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13/07/2024

Le général de division Yehuda Fuchs, génocidaire à visage humain


Ci-dessous, 2 articles sur le général de division Yehuda Fuchs (54 ans), qui vient de se démettre de son poste de commandant en chef des forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie, qu’il occupait depuis 2021. Auparavant, il avait commandé la Division de Gaza depuis 2016 et été deuxième attaché militaire à Washington depuis 2019. Les journalistes décortiquent le discours de départ à la retraite de cet éminent représentant de l’“armée la plus morale du monde”, qui va sans doute se lancer en politique dans l’“unique démocratie (génocidaire) du Moyen-Orient”. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Le commandant en chef d’Israël en Cisjordanie n’est pas un “moraliste” : il n’est qu’un hypocrite de plus

Gideon Levy, Haaretz, 11/7/2024

 

Comme tout ce qui concerne l’armée israélienne, les généraux peuvent être divisés en trois groupes. Le plus grand est celui des individus sans visage dont les noms, et encore moins les opinions, sont inconnus de la plupart des Israéliens. Ils gravissent les échelons, prennent leur retraite, vont travailler pour une entreprise de défense et c’est tout. Les deux autres sont des groupes minoritaires : d’une part les droitiers, les colons, les religieux, les militants et d’autre part  les “moralistes”, les “gauchistes”, ceux qui “tirent puis pleurent”* et se retirent avec une réprimande retentissante. C’est généralement le pire groupe et le plus hypocrite, et c’est celui auquel appartient le chef sortant du commandement central de Tsahal, le général de division Yehuda Fuchs.

 

Le commandant du Commandement central, le général Yehuda Fuchs, en mai. Photo : unité du porte-parole de Tsahal

 

Au cours de sa mission de trois ans, Fuchs a été érigé en ennemi des colons, soi-disant. Le groupe le plus cynique et le plus extorqueur de la société israélienne, qui pourrait apprendre aux ultra-orthodoxes une ou deux choses sur le chantage, connaît son travail : les colons attaquent pour terroriser. Quiconque a des doutes sur la véritable attitude de Fuchs à l’égard des colons ferait bien d’écouter son discours de départ à la retraite. 

 

À l’en croire, la grande majorité des colons sont des citoyens respectueux de la loi. Il n’y a rien à ajouter à propos de Fuchs. Pas un seul colon ne respecte la loi, et encore moins le droit international - qui, comme c’est étrange, s’applique aussi à Israël - et la plupart d’entre eux sont fiers de leurs émeutiers, qui réalisent le “miracle” de la ministre Orit Strock*. Fuchs était un ami des colons, comme tous les chefs du Commandement central, de Rehavam Ze’evi (1968-72) à lui-même, tous esclaves soumis du « peuple des collines ».

 

Mais le chef du commandement central est avant tout l’assujettisseur de la population palestinienne. Le mandat de Fuchs en Cisjordanie a été l’un des plus cruels pour les Palestiniens. C’est toujours le cas avec les généraux éclairés. Fuchs laisse derrière lui une Cisjordanie en ruines - exsangue, écrasée, sans emploi, menaçant d’exploser, obstruée et pauvre comme elle ne l’a jamais été depuis la seconde Intifada.

 

Aucun officier de principe ne peut être responsable d’une telle cruauté - même si Ben Caspit***, un authentique représentant du centre militariste et ultranationaliste qu’il croit éclairé, écrit sur X : « Fuchs est un officier de principe avec des valeurs, un patriote israélien, qui n’a pas fui les questions difficiles. ... Merci, Yehuda ».

 

De quoi le remercier ? D’avoir mis la Cisjordanie en ruines ? Pour le fait que sous son commandement, 539 Palestiniens, dont 131 enfants, ont été tués en neuf mois ? C’est bien que les colons aient manifesté contre lui - les Palestiniens ne le peuvent pas - mais regardez ce qu’il laisse derrière lui, l’officier qui a une morale aux yeux de Caspit et de ses semblables. Fuchs a introduit en Cisjordanie les drones armés qui tuent encore plus de gens et a rétabli les points de contrôle d’une manière qui vous fait presque regretter l’Intifada.

Des colons juifs prient à l’avant-poste d’Evyatar en Cisjordanie, dimanche. Photo : Ohad Zwigenberg / AP

 

Caspit ne le sait apparemment pas et ne s’en préoccupe pas. Mais Fuchs sait exactement ce qu’il a fait à la société palestinienne. Il est impossible de planifier quoi que ce soit en Cisjordanie aujourd’hui. Maintenant qu’elle est « ouverte », à tout moment il y aura un barrage routier - l’abus pour l’amour de l’abus. Regardez le comportement des soldats aux points de contrôle.

