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12/09/2021

Quand des volontaires usaméricains offraient des brownies au haschisch au kibboutz : « Apples and Oranges », un documentaire sur l’idylle entre Peace and Love et sionisme

Judy Maltz, Haaretz, 19/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
  

Le nouveau documentaire "Apples and Oranges*" jette un regard nostalgique sur l'époque où de jeunes idéalistes du monde entier affluaient en Israël pour participer à sa grande expérience de vie communautaire.

Des volontaires assis autour d'une piscine de kibboutz, dans le documentaire "Apples and Oranges" de Yoav Brill. "S'il n'y avait pas eu de volontaires, beaucoup des gars du kibboutz seraient probablement encore vierges", dit Na'ama. Photo : Avraham Eilat

 Il y a environ un demi-siècle, lorsque le volontariat dans un kibboutz était à la mode, Israël pouvait à peine accueillir tous les jeunes internationaux - juifs et non-juifs - qui cherchaient un travail non rémunéré pour cueillir des fruits ou traire des vaches dans ses légendaires collectifs agricoles.

Selon la légende, les volontaires qui atterrissaient à l'époque dans les aéroports internationaux d'Israël - souvent par avion - devaient parfois faire le tour du pays en bus avant de trouver des kibboutzim qui acceptaient de les accueillir, et encore, seulement après de nombreuses supplications. Il n'y avait tout simplement pas assez de travail pour occuper autant de personnes.

Au début du nouveau millénaire, cependant, le volontariat dans les kibboutz est passé de mode. Les blondes scandinaves et les hippies usaméricains, qui faisaient autrefois partie intégrante de la vie des kibboutz, avaient pratiquement disparu du paysage. À cette époque, Israël, dans son ensemble, était également dans une situation bien différente.

Ce n'est probablement pas un hasard si le volontariat dans les kibboutz a commencé à perdre de son attrait, au moment même où Israël commençait à perdre les faveurs du monde. Comme le souligne "Apples and Oranges", un excellent nouveau documentaire israélien réalisé par Yoav Brill, l'essor et la chute du mouvement bénévole des kibboutz est aussi l'histoire, en résumé, de l'essor et de la chute d'Israël aux yeux du monde.

Comme le notent plusieurs des personnes interrogées par Brill, pour les jeunes idéalistes désireux de changer le monde dans les années 1960, marquées par le flower power, le kibboutz était autrefois l'endroit où aller. Il offrait la possibilité de prendre part à la grande expérience israélienne de vie en communauté tout en se connectant à la Terre Mère. Mais aujourd'hui, les jeunes de leur âge - dont beaucoup viennent des mêmes pays qui étaient de grands pourvoyeurs de volontaires pour les kibboutz, comme la Suède et le Danemark - préfèrent cueillir des olives en Cisjordanie et montrer leur solidarité avec les Palestiniens qui luttent contre l'occupation israélienne.

"Apples and Oranges", qui a été présenté en avant-première cet été à DocAviv, le festival international du film documentaire de Tel Aviv, et qui est maintenant diffusé en continu sur la chaîne israélienne Yes TV, est le premier long métrage documentaire de Brill. Le film comprend des images d'archives rarement vues de volontaires de kibboutz (pas toujours entièrement vêtus) qui ne manqueront pas de rendre nostalgiques tous ceux qui ont vécu, travaillé ou même visité un kibboutz.

Les personnes interrogées par Brill sont des personnages hauts en couleur : d'anciens volontaires qui sont tombés amoureux de la vie dans un kibboutz (ou d'un·e kibboutznik) et ont fini par y rester ; d'ancien·nes kibboutzniks qui sont tombé·es amoureux·ses des volontaires et ont fini par partir ; et des Israélien·nes qui ont grandi dans des kibboutzim à une époque où rien ne suscitait plus d'enthousiasme qu'un nouveau groupe de volontaires déposé à la porte.

Trop carrés

Comme le rappelle Na'ama, une kibboutznik de Mishmar Ha'emek qui finira par épouser un volontaire suédois, dans le film : « On était assis dans le réfectoire, et puis ces jeunes gens d'un autre monde entraient. Ils étaient plus beaux, plus grands, plus blonds, ils s'habillaient différemment, ils buvaient du lait avec leurs repas, et vous ne pouviez pas comprendre d'où ils avaient été parachutés ».

 

Yoav Brill, qui a réalisé le nouveau documentaire "Apples and Oranges" sur les volontaires des kibboutz. "Ces gens ne sont pas vraiment des immigrants et ne font pas partie de l'histoire sioniste, mais ils constituent une communauté entière". Photo : Extrait du film "Apples and Oranges", avec l'aimable autorisation de Yoav Brill.

