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29/09/2022

FRANCO “BIFO” BERARDI
Gérontofascisme
L'Alzheimer de l'histoire, 1922-2022

Franco « Bifo » Berardi, Nero Editions, 27/9/2022
Images d'Istubalz
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme par un sortilège, à l'expiration du centième anniversaire de la Marche sur Rome, les descendant·es direct·es de Benito Mussolini s’apprêtent à gouverner l’Italie. Gouverner est un mot exagéré. Personne ne peut gouverner le déchaînement des éléments telluriques, psychiques et géo-psycho-politiques.

Giorgia Meloni, secrétaire de Fratelli d’Italia, sera la première femme présidente du conseil de l'histoire italienne.

Le fascisme est partout sur la scène italienne et européenne : dans le retour de la fureur nationaliste, dans l'exaltation de la guerre comme seule hygiène du monde, dans la violence anti-ouvrière et antisyndicale, dans le mépris de la culture et de la science, dans l'obsession démographico-raciste qui veut convaincre les femmes de faire des enfants à la peau blanche pour éviter le grand remplacement ethnique et parce que si les berceaux sont vides, la nation vieillit et décède, comme Il dit.

Toutes ces ordures sont de retour.

C'est du fascisme ? Pas exactement. Celui de Mussolini était un fascisme futuriste, exaltation de la jeunesse, de la conquête, de l'expansion. Mais cent ans plus tard l’expansion est terminée, l'élan conquérant a été remplacé par la crainte d'être envahis par les migrants étrangers. Et à la place de l'avenir glorieux, il y a la désintégration en cours des structures qui ont rendu la civilisation possible.

« Soleil qui te lèves libre et fécond / Tu ne verras aucune gloire dans le monde / Plus grande que Rome », disait la rhétorique nationaliste du siècle dernier.

Maintenant, le soleil fait peur parce que les rivières sont à sec et les forêts brûlent.

Ce qui avance, c'est le gérontofascisme : le fascisme de l'époque sénile, le fascisme comme réaction enragée à la sénescence de la race blanche. 

Je sais bien que même un peu de jeunes (pas beaucoup) ont voté pour Melons, mais l’âme de cette droite est en proie à une sorte de démence sénile, un oubli des catastrophes passées qui semble provoqué par la maladie d'Alzheimer.

Le gérontofascisme, agonie de la civilisation occidentale, ne durera pas longtemps.

Mais dans le court laps de temps où il sera au pouvoir, il pourrait produire des effets très destructeurs. Plus qu'on ne peut l'imaginer.

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire.

Qu'est-ce qu’a été le fascisme historique ?

Petite leçon d'histoire italienne. 

Italie est un nom féminin. Depuis la Renaissance, les cent villes de la péninsule vivent leurs histoires sans se penser comme une nation, mais plutôt comme des lieux de passage, de résidence, d'échange.

La beauté des lieux, la sensualité des corps : l’auto-perception des habitants de la péninsule des cent communes est féminine jusqu'à ce que déboule l’austère fanfare de la nation. Au cours des siècles qui ont suivi la Renaissance, la péninsule est une terre de conquête pour les armées étrangères, mais le peuple se débrouille.

« France ou Espagne, pourvu qu’on bouffe. »

Le pays est en déclin, mais certaines villes prospèrent, d'autres s'en sortent.

Vient ensuite le XIXe siècle, un siècle rhétorique qui croit à la nation, mot mystérieux qui ne veut rien dire. Le lieu de naissance, ou l’identité fondée sur le territoire que nous avons en commun ?

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire. Les Piémontais, ls montagnards présomptueux succubes de la France prétendent que les Napolitains, les Vénitiens et les Siciliens acceptent de se soumettre à leur commandement. Le Sud est alors conquis et colonisé par la bourgeoisie du Nord : vingt millions d'Italiens méridionaux et vénitiens émigrent entre 1870 et 1915. En Sicile se forme la mafia qui, au début, est l'expression des communautés locales pour se défendre des conquérants, puis deviendra une structure criminelle de contrôle du territoire. La question du Sud en tant que colonie n'a jamais pris fin : aujourd'hui encore, le Sud continue de sombrer, même si les villes (Palerme, Naples) vivent une vie extra-italienne, cosmopolite.

