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08/03/2025

GIDEON LEVY
Des semaines plus tard, personne ne peut expliquer pourquoi les soldats israéliens ont tué un autre garçon palestinien non armé en Cisjordanie

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 7/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alors qu’il se trouvait par hasard près d’un jardin d’enfants géré par Save the Children dans le village de Sebastia, en Cisjordanie, Ahmad Jazar, 15 ans, a été abattu par un soldat israélien. « Depuis le début de la guerre à Gaza », déclare le chef du conseil local, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens ».

Rashid et Wafa Jazar, avec un poster de leur fils Ahmad, chez eux cette semaine dans le village de Sebastia

Une photo déchirante d’Ahmad Jazar, prise la veille de son assassinat. La main de sa mère est posée sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à le serrer dans ses bras ; tous deux sourient légèrement en regardant l’appareil photo. La photo a été prise par Mira, la sœur aînée d’Ahmad, étudiante en décoration d’intérieur âgée de 19 ans, à Naplouse, alors qu’Ahmad rendait visite à sa mère. Ahmad avait demandé à sa sœur de les prendre en photo. Personne n’imaginait que ce serait sa dernière.

Le lendemain, 19 janvier, Ahmad a été abattu par un soldat des forces de défense israéliennes à une distance de quelques dizaines de mètres, dans sa ville natale de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Il se tenait alors près de l’entrée d’un jardin d’enfants géré par l’organisation internationale Save the Children. Des images d’enfants joyeux, naïfs et colorés, ornent la clôture en pierre qui entoure le bâtiment. À côté, Ahmad, un jeune homme de 15 ans issu d’une famille pauvre, s’est effondré sur le sol, en sang, et est mort.

Trois jours plus tard, Mira a fait imprimer la photo, y a ajouté un cœur blanc et l’a placée sous le grand poster de son frère, dans le cadre d’un coin commémoratif improvisé dans le salon.

À Sebastia, près de Naplouse, les colons ont fondé une véritable terre de colonisation. C’est dans la vieille gare abandonnée de l’époque ottomane, près du village, que les membres de l’organisation Gush Emunim ont convergé durant l’été 1969 - accompagnés de trois futurs premiers ministres : Menachem Begin, Ariel Sharon et Ehud Olmert - et s’en sonr emparés.

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L’accord conclu la même année, parfois appelé « compromis de Sebastia » (qui n’était pas du tout un compromis), a laissé les colons sur place même après qu’ils étaient censés évacuer, ce qui a été le signe avant-coureur d’une entreprise de colonisation tentaculaire dans tout le Shomron, alias la Samarie. Cinquante-six ans plus tard, les FDI y tuent des enfants, dans la partie nord de la Cisjordanie.

Sebastia est le site de la ville biblique de Shomron, dont les ruines se trouvent à la périphérie du village palestinien ; l’accès à cette zone est interdit à ses habitants depuis juillet dernier. Pendant ce temps, à environ sept kilomètres de là, se profile la colonie de Shavei Shomron.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la région cette semaine, toutes les voitures palestiniennes circulant sur la route étaient bloquées par un véhicule militaire blindé garé en diagonale, afin d’ouvrir la voie à deux véhicules de colons se dirigeant vers le nord, en direction de la colonie de Homesh. Il est évident qu’ici, ce sont les seigneurs de la terre qui sont en place.

Dans son bureau, le chef du conseil du village de Sebastia, Mahmoud Azzam, nous montre des vidéos de colons attaquant son village. Il ne se passe pas un jour sans que ces maraudeurs n’attaquent ou que l’armée ne fasse une incursion, dit-il. « Depuis le début de la guerre à Gaza », ajoute-t-il, « il n’y a rien de plus facile pour les Israéliens que de tirer sur les Palestiniens. Depuis le 7 octobre, ils ont également commencé à mettre la main sur nos terres ».

Sebastia est un village coloré qui, dans un autre univers, serait un site touristique prospère - une combinaison d’anciennes structures en pierre et d’attractions historiques plus récentes. Les résidents locaux gèrent deux maisons d’hôtes bien tenues, mais les touristes et les pèlerins n’ont pas vraiment afflué depuis un an et demi.

Le 19 janvier, l’armée a de nouveau fait une incursion à Sebastia. La veille au soir, quelques jeunes s’étaient réunis dans le café du coin, les autres habitants étaient cloîtrés chez eux. Ici, il ne se passe pas grand-chose à la nuit tombée.


Le jardin d’enfants de Save the Children. Ahmad se trouvait à proximité lorsque les soldats ont ouvert le feu

Un appartement dans une vieille maison en pierre de deux étages au plafond voûté et aux murs nouvellement crépis, au centre du village. Nous y étions cette semaine avec Salma a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. La famille Jazar, endeuillée et appauvrie, avait emménagé quelques jours auparavant, grâce à l’aide financière d’un parent et d’autres résidents.

