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05/10/2022

MINNIE BRUCE PRATT
Les prisonniers d'Alabama mènent une grève massive

Minnie Bruce Pratt, Workers World, 4/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

2 octobre - Au cri de « Nous ne contribuerons plus à notre propre oppression », des milliers de travailleurs incarcérés dans le système carcéral de l'Alabama ont entamé une grève massive le 26 septembre pour protester contre les conditions brutales, les condamnations racistes et l'exploitation de leur travail.


Rassemblement de soutien à la grève des prisons de l'Alabama, Montgomery, 26 septembre 2022


Environ 25 000 personnes se trouvent dans les 14 principales prisons de l'État. Elles effectuent toutes les tâches nécessaires au maintien de la vie dans les établissements - cuisine, nettoyage, fabrication des uniformes, réparations et travaux d'équipement.

L'organisation de la grève a commencé en juin par le biais du Free Alabama Movement (FAM), à l’intérfieur des murs et avec le soutien du groupe de défense Both Sides of the Wall [Les deux côtés du mur]. Ces groupes ont estimé qu'environ 80 % des personnes présentes dans les prisons de l'Alabama sont en grève. (New York Times, 28 septembre)

Le premier jour de la grève, Both Sides of the Wall a organisé un rassemblement d'anciens détenus, de membres de leur famille et de sympathisants devant le département des services correctionnels de la capitale de l'État, Montgomery. Les orateurs ont demandé l'amélioration des soins médicaux et des conditions de détention, ainsi que la réforme des lois sur les peines et la libération conditionnelle.

Dans un communiqué de presse publié le 28 septembre, le département correctionnel de l'Alabama a pris la décision inhabituelle de confirmer qu'il y avait un “arrêt de travail” dans la plupart des prisons. La déclaration de l'ADOC rompt avec le déni habituel de l'action politique des détenus et renforce la probabilité que la participation soit généralisée.

Petit-déjeuner du premier jour de la grève  au centre correctionnel de Bibb. C'est [leur] tactique de rupture. Restez forts et persévérez. C'est la version moderne de "Pharaon... Laisse partir mon peuple". (Photo : @FREEALAMOVE)

Pour tenter de briser la grève, les autorités pénitentiaires ont réduit la nourriture à des repas froids, deux fois par jour, et ont fait venir de l'extérieur des prisonniers en permission de sortie pour travail, les forçant à préparer la nourriture. L'État a également mis en place des escouades anti-émeutes, selon les messages du FAM :

« Jour 5 : Alors que la grève historique des prisons de l'Alabama touche à la fin dans sa première semaine, il semble assez clair que l'ADOC veut la violence. Au cours des 72 dernières heures, l'ADOC a commencé à appeler des équipes anti-émeute dans les prisons en uniforme CERT [équipe d'intervention d'urgence correctionnelle], même si les grèves du travail ont représenté les périodes les plus pacifiques d'incarcération dans les prisons agitées de l'Alabama. »

Revendications des travailleurs incarcérés

En 2020, le ministère de la Justice a intenté un procès à l'État d’Alabama, alléguant que les conditions dans les prisons pour hommes violent la Constitution en raison de l'incapacité à protéger les hommes contre la violence entre prisonniers, les abus sexuels et l'usage excessif de la force par le personnel, et de l'incapacité à maintenir des conditions sûres. Le rapport a révélé que les principales prisons de l'Alabama étaient utilisées à 182 % de leur capacité.

Les neuf revendications formulées par les prisonniers en grève, par l'intermédiaire du Free Alabama Movement, abordent ces questions et bien d'autres encore, en allant au cœur de l'injustice raciste et antiouvrière perpétrée par l'État. (youtube.com/watch?v=E8_A2CLjiO4)

Une demande importante du FAM est d' »abroger immédiatement la loi sur les délinquants récidivistes ». Cette loi punit un prisonnier qui a trois condamnations pour crime ou délit, même si une ou plusieurs d'entre elles datent de plusieurs décennies ou concernent des délits non violents, d'une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Parmi les personnes punies de cette horrible peine en Alabama, 75 % sont des Noirs. (alabamasmartjustice.org/reports/hfoa)

Les demandes du FAM comprennent « des critères obligatoires de libération conditionnelle qui garantiront la libération conditionnelle à toutes les personnes éligibles qui répondent aux critères », « un processus rationalisé pour les permissions médicales et l'examen des personnes âgées incarcérées en vue d'une libération immédiate » et « un retour au crédit de remise de peine pour tous les condamnés ».

D'autres demandes visent à abroger ou à modifier les lois afin d'éviter les préjugés racistes dans l'application de la loi, telles que la condamnation sur présomption, la loi sur les “tirs depuis un véhicule” ou le minimum de 30 ans d’incarcération pour la libération conditionnelle de délinquants juvéniles.

Le Conseil des grâces et des libérations conditionnelles de l'Alabama n'accorde pratiquement aucune grâce ; lors de sa réunion du 28 septembre, il a entendu 40 demandes et n'en a accordé que trois. L'Alabama a le taux le plus élevé de morts dans les prisons d'État dûes au COVID-19 aux USA (Brennan Center for Justice, 23 octobre 2021).

