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23/05/2024

AMOS HAREL
Le procureur de la CPI, Karim Khan, a créé une nouvelle réalité pour Israël, et cela pourrait mal se terminer

Amos Harel, Haaretz, 21/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Israël n’est pas la Russie et les sanctions occidentales auront un impact sur tous les aspects de la vie ici Une enquête de l’Institut d’études de sécurité nationale montre que la confiance du public dans les déclarations du porte-parole des FDI est en train de s’éroder.

Carlos Latuff

La demande du procureur général de la Cour pénale internationale de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense d’Israël, ainsi que de trois dirigeants du Hamas, place Israël dans une réalité diplomatique à laquelle il n’’a jamais été confronté auparavant.

À court terme, et pour la première fois, elle met les dirigeants israéliens face à une véritable menace internationale suite à leur décision de poursuivre la guerre à Gaza. À long terme, si les mandats d’arrêt sont délivrés, nous risquons de nous retrouver face à une avalanche diplomatique, avec de possibles effets considérables sur les relations économiques, scientifiques et commerciales, ainsi que dans d’autres domaines.

Ces mesures prises à l’encontre d’un pays démocratique [sic] en pleine guerre sont sans précédent et mettent Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant en danger d’extradition s’ils se rendent dans des pays membres de la Cour.

Les responsables israéliens ont critiqué à juste titre [sic] la décision de mettre dans le même sac Netanyahou, Gallant et Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh, les chefs d’une organisation terroriste dont les membres ont commencé la guerre par un massacre de civils israéliens.

Cependant, on peut soupçonner que l’ordre des démarches du procureur général était inversé. Il a cherché à traduire les dirigeants israéliens en justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les dirigeants du Hamas ont été ajoutés à la demande afin de créer une fausse représentation d’équilibre impartial dans le processus.

Contrairement aux premières prévisions, l’enquête du procureur général, Karim Khan, ne vise que des hommes politiques. Aucun officier de l’armée n’est inclus à ce stade. Les allégations se concentrent sur les mesures prises à l’encontre des habitants de Gaza, principalement la privation de nourriture des civils comme méthode de guerre.

Cela indique probablement que Khan sait que l’affirmation selon laquelle les forces de défense israéliennes tuent délibérément de nombreux civils ne tient pas la route. Il est apparu récemment que des organisations internationales ont commencé à mettre en doute les données qu’elles ont reçu du Hamas, qui tentait de faire valoir un taux particulièrement bas de combattants palestiniens par rapport aux civils parmi les personnes tuées.

La démarche de M. Khan est susceptible d’éclairer la Cour internationale de justice de La Haye, qui délibère sur une décision appelant à la fin de la guerre. Le refus de Netanyahou d’accepter cette décision risque de mettre Israël sur la voie de sanctions internationales, si le Conseil de sécurité des Nations unies commence à discuter de la question. Israël n’est ni la Russie ni l’Iran, c’est un pays démocratique qui dépend entièrement de ses relations avec l’Occident.

Cette situation ne dérange probablement pas les dirigeants d’extrême droite du gouvernement, mais un danger potentiel est en train de se développer qui pourrait avoir un impact négatif sur la vie de nombreux citoyens israéliens. On peut imaginer que Sinwar et Deif sont moins gênés par la perspective de ne pas pouvoir se rendre en Europe.

Comme beaucoup d’autres incidents dans cette guerre, il semble que ce développement découle en partie non seulement du deux poids deux mesures de la communauté internationale à l’égard d’Israël, mais aussi de la conduite insensée des dirigeants israéliens.

Les accusations de famine sont entendues précisément au moment où Israël autorise une large distribution de l’aide humanitaire à Gaza et où la situation s’est améliorée dans de nombreuses régions. Mais au début de la guerre, le gouvernement a pris des mesures délibérées pour rendre la vie difficile à la population palestinienne et a coupé toutes les voies d’approvisionnement entre Israël et la bande de Gaza. C’est ainsi que la crise actuelle a été créée, et elle a été aggravée par des commentaires extrêmes et étranges de ministres et de membres de la coalition.

Netanyahou a attaqué l’enquête de M. Khan lundi et a reçu un soutien relativement large de la part des hommes politiques israéliens, depuis le président jusqu’aux rangs les plus élevés. Aujourd’hui, un effort tardif est fait pour enrôler l’administration usaméricaine afin qu’elle menace la CPI.

Ils se tournent vers l’administration et le président mêmes que les ministres et les députés israéliens ont régulièrement dénigrés. Amir Tibon a rapporté dans ces pages dimanche que le conseiller usaméricain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a informé Netanyahou que les USA lui fourniraient bientôt le texte intégral de l’accord usaméricano-saoudien en cours d’élaboration, dont une partie porte sur la normalisation entre Riyad et Jérusalem.

Netanyahou devra décider s’il l’adopte, y compris une déclaration sur le principe de l’établissement d’un Etat palestinien à l’avenir. Pour l’instant, il semble que le Premier ministre répondra par la négative, malgré la dépendance à l’égard des USA sur la scène internationale et la nécessité croissante de mettre fin à la guerre à Gaza et à la frontière libanaise.

