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13/11/2021

ROBIN LEVINSON KING
Des femmes sont emprisonnées aux USA pour avoir fait des fausses couches

Robin Levinson King, BBC News, 12/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Robin Levinson King est une journaliste usaméricaine vivant au Canada, productrice à BBC News en Amérique du Nord depuis Toronto. @robinlevinson

Lorsqu'une Amérindienne de 21 ans de l'Oklahoma a été condamnée pour homicide involontaire après avoir fait une fausse couche, les gens ont été scandalisés. Mais elle n'était pas la seule.

Brittney Poolaw a été condamnée à quatre ans de prison

Brittney Poolaw était enceinte d'environ quatre mois lorsqu'elle a perdu son bébé à l'hôpital en janvier 2020.

En octobre dernier, elle a été reconnue coupable et condamnée à quatre ans de prison pour l'homicide involontaire au premier degré de son fils à naître.

La façon dont elle est passée d'une fausse couche à une peine de prison pour avoir tué son fœtus est devenue le sujet de nombreuses discussions en ligne et dans la presse. Sur les médias sociaux, certains ont fait remarquer qu'elle avait été condamnée pendant le mois de sensibilisation à    la perte de grossesse aux USA [proclamé par Reagan en 1988, NdT]. D'autres ont comparé l'affaire au roman dystopique de Margaret Atwood, La Servante écarlate.

Lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital pour se faire soigner, Poolaw a admis avoir consommé des drogues illicites pendant sa grossesse.

Plus tard, le rapport du médecin légiste, obtenu par la BBC, a trouvé des traces de méthamphétamine dans le foie et le cerveau de son fils à naître.

L'examinateur n'a pas déterminé la cause du décès du fœtus, notant qu'une anomalie génétique, un décollement du placenta ou la consommation de méthamphétamine par la mère auraient pu être des facteurs contributifs.

Les avocats de Mme Poolaw ont déclaré qu'ils feraient appel de sa condamnation. Le procureur qui a porté l'affaire devant le tribunal s'est refusé à tout commentaire alors que la procédure se poursuit. 


Pourtant, l'histoire de Mme Poolaw n'est que la partie émergée de l'iceberg, selon Dana Sussman, directrice exécutive adjointe de National Advocates of Pregnant Women (NAPW), un groupe de défense des intérêts des femmes enceintes (voir leur campagne Support Brittney Poolaw).

"Le cas de Britney a vraiment touché une corde sensible", a déclaré Mme Sussman. "Ce n'est pas aussi rare que les gens le pensaient".

L'organisation participe à l'appel de Poolaw et a suivi les arrestations et les cas d'"intervention forcée" contre des femmes enceintes aux USA.

De 1973 à 2020, la NAPW a enregistré 1 600 cas de ce type, dont environ 1 200 au cours des 15 dernières années seulement.

Bien que certains cas concernent des femmes arrêtées pour des raisons telles qu'une chute ou un accouchement à domicile, la grande majorité d'entre eux sont liés à la drogue et les femmes de couleur sont surreprésentées. 

L'explosion récente des affaires pénales fait partie d'un "phénomène spécifiquement américain" à la croisée de la "guerre contre la drogue" et du mouvement en faveur de la personhood [statut de l’embryon comme personne humaine, NdT], a déclaré Mme Sussman.


Deux manifestantes pro-choix déguisées en servantes écarlates sont entourées de manifestantes anti-avortement devant la Cour suprême, le 1er novembre 2021, lorsque celle-ci examinait la loi texane restrictive sur l'avortement. Photo Drew Angerer/Getty Images

Qu'est-ce qu'un humain ?

La question de l'exposition du fœtus aux drogues a été au cœur du débat culturel dans les années 1980, lorsque l'expression "crack baby" a commencé à être utilisée pour décrire les enfants nés de mères toxicomanes.

La consommation de drogues pendant la grossesse est associée à de nombreux effets négatifs, notamment un risque accru de fausse couche et de mortinatalité, mais l'impact réel de la consommation de drogues sur le fœtus varie considérablement. Des études réalisées dans les années 1980, selon lesquelles les enfants de mères cocaïnomanes souffraient de graves problèmes de développement, ont été démenties par la suite.