Pendant les guerres d'indépendance, un jeune homme nommé Goffredo Mameli a écrit les paroles de Fratelli d’Italia, qui est devenu l'hymne national. 

Ce n'est pas un très bel hymne : une congerie de phrases rhétoriques bellicistes et esclavagistes. Mameli est mort très jeune, et il ne mériterait pas d'être encore exposé aux railleries de quiconque écoute cette petite musique qui essaie d'être mâle et, au lieu de ça, fait rire.

Les poses guerrières réussissent mal parce que les habitants des villes italiennes ont toujours été trop intelligents pour croire en la mythologie de la nation. Ce sont des Vénitiens, des Napolitains, des Siciliens, des Romains, des Génois, des Bolognais… avec ça, on a tout dit. Seule la bourgeoisie piémontaise, qui, permettez-moi de le dire, n'a jamais été très brillante, peut croire à cette fiction vert-blanc-rouge.

Puis viennent les grandes épreuves du nouveau siècle, le siècle de l'industrie et de la guerre. Il faut devenir compétitif, agressif, fini de faire les femmelettes.

En 1914, alors que la Serbie et l’Autriche entrent en guerre, la polémique fait rage entre interventionnistes et non-interventionnistes. Les futuristes, piètres intellectuels, s'agitent sur la scène. 

Mépris de la femme, la guerre seule hygiène du monde crie le très mauvais poète Marinetti dans son Manifeste de 1909. 

A bas l’Italiette ! crient les étudiants interventionnistes pour convaincre les Siciliens et les Napolitains d'être italiens et d'aller se faire tuer à la frontière avec l’Empire austro-hongrois qui, pour les Napolitains et les Siciliens, ne signifie rien.

L'histoire de la nation italienne est une histoire de trahison systématique.  


Lorsque la guerre éclate en Europe en 1914, l’Italie est une alliée de l'Autriche et de l'Allemagne, mais le gouvernement italien décide de ne pas entrer en guerre, et on attend de comprendre comment la situation évolue. En 1915, les interventionnistes l'emportent et l’Italie entre en guerre du côté de la France et de l'Angleterre, contre ceux qui étaient ses alliés. L’évolution de la guerre est catastrophique. Quinze mille morts à Caporetto. Les vingt ans envoyés mourir chantent : « Ô Gorizia, soiss maudite / pour tout cœur qui ressent de la conscience / douloureux fut le départ / et our beaucoup il n’y eut pas de retour. » 

Après la guerre, les puissances victorieuses, la France et la Grande-Bretagne, plus les USA qui entrent pour la première fois dans les affaires européennes, convoquent le Congrès de Versailles pour donner un nouvel ordre à l'Europe, et peut-être même au monde.

Les vainqueurs français et britanniques veulent punir l'Allemagne, mais dans un livre intitulé Les conséquences de la paix John Maynard Keynes conseille de ne pas en faire trop car avec les Allemands, même vaincus, on ne plaisante pas.

Le président usaméricain Woodrow Wilson, ignorant de l'histoire et de l'anthropologie, pense mettre des culottes au monde et proclame l’autodétermination des peuples. Mais Wilson oublie d'expliquer ce que veut dire peuple, aussi du fait que ce mot ne signifie rien. Comme l’autre mot : nation. Deux mots dépourvus de sens logique qui transforment l'histoire du XXe siècle en un enfer de guerre ininterrompue.

Au Congrès de Versailles, les Italiens voudraient être traités comme des vainqueurs, ils revendiquent la Dalmatie, l’Albanie, et quelques morceaux d'Afrique. Mais les vrais vainqueurs, les puissances impérialistes consolidées traitent les Italiens comme des lèche-culs et des traîtres, et ne tiennent pas compte de leurs demandes impertinentes. Sidney Sonnino, fringant Premier ministre du Royaume d’Italie, s'en va en pleurant dans son mouchoir.

