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09/04/2025

OFER ADERET
Avec le recul, l’historien israélien Tom Segev estime que le sionisme a été une erreur


Ofer Aderet, Haaretz, 4/4/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Pendant des décennies, l’historien Tom Segev a documenté de manière critique des événements importants concernant les Juifs, Israël et ses voisins. Récemment, il s’est également penché sur l’histoire de sa propre vie. Aujourd’hui, à 80 ans, il donne son avis sur l’état actuel de la nation.

Tom Segev : “La règle fondamentale qui me guide est le scepticisme. C’est une autre définition de la liberté : douter de tout”.  Photo Olivier Fitoussi

Ce n’est qu’aujourd’hui, à l’âge de 80 ans, que Tom Segev est prêt à admettre qu’il a été élevé dans le mensonge. Ces dernières années, cet historien et journaliste de longue date, qui a publié de nombreux livres et articles sur la vie des autres, a réexaminé sa propre biographie et découvert quelques détails intrigants. Depuis que son père est mort pendant la guerre d’indépendance, Segev a cru qu’il était le fils de l’un des soldats tombés pendant les guerres d’Israël, le soldat Heinz Schwerin, qui « a été frappé par une balle meurtrière alors qu’il montait la garde » dans le quartier d’Arnona, à Jérusalem. C’est le texte qui figure sur le site de commémoration Izkor du ministère de la défense.

Segev, qui avait 3 ans à l’époque, ne se souvient de rien, bien sûr. Sa mère, Ricarda, lui a dit, « depuis le jour où j’ai été en âge de comprendre », comme il le dit, que son père « a été abattu par un sniper arabe ». Elle a également reçu après sa mort le ruban de la guerre d’indépendance en l’honneur de sa participation aux combats. À l’école, lorsque ses camarades l’interrogeaient sur son père, « je pouvais dire qu’il avait été tué pendant la guerre d’indépendance et que j’étais orphelin de guerre », se souvient-il.


Jutta Schwerin : jeune communiste, elle refuse d'effectuer le service militaire en 1958, invoquant le fait que sa mère n'est pas juive. Elle écrit à Ben Gourion, qui l'invite à une conversation, après quoi elle est exemptée de service. Elle deviendra la première députée allemande ouvertement lesbienne. Elle a publié en 2012 un livre de mémoires [Ricardas Tochter, La fille de Ricarda] dans lequel elle ne nomme jamais son frère autrement que "le petit" ou mon frère"

Une personne connaissait la vérité depuis toutes ces années mais l’a gardée pour elle : sa sœur aînée, Jutta, qui a quitté Israël en 1960 et s’est installée en Allemagne - le pays d’où leurs parents communistes avaient fui les nazis, en 1935. Jutta, qui est devenue membre du Bundestag au sein du parti des Verts [qu'elle a quitté en 1994, lorsque Joschka Fiuscher a abandonné le pacifisme, NdT], avait 7 ans pendant la guerre de 1948. Le 3 février 1948, son père a été affecté à la garde du site sur le toit d’un immeuble résidentiel non loin de leur maison. Jutta l’accompagne.

Lorsqu’ils ont atteint le bâtiment, ils ont trouvé la porte d’entrée fermée à clé. Jutta raconte que son père, âgé de 38 ans à l’époque, a décidé d’escalader le tuyau de descente d’eau. Alors qu’il avait presque atteint le troisième étage, il a perdu prise et a fait une chute mortelle. Schwerin a été enterré au Mont des Oliviers. Son nom est inscrit sur les monuments commémorant ceux qui sont tombés dans le quartier juif de la vieille ville et les combattants qui ont été tués lors de la bataille de Jérusalem.

De Samson à Bibi

Tom Segev a eu 80 ans le 1er mars 2025. « La vie est comme une histoire. Comme une série infinie d’histoires. C’est étonnant », dit-il à Haaretz lors d’une conversation dans sa maison de Jérusalem, parlant ouvertement et publiquement, pour la première fois [en hébreu en Israël, NdT], de l’histoire de sa propre vie. Alors qu’il cherche à en savoir plus sur les circonstances de la mort de son père pendant la guerre d’indépendance, une sirène d’alerte aérienne retentit et il se réfugie dans l’espace protégé, attendant des informations sur le missile en provenance du Yémen. « On ne pouvait pas organiser cette interview de manière plus folle », plaisante-t-il.

La carrière de Segev en tant que journaliste, qui a débuté dans les années 1960, englobe son travail au légendaire journal étudiant de l’Université hébraïque, Pi Haaton, ainsi qu’aux quotidiens Al Hamishmar et Maariv, à Radio Israël, au magazine Koteret Rashit - et à Haaretz, où Segev a publié des centaines de reportages et de chroniques. Il a écrit de nombreux livres sur Israël, le conflit judéo-arabe, l’Holocauste et d’autres sujets ; certains de ses ouvrages sont des best-sellers et ont été traduits dans plusieurs langues. Ces ouvrages ont rendu l’histoire du sionisme accessible au grand public de manière vivante et vibrante, mais aussi sous un jour critique et iconoclaste, comme personne [en hébreu et en Israël, NdT] ne l’avait fait avant lui.

Segev travaille actuellement sur son prochain projet, un article pour une publication australienne, qui documente l’histoire juive de Gaza. “De Samson à Bibi”, dit-il en souriant.

La vaste expérience qu’il a accumulée lui a appris une leçon cruciale sur l’écriture de l’histoire et sur le journalisme en général. « La règle fondamentale qui me guide est le scepticisme. C’est une autre définition de la liberté : douter de tout et tout vérifier ».

Et maintenant que vous avez atteint l’âge vénérable de 80 ans, vous avez trouvé le temps d’appliquer cette règle à vous-même.

« Je me suis dit : “Avant tout, acquiers la compétence et l’expérience nécessaires pour travailler sur les histoires des autres - ce n’est qu’ensuite que tu pourras mieux maîtriser ta propre histoire”. J’ai fait avec moi-même ce que je fais avec les autres : j’ai écrit sur moi comme s’il s’agissait de l’histoire de quelqu’un d’autre. Je me suis traité comme une histoire - j’ai tout vérifié méticuleusement. J’ai su dès le départ que certaines des histoires que l’on m’avait racontées n’étaient pas correctes ».