Depuis lors, les épidémies de drogue qui ont suivi - de la consommation de méthamphétamine à la crise des opioïdes - ont maintenu la question sous les feux de la rampe.

Dans le même temps, plusieurs États usaméricains ont adopté des lois rendant plus difficile l'obtention d'un avortement. Si les gens s'opposent à l'avortement pour différentes raisons, souvent morales ou religieuses, une partie de l'argumentation s'est focalisée sur la notion de personhood.

"Le concept de personhood est en fait assez simple", a déclaré Sarah Quale, présidente de Personhood Alliance Education, une organisation pro-vie.

"La personhood stipule que les humains sont humains et que notre égalité est fondée sur notre humanité. Rien ne change le fait scientifique que nous sommes biologiquement humains du tout début jusqu'à la toute fin. Par conséquent, en tant qu'humains, nous méritons une protection égale devant la loi car nous possédons des droits inhérents et naturels".

Le mouvement en faveur de la personhood a contribué à faire adopter des lois qui vont au-delà de la réglementation de l'accès à l'avortement, pour étendre les droits et les protections au fœtus comme s'il était un citoyen né.

Personhood Alliance Education rejette également la mort médicalement assistée, la recherche sur les embryons et la traite des êtres humains.

Bien que l'organisation n'ait pas de position sur la question de savoir si la loi doit poursuivre les mères qui consomment des drogues, Mme Quale a déclaré qu'elle soutenait personnellement les mesures qui "protègent les enfants à naître des dommages causés par une mère qui consomme des drogues pendant sa grossesse".

"Mais notre système juridique ne doit pas seulement prendre en compte les questions de responsabilité et d'obligation de rendre des comptes, il doit également se concentrer sur la restauration et la guérison des toxicomanes", a-t-elle ajouté.

Des lois qui protègent - ou qui nuisent ?

Selon l'Institut Guttmacher, un institut de recherche pro-choix, la consommation de substances psychoactives pendant la grossesse est considérée comme une maltraitance de l'enfant en vertu des lois civiles sur la protection de l'enfance dans 23 États.

Dans la moitié des États usaméricains, les professionnels de la santé sont tenus de signaler les femmes enceintes soupçonnées de consommer des drogues.

En 2006, l'Alabama a adopté une loi sur la "mise en danger chimique" qui considère comme un délit le fait pour un enfant d'être "exposé à, d'ingérer ou d'inhaler, ou d'être en contact avec une substance contrôlée, une substance chimique ou un attirail de drogue". Une enquête de ProPublica a révélé que plus de 500 femmes ont été inculpées au cours de la décennie qui a suivi l'adoption de cette loi.

Le Tennessee a tenté de suivre le mouvement en adoptant une loi similaire en 2014, mais celle-ci a expiré deux ans plus tard et n'a pas été renouvelée.

Dans un comté de Californie, deux femmes ont été emprisonnées pour avoir prétendument tué leurs bébés mort-nés et après avoir été testées positives aux drogues illicites. Les accusations de meurtre portées contre Chelsea Becker ont été abandonnées cette année, après qu'elle eut passé un an et demi en prison parce qu'elle ne pouvait pas payer une caution de 2 millions de dollars (1,7 million d’€). En revanche, Adora Perez a purgé environ un tiers de sa peine de 11 ans pour homicide involontaire, après avoir plaidé coupable pour éviter l'accusation plus sévère de meurtre. Elle tente actuellement de faire appel.

Les deux femmes ont été poursuivies en vertu de ce que l'on appelle les "lois sur les agressions contre le fœtus", qui existent dans au moins 38 États.

Ces lois ont été conçues pour aider à punir les agresseurs de femmes enceintes. Beaucoup d'entre elles ont été inspirées par une loi fédérale adoptée en 2004 après le meurtre de Laci Peterson, qui était enceinte, par son mari.

Mais nombre de ces lois sont ambiguës et laissent le champ libre aux procureurs pour inculper des femmes dont le comportement peut avoir contribué à une fausse couche ou à une mortinaissance.

Certains États ont des règles explicites sur le nombre de semaines que doit avoir le fœtus pour être viable - d'autres non. La plupart des médecins situent la viabilité autour de 20-24 semaines.