L’humiliation est brûlante pour ceux qui avaient combattu, pour les anciens combattants qui avaient cru qu'être du côté des vainqueurs apporterait la gloire, la richesse et des colonies. 

Un Romagnol nommé Benito, qui avait quitté le parti socialiste en 1914 pour se ranger du côté des interventionnistes, prend la direction des anciens combattants qui se rendent compte qu'ils se sont battus pour rien, et crient vengeance contre l'Angleterre ploutocratique. Benito a une culture provinciale et rhétorique, mais une bonne mémoire, et il incarne les vertus du beau mâle latin : arrogance, fanfaronnade, opportunisme. Sa voix est puissante dans l'amplification électrique, et ses poses sont parfaites pour le cinéma, nouveau médium qui accompagne la création des régimes de masse dans la première partie du XXe siècle.    

En 1919, les ouvriers du Nord industriel occupent les usines et les ouvriers agricoles émiliens font grève contre les propriétaires pour de meilleures conditions de travail.

Benito Mussolini dirige l’orgueil de la nation contre les intérêts mesquins des ouvriers. La patrie contre les organisations de la société réelle. 

Ainsi, en octobre 1922, après avoir obtenu une majorité relative aux élections, Mussolini dirige la Marche sur Rome, et instaure le fascisme : un seul homme aux commandes, violence contre les syndicats, persécution des intellectuels, assassinat des dirigeants de la gauche. Antonio Gramsci en prison écrit ses cahiers où il explique ce qui était et reste le noyau essentiel du fascisme : la violence patronale contre la classe ouvrière.

L'Italie s’est faite mâle et la mâle Italie veut un empire, et cela ne plaît pas aux Anglais et aux Français, nations consolidées qui ont déjà un empire.

Les jeunes nations, l'Italie, l'Allemagne, le Japon, revendiquent le droit d'avoir elles aussi une place au soleil, et font alliance. L'axe Rome Berlin Tokyo (RoBerTo) est né.

Mussolini envoie des troupes en Libye, en Éthiopie, en Abyssinie : de jeunes Italiens sont envoyés combattre dans ces terres, conduits par des criminels de guerre comme le général Graziani. Massacre des populations civiles. Ils larguent des bombes sur des villages de la Corne de l'Afrique. 

L’humiliation engendre des monstres, et les monstres veulent se venger

Quelques milliers de morts pour s'asseoir à la table des négociations

Depuis son balcon romain, Mussolini proclame à une foule océanique que l’Empire de Rome est né de nouveau. On est en 1936, d'Espagne vient la rumeur d'une nouvelle guerre, Hitler envoie la Luftwaffe bombarder Guernica, Mussolini envoie 5000 militaires combattre aux côtés du fasciste Francisco Franco contre les républicains espagnols. 

Pendant ce temps, la puissance allemande est ressuscitée, et elle est devenue méchante, comme Keynes l'avait prévu.

L’humiliation engendre des monstres, et les monstres veulent se venger.

La vengeance des humiliés allemands se déchaîne en 1939 avec l’invasion des Sudètes, puis de la Pologne, enfin de la France. Des millions de Juifs vivant en Allemagne, en Pologne et dans d'autres pays européens sont considérés comme des ennemis à exterminer. Même en Italie, les juifs, qui avaient vécu pacifiquement dans les villes de Rome, Venise, Livourne, sont isolés, licenciés. Des lois raciales préparent leur déportation, la remise des juifs italiens à l'allié nazi. 

En 1939, cent vingt mille Juifs fuient l'Allemagne par la mer, veulent débarquer en Angleterre, mais les Anglais les repoussent comme nous repoussons aujourd'hui les Africains qui demandent à débarquer sur nos côtes.  