Rashid, le père, âgé de 57 ans, est un peintre en bâtiment qui a travaillé pendant des années en Israël mais qui, comme tous les autres Palestiniens de Cisjordanie, n’a pas pu entrer dans le pays depuis le 7 octobre. Le 5 octobre 2023, il travaillait encore à Petah Tikva, effectuant des travaux de rénovation pour un entrepreneur juif. Il n’est pas revenu depuis et a été privé de son gagne-pain. Lui et sa femme, Wafa, 40 ans, ont huit enfants.

La situation économique désastreuse de la famille les a contraints à vivre séparément au cours des 17 derniers mois. Wafa et sept des enfants ont déménagé à Naplouse, où elle a trouvé un emploi de couturière, tandis que Rashid et Ahmad vivaient dans un minuscule appartement d’une pièce à Sebastia. Ahmad est allé à l’école jusqu’à la septième année, puis il a abandonné l’école pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il a essayé de vivre à Naplouse avec sa mère, mais ne s’y est pas plu. Il est donc rentré chez lui, où son père et lui ont fait des petits boulots.

Ce dimanche-là, ils n’avaient pas de travail et Ahmad s’est levé à midi. Rashid se souvient que son fils est allé rendre visite à des amis et qu’il a ensuite mangé du houmous et des falafels. Le garçon a passé l’après-midi, son dernier, à la maison, à jouer sur son téléphone. Vers 18 h 30, il a dit à son père qu’il allait au café, à quelques pas de chez eux. Ensuite, il est allé acheter du pain pita dans la seule épicerie qui acceptait encore de vendre à crédit à la famille.

En chemin, il apprend que l’armée est entrée dans le village. « C’est un enfant, ce n’est pas comme toi et moi », explique son père dans son hébreu d’ouvrier. « Il entend que l’armée est dans les parages et il rentre à la maison dare-dare ». Rashid lui-même s’était rendu dans un autre café du village, en face du bâtiment du conseil municipal, pour passer le temps. Vers 8 heures, des jeunes sont arrivés et ont annoncé que quelqu’un avait été blessé par les soldats. Ils ne lui ont pas dit qu’il s’agissait de son fils.

Ahmad se trouvait apparemment dans la rue, non loin du jardin d’enfants, à quelques dizaines de mètres de quatre soldats et de leur jeep. L’un d’entre eux a tiré quelques coups de feu sur lui - on ne sait toujours pas pourquoi - et une balle l’a atteint à la poitrine. Les autres ont touché les murs et la clôture. Nous avons vu les trous cette semaine ; heureusement, il n’y avait personne dans le jardin d’enfants à cette heure-là.

L’unité du porte-parole des FDI s’est contentée de la réponse suivante cette semaine : « À la suite de l’incident, une enquête a été lancée par la division des enquêtes criminelles de la police militaire. Naturellement, nous ne pouvons pas nous étendre sur une enquête en cours ».

Il est donc impossible pour l’instant d’entrer dans les détails, et si l’“enquête en cours” se termine un jour, personne ne s’intéressera à la raison pour laquelle les soldats ont tué un autre jeune non armé qui, par hasard, se tenait quelque part près d’eux.

Ahmad s’est effondré et a été immédiatement emporté par quelques jeunes qui se trouvaient à proximité, derrière un mur de béton. À ce moment-là, Rashid est également arrivé. Un véhicule privé a transporté d’urgence l’adolescent, couché sur les genoux de son père, à l’hôpital An-Najah de Naplouse. Ahmad était mort à son arrivée, mais les médecins ont néanmoins tenté de le ranimer et ont dit à son père qu’avec l’aide de Dieu, le garçon survivrait.

Mais, raconte Rashid, « je me suis dit tout de suite : c’est fini. Son histoire est terminée ». Quelques minutes plus tard, un médecin est sorti et a déclaré : « Dieu a pris Ahmad ». La mère d’Ahmad, qui se trouvait dans sa maison de Naplouse, est arrivée quelques minutes plus tard, accompagnée de quatre de ses enfants. Elle raconte qu’elle s’est évanouie en apprenant la nouvelle.

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Wafa, une femme peu loquace, était en noir cette semaine, le visage marqué par l’agonie. Après la catastrophe qui les a frappés, elle a quitté son travail en ville et est revenue à Sebastia avec ses derniers enfants pour vivre avec son mari, dans l’appartement qu’un parent leur a donné. Les villageois se sont cotisés pour couvrir leur loyer symbolique.

De son côté, Wafa explique qu’elle a quitté Naplouse pour être près d’Ahmad : elle se rend tous les jours sur sa tombe.

 


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