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13/07/2022

FRANCO "BIFO" BERARDI
Amok

Franco «Bifo» Berardi, Not Nero Editions, 5/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Excusez-moi un instant, je dois aller vomir puis je reviens.

L'alliance des sénescents

Fin juin 2022. Les dirigeants des pays membres de l'OTAN, représentation armée de la race blanche, se réunissent à Madrid pour planifier la troisième guerre mondiale imminente, alors que la guerre d'Ukraine se poursuit et que nous commençons à en voir les conséquences : inflation, récession, misère, disette, faim.

Quelques jours plus tôt, s'était tenu en Chine le sommet des BRICS, les pays qui s'opposent à la domination euro-usaméricaine sur le commerce et qui prennent la tête d'un processus de mondialisation anti-occidentale et d'affirmation d'un modèle politique ouvertement anti-libéral. Il s'agit d'un front de pays hétérogènes, unis par un ressentiment commun contre l'Occident colonialiste et un intérêt commun à s'émanciper de la domination financière nord-américaine.

Nous sommes en train de prendre conscience des effets à long terme de la défaite de la classe ouvrière et de la perspective internationaliste. Il n'y a plus d'alternative sociale à l'impérialisme du capitalisme occidental, et au lieu de cette alternative qui prenait le nom de communisme, il y a maintenant une coalition politiquement hétérogène de pays à régimes autoritaires.

La Russie, qui appartient également au monde blanc, fonctionne comme un bélier pour la percée de l'ordre occidental, comme un élément de désintégration interne du front racial blanc (auquel les Russes appartiennent également).

Macron a déclaré il y a peu que l'OTAN était en état de mort cérébrale ; elle a maintenant été ressuscitée : à la place d'un cerveau, on a installé un appareil programmé pour l'extermination de ceux qui s'opposent à l'ordre blanc mondial.

Je dois m'excuser pour l'utilisation d'une expression qui n'a aucune base scientifique et qui est aussi un peu dégoûtante : « race blanche ». La race blanche n'existe pas, bien sûr. Mais d'un point de vue idéologique, ces deux mots expriment, à un niveau inconscient, l'identification fantasmatique et pourtant réelle des peuples qui, au cours des deux derniers siècles, ont subjugué les peuples du Sud par la force des armes, s'emparant de leurs territoires, de leurs ressources, de leur travail. Maintenant, le monopole de la force n'est plus entre leurs mains, la bombe finale prolifère et l'énergie de la race blanche s'amenuise.

Le gigantisme quelque peu hystérique du congrès de Madrid est un signe de la panique avec laquelle la race blanche regarde l'horizon. Ils sont complètement fous, ils tenteront de se suicider, mais tout comme chaque tireur de masse essaie d'emmener autant de personnes que possible en enfer, les dirigeants du monde libre pourraient emmener toute la race humaine en enfer.

La guerre nucléaire devient de plus en plus probable, au point que nous ne l'envisageons même plus, comme une éventualité à laquelle nous préférons ne pas penser.

Le retour de la bombe

Gunther Anders a écrit dans les années 1960 que le nazisme historique, à commencer par la victoire d'Adolf Hitler aux élections démocratiques de 1933, n'était qu'une répétition générale de ce qui deviendrait le vrai Troisième Reich définitif dans un avenir qui est maintenant devenu le présent.

Qu'est-ce qui définit le nazisme pour Gunther Anders ? Dans son livre L’obsolescence de l’homme, il répond : la rage impuissante contre l'humiliation que la superpuissance de la technologie inflige à l'homme, créateur et victime de la technologie. Mais le Troisième Reich à venir est doté d'une nouvelle puissance technique qui se manifeste par la bombe atomique, objet de puissance ultime car capable de faire disparaître son créateur de la surface de la terre.

Le sujet de la bombe nucléaire, qui a hanté le discours public dans les années 1960 et 1980, semble être passé de mode avec la fin de la guerre froide. Mais c'était une illusion : le danger s'est amplifié puisque les propriétaires de la bombe ne sont plus deux, les Russes et les Anglo-USAméricains, mais six, sept, huit, peut-être neuf.

La destruction mutuelle assurée (MAD), fondement fou de la dissuasion atomique, a été utilisée pour dissuader les deux acteurs de lâcher la bombe. Mais depuis que les acteurs se sont multipliés, la dissuasion a perdu beaucoup de son pouvoir.

La guerre nucléaire devient de plus en plus probable, au point que nous ne l'envisageons même plus, comme une éventualité à laquelle nous préférons ne pas penser.

Horreur normale

Pendant que le sommet de l'OTAN se déroule, la vie continue allègrement : en tentant de franchir illégalement la frontière entre le Mexique et le Texas, une cinquantaine de migrants sont morts à l'intérieur d'un camion.