Mussolini est un allié d'Hitler, mais il ne fait pas confiance à son allié, au contraire il craint qu'il ne veuille envahir la région du Nord-Est où l'on parle allemand. Quand, en septembre 1939, Hitler lance l’invasion de la Pologne pour aller conquérir son débouché sur la mer Baltique, et que la guerre précipite rapidement les puissances mondiales les unes après les autres, Mussolini hésite.

Comme au début de la Première Guerre mondiale, le gouvernement italien attend un peu avant de se décider à entrer en guerre. « Non belligérance » comme l'appelle Mussolini, qui aimait les mots difficiles.

Mais quand en 1941, il est apparu clairement qu'Hitler était en train de gagner la guerre, quand l'Allemagne avait occupé presque toute l’Europe, alors Mussolini a décidé d'intervenir aux côtés des nazis vainqueurs, après avoir prononcé la phrase qui définit peut-être le mieux l’âme du fascisme : « Je n'ai besoin que de quelques milliers de morts pour m'asseoir à la table des négociations ». 

Les morts furent beaucoup plus nombreux, et la table des négociations, Mussolini la trouva quatre ans plus tard sur la place Loreto, à Milan, où il fut pendu la tête en bas.  

En juin 1941, les troupes italiennes sont entrées en France (qui était déjà occupée par les Allemands), et quelqu'un a commenté, répétant les mots prononcés à Florence par Francesco Ferrucci à son bourreau en 1530 : « Vil Maramaldo, tu tues un homme mort ». 

Mussolini pensait que la victoire des nazis pouvait être considérée comme certaine et que la fin de la guerre était imminente. Mais l’infâme se trompait : il n'avait pas considéré le fait que le peuple soviétique résisterait, qu'il paierait le prix de vingt millions de morts (plus que quelques milliers) en renversant la table des négociations à laquelle l’infâme aurait voulu s'asseoir. Il n'avait pas envisagé que les USA entreraient dans le conflit avec tout le poids de leurs armements.

La guerre italienne fut un désastre, encore une fois. Alors que les Allemands occupaient tout le territoire européen, Mussolini envoya les malheureux militaires italiens mal habillés et mal équipés pour combattre en Afrique, en Russie et en Grèce. Il avait menacé de briser les reins de la Grèce, mais les offensives italiennes furent des revers.

Il y a un film de Gabriele Salvatores (Méditerranée) qui raconte l'histoire d'un groupe de militaires italiens envoyés pour briser les reins de la Grèce, qui se retrouvent dans une petite île de la mer Égée, où ils restent pendant des années, sans aucun contact avec le reste du monde. 

Les Italiens, qui en grande majorité avaient cru aux rodomontades du Duce tant qu'il semblait qu'il n'y avait pas de danger d'être impliqués dans quelque chose d'aussi horrible que cette guerre, commençaient maintenant à se rendre compte de ce qu'était le fascisme, du gouffre d'horreur qui se cachait derrière des mots insensés comme Nation, Patrie, Honneur, Drapeau, Frères d’Italie et ainsi de suite. Le 25 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme (le parlement des infâmes qui l’avaient soutenu tat qu’il paraissait victorieux) destitua le Duce et le mit aux arrêts. Les Allemands le libérèrent peu de temps après, pour qu'il constitue la république sociale de Salò, qui contrôla partiellement le nord de l'Italie pendant environ deux ans : en faisaient partie des groupes résiduels de fascistes qui aidèrent les nazis à perpétrer des massacres qui ponctuèrent les deux dernières années de guerre, comme le massacre de Marzabotto [Émilie 29 sept.-5 oct. 1944 : entre 1600 et 4000 victimes directes et indirectes, NdT] et celui de Santa Anna di Stazzena [Toscane, août 1944 : 560 victimes, NdT]. 

Le 8 septembre de cette année-là, l’armée italienne se dissout, beaucoup deviennent partisans et combattent aux côtés des troupes anglo-usaméricaines qui remontent la péninsule du Sud vers le Nord, et en avril 1945 libèrent les villes du Nord de la présence des nazis et fascistes restants.