Il a raconté sa vie exceptionnelle dans des mémoires publiées uniquement en Allemagne, “Jerusalem Ecke Berlin : Erinnerungen [Au coin Jérusalem Berlin : souvenirs]. À première vue, la décision de Segev de le publier dans sa langue maternelle a quelque chose de symbolique. Mais comme il n’écrit qu’en hébreu, l’ouvrage a été traduit en allemand par quelqu’un d’autre [Ruth Achlama].

L’histoire de son père suscite de multiples questions. Par exemple, pourquoi sa mère lui a-t-elle menti, et pourquoi sa sœur a-t-elle attendu jusqu’à il n’y a pas si longtemps pour lui dire la vérité ? Du point de vue de Segev, la question la plus difficile est la suivante : « Comment vais-je vivre désormais avec cette histoire, et qu’est-ce que j’en fais ? Où me situe-t-elle par rapport aux vrais orphelins de guerre, aux veuves et aux parents endeuillés ? »

En ce qui concerne sa mère, il écrit : « Peut-être n’a-t-elle jamais pensé que je ne connaissais pas [la vérité]. Peut-être a-t-elle encore du mal à partager avec moi le traumatisme qui a façonné toute sa vie ». Son voyage tardif à la recherche de la vérité l’a conduit à une connaissance de la famille qui a affirmé que son père ne s’était pas présenté pour un tour de garde, mais pour apporter du café aux personnes sur le toit. Segev a également trouvé une lettre qu’un ami de son père avait envoyée à des amis communs après sa mort.

« Il a grimpé à une hauteur d’environ 10 mètres et a ensuite chuté. Telle est la situation de fait », indique la lettre. « Maintenant, on tente d’expliquer cela d’une manière ou d’une autre, en disant qu’il a servi dans la Haganah (l’armée juive d’avant l’État) et ainsi de suite - tout cela pour que l’Agence juive paie... De toute façon, vous ne savez rien, je vous en supplie tous. Il ne reste pas d’argent non plus, seulement des dettes ».

L’ami qui a écrit la lettre pensait donc qu’un accident ordinaire n’aurait pas donné droit à une allocation de veuvage à votre mère, et il a voulu la protéger par ce mensonge.

« Dans ce récit, je perçois une solidarité humaine touchante au sein d’une petite communauté de Jérusalem qui se défend. Chacun essaie d’aider, prêt même à tromper les autorités de l’État convoité qui n’existe pas encore. Tout cela pour que ma mère puisse bénéficier d’une allocation de veuvage. Tout le monde sait et tout le monde est d’accord pour ne rien dire. Alors ce sont peut-être de bonnes raisons pour ne pas me dire la vérité non plus ».


Heinz Schwerin [né à Kattowitz, 1910] dans son atelier de jouets en bois de Jérusalem 1936/37. Stiftung Bauhaus Dessau © Jutta Schwerin/Tom Segev

Emil Schwerin, le père de Heinz...


...et son grand magasin (Dom Towarowy/Kaufhaus) à Kattowitz (aujourd'hui Katowice)

Par la suite, Segev s’est adressé à l’unité du ministère de la défense chargée des morts de guerre pour obtenir de plus amples informations. « J’ai essayé de trouver le premier lien dans cette histoire. Comment les mots “balle meurtrière”  sont apparus, qui est la première personne à les avoir prononcés et comment ils se sont insinués dans la vérité officielle ». Tout ce qu’il a trouvé, c’est une enveloppe contenant quelques documents. L’un d’entre eux, datant de 1954, a attiré son attention. Il s’agit d’un mémorandum d’un fonctionnaire à un autre.

Le ministère de la défense préparait alors un livre Izkor (souvenir) et avait recueilli des données sur près de 6 000 personnes tuées pendant la guerre d’indépendance. Il n’y avait pas de détails sur son père. Le document indique que des fonctionnaires ont écrit à sa mère pour lui demander plus d’informations, mais qu’ils n’ont pas reçu de réponse. Il n’y a pas de photo de son père sur le site ouèbe du mémorial. « Je ne me suis jamais rendu sur sa tombe au Mont des Oliviers, que je peux voir depuis la fenêtre de mon appartement. À ce jour, je n’ai pas réussi à l’expliquer », dit-il.


Ricarda Meltzer (Göttingen 1912-Jérusalem 1999)

Les parents de Segev se sont rencontrés à la célèbre école de design et d’architecture Bauhaus de Dessau. Sa mère, Ricarda, étudiait la photographie et son père, Heinz, l’architecture. Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir, ils ont trouvé refuge en Palestine mandataire, même s’ils n’étaient pas sionistes. Ils s’installent à Jérusalem, où naissent Tom et Jutta. Ses parents vivent d’un atelier de jouets qu’ils ont créé. Segev possède encore certains de ces jouets.

Comment votre enfance a-t-elle été affectée par le fait d’avoir grandi sans père à partir de l’âge de 3 ans ?

« Je n’ai aucun souvenir de lui. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai manqué quelque chose parce que je ne savais rien d’autre. Je n’en étais pas vraiment conscient. Je pense que je l’ai simplement refoulé, parce qu’il ne pouvait pas s’agir d’une situation normale. Je ne suis pas assez conscient de moi-même pour le savoir - ce n’est pas quelque chose que je cache. Je ne sais tout simplement pas comment j’ai pu grandir en tant que garçon sans père ».

Vos parents ne sont pas vraiment tombés amoureux de la Terre d’Israël, c’est le moins que l’on puisse dire.

« Après la Seconde Guerre mondiale, mon père a décidé de retourner en Allemagne et a commencé à correspondre avec des amis de son passé. Mes parents ont commencé à planifier leur retour en Allemagne. Ils n’ont jamais été sionistes et ils voulaient rentrer chez eux. Un mois après la dernière lettre que mon père a écrite à un ami pour lui dire à quel point il voulait rentrer, il a été tué ».

Dans son autobiographie, Segev cite des lettres écrites par sa mère à sa famille et à ses amis restés en Allemagne, dans lesquelles elle décrit les difficultés d’acclimatation à la vie en Palestine. « Il y a beaucoup de cris, de la saleté, une odeur nauséabonde et des masses d’Arabes qui sont en fait habillés comme les gens sur les images des “Mille et une nuits” », écrit-elle à propos de ses premières impressions en débarquant du bateau.

En revanche, elle a brossé un tableau très différent de Tel Aviv dans sa première lettre du pays. « Une ville propre, presque européenne, de belles maisons modernes, beaucoup de jeunes gens joyeux et de bons magasins où l’on peut tout acheter à des prix raisonnables ».

