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31/01/2024

Pourquoi les Israéliens ne veulent pas savoir ce qui se passe réellement à Gaza, selon une étude psychologique


Yair Ben David, Haaretz, 20/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yair Ben David est un conférencier israélien spécialisé dans la psychologie de la moralité. Il est l’auteur de deux livres qui explorent les subtilités de la moralité dans notre vie quotidienne : "Comment être bon" et "Comment être mauvais", tous deux publiés en hébreu par Kinneret Zmora-Bitan Dvir.

Une méta-analyse d’études comportementales s’interroge sur un phénomène étrange : qu’est-ce qui pousse les gens à fermer les yeux sur la vérité - à Gaza, par exemple ?

Dario Castillejos, Mexique

Une allégation fréquemment entendue à l’encontre des critiques d’Israël dans le monde, des campus universitaires des USA aux rues de Paris, à la lumière de la guerre de Gaza, est que nombre d’entre eux ont ignoré les actes de massacre commis par le Hamas. Une grande partie de cette ignorance pourrait provenir d’un manque spécifique de connaissances : de l’ignorance de ce qui se passe dans une région que certains manifestants et critiques ne peuvent même pas situer sur une carte ; et de l’exposition à une vérité partielle ou pire dans les médias sociaux, qui ont tendance à nous diriger vers des contenus qui ne font que confirmer ce que nous pensions déjà.

Mais cette fois-ci, les critiques, dont certaines vont jusqu’à appeler à l’éradication d’Israël, semblent être non seulement la conséquence d’une éducation déficiente et d’une image de la réalité biaisée par les filtres de TikTok et d’Instagram. Il semble que certains “experts” aient un intérêt direct à faire progresser et à orienter le manque de connaissances et l’oubli sélectif dans le contexte israélien. Ce que nous voyons ici est très probablement le phénomène psychologique connu sous le nom d’“ignorance volontaire”.

Une « revue méta-analytique » publiée récemment dans la prestigieuse revue Psychological Bulletin fournit une plate-forme importante pour ce phénomène intriguant, dont certains d’entre nous souffrent régulièrement. L’ignorance volontaire, comme l’explique l’article, est notre choix d’éviter de prendre en considération des informations même lorsqu’elles sont facilement accessibles. Ce phénomène est appelé par d’éminents chercheurs « l’effet autruche », en référence à la croyance commune (mais fausse) selon laquelle cet oiseau enfouit sa tête dans le sable face au danger.


 
D’un point de vue psychologique, l’ignorance volontaire est un sujet à la fois fascinant et particulier. Les êtres humains étant dotés d’une curiosité innée, on pourrait s’attendre à ce qu’ils s’efforcent d’en savoir le plus possible. La plupart d’entre nous sont des chasseurs et des cueilleurs de connaissances, à la recherche de nouvelles informations en permanence et en tout lieu. Certains d’entre nous ont peut-être été incités à lire cet article précisément pour cette raison.

Depuis l’aube de l’humanité, la quête obsessionnelle de connaissances a aidé les hommes à mieux connaître le monde physique et social qui les entoure et à l’utiliser pour leurs besoins. La motivation humaine à en savoir le plus possible est si puissante qu’au cours des deux derniers mois, nombre d’entre nous ont visionné, de leur propre chef, des séquences poignantes et des photographies horribles auxquelles la nature de notre personnalité a du mal à faire face.

C’est précisément pour cette raison qu’il est particulièrement intéressant de comprendre ce qui nous pousse parfois à résister au désir de recueillir des informations et à adopter une approche diamétralement opposée. Une étude antérieure, judicieusement intitulée « Cassandra’s Regret: The Psychology of Not Want to Know » (Le regret de Cassandre : la psychologie du refus de savoir), a montré que, dans de nombreux cas, nous choisissons d’ignorer des informations parce qu’elles laissent présager un futur peu glorieux. L’étude a montré, par exemple, que la plupart d’entre nous ne veulent pas connaître les événements négatifs qui vont nous arriver, tels que notre mort ou celle de nos proches, ou encore l’échec de nos relations.