Morts de chaleur, de suffocation, mais surtout morts de racisme, de rejet, de misère.

À la frontière grecque, sur l'une des îles où les Syriens fuyant la catastrophe débarquent depuis des années, le flux de migrants ne s'arrête pas, et la police utilise les Syriens qui se trouvent sur le territoire grec pour repousser leurs compatriotes qui tentent d'entrer, poussés par des agents turcs. En guise de récompense pour ceux qui jouent le rôle de kapos, les autorités grecques offrent à ces malheureux un permis de séjour d'un mois.

Et pour rejoindre l'OTAN, la Suède se plie au diktat du dictateur islamiste Erdogan : les Kurdes qui ont arrêté l'avancée d'ISIS sont livrés à l'homme qui a protégé et financé les égorgeurs d'Allah.

Excusez-moi un instant, je dois aller vomir puis je reviens.

Comment définir de tels épisodes autrement que comme le retour d'horribles manifestations du nazisme ? Et la décision de la Knesset de déclarer l'État d'Israël comme un État des Juifs, alors que les soldats de Tsahal tuent chaque jour un ou deux jeunes Palestiniens dans les camps de réfugiés de Jénine et dans d'autres villages des territoires occupés, n'est-elle pas une démonstration claire que le nazisme a été introjecté comme inspiration de l'État d'Israël ?

Et la guerre en Ukraine n'est-elle pas une manifestation de l’arrogance nazie de l'État agresseur russe ? Mais les agressés ne sont-ils pas des jeunes hommes portant des croix gammées tatouées sur la peau ? Et tandis que les uns accusent les autres de nazisme, n'est-il pas évident que le nazisme se trouve des deux côtés de la barricade ?

Et enfin : l'esclavage est de retour au centre du marché mondial du travail, un archipel de travail salarié, de travail précaire et d'esclavage.

Des camps de concentration pour migrants ont vu le jour dans tout le bassin méditerranéen. Dans beaucoup d'entre eux, les migrants travaillent dans des conditions qui ne sont pas différentes de celles dans lesquelles travaillaient les internés d'Auschwitz.

L'exploitation de la force de travail clandestine non blanche, qui a permis l'accumulation originelle du capital, reprend une place centrale sur le marché mondial du travail.

Trouver un mot pour définir ce qui nous tue est totalement inutile, me direz-vous. C'est vrai que c'est complètement inutile, mais je dois le faire, ne serait-ce que pour la simple raison qu'il n'y a plus rien d'autre à faire pour moi.

Un problème conceptuel

Il est clair que nous avons un problème terminologique et, surtout, conceptuel : le mot « nazisme » ne fonctionne plus pour définir quoi que ce soit, puisque les caractéristiques de la violence, du racisme, du cynisme et de l'indifférence à la douleur de l'autre se sont répandues partout, comme un héritage partagé du côté du nationalisme souverainiste incarné par Trump et du côté du techno-militarisme libéral-démocratique incarné par Biden.

J'ai donc un problème conceptuel à résoudre, non pas parce qu'il est très important pour la survie (de plus en plus difficile) ou le bonheur (de plus en plus impossible), mais simplement parce que c'est mon travail, bon sang : créer des mots pour saisir le monde, créer des concepts qui donnent un sens compréhensible aux différentes formes de la vie contemporaine, de la vie mourante, de la vie agonisante.

Trouver un mot pour définir ce qui nous tue est totalement inutile, me direz-vous. C'est vrai que c'est complètement inutile, mais je dois le faire, ne serait-ce que pour la simple raison qu'il n'y a plus rien d'autre à faire pour moi.

Qu'y avait-il dans ce mot, national-socialisme ?

Il y avait l'idée de la nation, et en même temps l'idée d'une communauté élue, supérieure, saine, mais menacée par des dangers qui s'infiltrent dans le corps de la communauté pour la polluer, la contaminer, la miner de l'intérieur, la détruire.

Le racisme contre les Juifs et les peuples non aryens en général était autrefois explicite, manifeste, programmatique. Ce n'est plus le cas.

Le racisme est officiellement dénoncé et même condamné par la loi dans les sociétés de notre époque. La supériorité de la race et de la nation blanches est techniquement inscrite dans la culture et la politique du Nord global, mais elle n'est plus officiellement déclarée, sauf par une minorité de plus en plus importante et de plus en plus influente (mais pas dominante). Le trumpisme a gagné du pouvoir aux USA, en Angleterre, dans de nombreux pays européens, mais en fin de compte, la domination du discours public reste le fait des forces libérales- démocratiques.

C'est une autre illusion, car en fait, ce qui définit le plus profondément l'inconscient collectif contemporain, c'est un racisme généralisé dans tous les espaces de la planète. Cela prend un caractère de vengeance et de ressentiment dans les pays qui ont souffert et souffrent du colonialisme, tandis que dans l'Occident blanc, cela se manifeste comme un appel précipité aux armes parce que l'ennemi non blanc s'approche sans hâte mais inexorablement.