À ce stade, on ne sait pas encore comment la bombe lâchée à La Haye affectera les bombes qui continuent de tomber sur Rafah. L’opération militaire est plus importante que ce que l’on dit au public. La 162edivision s’est emparée de plus de la moitié de la route de Philadelphie, le long de la frontière égyptienne, et progresse lentement jusqu’à la périphérie de Rafah. Des combats ont déjà lieu autour de la première ligne de maisons du camp de réfugiés de Brazil, dans la partie la plus occidentale de la ville. En outre, les responsables des FDI ont l’impression que l’opposition tranchée des USAméricains à l’entrée d’Israël à Rafah s’affaiblit.

Cela se produit en partie parce que la principale revendication usaméricaine contre l’opération n’a pas eu lieu. Quelque 1,4 million de civils palestiniens s’étaient rassemblés dans la ville et ses environs après que l’armée eut conquis d’autres régions. Israël a déclaré pouvoir évacuer la plupart d’entre eux en cinq semaines et les USAméricains ont estimé que cette promesse était sans fondement. Après deux semaines, entre 800 000 personnes (selon l’UNRWA) et 1 million (selon l’armée) ont quitté les lieux, s’installant dans des abris temporaires et surpeuplés.

Au sein de l’establishment de la défense, les avis sur la poursuite de l’opération sont partagés. Les partisans de la conquête de Rafah estiment qu’Israël doit vaincre la dernière brigade régionale du Hamas et ses quatre bataillons.

Cependant, même eux admettent que cela ne signifiera pas la défaite du Hamas, mais nécessitera plutôt la poursuite des combats dans d’autres parties de Gaza pendant de nombreux mois. Les opposants à l’opération estiment qu’il faut s’efforcer de parvenir à un accord sur les otages et mettre fin à la guerre sur les deux fronts, même s’il faut pour cela admettre qu’Israël n’a pas atteint son objectif et n’a pas complètement démantelé le régime du Hamas.

Les deux parties s’opposent à la solution la plus radicale présentée par Netanyahou et ses ministres d’extrême droite : la préparation de l’établissement d’une administration militaire prétendument temporaire à Gaza. Gallant a réitéré son opposition à cette idée lundi devant un public hostile, la délégation du Likoud à la Knesset. Il a prévenu que l’armée n’avait pas assez de soldats pour remplir une telle mission et qu’elle serait obligée d’étendre le service obligatoire des combattants à quatre ans.

Quiconque connaît l’état d’esprit des soldats et de leurs parents sait qu’il serait très difficile de mettre en œuvre une telle mesure. Pour l’instant, Netanyahou adopte la ligne militante, mais il reste à voir si le danger personnel qu’il court à La Haye aura un impact sur ses considérations.

Les points d’interrogation se multiplient

L’armée subit de plein fouet les conséquences de cette situation. Plus la guerre à Gaza s’éternise et tant qu’aucune date n’est fixée pour le retour des habitants du nord dans leurs foyers, plus l’opinion publique s’interroge sur les chances d’atteindre les objectifs qu’Israël s’est fixés au départ. Dans le même temps, l’opinion publique perd également confiance dans l’armée.

L’Institut d’études de sécurité nationale de l’université de Tel-Aviv a réalisé cette semaine un sondage d’opinion. Les résultats sont assez clairs. La confiance de l’opinion publique s’effrite, qu’il s’agisse de l’annonce faite à l’armée ou des décisions prises par le chef d’état-major Herzl Halevi.

Depuis le début de la guerre, l’institut a suivi l’évolution de la confiance du public dans les rapports du porte-parole des FDI. Le point le plus bas, ce qui n’est pas surprenant, a été atteint la semaine suivant le début de la guerre : 66 % des Juifs interrogés faisaient alors confiance au porte-parole. Ce chiffre a atteint 88 % au plus fort de l’opération terrestre, à la mi-novembre. Il est tombé à 78 % à la mi-avril. Cette semaine, il a encore chuté à 68%.

Halevi devrait également s’inquiéter. Les sondeurs ont demandé si le chef d’état-major avait le mandat de nommer une nouvelle série de commandants au sein de l’état-major général, comme cela a été fait au début du mois lorsque cinq nominations de ce type ont été annoncées. Seuls 26 % des personnes interrogées ont répondu qu’il disposait d’un tel mandat pour procéder à des nominations en fonction de ses propres considérations, tandis que 34 % ont répondu « uniquement les nominations nécessaires » et 23 % ont déclaré qu’il ne disposait pas d’un tel mandat.

Halevi a décidé de nommer le général de brigade Shlomi Binder à la tête du renseignement militaire au sein de l’état-major général, en remplacement du général de division Aharon Haliva, qui prenait sa retraite, mais il a choisi de procéder à trois autres nominations (et d’en promouvoir une cinquième, Avi Blut, pour remplacer Yehuda Fuchs à la tête du commandement central).

Une grande partie des critiques à l’encontre de Halevi sont politiques et visent à lui faire porter l’entière responsabilité des échecs du 7 octobre, afin de couvrir la responsabilité de Netanyahou. Cependant, le chef de cabinet devrait prêter attention aux conclusions : le large soutien du public à son égard, malgré l’horrible massacre, était basé en grande partie sur l’hypothèse que son mandat était limité dans le temps et qu’il avait l’intention de prendre sa retraite.

Une longue série de nominations soulève des questions. Il en va de même du sentiment que la guerre n’atteint pas ses objectifs. Il s’agit là d’un problème croissant pour l’armée, qui s’ajoute aux difficultés que le Premier ministre et ses messagers lui imposent.

 

 

 

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