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21/10/2023

AMIRA HASS
Sans eau ni électricité en provenance d'Israël, les habitants de Gaza risquent la déshydratation et les maladies

Amira Hass, Haaretz, 18/10/2023
Traduit par Fausto Giudice,
Tlaxcala

Même en « temps normal », 90 % de l’eau du robinet de Gaza est impropre à la consommation, et la situation empire en temps de guerre.

 

Des Palestiniens collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, pendant les bombardements israéliens du mardi 17 octobre 2023. Photo : Hatem Moussa /AP

La famille de mon amie M. a décidé de ne pas fuir vers le sud, mais de rester dans sa maison du quartier de Tel al-Hawa, dans la ville de Gaza. Ils n’ont nulle part où aller dans le sud, personne avec qui être, m’a dit M..

Il est également difficile de partir avec une mère âgée et un fils handicapé en fauteuil roulant, et de vivre avec eux dans l’une des écoles gérées par l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine), transformées en refuges pour des centaines de milliers de personnes.

Selon les estimations de l’ONU, plus d’un million de personnes ont été déracinées de leurs maisons et ont fui vers la partie sud de la bande de Gaza, en raison des bombardements directs, suivis de l’annonce par l’armée israélienne de l’obligation d’évacuer les lieux. Mais il reste encore un nombre inconnu de familles qui, comme celle de M., ont décidé de ne pas quitter la partie nord de la bande et de rester chez elles. Certaines d’entre elles sont allées chercher refuge dans les hôpitaux de Gaza, m’a écrit M., un jour avant que l’hôpital Al Ahli ne soit touché.

« Ce soir, nous avons été sauvés d’une trentaine de bombes et de missiles lancés sur le quartier », m’a-t-elle envoyé par texto le matin du 16 octobre, avant de poursuivre : « La Hajja (la mère de M.) dit : ‘Dieu soit loué, nous avons encore une goutte d’eau à boire’ ».

 

Des Palestiniens collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, pendant les bombardements israéliens, le 17 octobre 2023. Photo : AP Photo/Ali Mohmoud

Même en temps « normal », la bande de Gaza souffre d’une pénurie d’eau chronique. Environ 90 % de l’eau des robinets n’est pas potable. La majorité des 2,2 millions d’habitants dépendent de l’eau qui a été dessalée et purifiée dans des installations spéciales et qui est vendue ou distribuée dans des conteneurs et à des fontaines spéciales dans les villes. Seule une petite catégorie de personnes peut se permettre d’acheter de l’eau minérale en bouteille.

La situation s’aggrave pendant les guerres. Aujourd’hui en particulier, outre le danger physique que représentent à chaque instant les bombardements israéliens, outre la terreur, le deuil et la crainte constante du sort des parents et des amis, la soif et la conscience de la nécessité de boire avec parcimonie sont constamment présentes à l’esprit de chacun des habitants de la bande de Gaza.

L’annonce par Israël que « l’approvisionnement en eau du sud de la bande a été renouvelé », à la demande des USA, environ une semaine après que le ministre de l’énergie, Israel Katz, a ordonné l’arrêt de toutes les fournitures d’électricité, d’eau et de carburant, a donné l’impression erronée qu’il s’agissait d’un geste significatif. Mais ce n’est pas le cas.


Des Palestiniens transportent leurs bouteilles d’eau après que les autorités israéliennes ont cessé de leur fournir de l’électricité, de l’eau et de la nourriture, dans la bande de Gaza, le 17 octobre 2023. Photo : Ali Jadallah / Anadolu via AFP

La consommation annuelle d’eau à Gaza est d’environ 110 millions de mètres cubes. Selon Gisha, le centre des droits de l’homme qui se concentre sur la situation à Gaza et qui est en contact permanent avec les services des eaux des villes de Gaza, cela représente environ 85 % de la quantité nécessaire aux besoins humains.

Cette eau provient de trois sources. La première est l’aquifère côtier, dont environ 85 millions de mètres cubes sont pompés chaque année grâce à quelque 300 forages et puits. Il s’agit du seul réservoir d’eau de la bande de Gaza et il est pompé à l’excès depuis des décennies, en raison de la croissance démographique. Cet aquifère est contaminé par l’eau de mer et l’intrusion d’eaux usées ; son eau n’est donc pas potable et doit être purifiée. Dans de nombreux endroits, elle n’est même pas propre à la toilette. Très peu de personnes peuvent se permettre de se laver avec de l’eau purifiée achetée.

Une deuxième source est constituée par trois stations de dessalement de l’eau de mer établies grâce aux dons de la communauté internationale et en collaboration avec l’Autorité palestinienne. Elles produisent environ 8 millions de mètres cubes d’eau par an et, en temps normal, approvisionnent environ 300 000 personnes dans la bande de Gaza.

