidenor entretenait des
liens économiques avec Israël.
Après
l’annonce de Sidenor, le syndicat LAB a salué une “victoire de la solidarité
basque envers la Palestine” et déclaré qu’il resterait “vigilant pour s’assurer
de l’application réelle de cette décision.”
BDZ : “Le
cas Sidenor n’est pas une exception”
Dans un
communiqué, BDZ Euskal Herria a
affirmé que cette enquête “confirme ce que nous dénonçons depuis des années :
l’implication d’entreprises basques dans le soutien économique, technologique
et industriel du système d’occupation et d’apartheid imposé par Israël au
peuple palestinien.”
L’organisation
ajoute que “le cas Sidenor n’est pas isolé. Des entreprises telles que CAF,
impliquée dans la construction et l’entretien du tramway de Jérusalem
traversant les territoires palestiniens occupés ; AMC Mecanocaucho, qui fournit
des composants destinés à des projets du complexe militaro-industriel israélien
; Metro Bilbao et Osakidetza, ayant sous-traité des services de sécurité à
l’entreprise israélienne I-Sec, font partie d’un réseau de coopération
économique contraire aux principes fondamentaux d’éthique et de respect des
droits humains.”
“Il faut rompre tout lien avec le système colonial et d’apartheid de l’entité sioniste. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible. Les gouvernements doivent agir concrètement, la justice doit faire son travail, et le mouvement populaire doit poursuivre son engagement”, conclut BDZ.
NdT
*Lakua : localité où siège le gouvernement basque
**ELA : Eusko Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs basques). Il s'agit du syndicat majoritaire au Pays basque et l'un des plus importants d'Espagne.
LAB : Langile Abertzaleen Batzordeak (Commissions ouvrières abertzales), syndicat nationaliste basque de gauche.
ESK : Ezker Sindikalaren Konbergentzia (Convergence de la gauche syndicale). Syndicat de base non lié à des partis politiques, qui défend en particulier les travailleurs les plus précaires.