Selon Interrogating Justice, l'Alabama a le système carcéral le plus dangereux du pays. En 2018, le taux de mortalité moyen dans les prisons USaméricaines se situait entre 200 et 300 décès pour 100 000 personnes incarcérées ; le taux de mortalité de l’Alabama était supérieur à 600 décès pour 100 000. Les agressions physiques et sexuelles étaient tout aussi élevées. (tinyurl.com/397peh9x)

Aujourd'hui, l'Alabama prévoit de consacrer 400 millions de dollars - soit près de 20 % de son financement fédéral pour le COVID-19 - à la construction de deux mégaprisons pour hommes de 4 000 lits chacune. Le gouverneur Kay Ivey a pris cette décision après que son administration républicaine a été empêchée par les organisations communautaires, Black Lives Matter et abolitionnistes de signer des contrats avec des sociétés pénitentiaires privées.

L'esclavage derrière les murs des prisons

Dans les prisons de l'Alabama aujourd'hui, le travail forcé, les conditions déshumanisantes et le nombre disproportionné de Noirs sont la continuation de l'esclavage sous un autre nom. Dans des lettres de l'intérieur, les organisateurs incarcérés signent “les esclaves de l'Alabama” et déclarent que la grève est « une protestation contre le maintien de l'institution du néo-esclavage » (tinyurl.com/2bk43x3a)

L'Alabama a commencé à louer des prisons à des entreprises privées en 1842. Avec l'émancipation des personnes asservies en 1865, l'État a alors lancé le “système de location des condamnés” conçu pour ré-asservir les Noirs en les criminalisant et en vendant leur travail.


 Ce système a perduré jusqu'à ce jour dans l'État - et aux USA - car il a été légalisé par le 13e amendement de la Constitution usaméricaine. Celui-ci autorise toujours “l'esclavage” ou “la servitude involontaire... en tant que punition pour un crime dont l’auteur a été dûment condamné”.

L'Alabama est l'un des sept États qui ne paient pas du tout les personnes incarcérées pour leur travail, avec l'Arkansas, la Floride, la Géorgie, le Mississippi, la Caroline du Sud et le Texas - tous d'anciens États de la Confédération.

Rébellion, résistance, libération

Mais l'État abrite une longue histoire de résistance des Noirs à toute forme d'asservissement, depuis le soulèvement inachevé de Troy en 1864, qualifié par Herbert Aptheker de “dernière conspiration d'esclaves” aux USA, jusqu'à l'organisation militante des prisonniers de l'Alabama de 1969 à la fin des années 1970. ("American Negro Slave Revolts", p. 367)

Il y a 50 ans, les conditions de vie dans les prisons de l'Alabama étaient les mêmes qu'aujourd'hui : surpopulation, privation des besoins fondamentaux tels que l'eau potable et les ustensiles de cuisine, violence incontrôlée et longues périodes d'isolement.

Les prisonniers se sont organisés à l'époque sous le nom d’ Inmates for Action [Détenus pour l’action] et ont participé à des arrêts de travail et à des grèves dans les prisons d'Atmore et de Holman. L'IFA organise également des cours pour les prisonniers sur la théorie révolutionnaire et l'histoire des Noirs. Les dirigeants de l'IFA, Chagina (George Dobbins), Yukeena (Tommy Dotson) et Frank X. Moore, ont été tués en prison, et la campagne Justice for the Atmore-Holman Brothers s'est battue pour dénoncer la complicité de l'État dans leur meurtre. (search.freedomarchives.org)

Cette lignée de résistance se poursuit. En avril 2014, les membres du Free Alabama Movement ont fait grève pour réclamer des salaires pour le travail carcéral non rémunéré qu'ils effectuaient pour l'État, et ils ont organisé une autre grève en 2016. (“Alabama Prison Uprising”, Workers World, 24 mars 2016).

Le texte “A Flicker Turns into a Flame” [Une étincelle devient une flamme] du FAM déclarait : «  L'incarcération de masse, les prisons surpeuplées inconstitutionnelles et les traitements inhumains relèvent davantage de l'économie que de l'humanité des personnes. ... . . Les chiffres confirment notre affirmation selon laquelle l'ARGENT est le motif et le facteur le plus important pour expliquer les politiques et les conditions au sein du département correctionnel." (freealabamamovement.com)

Les travailleurs incarcérés d'Alabama poursuivent la lutte pour mettre fin à l'esclavage et au travail forcé. Ils rejoignent des milliers d'autres travailleurs de l'Alabama - comme les Mineurs unis de Brookwood, qui en sont à leur deuxième année de grève, et les travailleurs de Bessemer Amazon, qui se battent toujours pour un syndicat - et des milliards d'autres travailleurs dans le monde, qui luttent pour leur libération.

La nuit, l’auteure peut voir les lumières du centre correctionnel de Bibb en Alabama, situé à 6 km à l'ouest de son domicile à Centreville. Les entreprises qui profitent des familles et des personnes voulant maintenir le contact avec les plus de 1 800 personnes incarcérées dans cet établissement et leur expédier des colis sont les suivantes : Access Secure Deposit, Access SecurePak, Securus Technologies et Union Supply Direct.

"Amendez le 13ème Amendement-Abolition de l'esclavage légal en AmériKKKe" : affiches de Kevin “Rashid” Johnson, Floride (ci-dessus) et Heshima Denham, Californie


 

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