Parmi ces partisans, il y avait aussi mon père, qui m'a raconté cette histoire depuis mon enfance. Mon père a eu la chance de mourir avant de voir ce qui se passe aujourd'hui, je pense que ça lui ferait mal.

Que se passe-t-il aujourd'hui en Italie ? Que se passe-t-il en Europe ?

Voyons.


Un homme seul aux commandes, c'est-à-dire une femme

Le gouvernement Draghi est tombé. Draghi, qui était autrefois un fonctionnaire de Goldman Sachs, puis directeur de la Banque centrale européenne, a une confiance absolue dans le pilote automatique qui régit tout. Au nom du pilote automatique, il a contribué en 2015 à détruire la démocratie en Grèce, et donc en Europe : le système financier européen devait faire plier le peuple grec qui à 62% avait voté contre un mémorandum ordonnant la privatisation générale et la réduction des retraites et des salaires. Draghi était directeur de la Banque centrale européenne, et il a fait sa part pour imposer l’humiliation et l’appauvrissement brutal des Grecs. C'était son métier, c'était la volonté du pilote automatique.

Draghi est une personne cultivée, contrairement à la grande majorité des politiciens italiens qui en général sont d'une ignorance embarrassante, comme le ministre des Affaires étrangères Di Maio, un sous-fifre convaincu que Pinochet a été dictateur au Venezuela. 

Le gouvernement Draghi est né au début de 2021, après une conspiration de palais ourdie par un tueur à gages ami de Ben Salman, Matteo Renzi. Le système financier européen voulait remplacer le Premier ministre Giuseppe Conte, le leader du Mouvement Cinq Étoiles qui semblait trop favorable aux demandes de la société pour qu'on puisse lui confier tout l'argent que l’Union européenne investit pour soutenir l’économie de l'Italie, le pays qui a le plus souffert des effets de la contagion.

On trouva le moyen de se débarrasser de Conte et on appela Draghi pour sauver le pays, et pour le transformer enfin en un pays sérieux, c'est-à-dire respectueux des lois du profit et des règles établies par le système financier.

Le chaos baroque de la politique italienne devait se plier à la rigueur protestante de la finance allemande, et le compatissant Draghi était la bonne personne pour ça.

Pour la première fois dans l'histoire de l'Italie, une femme a fondé un parti, et l'appelle, paradoxe génial, les Frères d’Italie.

Tous se prosternèrent aux pieds du Duce financier, tous louèrent son autorité, tous se déclarèrent prêts à soutenir son programme, ses méthodes, ses buts.

Tous sauf elle.

Sauf Giorgia Meloni, une vraie Romaine, féministe autoproclamée, fondatrice d'un parti. Pour la première fois dans l'histoire de l'Italie, une femme a fondé un parti, et l'appelle, paradoxe génial, Frères d’Italie.

Le féminisme de Giorgia, elle l'explique elle-même : « À gauche, ils parlent beaucoup de l'égalité des femmes, mais au fond, ils pensent que la présence féminine doit toujours être une concession masculine. Que vous soyez une femme ou un homme, où que vous soyez, vous devez y arriver par capacité et non par cooptation. Et si les femmes arrivent, quand elles arrivent, ce n'est pas par la permission d'un homme. » 

Melons aime rivaliser avec les hommes comme si elle était un homme. Et elle gagne.

« C'est peut-être par réaction au complexe d'infériorité qui amène beaucoup de femmes à rivaliser entre elles, que je m'amuse le plus à rivaliser avec les hommes. » 

Féminisme et compétition : un oxymore qui fonctionne. Quel message plus convaincant pour l’électorat féminin, puisque l’idéologie dominante a placé la concurrence au centre, et que l’hypocrite flatterie des femmes est l'une des raisons récurrentes de la publicité commerciale et de la propagande libérale ?