 

Avez-vous puni quelqu’un, général ? Des embouteillages gigantesques simplement parce que les soldats en ont envie, tous les jours, partout. Fuchs devrait voir ce que ses soldats ont laissé derrière eux dans les camps de réfugiés de Tulkarem et de Jénine : des destructions aux proportions quasi-gazaouies. Qu’il essaie de se rendre à Tulkarem sur une route qui n’existe plus. L’“ennemi des colons” a permis l’établissement de l’avant-poste criminel d’Evyatar, pour lequel huit Palestiniens ont payé de leur vie.

Ses soldats les ont tués sans raison. Fuchs a laissé Daniella Weiss ériger cette calamité comme il a permis la création de dizaines d’avant-postes sauvages au cours des dernières semaines, tous violents.

 

On ne peut pas se lamenter sur les colons violents alors que Fuchs était censé les arrêter. A-t-il vu comment ses soldats se sont comportés lors des pogroms à Huwara et dans d’autres endroits ? Que dira notre officier à principes à ce sujet ?

 

Le général de division Avi Bluth, un colon qui a grandi sur le sol empoisonné de Neveh Tzuf et de la yeshiva prémilitaire d’Eli, succédera à Fuchs. Il n’est pas difficile de deviner ses opinions. Pour les Palestiniens, pour l’humanité, pour le droit et la justice, cela ne changera rien. Le Fuchs éclairé, tout comme le Bluth de droite, ne verra jamais les Palestiniens comme des êtres humains.

 

Dans son discours de départ à la retraite, le plus haut gradé israélien en Cisjordanie a révélé la vérité cachée

Amos Harel, Haaretz, 9/7/2024

Le général de division Yehuda Fuchs a souligné les dangers d’ignorer la violence des colons contre les Palestiniens et l’importance de l’Autorité palestinienne pour la sécurité d’Israël.

Le général de division Yehuda Fuchs, chef sortant du

commandement central de Tsahal, lundi. Photo : Olivier Fitoussi

 

Le discours d’adieu prononcé lundi 8 juillet par le général de division Yehuda Fuchs, chef sortant du commandement central de l’armée, a donné un aperçu interne des événements survenus au cours de ces neuf mois de guerre. Fuchs ne s’est pas caché derrière des obscurcissements, mais a plutôt décrit son sentiment de culpabilité - en tant que membre du haut commandement des Forces de défense israéliennes et ancien chef de la division de Gaza à la fin de la décennie précédente - face à l’échec retentissant de l’armée dans la prévention du massacre du 7 octobre. 

 

Il n’a pas cherché à dissimuler ses sentiments et ses expériences de persécution de la part des colons extrémistes, qui l’ont longtemps considéré comme un officier indépendant qui refusait de se plier à leurs exigences, devenant ainsi la cible de leurs calomnies et de leurs incitations.

Le meilleur exemple en a été donné en octobre dernier, lorsque des extrémistes de droite ont manifesté devant son domicile, affirmant qu’il les mettait en danger - certains d’entre eux ont même menacé sa famille. Le chef du commandement sud, le général de division Yaron Finkelman, a été confronté à une attitude totalement différente de la part des habitants de la région frontalière de Gaza, qui ont été victimes d’une véritableatrocité.

 

Alors que les FDI s’apprêtaient à pénétrer pour la première fois dans la bande de Gaza, les membres du kibboutz Nir Oz, que l’armée avait effectivement abandonné - il n’y a pas de mot plus gentil, malheureusement - le jour du massacre, ont envoyé à Finkelman une lettre d’encouragement. Ne pensez pas maintenant à ce qui s’est passé, lui ont-ils dit, mais concentrez-vous sur la réussite de l’offensive et sur la libération des otages.

 

Fuchs ne pouvait que rêver d’une attitude similaire de la part des Israéliens vivant en Cisjordanie. Son discours d’adieu s’en fait d’ailleurs l’écho : « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour protéger les habitants de l’État et de la région », a-t-il déclaré. « J’ai pris au sérieux chaque pierre et chaque bouteille lancée, et je me suis considéré comme responsable de chaque personne blessée dans son corps ou dans son âme. Parfois, j’ai échoué. Je porterai à jamais le prix de leur sang ». 

 

Des agents de la police des frontières empêchent des colons juifs d’entrer dans la ville de Turmus Ayya, en Cisjordanie, en juillet.  Photo : Ohad Zwigenberg/AP

 

Il a déclaré que la « grande majorité des colons » sont des citoyens respectueux des lois qui « vivent à l’ombre de la menace de la terreur ». Mais, a-t-il ajouté, « malheureusement, au cours des derniers mois, le crime nationaliste a refait surface sous le couvert de la guerre et a conduit à la vengeance et a semé la calamité et la peur chez les résidents palestiniens qui ne représentent aucune menace. À mon grand désarroi,les dirigeants locaux et les dirigeants spirituels n’ont, pour la plupart, pas perçu la menace comme nous l’avons fait. Ils sont intimidés et n’ont pas trouvé la force de s’exprimer ouvertement et d’agir conformément aux valeurs du judaïsme ». 

