JOHN CATALINOTTOLe plus grand rôle de Donald Sutherland (1935-2024)

John Catalinotto, Workers World, 26/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Donald Sutherland est mort le 21 juin à l’âge de 88 ans. L’acteur d’origine canadienne ayant été une star du cinéma au cours des six dernières décennies, il n’a fallu que quelques jours pour que beaucoup de choses soient écrites, entendues ou diffusées sur tous les types de médias au sujet de son travail au cinéma et de sa vie. On a moins parlé de son militantisme politique et des activités qu’il a menées pour résister à la guerre des USA au Viêt Nam.

Pour moi, il s’agit de son plus grand rôle.

Sutherland a joué dans au moins 87 films, notamment dans des succès populaires comme "The Dirty Dozen" en 1967, "M*A*S*H" en 1970 et, au cours de ce siècle, "The Hunger Games". Mes souvenirs les plus forts sont ses rôles de père aimant dans "Ordinary People" (1980), de fasciste extrêmement détestable dans "1900" (1976) de Bernardo Bertolucci, et de professeur blanc se rendant compte des injustices de l’apartheid en Afrique du Sud dans "A Dry White Season" (1989). Tous ses personnages étaient crédibles.

Avoir des compétences et du talent et s’efforcer de les améliorer est une chose ; la façon dont on utilise ces compétences, la façon dont on utilise sa célébrité en est une autre. Au début des années 70, Sutherland a contribué au développement d’un mouvement anti-guerre au cœur de l’armée impérialiste usaméricaine.

Je ne suis pas loin de croire que ce que Sutherland et ses collègues artistes ont fait dans le cadre d’une tournée appelée FTA a contribué à la libération du Viêt Nam. C’est énorme. C’est plus important que de gagner un Oscar.

FTA

Pour ceux qui ne l’ont jamais su ou qui l’ont oublié, FTA était un jeu de mots sur la publicité de l’armée américaine qui promettait aux nouvelles recrues “Freedom, Travel and Adventure” [Liberté, Voyages et Aventure], mais qui leur apportait la misère, le racisme et la mort. Les militaires usaméricains ont donné leur propre signification à FTA, à savoir “Fuck the Army”. Les artistes de la troupe FTA disaient, en rigolant, que ça signifiait “Libérez l’armée” (Free the Army).

Une partie de la troupe FTA : Sutherland, Jane Fonda, Len Chandler, Pamela Dinegan et Nina Simone

Sutherland et Jane Fonda - tous deux ayant déjà atteint le statut de star en 1971 - et d’autres artistes professionnels ont mis leurs talents au service de la tournée FTA. Ils se sont produits sur des bases militaires ou à proximité, devant 60 000 soldats, d’abord sur le territoire continental des USA, puis sur les bases du Pacifique à Hawaï, aux Philippines, au Japon et à Okinawa.

L’humoriste Bob Hope avait donné des spectacles en faveur de la guerre dans les bases usaméricaines pendant des décennies. Les spectacles FTA étaient un antidote bienvenu qui donnait l’occasion aux soldats de base, aux marins, aux marines et au personnel de l’armée de l’air de venir en masse pour une manifestation anti-guerre discrète mais très énergique. Ils l’ont fait entourés d’amis. Et c’était amusant.

Ces manifestations ont eu lieu alors que les militaires de base, de Fort Bragg au Viêt Nam, trouvaient des centaines de façons de mettre à mal la machine de guerre usaméricaine. De nombreux soldats ne voulaient pas tuer des Vietnamiens, et ils ne voulaient certainement pas se faire tuer dans une guerre inutile et criminelle.

Certains soldats ont même choisi de lancer une grenade à fragmentation dans la tente de leur sergent ou de leur officier plutôt que de suivre les ordres au combat, donnant ainsi naissance à un nouveau verbe, “to frag”.

Une révolte qui couvait

À l’époque, une rébellion couvait dans l’armée, avec une tentative de former un syndicat - l’American Servicemen’s Union - pour briser la chaîne de commandement. J’ai participé à cette tentative de création de l’ASU et, à ce titre, j’apprécie particulièrement la contribution de Fonda, Sutherland et compagnie.

La troupe FTA a changé de personnel au cours de son existence. Outre Sutherland et Fonda, la troupe FTA de la tournée du Pacifique comprenait la chanteuse folk Holly Near, la poétesse Pamela Donegan, l’auteur-compositrice-interprète Rita Martinson, le comédien Paul Mooney, l’acteur et ancien de la San Francisco Mime Troupe Michael Alaimo et l’auteur-compositeur-interprète Len Chandler. L’humoriste et militant Dick Gregory et Nina Simone se sont produits lors de spectacles individuels aux USA ;

Les artistes tournaient en dérision le président Richard Nixon, ridiculisaient les officiers et stigmatisaient les sergents. Les réactions des soldats alimentaient les prochaines répliques et les futures scènes des artistes. La réaction des soldats faisait partie du spectacle, leur permettant d’exprimer leur désaccord et de développer leur résistance.

Au siècle dernier, Sutherland a également exprimé des sentiments anticapitalistes, notamment en participant au mouvement Occupons le Canada.

Bien que Sutherland n’ait reçu aucune nomination aux Oscars, l’Académie lui a décerné un prix spécial en 2017, une reconnaissance tardive de sa contribution à son art. La même année, des documents déclassifiés ont montré qu’il figurait sur la “liste de surveillance” de la National Security Agency entre 1971 et 1973, soit la période de FTA.

À mon avis, l’acte de la NSA était une reconnaissance involontaire de la contribution de Sutherland à l’humanité.

Le documentaire F.T.A. de Francine Parker avait été projeté en salles aux USA pendant une semaine en 1972 avant de disparaître “mystérieusement ”, la plupart de ses copies ayant été détruites par le distributeur. Il a été restauré en 2021 par IndieCollect.