Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Une sécheresse dévastatrice a frappé un pays qui semblait disposer d’eau douce en abondance.
Depuis des mois, les Uruguayens boivent, cuisinent et se lavent avec de l’eau salée. La plus longue sécheresse jamais enregistrée dans le pays a laissé sa capitale, Montevideo, presque complètement à sec, ce qui a obligé la ville à ajouter de l’eau saumâtre à ses réserves.
La crise est frappante pour un pays qui semblait bénéficier d’une eau douce abondante et qui semblait être en avance sur le changement climatique, comme l’a rapporté le Times Magazine l’année dernière. Mais la sécheresse qui a sévi pendant trois ans a mis le pays à genoux.
Le stress hydrique est une préoccupation majeure dans le monde entier. Une crise similaire se produit actuellement dans certaines régions de l’Iran, et vous vous souvenez peut-être de la sécheresse de 2018 au Cap, et d’une autre à São Paulo, au Brésil, en 2015.
Le changement climatique n’est pas directement à l’origine de la sécheresse en Uruguay et dans l’Argentine voisine, comme nous l’avions signalé l’année dernière. Mais le réchauffement de la planète a été un facteur de chaleur extrême qui a aggravé la sécheresse, selon les scientifiques, en augmentant la perte d’humidité du sol et des plantes. La déforestation en Amazonie pourrait également avoir joué un rôle.
Quelle que soit l’ampleur du rôle du changement climatique, la sécheresse a mis en évidence le fait que les effets secondaires et les conséquences inattendues d’une planète qui se réchauffe peuvent perturber à peu près n’importe quel endroit sur terre.
Forage de puits dans le jardin
Le réservoir de Paso Severino, en Uruguay, qui alimente en eau plus de la moitié des 3,4 millions d’habitants du pays, n’avait plus que 2,4 % de sa capacité à la fin du mois de juin. Les autorités ont donc commencé à ajouter de l’eau provenant du Río de la Plata, un estuaire où l’eau douce de deux grands fleuves se mélange à l’eau salée de l’océan Atlantique.
L’afflux d’eau salée a fait grimper les niveaux de sodium et de chlorure à plus du double des niveaux considérés comme sûrs selon les directives internationales. Le gouvernement a demandé aux tout-petits, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de maladies rénales et cardiaques chroniques d’éviter l’eau du robinet.
Les habitudes ont été bouleversées pour tout le monde. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de l’eau en bouteille l’utilisent pour tout. « Nous cuisinons les pâtes, lavons la salade et faisons du café avec elle », a écrit le mois dernier le journaliste uruguayen Guillermo Garat dans un article de Times Opinion. Avec l’eau du robinet, « les lave-vaisselle laissent des traces salées sur les verres et les assiettes. Se brosser les dents a le goût d’une gorgée d’eau de piscine ».
Manifestation contre les
pénuries d’eau et la salinité à Montevideo en mai. Photo : Eitan Abramovich/Agence France-Presse - Getty Images
De nombreux habitants ont essayé de forer leurs propres puits dans l’espoir de trouver de l’eau potable, mais il n’y a guère de solutions à court terme, si ce n’est d’attendre la pluie. La sécheresse s’est un peu atténuée ces dernières semaines : le réservoir de Paso Severino est actuellement à environ 15 % de sa capacité. Mais si les niveaux de sel ont baissé par rapport à l’apogée de la crise, les recommandations du gouvernement en matière de santé restent valables.
Nous nous sommes tous endormis
Cela n’était pas censé se produire en Uruguay. Le pays a démontré sa capacité à agir de manière décisive et prévoyante pour lutter contre le changement climatique.
Une série de pannes d’électricité au début des années 2000 a incité le pays à révolutionner son infrastructure énergétique. Grâce à un plan gouvernemental et à des milliards de dollars d’investissements privés, 98 % de l’électricité uruguayenne provient de sources renouvelables. (Pour en savoir plus, lire l’article du Times Magazine).
La sécheresse a été un coup particulièrement dur pour le pays, le premier au monde à faire de l’accès à l’eau un droit fondamental.
« Ici, en Uruguay, l’eau propre fait partie de notre identité nationale », a écrit Garat. « Les écoliers apprennent que le pays a la chance de disposer d’une eau abondante et de qualité, grâce à de nombreux grands fleuves et à six grandes nappes aquifères ».
J’ai demandé à Ramón Méndez, ancien directeur national de l’énergie, ce qui n’a pas fonctionné cette fois-ci. Il m’a répondu que l’Uruguay avait été pris par surprise parce que ses habitants pensaient qu’il ne manquerait jamais d’eau douce. Après tout, il en avait tellement.
Le réservoir de Canelón Grande est une source d’eau essentielle pour Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Photo : Matilde Campodonico/Associated Press
« Nous avons pris du retard pour avoir une vision de la planification stratégique de l’eau », dit-il. Les critiques ont déclaré que la mauvaise gestion d’une série de gouvernements - l’un penchant vers la gauche, l’autre vers la droite - est en grande partie à blâmer. Le mois dernier, l’ancien président José Mujica a présenté ses excuses au peuple uruguayen, partageant la responsabilité avec son successeur.
« Nous aurions dû le faire avant », a déclaré Mujica à propos de la nécessité d’augmenter les réserves d’eau douce du pays. « Les gens vont m’en vouloir, mais nous nous sommes tous endormis ».
« Il n’y a pas de sécheresse, il n’y a que des pillages »
Les Uruguayens en colère ont manifesté dans les rues tout au long de la crise.
Ils sont en colère contre l’énorme secteur bovin du pays, car une vache typique consomme 40 litres d’eau par jour. Ils sont en colère contre Google qui prévoit d’installer dans le pays un centre de données qui nécessitera des millions de litres d’eau par jour pour refroidir les serveurs. Ils sont en colère contre un projet d’hydrogène vert parce qu’il utilisera de grandes quantités d’eau souterraine.
« Les gens en ont retiré un sentiment de rejet à l’égard de tout ce qui utilise de l’eau qui n’est pas destinée à la consommation humaine », m’a dit Méndez.
Selon Reuters, des graffitis ont été peints sur le mur de l’entreprise publique de distribution d’eau : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est jute un pillage ».
“Pour les quartiers : de l’eau salée. Pour ceux d’en haut : des profits et de l’eau en bouteille. Ce n’est pas une sécheresse, mais un pillage”
La crise est survenue au moment où l’Uruguay tentait d’élaborer une stratégie pour l’avenir de son économie, au-delà des exportations de bœuf et de soja.
« Tout est à débattre en ce moment », dit Méndez, « et c’est une bonne chose, car c’est le bon moment pour construire une vision stratégique pour l’avenir, pour mettre sur la table la facture de l’eau, la facture environnementale du pays ».
J’ai demandé à Carmen Sosa [Commission nationale pour la défense de l'eau et de la vie (CNDAV)], une militante qui mène des manifestations sur l’eau depuis des décennies, ce qu’elle pensait des conséquences de ce moment pour l’Uruguay. Bien qu’elle soit préoccupée par des projets comme celui de Google, elle se réjouit que l’eau et le changement climatique soient devenus des sujets de débat importants pour les Uruguayens.
« Je pense que les gens ont commencé à comprendre », dit-elle.
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