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18/11/2021

GIDEON LEVY
L'arrestation d'un couple israélien en Turquie jette une lumière crue sur l'hypocrisie régnant en Israël

Gideon Levy, Haaretz, 18/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

On a parfois l'impression que l'hypocrisie et les deux poids deux mesures sont sans limites, que les Israéliens battent tous els records d’inconscience et que les médias israéliens peuvent obscurcir et nier la réalité et laver le cerveau du public à leur guise. Il est vrai que le chameau ne voit jamais sa bosse, mais on peut supposer qu'il sait au moins qu'il en a une. Israël, en revanche, n'est pas conscient de sa propre bosse.



Mordi (à droite) et Natali (à gauche) Oknin [au premier plan] dans l'avion qui les ramène d'Istanbul avec des représentants du ministère des Affaires étrangères, le 18 novembre 2021. Photo Ministère israélien des Affaires étrangères. Voir les rafales de messages dans toutes les langues possibles  sur le retour des héros ici

Un couple de touristes israéliens, apparemment innocents, est arrêté en Turquie [ils s'étaient pris en selfies avec le palais présidentiel en arrière-plan, NdT]. Les soupçons sont lourds et l'atmosphère est chargée, après que des rapports ont fait état de la découverte de 15 agents du Mossad en Turquie. En outre, la Turquie n'est pas un pays modèle en matière d'État de droit.

Plusieurs jours après son arrestation, le couple parvient à rencontrer son avocat. Le consul israélien leur apporte des vêtements et de la nourriture. Ils sont à peine interrogés, certainement pas battus ou torturés, et les conditions de leur détention sont apparemment raisonnables. Pour l'instant, il s'agit d'une histoire triste et peut-être kafkaïenne de fausse arrestation jusqu'à preuve du contraire, une histoire qui, on l'espère, se terminera bien.

Sous la houlette cynique des médias - cette entreprise nationale qui trafique les émotions et enflamme les passions -, Israël est anxieux. Il ne faudra pas longtemps pour que toutes les fenêtres du pays soient ornées d'un ruban jaune en faveur de la libération de nos Natalie et Mordi Oknin.

Ils font l'objet de gros titres, de reportages spéciaux et de nouvelles de dernière minute livrés par des envoyés spéciaux immédiatement dépêchés à    Istanbul. Et tout le monde sait que c'est la faute à Erdoğan et à quel point il est cruel. Il est parfois émouvant d'être témoin de l'inquiétude suscitée par un seul couple anonyme. Mais parfois c'est rebutant par sa folle exagération, et c'est toujours détaché de la réalité.

Israël, et en particulier les médias israéliens, n'ont aucun droit moral de s'énerver pour une seule fausse arrestation. Une société qui ne s'intéresse pas aux fausses arrestations quotidiennes dont elle est l'auteur et une scène médiatique qui n'en parle jamais comme elle le devrait - de peur de fâcher sa clientèle - n'ont aucun droit de s'agiter pour une fausse arrestation dans un autre pays et de prendre son régime à partie comme elle l'a fait.

La Turquie est clairement gouvernée aujourd'hui par un régime non démocratique, mais ce n'est certainement pas plus dictatorial que le gouvernement militaire d'Israël dans les territoires. En outre, à certains égards, le gouvernement militaire dans les territoires est encore plus cruel et totalitaire que le règne de la terreur de Recep Tayyip Erdoğan.

Nos Natalie et Mordi sont maintenant la prunelle des yeux de la société israélienne. C'est cette même société qui ne s'est jamais souciée des masses de Natalie et de Mordi qui ont été arrêtées dans les territoires occupés en 1967, dans une grande partie des cas sans que ce soit de leur faute.

Ils subissent un calvaire d'interrogatoires et d'humiliations que Natalie et Mordi ne connaîtront jamais. Ils ne peuvent que rêver qu'un consul leur rende visite et leur apporte de la nourriture et des vêtements, et ils sont parfois condamnés à de nombreuses années de prison pour rien - par un système politico-militaro-judiciaire botté qui n'a aucun rapport avec la justice.

Pourtant, la majeure partie de la presse israélienne se désintéresse de ce qui s'y passe, alors même qu'elle envoie des envoyés spéciaux à Istanbul qui racontent le système judiciaire turc. Les Israéliens adorent les histoires de victimes juives, mais il ne leur viendrait jamais à l'esprit de faire une heure de route pour rendre visite à un détenu palestinien, qui fait une grève de la faim depuis cinq mois pour protester contre sa détention sans procès et sans charges contre lui.

Mordi et Natalie ont été "enlevés", disent ceux qui n'auraient jamais recours au même langage pour décrire les enlèvements brutaux auxquels l'armée israélienne procède chaque nuit sur ordre du Shin Bet. En Israël, on appelle toujours ça une arrestation et une guerre contre le terrorisme.

Si le souci des droits humains était ce qui guidait la société et les médias israéliens, alors on pourrait comprendre l'intensité du choc provoqué par la détention des Oknins. "Natalie a demandé des chaussettes", a raconté l'avocat qui lui a rendu visite, tandis qu'en Israël, on essuyait une larme.

Mais qu'en est-il des chaussettes pour Kayed Fasfous, qui se meurt à l'hôpital en grève de la faim ? Natalie a demandé des nouvelles de ses enfants et a pleuré. Mais que dire des larmes de Fasfous et de sa nostalgie pour sa propre fille, Joan ?

Les gens en Israël se sont plaints que les médias turcs n'ont pas parlé de l'arrestation des Oknin. Et vraiment, comment est-il possible que des personnes innocentes soient arrêtées à tort et que les médias propagandistes à la solde du gouvernement n'en parlent pas ? Que c'est bizarre, que c'est choquant.

C'est un miracle que Kayed Al Fasfous soit encore vivant à son 127ème jour de grève de la faim

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