Pour sa part, Segev se souvient que sa mère lui a raconté des choses très différentes sur la première ville hébraïque. « Tel Aviv lui apparaissait comme un gros tas de sable... La chaleur était intolérable, tout comme les insectes », écrit-il dans son livre.

Lors de sa première visite à Tel Aviv, elle lui a raconté qu’elle avait vu une nappe blanche ornée de points noirs sur la table d’un restaurant, ce qui lui avait fait plaisir. Il écrit : « Lorsqu’elle s’est approchée, les points noirs se sont éloignés. C’étaient des mouches ».

Qui ou que croit l’historien Tom Segev ? Les histoires que lui a racontées sa mère ou les descriptions contenues dans les lettres qu’elle a envoyées à ses proches ? En général, il penche plutôt pour la documentation écrite et répugne à se fier aux témoignages oraux ou à la mémoire humaine. C’est pourquoi il a réagi avec un sourire aux commentaires de David Ben-Gourion, lors d’une interview réalisée en 1968 pour le journal étudiant qui a précédé Pi Haaton, selon lesquels l’ancien premier ministre était devenu sioniste à l’âge de 3 ans.

« M. Ben-Gourion, vous saviez ça à l’âge de 3 ans ? », s’étonne effrontément le jeune Segev. « Bien sûr, bien sûr, naturellement. Nous étions tous sionistes », répond Ben-Gourion. « J’ai pensé qu’il n’avait peut-être pas les deux pieds sur terre », dit aujourd’hui Segev.

Aujourd’hui, vous avez presque l’âge qu’avait Ben-Gourion lorsque vous vous êtes rencontrés. Avez-vous appris au fil des ans à être critique vis-à-vis de vos propres souvenirs ?

« Il m’arrive de découvrir qu’un événement dont je me souviens soi-disant dans les moindres détails n’a pas pu se dérouler de cette manière. En général, mon histoire telle que je me la remémore est plus intéressante que ce qui s’est réellement passé. De plus, elle s’améliore avec les années, ce qui gêne considérablement le travail de l’historien. Les gens ne se souviennent pas des choses, ou ils les falsifient, même si ce n’est pas intentionnel, et les cachent. Et oui, on peut aussi dire d’emblée que la transcription d’une réunion d’un cabinet gouvernemental peut aussi être falsifiée, et qu’une personne peut se souvenir d’un événement sur lequel il n’existe aucun document. Mais pour écrire l’histoire, je dois être sûr des faits ».

Segev avec Ben-Gourion, en 1968. Segev le dépeint comme un homme de chair et de sang, avec des angoisses et une tendance à fuir la réalité.

Au fil des ans, Segev a découvert d’autres failles dans les récits de son enfance. Sa mère a raconté que son père s’était échappé du camp de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne, avant leur départ pour la Palestine. « Je l’ai traité comme un véritable héros [...] Ça m’a rempli de fierté », écrit Segev. Plus tard, il a appris que la réalité était différente : son père n’aurait pas pu être incarcéré à Sachsenhausen, car le camp, situé à l’extérieur de Berlin, n’a été créé qu’en 1936, alors que son père était déjà hors du pays et en sécurité.

La véritable histoire est qu’en 1933, son père a été placé en détention avec d’autres étudiants, soupçonnés d’avoir trahi la patrie en appelant à la résistance violente au régime nazi. Ça s’est passé dans le quartier de Sachsenhausen à Francfort.

L’une des histoires dont il se souvient de son enfance, entre la guerre d’indépendance et la guerre des six jours de 1967, est celle d’un âne qui est apparu près de sa maison après s’être égaré, et de la tentative de le ramener, à l’issue de laquelle Segev et un ami ont été arrêtés par les Jordaniens. « J’aimais beaucoup la Jérusalem d’antan et les gens bizarres qui s’y promenaient, avant qu’elle ne devienne une ville intolérable », note Segev.

Pourquoi avez-vous décidé de rester à Jérusalem ?

« La plupart de mes amis ont quitté la ville. Je suis resté par habitude et parce que de ma fenêtre, je peux voir les murs de la vieille ville, le mont Sion et la mer Morte ».

Segev est un ancien élève de Leyada, l’école secondaire de l’université hébraïque, une institution prestigieuse qui se perçoit généralement comme le vivier de l’élite intellectuelle israélienne. En dernière année, il a obtenu une note de 6 (sur 10) dans la matière “expression hébraïque”. « Ses résultats sont tout juste satisfaisants et ne correspondent pas à ses capacités. Il doit apprendre à organiser ses idées de manière plus raisonnable », écrit le professeur.

Apparemment, vous avez appris à un moment donné à organiser vos idées.

« En fin de compte, j’étais un mauvais élève. J’interrompais souvent les cours et je n’étais pas un enfant heureux. Je n’aimais vraiment pas l’école. Et elle ne m’aimait pas beaucoup non plus ».

Vous avez gâché les célébrations de leur 50e anniversaire en écrivant dans l’un des journaux : “Vous avez exercé une forte pression sur nous et favorisé une atmosphère excessivement compétitive - et donc excessivement frustrante. Il me semble que vous vouliez nous imposer la conviction que nous étions plus talentueux et meilleurs que les autres... Chez beaucoup d’entre nous, il y a quelque chose de condescendant et de déconnecté. Je n’aime pas ça” ».

« L’école était élitiste et nous formait à devenir des professeurs d’université. Jusqu’à mon service militaire, je ne savais pas qu’il y avait aussi des Marocains dans le monde ».

Où avez-vous fait votre service militaire ?

« J’étais bibliothécaire au Collège de sécurité nationale à Jérusalem ».

C’est à cette époque qu’il a hébraïsé son nom : Thomas Schwerin est devenu Tom Segev. Pendant son service militaire, révèle-t-il aujourd’hui, il a été contacté par un représentant du Mossad qui lui a proposé d’étudier le chinois à Harvard et de travailler ensuite pour l’agence. « Lorsque j’ai hésité un instant, il m’a dit : « En Amérique, tu auras une voiture ». Je lui ai dit que c’était peut-être intéressant, mais que je ne voulais pas être un espion sous un réverbère à Hanoï ». L’homme du Mossad le corrige : “Hanoi n’est pas en Chine”.