 

Il a poursuivi : « Même si les auteurs sont peu nombreux, ceux qui sont restés silencieux n’ont pas réussi à les isoler, eux et leurs actes, de la majorité. Ce n’est pas le judaïsme à mes yeux - en tout cas, ce n’est pas celui avec lequel j’ai grandi dans la maison de mon père et de ma mère ». Il est difficile de tenir de tels propos - sauf si l’on se souvient que le général de corps d’armée Nitzan Alon a tenu des propos similaires il y a une douzaine d’années, à la fin de son mandat de commandant de la division de Judée et de Samarie. La situation n’a fait qu’empirer depuis.

 

Contrairement à ce que l’on prétend, Fuchs a mis en œuvre une politique d’utilisation d’une force extrêmement agressive contre le terrorisme palestinien pendant la guerre de Gaza, qui comprenait des

centaines d’arrestations et des dizaines d’opérations au niveau de la brigade dans les camps de réfugiés et les villes de Cisjordanie. Il l’a fait tout en recourant de plus en plus aux drones d’attaque pour les assassinats, une pratique qui était presque totalement taboue jusqu’à l’été dernier.

 

Néanmoins, il convient de préciser que dans son discours, Fuchs a souligné la nécessité de ne pas porter atteinte aux civils palestiniens en Cisjordanie et qu’il était dans l’intérêt de la sécurité nationale de l’État d’Israël de préserver le statut de l’Autorité palestinienne malgré les demandes répétées des partis de la coalition d’extrême-droite de provoquer son effondrement. 

 

Un véhicule appartenant à un Palestinien incendié par des colons en Cisjordanie en avril. Photo : Tomer Appelbaum

 

« Semer la peur parmi les citoyens du pays à  l’ombre des événements du 7 octobre est une erreur dangereuse », a averti Fuchs. « La capacité du commandement central à remplir ses missions, à protéger les résidents d’Israël et les résidents de la zone sous son commandement, dépend de l’existence d’une Autorité palestinienne fonctionnelle et forte, avec des mécanismes de sécurité efficaces qui maintiennent la loi et l’ordre. C’est le point de départ pour celui qui sera à la tête de ce commandement et il est basé sur une décision du cabinet ».

 

Au sujet du chef d’état-major des FDI, Herzl Halevi, avec lequel les

relations de Fuchs ont été tendues au cours de l’année écoulée, il a déclaré : « En tant que commandant, mais avant tout en tant que citoyen, j’ai honte et je suis blessé par les attaques barbares dont vous avez été victimes. C’est une méthode que certains ont adoptée ici aussi : on dit des choses terribles, puis on s’excuse faiblement jusqu’à la prochaine attaque irresponsable ». 

 

Ce qui n’a été que suggéré dans le discours concerne le drame politique qui se joue en coulisses, à savoir la prise de contrôle par les colons, par l’intermédiaire de leurs représentants au gouvernement, de l’administration civile de la Cisjordanie. Bezalel Smotrich, en vertu de son double rôle de ministre des finances et de ministre de la défense, accumule de plus en plus de pouvoir et d’autorité, aux dépens du ministère de la défense, de Tsahal et du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires. Il dicte désormais la politique israélienne en Cisjordanie.

 

Cela se manifeste par l’expansion des zones de colonisation et la légalisation des avant-postes illégaux, mais aussi par les efforts calculés de Smotrich pour étrangler financièrement l’Autorité palestinienne dans l’espoir de provoquer son effondrement. Il n’est pas étonnant qu’un autre membre du parti de Smotrich, la ministre des missions nationales Orit Strock, parle d’une « atmosphère de miracles » l’entourant à la suite de la guerre qui a éclaté à Gaza. L’extrême droite reconnaît qu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte pour elle sous les auspices de la guerre et agit en conséquence. 

 

Hagai Segal, rédacteur en chef de l’hebdomadaire de droite Makor Rishon, a écrit vendredi dernier que Smotrich est « un émissaire public qui cherche à profiter d’une occasion politique unique dont il est convaincu qu’elle sert au mieux les intérêts du pays ».

 

NdT

* « Tirer puis pleurer » [yorim ve bochim] : expression israélienne désignant les remords de soldats pour les actes de guerre qu’ils ont commis, ce qui ne les empêche pas de continuer. Bref, comme dit en anglais, une « fauxpology » [excuse bidon]

**Orit Strock (1960) est une des cheffes du mouvement des colons d’Al Khalil/Hébron, membre du parti Mafdal-Sionisme relgieux, ministre des Colonies et des Missions nationales (sic). Elle a déclaré récemment que les avancées du mouvement des colons dans les collines du Sud d’ Hébron s’apparentaient à une « ère miraculeuse », « comme quand on est au feu rouge et qu’il passe au vert »

*** Ben Caspit (1960) est commentateur du quotidien Maariv et de divers autres médias, pratiquant ce qu’on peut appeler du « Panzerjournalisme », ce qui n’est pas étonnent vu qu’il a servi trois ans dans les blindés.

 

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