Outre le fait d’éviter les informations négatives sur notre propre futur, la recherche et les théories scientifiques suggèrent d’autres motivations qui nous poussent à ignorer délibérément, et parfois de manière démonstrative, la réalité qui se trouve juste devant nous. La surabondance de connaissances auxquelles nous avons accès, en particulier à l’ère numérique, nous oblige presque à en ignorer une partie et à faire preuve d’une ignorance délibérée, sous peine de crouler sous la surcharge d’informations. Souvent, nous choisissons aussi d’ignorer volontairement les données qui contredisent nos opinions, ou les informations qui pourraient ébranler notre image de soi et nous démontrer que nous ne sommes pas aussi bons et aussi performants que nous avons tendance à le croire.

En effet, la nouvelle méta-analyse, dont l’un des auteurs est Shaul Shalvi, un professeur israélien d’éthique comportementale basé à Amsterdam, montre que très souvent, la motivation qui nous pousse à être volontairement ignorants est liée à la moralité ou, plus précisément, à la façon dont nous aimerions nous percevoir d’un point de vue moral. Nous choisissons souvent d’ignorer les conséquences de nos actions et de nos choix afin d’éviter de faire des choix qui pourraient être contraires à nos intérêts. Il nous est alors plus facile de dire à notre entourage, et surtout à nous-mêmes : « nous ne savions pas ». Les auteurs de l’article attribuent cette tendance à une motivation de « recherche d’excuses »

La motivation morale qui sous-tend ostensiblement notre ignorance volontaire n’est pas seulement pertinente dans le domaine de la recherche. Elle concerne également la sombre réalité dans laquelle nous vivons actuellement. Beaucoup de ceux qui examinent et jugent le conflit israélo-palestinien en ignorent des éléments significatifs, en partie pour se sentir plus en phase avec leur « moi moral » face aux événements. Ils agissent ainsi pour préserver une identité morale simple et intacte dans un monde dont la moralité est en réalité très complexe.

Mais se concentrer sur les critiques d’Israël, tout en fermant les yeux sur ce qui se passe ici, et dont nous sommes responsables, est aussi une forme d’ignorance volontaire. L’aveuglement délibéré des médias israéliens sur ce qui se passe dans la bande de Gaza et la sous-représentation des souffrances collatérales [sic] que la guerre inflige à des civils innocents aggravent l’ignorance et permettent aux téléspectateurs de se draper plus facilement dans un manteau de bien-pensance et de s’y complaire. L’ignorance de ce qui se passe de l’autre côté - un phénomène qui, par le passé, nous a permis de nous sentir forts et confiants - nous permet aujourd’hui de continuer à nous sentir moraux.

L’ignorance volontaire est également responsable de la réaction de nombreux Israéliens aux rapports d’enquête sur l’activité des Forces de défense israéliennes au cours des dernières semaines, qui, outre ses réussites [resic], ont également révélé ses bavures et ses défauts. Ainsi, après les rapports sur l’assassinat par les FDI de trois captifs israéliens à Gaza, la députée Tally Gotliv (Likoud) s’est interrogée sur X (anciennement Twitter) dans son style inimitable : « Au nom de tous les noms [c’est-à-dire Dieu], pourquoi, pourquoi le porte-parole des FDI fait-il en ce moment cette annonce triste et tragique... À quoi cela sert-il ? À rien ! »

Gotliv n’est pas la seule à avoir exprimé ce sentiment à la suite de révélations similaires. La tentative d’ignorer le prix de la guerre, y compris le prix payé par Israël, prive le public d’informations essentielles sur les performances opérationnelles et morales de Tsahal.

 Cette ignorance volontaire nous sert et nous permet de nous percevoir comme des individus moraux, mais sa motivation est basée sur notre identité, pas sur notre moralité. Si nous voulons vraiment être moraux, nous devons regarder la réalité en face, comme nous l’attendons de ceux qui nous critiquent. Ainsi, au moins, nous saurons que nous avons pris nos décisions morales les yeux ouverts.


“Prenez vos distances” : ce dessin de Monte Wolverton a été publié le 10 octobre 2023 dans le quotidien Philadelphia Inquirer . Il ne faisait qu'illustrer ce qu'Israël avait demandé aux Gazaouis en lançant ses bombardements :“désolidarisez-vous du Hamas”. Le 13 octobre, le journal a présenté des excuses pour avoir publié le dessin, reconnaissant qu'il contenait des “tropes antisémites”.

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