Segev a découvert son penchant pour l’histoire dès son plus jeune âge, lorsqu’il a commencé à collectionner les autographes de personnes célèbres. « Pas des acteurs célèbres, seulement des personnages importants de l’histoire », explique-t-il. Comme d’autres enfants, il tendait des embuscades aux députés devant la maison Froumine, dans le centre de Jérusalem, où la Knesset était alors temporairement installée. Il a également écrit à des hommes d’État à l’étranger pour leur demander un autographe.

« C’était assez incroyable de voir que des gens du monde entier répondaient à mes lettres », se souvient-il. « Mais il y avait aussi quelques canailles qui ne me répondaient pas. Outre des personnalités locales - députés et ministres - sa collection comprend des autographes de Churchill et de Kennedy, même s’il a appris plus tard que le bureau du président usaméricain avait envoyé un fac-similé de la signature, et non la vraie, à de jeunes collectionneurs comme Segev.

Dans ce contexte, Segev se souvient d’une histoire insolite de son enfance à Jérusalem. « Je me trouvais dans la rue et j’ai vu deux moines qui cherchaient quelque chose. Je me suis approché d’eux et je leur ai proposé mon aide. Ils m’ont dit qu’ils cherchaient un certain Tommy. Je leur ai dit que c’était moi. Ils avaient une grande enveloppe. Il s’est avéré qu’ils venaient de la légation du Vatican dans la vieille ville ». Le pape Jean XXIII avait envoyé un autographe au jeune Segev, âgé de 12 ans, à sa demande. Peut-être, se demande-t-on, cela était-il lié à la position pro-juive du pontife et à son soutien à Israël.

En 1977, avant de commencer à travailler à Haaretz, Segev a été chef de cabinet du maire de Jérusalem, Teddy Kollek. « J’ai considéré ça comme une expérience journalistique », explique-t-il. « Des célébrités du monde entier venaient lui rendre visite. Un jour, je suis arrivé au bureau et j’ai trouvé Kirk Douglas. Je lui ai dit : “Oh, mon Dieu, Frank Sinatra”. Il a cru que j’essayais d’être drôle, mais j’étais en fait dans l’erreur, car Sinatra était venu avant lui », remarque Segev.

Après avoir obtenu une licence en histoire et en sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem, il a passé un doctorat en histoire à l’Université de Boston, rédigeant sa thèse sur les officiers SS qui commandaient les camps de concentration. Cette thèse, basée sur la documentation des archives SS, a été publiée plus tard sous le titre “Soldiers of Evil” (édition anglaise, 1991). Après avoir terminé la partie archivistique de ses recherches pour son doctorat, Segev a entrepris un voyage à travers l’Allemagne, à la recherche des commandants de camp survivants et des adjoints, assistants, veuves, enfants et connaissances de ceux qui étaient morts.

« Je me rendais à la Kneipe [bistrot] locale et engageais la conversation avec le barman, ou je rendais visite à un prêtre chez lui. « Les gens se souvenaient des choses : “Oui, vous parlez du type qui est devenu quelqu’un d’important dans la SS” », écrit-il. C’est ainsi qu’il est parvenu à rencontrer l’adjoint du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, le fils du commandant du camp de concentration du Stutthof [à Dantzig] et du commandant d’un autre camp.

Dans “Soldats du mal”, Segev révèle comment certaines personnes ont été enrôlées dans la campagne de massacre de l’Allemagne, en décrivant qui elles étaient et ce qui les a incitées à rejoindre le mouvement nazi et les SS. Il s’interroge sur la nature de la volonté des officiers de servir dans les camps de concentration et sur l’origine de la résilience intérieure qui leur a permis de s’acquitter de leurs tâches.

« Il n’a pas été facile d’interviewer ces personnes ; le fait que je vienne d’Israël a rendu la chose encore plus difficile », écrit-il. « Ils ont accepté de me parler parce que leur passé les hantait et qu’ils ne savaient pas comment y échapper. Les questions que je soulevais les préoccupaient - et les intriguaient - sans cesse depuis des décennies. C’est sur cette base que se sont déroulées nos conversations. Chacun espérait qu’il parviendrait, ne serait-ce que partiellement, à apurer son passé».

À la suite du procès d’Adolf Eichmann en Israël, en 1961, le concept de “banalité du mal” - inventé par la philosophe Hannah Arendt, qui estimait que « nous sommes tous des Eichmann en puissance » - a fait l’objet de nombreuses discussions. Segev connaissait Arendt personnellement, en tant qu’amie de sa mère, et lorsqu’ils se rencontraient, écrit-il dans la conclusion du livre, elle s’emportait parfois contre lui : « Pourquoi est-ce que tu dois te demander pourquoi les commandants des camps de concentration ont fait ce qu’ils ont fait, ou comment ils auraient pu le faire ? Ils l’ont fait, tout simplement, et c’est tout ce qu’il y a à dire".

Segev n’a pas reculé. « Elle s’est trompée. Eichmann, par exemple, a fait tout ce qu’il a fait par conviction idéologique profonde. Ce n’est pas la banalité du mal, qui prétend que tout le monde pourrait le faire », dit-il. Il écrit dans son livre : « Ce n’est pas la banalité du mal qui les caractérise [les commandants des camps], mais plutôt l’identification intérieure au mal ». Il conclut à partir des dossiers personnels des commandants : « C’étaient des gens médiocres, sans imagination, sans courage, sans initiative... la plupart d’entre eux semblent avoir eu une personnalité superficielle ».

Segev reconnaît qu’il y avait parmi eux des opportunistes et des sadiques, ainsi que des hommes sans émotions qui se comportaient comme des “robots”. Cependant, son point de vue est différent. « Ce sont des animaux politiques qui s’identifient à la méthode », affirme-t-il.

Le livre de Segev publié en 1993, « Le Septième million : Les Israéliens et le génocide » [fr. en 2003] commence par un prologue brûlant intitulé « Le voyage de Ka-Tzetnik ». L’un des principaux scoops de la carrière de Segev (qu’il avait initialement rapporté dans Koteret Rashit), décrit le traitement au LSD que Yehiel De-Nur, survivant d’Auschwitz et auteur, qui écrivait sous le pseudonyme de Ka-Tzetnik, a subi après l’Holocauste.

« Il était perturbé », se souvient Segev. « C’est triste à dire, mais c’est ainsi que les choses se sont passées. Un jour, il m’a soudain dit : “Il y avait six millions. Il y avait six millions. Où sont ces millions ? Il n’en reste plus un seul”. J’ai répondu par l’affirmative - et il s’est avéré qu’il parlait de 6 millions de shekels à la banque qu’il prétendait lui être dus en tant que droits d’auteur pour ses livres ».

