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04/07/2024

GIDEON LEVY
La réaction à la libération du médecin de Gaza Mohammed Abu Salmiya révèle l’état effroyable de la société israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 3/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Quiconque veut savoir ce qui est arrivé aux Israéliens depuis le 7 octobre est invité à regarder comment s’est passée la libération de prison du directeur de l’hôpital Al-Shifa. Le Dr Mohammed Abu Salmiya est resté en prison pendant sept mois, sans contrôle judiciaire, sans inculpation, sans culpabilité.


Le docteur Mohammed Abu Salmiya, directeur de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, en novembre 2023. Photo AFP

 

Mohammed Abu Salmiya après sa libération, à l’hôpital Nasser de Khan Younès, lundi. Photo Mohammed Salem/ REUTERS

Il a été enlevé par Israël de la même manière que le Hamas avait enlevé les otages israéliens et a été jeté en prison. Comme pour les otages israéliens, sa famille ne savait rien de son sort, et ni les représentants de la Croix-Rouge ni son avocat n’ont été autorisés à lui rendre visite.

Le Dr Issam Abu Ajwa, chirurgien, a été libéré avec lui lundi et a raconté les horribles sévices qu’il a subis. Sa photo avant et après ne laisse aucun doute sur la véracité de ses dires.

Les 50 autres Palestiniens libérés n’ont pas été montrés dans les médias israéliens, bien sûr, mais les spectateurs étrangers ont vu des adultes qui sont devenus des coquilles brisées : décharnés, timides, au corps osseux et aux jambes grêles, blessés, meurtris et pleins de blessures.

Abu Salmiya, heureusement pour lui, n’a pas été jeté dans le goulag de Sde Teiman, et n’a donc pas été torturé à mort comme ses deux collègues, le Dr Adnan Al-Bursh, chirurgien gazaoui de renom, et le Dr Iyad Rantisi, qui dirigeait un hôpital pour femmes, faisant partie de l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya.

Pour les Israéliens qui s’émeuvent de sa libération, Israël a eu tort de ne pas le tuer lui aussi, par les coups, la famine, la maladie ou d’autres formes de torture. Israël veut voir les médecins, comme tout le monde à Gaza, mourir d’une mort atroce.

L’image d’Abu Salmiya libéré de prison, serrant sa mère dans ses bras et pleurant, aurait dû avoir un effet émotionnel sur n’importe quel être humain : un otage innocent est libéré. En Israël, cependant, elle a marqué le début d’une campagne hystérique de panique, d’incrimination, de haine, de déshumanisation, de soif de vengeance, de soif de sang.

Pas seulement les gens de droite - tout le monde, tout le monde, les politiciens, les radios et télés, les experts et les grandes gueules qui chantent en chœur à l’unisson : sa libération est devenue un échec qui équivaut au 7 octobre. Comment se fait-il qu’Israël ait libéré un médecin innocent de Gaza, qui en a donné l’ordre et à qui la faute ? Israël 2024.

Passons maintenant aux faits. Le Dr Abu Salmiya a été enlevé en novembre dans un convoi de l’ONU qui évacuait des blessés palestiniens de l’hôpital assiégé et bombardé. Israël a affirmé que l’hôpital servait de centre de commandement au Hamas, mais un rapport d’enquête du Washington Post a révélé qu’Israël n’avait présenté aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Quoi qu’il en soit, nous pouvons supposer qu’Abu Salmiya était au courant des activités du Hamas dans l’hôpital, mais qu’il n’y a pas pris part. S’il l’avait fait, il n’aurait pas été libéré.

Abu Salmiya a été détenu par Israël en vertu d’une loi douteuse qu’il a adoptée, la loi sur les combattants illégaux, qui permet la détention d’une personne sans l’examen d’un juge pendant 75 jours - une loi encore plus draconienne que celle qui permet la détention administrative. Israël, et en particulier ses institutions judiciaires et sanitaires, n’en a cure. Un directeur d’hôpital est en prison - il est, après tout, gazaoui, c’est-à-dire terroriste.

C’est ainsi qu’on l’a appelé dans le festival de fureur déclenché par sa libération. Partout, y compris sur la nouvelle chaîne ultranationaliste i24News, qui fait déjà regretter la fange de Canal 14, on le traite de terroriste et on demande à l’armée de le réarrêter. Parmi les politiciens aussi, un consensus à 100%  a prévalu, ce qui prouve une fois de plus qu’il n’y a pas d’opposition en Israël à la haine des Arabes et à la soif de vengeance.

Deux “modérés” se sont distingués : Gideon Sa’ar, qui a qualifié la libération d’Abu Salmiya de « marque d’insensibilité à l’opinion publique israélienne, qui se souvient de l’infrastructure terroriste d’Al-Shifa», présentant ainsi l’enlèvement d’un médecin pour satisfaire la soif des masses comme une nouvelle justification des crimes de guerre ; et Avigdor Lieberman, qui est devenu ces dernières années, aux yeux des centristes, un modèle de modération et de raison, qui - à sa manière habituelle, discrète, délicate et pleine de sous-entendus - donne un cours magistral sur la banalisation de l’Holocauste. « Nous nous sommes rendu compte que le directeur d’Al-Shifa n’est pas un médecin, mais plutôt un Dr Mengele ». Alors, si Abu Salmiya est Mengele, comment devrions-nous appeler Lieberman ?

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