Le fascisme comme Alzheimer

Frères d’Italie est le seul parti qui n'a pas pris part au gouvernement Draghi ; au moins formellement il a fait opposition. En réalité, il n'a fait aucune opposition sur les questions sociales.

Il n'a fait aucune opposition lorsqu'il s'est agi d'envoyer des armes à l'armée ukrainienne pour prolonger indéfiniment la guerre et donc l’agonie de la population de ce pays.

Mais il a fait semblant de faire opposition, il a refusé les fauteuils ministériels que tous les autres occupaient confortablement.

C'est pourquoi Meloni a gagné : parce qu'elle méritait de gagner.

Elle mérite de gouverner.

Elle sera la première femme présidente du Conseil de l'histoire de l'Italie unie.

Intéressant, hein ?

Cent ans après ce petit mâl(otru) de Mussolini, une femme ramène au gouvernement du pays le culte de la patrie, de la famille traditionnelle, de l'héroïsme militaire, le respect des hiérarchies, le refoulement des migrants, une conception raciale de la citoyenneté.

En un mot : le fascisme.

Mais les choses ne sont pas si simples.

Certaines caractéristiques du fascisme – nationalisme, racisme, répression des organisations de travailleurs, militarisme – ont réapparu dans la culture nationale et dans les choix politiques, mais ne sont pas une exclusivité du parti de Giorgia Meloni. Elles sont partagées par de nombreuses autres forces politiques qui se présentent aux élections. Elles sont assurément partagées par le Parti démocrate,  responsable comme la Ligue du rejet systématique dont sont victimes des dizaines de milliers d'étrangers qui se noient en Méditerranée. 

L’artisan de la politique hypocrite et cruelle de refoulement et de détention des migrants est en effet un représentant du PD qui s'appelle Marco Minniti, qui a été ministre de l'Intérieur au cours de la dernière décennie et qui dirige maintenant la fondation du principal marchand de mort italien, Leonardo.

Le racisme est la politique non officielle mais substantielle de la République italienne et de l'Union européenne. Les réfugiés à la peau blanche sont accueillis à bras ouverts, tandis que ceux qui ont la peau un peu différente sont priés se noyer en mer. De ce point de vue, Giorgia Meloni n'est pas différente des autres partis qui gèrent le pouvoir sur le continent.

Quant au reste, le fascisme, violence patronale contre les travailleurs, est déjà le style du pouvoir en Italie, depuis que les gouvernements de centre-gauche ont signé des lois pour précariser le temps, la vie et le travail.

Et la guerre ?

La loyauté dans les alliances n'a jamais été un point fort de l'histoire italienne, comme nous l'avons vu dans la première guerre mondiale et même dans la seconde. Maintenant que la troisième commence, il y a des raisons de se demander à quel jeu l’Italie voudra jouer.

Après le 24 février, le gouvernement Draghi a fait preuve d'une loyauté à tout crin à l'égard de la politique de l'OTAN et des fauteurs de guerre de la Maison Blanche. 

Alors que 73% des citoyens étaient opposés à participer à cette guerre, Draghi et tous ses draghetti [petits dragons], à commencer par l'ultra-militariste Enrico Letta, ont envoyé des armes et des munitions aux Ukrainiens pour que la guerre ne se termine jamais.  

La droite triomphante sera-t-elle tout aussi loyale ? 

N'oublions pas que la loyauté dans les alliances n'a jamais été un point fort de l'histoire italienne, comme nous l'avons vu dans la première guerre mondiale et même dans la seconde.

Maintenant que la troisième commence, il y a lieu de se demander à quel jeu l’Italie voudra jouer, étant donné que les trois chefs de file de la droite ont des amis intimes sur le front adverse : Orban est le favori de Giorgia Meloni, et Poutine lui-même est un vieil ami des trois.

Les Atlantiques coalisés pour alimenter le feu à la frontière orientale de l'Europe s'inquiètent de ce que pourraient faire le vieux boss des boss Silvio Berlusconi, grand ami de Poutine, et l'ancien ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, un énergumène qui a signé il y a quelques années un pacte d'alliance de sa Ligue du Nord avec Russie unie, le parti qui gouverne la Russie.