Dans « Le septième million », Segev décrit les “conversations plutôt longues et étranges” que les deux écrivains ont eues, au cours desquelles son interlocuteur « parlait de l’intérieur de la tempête de son âme ». Il y avait de « longs monologues, dont je ne comprenais pas complètement certaines parties et dont d’autres me terrifiaient - des souvenirs des atrocités d’Auschwitz combinés à des visions mystiques et apocalyptiques ».

La rencontre entre les Israéliens et l’Holocauste, observe Segev, a suivi deux axes principaux. L’un est passé de l’insularité nationale et de la xénophobie à l’ouverture universelle et humaniste, tandis que l’autre s’est déplacé entre l’identité israélienne et l’identité juive. Plus l’Holocauste s’éloignait, plus sa présence s’approfondissait et se transformait en un traumatisme personnel et familial qui a déterminé le cours de la vie des Israéliens, leur composition émotionnelle et leur vision du monde - d’où ils ont tiré des éléments de leur identité en tant qu’individus et en tant que collectivité, ajoute-t-il. Entre le grand silence qu’ils se sont imposé dans les années 1950 et les voyages scolaires de leurs enfants dans les camps de la mort en Pologne des années plus tard, le souvenir a influencé une série de décisions fatidiques que les Israéliens ont prises entre une guerre et la suivante.

Et son texte, datant d’il y a 34 ans, aurait pu être écrit hier matin : « Le pays était isolé, à l’écart de son environnement. Sa religion, sa culture, ses valeurs et sa mentalité étaient différentes. Il vivait dans l’insécurité. Les menaces extérieures et l’image isolationniste de soi unissent les Israéliens et les enveloppent d’un sentiment d’anxiété constant - et les empêchent de créer une forme d’existence permanente », poursuit-il. « L’élément de temporalité est dominant dans la vie qu’ils mènent. Ils partent du principe que tout peut arriver à tout moment ».

Segev a constaté que l’héritage de l’Holocauste peut être façonné et exploité en fonction de différentes exigences idéologiques et politiques, comme il l’a expliqué dans Le septième million : « Les élèves ont été avertis à maintes reprises que l’Holocauste signifiait qu’ils devaient rester en Israël. On ne leur a pas dit que l’Holocauste les obligeait à renforcer la démocratie, à lutter contre le racisme, à défendre les minorités et les droits civils, et à refuser d’obéir à des ordres manifestement illégaux ».


Segev avec Netanyahou en 1999. « Qui ne le soutient pas ? Les 200 000 personnes qui défendent leur statut d’élite obsolète ». Photo Alex Levac

Comme beaucoup de vos sujets de recherche, ces commentaires restent extraordinairement pertinents aujourd’hui, alors que de nombreux dirigeants et citoyens israéliens établissent des comparaisons entre les événements du 7 octobre et l’Holocauste, et entre le Hamas et les nazis.

« La remarque de Netanyahou selon laquelle il s’agit de nazis, et la déclaration selon laquelle le 7 octobre est la pire chose qui soit arrivée au peuple juif depuis l’Holocauste, sont très problématiques. Pendant la guerre d’indépendance, 6 000 Israéliens ont été tués. Il n’y a pas eu autant de morts [israéliens] dans la guerre actuelle. Peut-être que l’Holocauste, en tant qu’élément central de l’identité israélienne, fait maintenant l’objet d’une compétition. Il se pourrait bien que la guerre [dans la bande de Gaza] éclipse la mémoire de l’Holocauste ».

Un autre des livres de Segev qui a ouvert les yeux est “Les premiers Israéliens” [hébreu 1984, anglais 1986, français 1998]. Au cours de ses recherches sur la première année dramatique de l’existence de l’État juif, il a découvert des documents de l’Agence juive qui, pour la première fois, ont révélé les politiques discriminatoires appliquées à l’encontre des nouveaux immigrants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, tout en favorisant les nouveaux arrivants de Pologne. « L’exécutif de l’Agence juive était parvenu à la conclusion que les Juifs polonais méritaient un meilleur accueil que leurs prédécesseurs », écrit Segev, faisant référence aux Mizrahim - Juifs originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord - qui étaient arrivés un peu plus tôt.

« “Il y a beaucoup de gens respectables parmi eux”, a-t-on dit en guise d’explication. Pour leur épargner les difficultés des camps [de transit], il est proposé de les loger dans des hôtels... En même temps, l’Agence juive s’empresse de prendre des dispositions pour leur logement permanent, [en partie] dans des maisons déjà réservées aux immigrants des pays arabes... Les membres de l’exécutif parlent ouvertement de donner la préférence aux immigrants polonais, et certains disent qu’ils devraient avoir des privilèges spéciaux ».

Les documents cités par Segev parlent d’eux-mêmes. Eliahu Dobkin, membre de l’exécutif de l’Agence juive et signataire de la Déclaration d’indépendance, aurait déclaré : « Nous devons accorder à cette immigration [d’Europe de l’Est] des privilèges spéciaux et je n’ai pas peur de le dire », et aussi : « Un effort exceptionnel doit être fait pour faciliter l’absorption de ces personnes ».

Le collègue de Dobkin à l’agence, Yitzhak Gruenbaum, qui deviendra plus tard le premier ministre de l’intérieur d’Israël, a déclaré : « Nous devons nous dépêcher pour ne pas être pris au dépourvu et pour que les gens respectables ne soient pas obligés d’aller dans les camps [de transit] ». Il a ajouté : « Au lieu de mettre les Juifs polonais dans cette situation, il vaudrait mieux le faire avec les Juifs de Turquie et de Libye. Ce ne sera pas difficile pour eux... Mettriez-vous un médecin [polonais] dans un camp comme Beit Lidd, ou Pardes Hannah - comment pensez-vous qu’il se sentira, que pensera-t-il ? »

En outre, Yitzhak Rafael, qui a ensuite été député et ministre du Parti national religieux, a fait remarquer que « les Juifs polonais vivaient bien. Pour eux, les camps sont beaucoup plus difficiles que pour les Yéménites, pour qui même les conditions de vie dans les camps sont synonymes de libération... Ils [les Juifs polonais] ne sont pas comme les immigrants du Yémen, dont on a du mal à comprendre le nom. Lorsqu’un juif polonais obtient un prêt, il sait qu’il doit le rendre ».