Des enfants palestiniens remplissent des récipients d’eau provenant de robinets publics pendant le conflit avec Israël à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 octobre 2023.Photo : REUTERS/Ibraheem Abu Mustafa

La troisième source est l’eau de la compagnie nationale israélienne Mekorot. L’Autorité palestinienne la paie (par le biais d’une déduction automatique des frais de douane qu’Israël applique aux marchandises importées destinées à la zone palestinienne). Il y a environ deux ans, la quantité achetée était de 15 millions de mètres cubes par an et, selon Gisha, à la veille de la guerre, la quantité est passée à environ 18 millions de mètres cubes par an.

Mais l’utilisation de ces trois sources d’eau dépend d’un approvisionnement régulier en électricité et de la constitution de stocks de carburant pour faire fonctionner les générateurs. Par conséquent, même en temps « normal » l’approvisionnement en eau est irrégulier et n’est pas quotidien, car l’approvisionnement en électricité ne répond pas non plus aux besoins de la bande de Gaza. Israël vend à la bande 120 mégawatts d’électricité par jour.

Cet approvisionnement a été interrompu sur les instructions de Katz dès le début de la guerre. La centrale électrique locale, qui dépend du carburant, produit 60 mégawatts supplémentaires par jour et a cessé de fonctionner à la fin de la semaine dernière. Le carburant utilisé par les propriétaires des grands générateurs de quartier, qui fournissaient de l’électricité pendant plusieurs heures par jour, est épuisé. (Les besoins quotidiens totaux de la bande de Gaza sont d’environ 500 mégawatts).

Les trois installations de dessalement de l’eau de mer ont également fermé, faute de carburant et d’électricité - la dernière a fermé dimanche, selon le rapport de l’ONU. Plusieurs installations privées ou publiques de purification de l’eau disposent peut-être encore d’un stock de diesel pour leurs générateurs, mais il sera lui aussi épuisé d’ici quelques jours, voire quelques heures.

Quant aux camions qui livrent l’eau purifiée encore disponible, ils ont de plus en plus de mal à atteindre les quartiers résidentiels car les routes sont bombardées. L’agence de presse AP a rapporté qu’en l’absence d’électricité, la plupart des zones n’ont pas d’eau courante, et l’eau qui coule du robinet environ 30 minutes par jour est une eau salée, contaminée et impropre à la consommation. Les gens achètent encore de l’eau dans les stations d’approvisionnement municipales, mais celle-ci se raréfie également. Les bouteilles d’eau purifiée des magasins encore ouverts s’épuisent.

Des Palestiniens se rassemblent pour collecter de l’eau, dans un contexte de pénurie d’eau potable, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 octobre 2023.Photo : Mohammed Salem/REUTERS

Les Nations unies ont confirmé que Mekorot avait repris l’acheminement de l’eau vers la station de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Gisha dit ne pas savoir combien d’eau il y a, mais il n’y a aucun moyen de savoir quelle part de cette quantité limitée atteint même les habitants, alors qu’il n’y a ni électricité ni carburant. Tout cela est d’autant plus grave que les infrastructures hydrauliques ont été endommagées par les bombardements.

Étant donné que la plupart des habitants du nord de la bande s’entassent dans le sud par tous les moyens possibles, la quantité d’eau qui se trouve dans les infrastructures, ou que les familles stockaient dans des conteneurs sur le toit ou dans des jerricans dans la maison avant la guerre, doit servir à deux fois plus de personnes. Dans les écoles et les bâtiments publics où s’entassent des centaines de déracinés du nord, le problème est bien plus grave.

En raison du manque d’eau courante et de la promiscuité qui règne dans toutes les maisons et tous les bâtiments publics remplis de réfugiés, les gens essaient d’utiliser les toilettes le moins possible. C’est aussi une raison pour boire moins.

Les habitants disent qu’ils essaient de boire environ un demi-litre par jour. Les gens se douchent au maximum une fois par semaine. Dans les bâtiments publics, il est également impossible de se doucher. En l’absence d’eau purifiée en quantité suffisante, les hôpitaux sont obligés de nettoyer les plaies avec de l’eau salée et polluée (quand il y en a).

Les installations de traitement des eaux usées fermeront également bientôt, si ce n’est déjà fait, et les quantités d’eaux usées qui s’accumuleront et créeront des lacs dans la bande et se déverseront dans la mer augmenteront le risque de maladies et d’épidémies. C’est pourquoi le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a qualifié la crise actuelle de l’eau dans la bande de Gaza de question de vie ou de mort. En début de semaine, il a prévenu que si le carburant et l’eau ne parvenaient pas rapidement dans la bande de Gaza, « les gens commenceraient à mourir de déshydratation sévère ».

 

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