Giorgia Meloni a une position plus ambiguë. Dans le passé, bien sûr, elle aimait le nationalisme chrétien du néo-tsarisme russe, mais lorsque la guerre a éclaté en Ukraine, lorsque l’Europe pacifique s'est transformée en Europe Nation en armes, la dirigeante du parti néo-mussolinien s'est empressée de promettre une fidélité éternelle à sa nouvelle patrie. 

On verra bien.

L’été 2022 a été le plus chaud de mémoire d’humain : forêts en feu de Trieste à Livourne, rivières à sec, glaciers qui fondent, les travailleurs morts sur les chantiers sous le soleil. L’inflation réduit les salaires très maigres, et l’hiver à l'horizon fait peur.

Le peuple italien n'a pas toujours été aussi oublieux, aussi aigri, aussi triste, nerveux, enragé, et donc raciste et même un peu fou. Il fut un temps où les patrons ne pouvaient pas librement licencier les ouvriers adhérents au syndicat, parce qu'il y avait de la solidarité entre les travailleurs, et parce qu'il était facile de se faire des amis, pas comme aujourd'hui où personne ne sourit plus dans la rue et nous sommes prêts à nous déchirer parce que la précarité a transformé les travailleurs en concurrents misérables qui ont peur de perdre leur emploi. 

Un peuple de déprimés enragés vote pour ceux qui lui promettent de restaurer un honneur perdu qui n'a jamais existé, et lui promet d'augmenter le nombre d'Africains noyés parce qu'ils veulent débarquer sur nos rives sacrées, et lui promet la guerre, et encore la guerre et encore la guerre.


Personne ne peut gouverner le chaos

On dit que Giorgia Meloni a gagné, mais il me semble que l’abstentionnisme est le premier parti italien. 

Un objectif déclaré de Giorgia Meloni est le changement présidentialiste de la République que la Constitution antifasciste de 1948 a voulu parlementaire : un homme seul au commandement, précisément, même si cet homme est actuellement une femme.

Mais le problème est que personne ne peut gouverner le Chaos, et le Chaos sera le roi de l'hiver à venir. L'Italie entre dans la crise la plus dévastatrice depuis toujours : pauvreté et chômage sont en augmentation. 

La migration grandit parce que la guerre et le désespoir se répandent tout autour de la Méditerranée. Combien de millions de migrants arriveront d'Ukraine et de Russie et combien du Pakistan, un pays de 224 millions d'habitants submergé par les eaux d'une apocalypse que l’Occident a provoquée par sa croissance illimitée ?

Meloni entend « relancer la natalité » (vaste programme). 

Comme partout dans le nord du monde, les femmes ont décidé de ne plus être des animaux reproducteurs, et veulent vivre leur vie sans avoir à obéir aux ordres de leur mari ou de leur nation. 

De plus, les nouvelles générations sont de plus en plus conscientes du fait que faire des enfants aujourd'hui signifie accomplir un geste irresponsable, livrer des innocents à l'enfer d'un climat intolérable, d'un monde qui est en train de régresser vers des conditions de vie inhumaines, avec des salaires toujours plus bas et des conditions de vie toujours plus semblables à celles des esclaves.

Meloni veut des enfants pour les guerres qui se préparent, elle veut des esclaves pour l’économie d'exploitation absolue. Et surtout elle veut que les femmes fassent des enfants pour éviter que les migrants de lieux lointains viennent en Italie remplacer la population qui diminue.

C'est le caractère le plus profond du gérontofascisme : une population de vieillards qui, pendant cinq siècles, a volé, violé, exploité les populations du sud du monde a maintenant peur de l'invasion. 

C'est précisément pour cela que le gérontofascisme est destiné à perdre : les femmes ne se mettront pas à faire des enfants pour la fournaise du futur.

 

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