Deux autres livres écrits par Segev dans son style particulier relatent les grandes périodes de l’histoire du peuple israélien et de son État : “ C’était en Palestine au temps des coquelicots” (2000) et “1967 : Six jours qui ont changé le monde” (2007). Le premier a été écrit à l’époque des accords d’Oslo. « J’étais très optimiste à l’époque », dit-il. « Ce que je demandais dans le livre, c’était quand les Juifs et les Arabes avaient vécu ensemble pour la dernière fois et comment cela s’était passé ».

Pourtant, le souvenir de l’optimisme de Segev est également trompeur - la lecture des conclusions du livre aujourd’hui ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir. Il décrit deux mouvements nationaux concurrents dont les identités ont été forgées en Palestine et qui se sont inexorablement rapprochés de la confrontation. Ainsi, à partir de 1917, il n’y avait que deux possibilités : soit les Arabes vaincront les sionistes, soit les sionistes vaincront les Arabes. La guerre entre eux est inévitable. Certains membres de l’administration britannique s’identifient aux Arabes, d’autres aux Juifs. D’autres sont rebutés par les deux camps. « Je les déteste tous de la même manière », aurait déclaré un fonctionnaire de la Mandature.

1967” de Segev, qui traite de la guerre des six jours et de ses conséquences, a fait la une des journaux à la suite d’une décision singulière de la censure militaire. L’éditeur israélien, Keter Books, a reçu l’ordre de rappeler tous les exemplaires du livre et d’utiliser du blanc pour couvrir la moitié de la ligne mentionnant les mots “armes non conventionnelles”. Une fois de plus, Segev avait mis au jour des actes de folie étayés par des documents d’archives. Le journaliste et auteur Amos Elon l’a noté de manière frappante dans une critique du livre publiée dans Haaretz le 22 juillet 2005.

« Aujourd’hui, nous savons que le triomphe d’Israël en 1967 était une victoire à la Pyrrhus. Le livre 1967 de Tom Segev le montre plus clairement que tout ce qui a été écrit sur le sujet », a écrit Elon. « Segev documente cette tragédie historique avec brio et autorité, comme personne ne l’a fait auparavant. Pour la première fois, Israël disposait de suffisamment de territoires pour les échanger contre la paix, mais il a laissé passer l’occasion de signer un traité avec la Jordanie quelques mois seulement après la guerre... Il n’y avait pas de leadership. Il ne s’agissait pas tant d’une pénurie de “grands dirigeants” [...] que de manque de dirigeants éclairés ayant le sens de l’histoire et sachant ce qui risque d’arriver à un pays qui s’étend au-delà de ses proportions naturelles [sic], en particulier sur le plan démographique. [...] En conséquence, la guerre des Six Jours n’a fait que déboucher sur une autre guerre, encore plus terrible, avec un bilan toujours plus lourd en termes de vies humaines. Tom Segev documente cette tragédie historique ».

Le débat sur l’issue de cette guerre nous occupe toujours, après 58 ans.

« La plus grande erreur du sionisme est de ne pas avoir rendu aux Arabes, le septième jour [de cette guerre], tout ce qu’ils possédaient, y compris Jérusalem-Est. Rien de tout cela ne nous intéresse. Nous aurions dû rendre ces territoires même sans la paix, tout comme Ben-Gourion a décidé de ne pas conquérir certains territoires pendant la guerre d’indépendance. Nous nous sommes retrouvés coincés avec ces territoires ».

Dans son court ouvrage de 2002 intitulé “Elvis in Jerusalem : Post-Zionism and the Americanization of Israel” [inédit en français], Segev s’est demandé si le sionisme avait achevé son rôle historique. Il a également écrit d’éblouissantes biographies du chasseur de nazis Simon Wiesenthal et de David Ben-Gourion. Ce dernier se révèle être non seulement un leader national plus grand que nature, mais aussi un homme de chair et de sang, avec des angoisses, des crises de dépression, une tendance à fuir la réalité et à tromper sa femme de façon répétée.

Des recherches méticuleuses dans les archives, combinées à la capacité de raconter une histoire et d’être incisif, détaché et non conventionnel, ont fait de Segev l’un des historiens israéliens les plus estimés à l’étranger. En revanche, ses détracteurs l’ont qualifié de "post-sioniste" et l’ont "accusé" de faire partie du groupe des "nouveaux historiens" qui ont étudié le conflit arabo-juif d’une manière très critique. Segev n’accepte pas ces étiquettes.

« On a aussi dit que j’étais antisioniste, mais je ne suis pas un idéologue ni un philosophe, et je ne pense pas en termes d’idéologies », explique-t-il. « On a dit que je voulais briser les mythes. Mais ce n’est pas vrai non plus. Je ne faisais pas partie des "nouveaux historiens", mais plutôt des "premiers historiens". En ce qui concerne la création de l’État, il n’y avait pas d’histoire ici, seulement de la mythologie et beaucoup d’endoctrinement. Dans les années 1980, nous avons ouvert des documents dans les archives et nous avons dit : "Ouaou, ce n’est pas ce qu’on nous a appris à l’école" ».

À propos de quoi, par exemple ?

« Sur l’expulsion des Arabes [il veut dire Palestiniens, NdT] et l’attitude à l’égard des Mizrahim, par exemple. Les sionistes ont toujours agi avec le sentiment profond d’avoir raison et ont toujours voulu présenter un sionisme plus beau que la réalité ».

Qui d’autre vous a critiqué ?

« Mes critiques les plus sévères sont les professeurs d’histoire. Souvent, ils ne savent pas écrire ou ils détestent écrire, et leurs livres ne sont pas destinés au grand public ».

Cet entretien a lieu à un moment dramatique de l’histoire de l’État. La guerre, qui a commencé après le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas, est en train de reprendre, de même que le coup d’État [judiciaire]. Historiquement, ce n’est pas la meilleure période pour vivre ici.

