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19/11/2021

LUIS CASADO
Je persiste et signe : l’élection présidentiellle au Chili n’est qu’une pantalonnade mégagalactique

 Luis Casado (bio), 19/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une élection présidentielle a lieu au Chili le dimanche 21 novembre. Plus d'une fois, Luis Casado a rappelé ce refrain de Léo Ferré : "Ils ont voté... Et puis après ?" Le thème est récurrent : quel est l'enjeu des prochaines élections ? Les choses étant ce qu’elles sont, pas grand-chose...

Il y a quelques mois, j'affirmais que le fichu "accord" concocté entre tous les partis du système ["Accord pour la paix et la nouvelle Constitution" du 15/11/2019, NdT] n'avait d'autre objectif que d'arrêter et de désarmer le mouvement insurrectionnel né le 18 octobre 2019. Il est clair que le référendum puis la Convention constitutionnelle n'étaient, à l'origine, qu'une tentative de faire traîner les choses en longueur afin de maintenir le "modèle" économico-politique autant que possible intact.

On connait la suite : tout ne s'est pas déroulé comme prévu et la bagarre continue pour consolider l'institutionnalité fragile et chancelante. La Convention constitutionnelle fait peu à peu partie du paysage et, pour autant que je sache, l'article 1er  de l'insaisissable nouvelle Constitution reste dans les limbes.

La politique, comme on dit en Europe, est devenue gazeuse.

Nous sommes confrontés ici - une fois de plus - à la question de savoir si les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce qui est certain, c'est que des phénomènes similaires se produisent dans différentes parties du monde, et que le Chili non seulement ne fait pas exception, mais sert également d'expérience de laboratoire de référence.

L'imposition d'un libéralisme ultramontain à partir des années 1980 a eu, entre autres, pour conséquence d'atomiser la société, de la désintégrer, comme une sorte d'accrétion inversée qui, au lieu de former une planète, la dissout en corpuscules élémentaires, en poussière interstellaire.

Les structures sociales - syndicats, partis politiques, associations, etc. - se sont affaiblies, ont flétri jusqu'à disparaître, ou ont subsisté comme caricature de ce qu'elles étaient. Si on lui demandait de le faire, la sociologie aurait du mal à définir même les classes sociales, qui, s'étant désintégrées, ne ressemblent plus à ce qu'elles étaient autrefois.

Le "marché", une notion qui se désintègre dès que l'on tente de la définir, devient le lieu géométrique de toutes les relations humaines et le cerveau de toutes les décisions qui nous affectent. Ainsi, la démocratie perd progressivement sa raison d'être : tout est - ou devrait être - résolu par le marché. Margaret Thatcher avait été claire : The market will provide! (le marché y pourvoira !) Face aux doutes, qui menaçaient de se transformer en protestations, Thatcher a contre-attaqué en décrétant : There is no alternative [TINA]!  (Il n'y a pas d'alternative !)

L'aboulie croissante des électeurs, ce que j'ai appelé "la désaffection pour le vote", n'a pas d'autre origine ou explication. Les décisions sont prises par le marché. Les politiciens ont abdiqué leurs responsabilités, se limitant à encaisser. Compte tenu de leur contribution minime ou nulle, ils facturent cher.

La désaffiliation organique (partis, syndicats, associations...), le désintérêt pour l'action politique, la perte de crédibilité des institutions désormais vouées à la "rentabilité", la domination sans contrepoids du grand capital, font de notre société une sorte de comédie de l'absurde.

Comme les personnages des pièces de Ionesco, les citoyens sont réduits à la qualité de marionnettes, toute possibilité de communication entre eux est ou a été détruite, ce qui empêche ou annule toute logique et cohérence dans l'action sociale. La vie politique est devenue une pantomime.

Une fois l’explosion sociale maîtrisée, mais avec l'étalage des scandales du pillage du budget de l'État, il était temps de tourner la page, de se consacrer à autre chose. Le timing - pour une fois très opportun - s'est prêté à une farce électorale. Le Chili est un pays où, faute d'autres distractions, il suffit de lancer une élection pour que tout un chacun, oubliant ce qu'il était en train de faire, descende dans la rue pour coller des affiches et appeler ses amis en posant la question à un million : « Et toi, pour qui vas-tu voter ? »

Les affranchis, les politologues et les analystes, deus ex machina autoproclamés, imaginent des coalitions improbables, montent dans leur tête des alliances - unions - pactes - ligues – consortiums fantaisistes, créent et exagèrent les dangers possibles qui justifient le mariage de la seiche et du saumon, ou de la carpe et du huanaco, pour les écarter le lendemain en fonction du score des uns et des autres dans les sondages.

Tout cela est facile à comprendre, étant donné que tout ce beau monde vit de la même fable : l'institutionnalité héritée de la dictature. Pourquoi la changer ? La réalité est prosaïque, grossière, marchant en gros sabots... mais elle est ce qu'elle est. Les faits, les faits têtus.

Ou alors on trébuche pour la énième fois sur le même caillou, et on croit vraiment qu'un nouvel élu sera comme les onguents de Don Quichotte, le chevalier errant à la triste figure, qui guérissaient de tout sauf de la naïveté et l'angélisme.

Déjà dans la dernière ligne droite (pour en venir au fait...), les candidats pressentis ) la magistrature suprême rassurent les investisseurs, les patrons, Washington, la croûte politique parasite et les âmes sensibles : tout ce qui arrivera - peu ou rien - se passera dans le calme et la tranquillité qui conviennent à la production de profit et à l'exportation de capitaux.

En attendant, les conventionnels sont priés de faire semblant de croire encore en leur tâche éminente. Ce qui ne fait ni chaud ni froid à ceux qui s’en tamponnent le coquillard, considérant que gagner une élection dans le strict respect des règles définies sous la dictature est bien plus rentable.

En ce qui me concerne, je reste convaincu qu'il ne s'agit que d'une pantalonnade mégagalactique. Je persiste et signe. Devant notaire si nécessaire. Comme c'est la coutume sous ces latitudes.

 

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