 
Dror Shaul, dont la mère était responsable des volontaires dans le kibboutz qui borde la
bande de Gaza où il a grandi, explique que ces étrangers ont ajouté du "piment" à la vie très stricte que lui et ses amis menaient, qui incluait souvent le travail manuel dans les champs et le fait de dormir dans des "foyers pour enfants" spécialement conçus, loin de leurs parents.

 
« Ils étaient beaux, et ils étaient intéressants », réfléchit le réalisateur israélien acclamé qui est interviewé dans le film de Brill. « Pour moi, ils étaient comme des grands frères et sœurs, mais au bout de quelques mois, ils reprenaient et partaient, et à chaque fois, cela me brisait le cœur ».


Les kibboutzim ont commencé à accueillir des volontaires au début des années 1960, mais seulement en nombre relativement restreint. Ce n'est qu'après la victoire d'Israël lors de la guerre des Six Jours en juin 1967 - alors que la sympathie et l'admiration du monde pour le pays étaient à leur apogée - que le volontariat dans un kibboutz a commencé à devenir un rite de passage pour de nombreux jeunes hommes et femmes du monde entier. Entre cette époque et le début des années 1980, lorsque l'opinion mondiale a commencé à se retourner contre Israël en raison de ses actions lors de la première guerre du Liban, en moyenne 7 000 à 8 000 volontaires affluaient chaque année dans les kibboutzim.

Pour les kibboutzniks de l'époque, qui n'avaient pratiquement jamais de contacts avec d'autres Israéliens, et encore moins avec des étrangers, l'expérience a été bouleversante. « Lorsque les volontaires ont commencé à arriver après la guerre des Six Jours, nous n'avions même pas la télévision en Israël », note Aviva, une personne interrogée à Lahav, un kibboutz du Néguev.


Contrairement à ses camarades kibboutzniks, qui se battaient littéralement pour la survie de leur pays et semblaient porter "les peines du monde entier sur leurs épaules", elle raconte que les jeunes étrangers qui descendaient dans son kibboutz ne semblaient pas se soucier du monde. Grâce à la musique et aux livres qu'ils apportaient avec eux, ils ont contribué à introduire les kibboutzniks protégés dans le grand monde.

 

D'anciennes volontaires de kibboutz danoises, dans le documentaire de Brill "Apples and Oranges", qui est l'histoire en quelques mots de l'ascension et de la chute d'Israël aux yeux du monde. Photo : Extrait du film "Apples and Oranges", avec l'aimable autorisation de Yoav Brill.


Et pas seulement la musique et les livres. Parmi les incidents les plus loufoques relatés dans le documentaire de Brill figure la petite farce faite par un groupe de volontaires usaméricains à leurs hôtes du kibboutz Lahav à la fin des années 1960 : Sans le leur dire, les volontaires leur ont servi des brownies mélangés à du haschich lors d'une de leurs sorties communes du Shabbat.

« Ils pensaient que nous étions trop carrés et qu'ils devaient nous détendre un peu », dit Aviva. Tout le monde n'a pas trouvé la farce drôle, surtout les kibboutzniks qui ont fini à l'hôpital après avoir mangé trop de brownies. Mais cela aurait pu se terminer plus mal, comme le rappelle Aviva : le plan initial des volontaires était d’assaisonner au haschisch la soupe au poulet du vendredi soir servie dans la salle à manger commune, mais heureusement, quelqu'un a eu le bon sens de les avertir que cet aliment de base du Shabbat est également servi aux enfants.

Ce sont des incidents de ce genre qui ont contribué à renforcer certains des stéréotypes classiques sur les volontaires des kibboutz - à savoir que leurs intérêts principaux étaient le sexe, la drogue et le rock'n'roll. Le plus souvent, cependant, ces individus trouvaient parmi leurs camarades de kibboutz des complices prêts à s'adonner à ces activités. Comme le spécule Na'ama : « S'il n'y avait pas eu de volontaires, beaucoup de gars de notre kibboutz seraient probablement encore vierges ».

Une situation gagnant-gagnant

Lorsque les kibboutzim ont commencé à accepter des volontaires, tout le monde semblait y trouver son compte. En échange de huit heures de travail par jour - généralement dans les champs, les laiteries, les poulaillers et les maisons d'enfants - les volontaires étaient logés et nourris gratuitement, pouvaient utiliser la piscine du kibboutz et d'autres installations, et s'ils restaient suffisamment longtemps, ils pouvaient même participer aux excursions hebdomadaires du shabbat.

 

Un ancien volontaire nommé Paul, extrait de "Apples and Oranges" de Brill. Les volontaires d'aujourd'hui préféreraient probablement cueillir des olives en Cisjordanie et montrer leur solidarité avec les Palestiniens. Photo : Extrait du film "Apples and Oranges", avec l'aimable autorisation de Yoav Brill.