« Progressivement, je suis arrivé à la conclusion que le conflit n’a pas de solution, parce qu’il ne porte pas sur des questions rationnelles. Il ne s’agit pas d’une question de frontières ou de partition du pays. Il s’agit de deux identités nationales qui s’affrontent. Chacun des deux peuples définit son identité à travers l’ensemble du territoire, de sorte que tout compromis exige que nous renoncions à une partie de notre identité. Je ne vois pas comment il est possible de résoudre ce problème. J’envisage une période où ce conflit sera considéré comme quelque chose d’historique, qui a disparu d’une manière ou d’une autre et qui a trouvé sa solution. Mais dans la situation actuelle, ce n’est pas possible. Il faut que quelque chose de terriblement dramatique se produise pour que les gens commencent à réfléchir à nouveau ».

Dans votre biographie de Ben-Gourion de 2019, "Un État à tout prix", je lis la citation suivante de lui : « Tout le monde voit la difficulté des relations entre Juifs et Arabes, mais tout le monde ne voit pas qu’il n’y a pas de solution à cette question... Nous voulons que la Palestine soit notre en tant que nation. Les Arabes veulent qu’elle soit leur - en tant que nation. Je ne vois pas quel Arabe accepterait que la Palestine appartienne aux Juifs ».

« À l’âge de 80 ans, je commence à penser que ce n’était peut-être pas bien dès le départ, toute cette histoire de sionisme. La plupart des Israéliens sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés. Pas des sionistes, mais des réfugiés. Vous me direz : “Ça justifie le sionisme, parce que c’est une terre où ils ont pu venir”. Mais nous devons nous rappeler que la majorité des survivants de l’Holocauste ne sont pas venus vivre en Israël et que la majorité des Juifs du monde ne viennent pas en Israël. Ils le peuvent, mais ils ne veulent pas vivre dans ce pays. Le sionisme n’est donc pas une grande réussite. Il n’assure pas non plus la sécurité des Juifs. Il est plus sûr pour les Juifs de vivre en dehors d’Israël ».

Vous ne pourrez pas écrire la biographie de Netanyahou - les documents relatifs à sa période ne seront déclassifiés, si tant est qu’ils le soient, que dans des décennies.

« Si je devais écrire à l’avenir sur l’histoire de cette période, je commencerais par l’une des grandes erreurs de l’État : le procès de Netanyahou. Il nous cause des dommages terribles et injustifiés. Je suis le procès et je n’ai pas les cheveux qui se dressent sur la tête - et ce n’est pas parce que je n’ai pas de cheveux. Grâce à ce procès, [Itamar] Ben-Gvir et [Bezalel] Smotrich ont rejoint le gouvernement, et toutes sortes de serpents ont commencé à sortir de leur trou. Le procès de Netanyahou a été une grave erreur. Certainement en ce qui concerne ses relations avec les médias. Il n’y a pas d’abus de confiance de sa part ; la personne qui a commis un abus de confiance est l’éditeur qui a vendu son journal à un politicien ».

D’autres historiens présenteront des points de vue contradictoires. Mais comment l’histoire se souviendra-t-elle de Bibi par rapport au 7 octobre, à votre avis ?

« Netanyahou a poursuivi une conception erronée du Hamas [en renforçant l’organisation et en lui transférant de l’argent qatari]. Mais c’est compréhensible, car dans les relations du mouvement sioniste avec les Arabes, quelqu’un a toujours été soudoyé. Le problème, c’est que les Arabes acceptent toujours les pots-de-vin et ne livrent jamais la marchandise [sic; sans doute au second degré]».

De la Bible au XXIe siècle

Avant que les lecteurs ne s’imaginent que Segev soutient le gouvernement de quelque manière que ce soit, il ajoute un commentaire sinistre : « Comme tout le monde, je suis choqué par le 7 octobre et par la question des otages. Mais depuis le début de la guerre, j’éprouve un sentiment de culpabilité très désagréable, auquel je ne sais pas comment faire face. Culpabilité pour les dizaines de milliers de personnes qui ont été tuées, dont la moitié étaient des civils, et parmi eux 10 000 enfants », dit-il en faisant référence aux Palestiniens tués dans la bande de Gaza. « Le massacre que le Hamas a perpétré contre nous ne justifie pas une telle vengeance, et nous n’avons pas la moindre idée de ce à quoi celle-ci est censée conduire ».

Juste après le déclenchement de la guerre, vous avez évoqué le terme de “seconde Nakba”.

« Entretemps, tout le monde parle maintenant d’une deuxième Nakba. Il est possible que Netanyahou voie ici une occasion de fomenter une expulsion à grande échelle des Arabes de Gaza, puis de se présenter devant les caméras et de dire : “Depuis l’époque de Ben-Gourion, personne n’a fait plus pour le sionisme que moi”. J’ai été étonné de voir la joie avec laquelle Israël a accepté l’idée de Trump, au point qu’aujourd’hui, il est déjà acceptable de dire que les Arabes doivent être expulsés ».


Segev avec Itayu Abera. “Nous savions que nous étions père et fils. Nous le savions tout simplement”

Êtes-vous inquiet ?

« Je suis très inquiet pour mes petits-enfants. Je ne sais pas où ils trouveront leur bonheur dans le monde ».

La mention des petits-enfants amène Segev à une autre anecdote personnelle. « Je dois mon fils Itay à Haaretz », dit-il. En 1991, Segev a été envoyé par le journal en Éthiopie pour couvrir les préparatifs de l’opération Salomon, au cours de laquelle des Juifs éthiopiens ont été transportés par avion en Israël. À son arrivée à l’ambassade d’Israël à Addis-Abeba, un spectacle stupéfiant l’attend, rapporte-t-il : « Des milliers de personnes, parmi lesquelles des personnages bibliques vêtus de robes blanches, étaient assises le long de la route menant au bâtiment et attendaient d’être appelées. Elles sont arrivées dans un flot soudain de réfugiés et de vision messianique, cherchant à rejoindre leurs familles en Israël. Beaucoup d’entre eux vont ainsi catapulter 2 000 ans d’histoire en plein XXIe siècle ».


Itayu dans l'avion l'emportant vers Israël, en 1991

L’un des protagonistes de l’article était un enfant de 11 ans, Itayu Abera, dont le sourire captivant a attiré l’attention de Segev. « Itayu est un garçon adorable qui dégage une sorte d’intelligence rêveuse. J’ai appris à le connaître un peu. Il aime jouer au football et veut devenir enseignant quand il sera grand », écrit Segev. « Il sait écrire son nom en hébreu et en anglais... D’Israël, il sait que c’est un pays propre, qu’il n’y a pas de voleurs et qu’il y a une grande ville appelée Kiryat Ata. C’est là que vivent ses proches. Il a l’impression qu’il s’entendra bien avec les enfants en Israël. Il connaît un peu le karaté et sait aussi jongler, comme un acrobate ».