L'Occident blanc, qui comprend la Russie mais aussi l'Euro-Amérique, est défini non pas en termes géographiques, mais en termes anthropologiques, comme une terre de déclin, d'épuisement, d'extinction imminente.

La race blanche est dominée par la terreur de la sénescence.

Le nazisme du XXe siècle a été un phénomène agressif expansif, il a été la réaction agressive des nations exclues du partage impérialiste du monde (Italie, Japon et Allemagne) : des nations démographiquement, politiquement et culturellement jeunes qui voulaient participer à la conquête et à l'expansion comme les nations impérialistes blanches de l'Atlantique, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique.

Le phénomène d'agression raciale qui domine le paysage contemporain sans se déclarer a un caractère opposé : il s'agit d'une réaction des populations qui se sentent (et sont) menacées, entourées, envahies par des masses de migrants qui ont subi les effets de la catastrophe produite par l'extractivisme, l'impérialisme, les guerres déclenchées par les pays occidentaux. Il s'agit d'une réaction à caractère essentiellement psychotique, que je définirais par une expression malaise adoptée dans la langue anglaise pour définir parfois des explosions de violence homicide : amok.

Dans ces conditions de marasme sénile, on fait des gestes stratégiquement insensés. Sous la direction de Biden, l'OTAN a réussi à coaliser tous ceux qui n'ont pas la peau blanche.

La course folle

Running amok est la façon dont les journaux usaméricains définissent l'apparition soudaine d'une pulsion homicide et suicidaire chez des sujets, généralement de sexe masculin et majoritairement jeunes, qui prennent une arme pour perpétrer des massacres sans autre motivation que la fureur, le désespoir, la solitude et le désir de mort.

La guerre en Ukraine, dans laquelle les pays euro-atlantiques investissent toutes leurs énergies psychiques, politiques et militaires (indifférents au fait que le réchauffement climatique a des effets de plus en plus alarmants et que la crise économique et sociale se précipite à cause des sanctions autodestructrices imposées à la Russie), a tout d'une course folle : une explosion de fureur meurtrière qui alimente la guerre sans la résoudre, et qui a pour effet secondaire de précipiter l'Europe dans le chaos politique, énergétique et économique. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une crise psychotique collective dont le premier ministre britannique est le cas le plus évident et le plus caricatural, mais qui concerne également les timides et prudents Latins.

Qui peut déserter l'appel à défendre le monde libre avec l’ami Erdogan ?

En termes démographiques, psychiques, économiques, le Nord global souffre de sénescence, et la réaction aux crises d'impuissance peut être, et en fait l'est de plus en plus ouvertement, une fuite en avant. Accélération craintive des mouvements, multiplication des investissements en armement, rhétorique de l'audace. Chaque jour, quelqu'un déclare que c'est un jour historique. Qui sait ce qu'ils veulent dire.

Dans cet état de somnambulisme hyper-excité, des décisions sont prises dont un démocrate libéral devrait avoir honte. Prenez la discrimination entre les migrants ukrainiens (blancs) et les migrants africains, syriens ou afghans, manifestation d'un retour inavoué du racisme. Le processus de militarisation forcée qui investit la psyché collective provoque un changement profond de la nature de l'Union européenne : elle est née pour dépasser la rhétorique du nationalisme, et se retrouve aujourd'hui unie en tant que Nation Armée (sous l'égide opérationnelle de l'OTAN).

Pour rejoindre l'alliance militaire des sénescents, la Finlande et la Suède acceptent les ordres du calife d'Ankara, le démocrate bien connu Erdogan, et criminalisent le PKK, une formation kurde qui a combattu le terrorisme de Daech, protégé et financé par Erdogan, un allié à qui l'UE verse des milliards chaque année pour nous protéger des migrants venant des pays que les blancs ont détruits.

L'infamie engloutit l'UE et l'encerclement de la Russie est complet, mais les missiles à tête nucléaire ne craignent pas l'encerclement.

Lorsque [le pape]François a dit que la guerre est une folie, il ne parlait pas en termes métaphoriques : il établissait un diagnostic de l'état mental de la race blanche qui, face à la perspective de son extinction, réagit comme si elle était frappée par une crise psychotique agressive qui aboutit au suicide.

Mais le suicide de la race blanche risque malheureusement de ressembler à ce que les USAméricains appellent un killing spree, un suicide précédé du meurtre de tous ceux qui se trouvent à portée.

Le concept qui devrait remplacer le « national-socialisme » doit donc dire à la fois la sénescence, le retour du nationalisme comme défense raciale, et l'explosion de la violence sauvage.

Na-sen-amok.
Voilà l'Europe.

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