Poolaw était enceinte de 16 à 17 semaines lorsqu'elle a fait une fausse couche. Selon Mme Sussman, il s'agit probablement de la femme enceinte la plus précoce à être inculpée aux USA.

Un avenir plus draconien ?

Si Poolaw avait eu un avortement au lieu d'une fausse couche, elle n'aurait pas été inculpée du tout, car l'avortement est légal en Oklahoma.

Mais alors que la Cour suprême doit se prononcer sur la légalité d'une interdiction quasi-totale de l'avortement au Texas, et que des restrictions plus strictes sont imposées à l'avortement dans un certain nombre d'autres États, les défenseurs de la justice reproductive craignent que l'avenir ne soit plus draconien.

Dans les pays où l'avortement est illégal, des femmes ont été arrêtées et accusées de meurtre pour avoir fait une fausse couche. Les autorités locales peuvent les accuser d'avoir délibérément mis fin à leur grossesse.

 


Une femme au Salvador a été condamnée pour avoir pratiqué un avortement illégal et est morte en prison après avoir fait une fausse couche à l'hôpital

L'une de ces affaires, au Salvador, où l'interdiction de l'avortement est l'une des plus strictes au monde, a été portée devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui devrait rendre son jugement d'ici la fin de l'année.

Manuela, une femme de 33 ans qui s'était rendue à l'hôpital pour se faire soigner après une fausse couche, a été condamnée à 30 ans de prison pour homicide. Elle est morte en prison en 2010.

Ses avocats affirment que la législation salvadorienne, qui oblige les médecins à dénoncer les femmes soupçonnées d'avoir avorté sous peine d'être eux-mêmes emprisonnés, est contraire au droit international relatif aux droits humains.

À   la base de ces affaires, il y a l'idée que les femmes, une fois devenues mères, doivent faire passer leur fœtus en premier, quoi qu'il arrive, a déclaré Emma Milne, juriste spécialiste du genre et de la criminalité qui enseigne à l'université de Durham, au Royaume-Uni.

Mais la réalité est bien plus complexe, dit Mme Milne. Les femmes sont souvent désespérées et vulnérables, et ont besoin d'aide et de soutien.

"Le fait que l'État n'ait pas réussi à leur apporter l'aide et le soutien nécessaires pendant leur grossesse et avant leur grossesse est la faute de l'État", dit-elle.


Selon une enquête de 2012, environ 6 % des femmes enceintes usaméricaines admettent consommer des drogues illicites, tandis que 8,5 % boivent de l'alcool et 16 % fument des cigarettes.

 

Les associations médicales usaméricaines s'opposent à ce que la consommation de drogues pendant la grossesse soit considérée comme une maltraitance de l'enfant et font valoir que les femmes qui ont des problèmes de dépendance devraient recevoir un traitement, et non des peines de prison. 

 

"La toxicomanie est une maladie qui se prête à un traitement plutôt qu'une activité criminelle", selon l'American Medical Association, qui représente les médecins usaméricains.

Donner aux enfants à naître des droits égaux devant la loi n'est pas simple, a déclaré I. Glenn Cohen, expert en éthique médicale et vice-doyen de la Harvard Law School.

"Personne ne conteste que les fœtus sont des membres de l'espèce humaine. [La question est de savoir s'ils sont des personnes [au sens de la loi] ou non", a-t-il déclaré.

Même si la loi accorde au fœtus le statut de personne, ce droit doit-il l'emporter sur le droit de la mère à l'autodétermination ?

"Cela donne beaucoup de grain à moudre, mais la question n’est presque jamais discutée en termes de politique et sur la manière dont les tribunaux la traitent", a-t-il déclaré.

Les défenseurs des droits de la femme craignent qu'il ne s'agisse d'une "pente glissante" qui pourrait conduire à priver les femmes enceintes de leur autonomie.


Si une femme peut être arrêtée pour avoir porté atteinte à son fœtus en raison de sa consommation de drogue, que se passe-t-il si elle boit une bière ? Et si elle conduit en excès de vitesse ?

"Si on le fait pour les drogues, la question est : après, on s’en prendra à qui ?" a demandé Mme Milne.

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