En contrepartie, les kibboutzim recevaient une main-d'œuvre gratuite, tandis qu'Israël bénéficiait d'une grande publicité, puisque nombre de ces volontaires finissaient par devenir des ambassadeurs de bonne volonté de l'État. En effet, le film de Brill cite une lettre d'Abba Eban, le légendaire ministre israélien des Affaires étrangères, qui exhortait le gouvernement à promouvoir le volontariat dans les kibboutz. « Il s'agit d'un investissement fondamental et à long terme dans la réputation internationale d'Israël », écrivait-il.


Cependant, une vingtaine d'années plus tard, les relations entre les volontaires et leurs hôtes s'étaient dégradées. Le chômage, surtout en Europe, était endémique, et beaucoup de volontaires de cette époque étaient moins motivés idéologiquement que leurs prédécesseurs. Ce ne sont pas les valeurs socialistes et quasi-utopiques du kibboutz qui les intéressent, mais plutôt la possibilité d'échapper à leurs propres difficultés économiques. C'est au cours de ces années que l'abus d'alcool est devenu un problème majeur parmi les volontaires. Les volontaires, quant à eux, se plaignaient de plus en plus de se voir toujours confier les boulots les moins intéressants du kibboutz et de se sentir exploités en général.

À   ce moment-là, après tant d'années d'accueil de volontaires, d'autres problèmes ont commencé à se poser. Que faire, par exemple, de tous les volontaires non juifs qui finissaient par épouser des kibboutzniks alors que les autorités religieuses israéliennes refusaient catégoriquement de les convertir au motif qu'ils ne pourraient jamais mener une vie juive à part entière (c'est-à-dire respecter le shabbat et la cacherout) dans des kibboutzim laïcs ? Et que dire des nombreux kibboutzniks qui sont tombés amoureux·ses de volontaires et les ont suivi·es dans leur pays d'origine ?

Comme le raconte dans le film le directeur d'une agence de voyage qui faisait venir des volontaires suédois en Israël : « Un jour, un secrétaire de kibboutz m'a dit qu'il n'était pas venu en Israël pour aider à créer ce kibboutz afin que sa fille finisse à Stockholm et son fils à Copenhague ».

Dans les années 1980, de nombreux kibboutzim étaient très endettés et connaissaient de graves difficultés financières. Pour survivre, la majorité d'entre eux ont fini par conclure qu'il n'y avait pas d'autre choix que d'abandonner les valeurs socialistes communautaires de leurs pères et mères fondateurs et de se soumettre à la privatisation. Dans le cadre de ce processus, les membres ont commencé à travailler en dehors du kibboutz, ils ont commencé à payer leur nourriture et d'autres nécessités, et de nombreux kibboutzim ont commencé à vendre leurs terres agricoles. « Il est progressivement devenu inutile d'envoyer des gens étudier quelque chose qui n'existe plus », se lamentait un ancien volontaire suédois.

Finalement, des travailleurs rémunérés venus de Thaïlande ont remplacé la plupart des volontaires, s'installant dans de nombreux cas dans les chambres qui leur étaient réservées. Comme l'indique le film de Brill, le bénévolat dans les kibboutz a quelque peu rebondi depuis 2001, année où il avait atteint son plus bas niveau historique, et ces dernières années, on a compté en moyenne 1 000 volontaires par an. Cependant, les nouveaux visiteurs ont tendance à venir d'autres endroits, principalement d'Asie et d'Amérique du Sud, plutôt que d'Europe et d'Amérique du Nord comme dans les premières années.

Yoav Brill, âgé de 40 ans, a grandi à Be'eri, un kibboutz situé près de la frontière de Gaza. Il est né trop tard pour se souvenir de l'époque où les volontaires du monde entier se réunissaient dans le réfectoire principal ou autour de la piscine. Mais l'un de ses oncles, qui vit dans le kibboutz, a épousé une volontaire anglaise et, comme elle, de nombreux anciens volontaires sont aujourd'hui des membres à part entière de Be'eri.

« C'est un sujet qui m'a toujours fasciné », explique le cinéaste, « ces gens qui ne sont pas vraiment des immigrants et qui ne font pas partie de l'histoire sioniste, mais qui pourtant constituent toute une communauté et vivent ici parmi nous ».

NdT
* Ce titre fait référence à une chanson des Pink Floyd de 1967 et à l’expression anglo-américaine « On ne compare/mélange pas les pommes et les oranges », adoptée en français québécois. En français d’Europe, on dit plutôt « On ne compare/mélange pas les pommes et les poires ou les torchons et les serviettes
».

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