Segev a décidé de rester en contact avec le garçon et de rédiger une série d’articles sur son intégration dans la société israélienne. « Je voulais montrer comment un enfant éthiopien devient un Israélien », explique-t-il. En 1996, il a publié un article : « Itayu est un jeune intelligent. Il a un sens de l’humour subtil. Cinq ans après son arrivée, tout droit sorti de l’âge de la Bible, il possède un ordinateur personnel... Chaque fois qu’il le peut, il a un walkman branché sur les oreilles ».  La même année, Segev a accompagné l’adolescent lors d’un voyage de “racines familiales” dans le village éthiopien où il est né, et a consigné ses impressions dans un article monumental paru dans Haaretz, intitulé “Retour au figuier”. « Ce fut un voyage dramatique et émouvant », se souvient Segev.

Les liens entre les deux se sont resserrés. « J’avais 50 ans à l’époque et je n’avais pas d’enfants. Lorsque nous sommes revenus, nous savions que nous étions père et fils. Nous le savions tout simplement. Ce n’est enregistré nulle part. Ce n’est pas une véritable adoption, mais c’était comme ça sur le plan émotionnel et c’est comme ça depuis », explique Segev. Itayu est devenu Itay, qui travaille aujourd’hui comme ingénieur électricien chez Israel Aerospace Industries. Il a également sa propre famille. « Quand je veux l’embêter, je lui dis qu’il est un cliché sioniste », ajoute Segev.

Participez-vous à des manifestations ces jours-ci ?

« Je me suis retrouvé à une manifestation dans la rue Azza, près de l’épicerie où je fais mes courses. Et je me suis dit que 200 000 personnes, c’est ce qu’il y a. La nation n’est ni divisée ni déchirée. Il n’y a pas de parité entre les partisans et les opposants au coup d’État. La nation soutient Netanyahou. Qui ne le soutient pas ? Les 200 000 personnes qui défendent leur statut d’élite obsolète ».

« Il n’y aura pas de guerre civile », poursuit-il, « parce que les manifestants ne provoqueront pas de guerre et que l’autre camp constitue de toute façon la majorité. Et de ce point de vue, la démocratie israélienne n’a jamais été réelle. Pendant 20 ans, tous les Arabes [d’Israël] ont été soumis à la loi martiale, puis il y a eu la guerre des six jours, et ensuite toute la population [des territoires occupés] a été soumise à cette forme de régime ».

Malgré cela, le pays est dans la tourmente.

« En ce qui concerne la réforme [judiciaire], ce qui est fait aujourd’hui peut être défait demain. Nous avons traversé des périodes de crise extrêmement difficiles en Israël. Pas seulement les guerres et l’austérité. Mais aussi [des débâcles politiques et/ou liées à la sécurité, notamment], l’affaire Lavon et l’affaire du bus 300, Sabra et Chatila, les commissions d’enquête. À chaque fois, nous avons l’impression que tout s’écroule, mais d’une manière ou d’une autre, la vie redevient beaucoup moins difficile par la suite ».

Pourtant, Segev admet au cours de notre conversation qu’il s’est trompé par le passé dans ses tentatives de prédire l’avenir ou d’évaluer le présent. « Immédiatement après la guerre des Six Jours, j’ai fait une visite chez Matityahu Drobles, chef de la division des colonies de l’Agence juive. Il nous a montré une carte avec le plan des colonies. J’ai écrit par la suite qu’il fantasmait et que cela ne pourrait jamais arriver. Depuis, j’ai compris qu’il valait mieux écrire ce qui s’était passé et ne pas faire de prévisions, parce que je me trompe toujours ».

Quelles sont les autres erreurs que vous avez commises ?

« Abba Kovner, qui s’est rendu en Europe après l’Holocauste pour empoisonner six millions d’Allemands dans le cadre du Nakam (un groupe de survivants cherchant à se venger des nazis), a déclaré avoir reçu du poison de la part de Haïm Weizmann. J’ai trouvé que c’était une belle histoire, mais je n’ai trouvé aucune mention du fait que Weizmann se trouvait dans le même pays que Kovner, et j’ai supposé qu’il était impossible qu’il lui ait fourni du poison.

« Des années plus tard, [l’historienne] Dina Porat a découvert que Kovner avait reçu le poison d’Ephraïm Katzir [un scientifique de premier plan de l’institut fondé par et au nom de Weizmann, plus tard président d’Israël]. C’est dire à quel point j’étais étroit d’esprit et borné ».

Segev avec Arafat dans la Mouqatah assiégée en 2002. À gauche Uri Avnery - qui connaissait Arafat depuis qu'il lui avait rendu visite à Beyrouth assiégée en 1982 - organisateur de la visite d'une douzaine de journalistes israéliens. Ségev raconte dans ses mémoires :

« Un jour, je me suis rendu à Ramallah avec Uri Avnery et un groupe de journalistes pour rendre visite à Yasser Arafat. Les accords d'Oslo avaient alors déjà fait place à une nouvelle vague d'attentats terroristes palestiniens. Arafat était pratiquement assigné à résidence ; les soldats israéliens avaient bouclé son quartier général. Il nous a invités à déjeuner. Il voulait un État indépendant dans les territoires occupés et la souveraineté sur le Mont du Temple à Jérusalem. Il était prêt à accepter les colons israéliens dans les territoires comme citoyens de son État, mais les réfugiés de 1948 devraient pouvoir choisir entre le retour dans leurs foyers et une indemnisation, comme l'avait décidé l'ONU. Il n'y avait aucune chance qu'Israël y consente un jour, et c'est pourquoi la solution à deux États n'était plus pertinente, dis-je en lui demandant s'il pouvait encore imaginer un accord avec Israël, lui qui avait consacré toute sa vie à lutter contre ce pays. Arafat fouilla dans son assiette avec irritation : « Pourquoi pensez-vous que je ne peux pas faire ce que Nelson Mandela a fait ? » C'était environ deux ans avant sa mort. Dans son étrange uniforme, il répandait des fantasmes moroses et un calme résigné, il semblait isolé et en quelque sorte éteint […] »

« Lors d'un dîner privé au Cap, Nelson Mandela était parmi les invités. Je lui ai raconté ma rencontre avec Yasser Arafat à Ramallah quelques semaines auparavant. Il a dit qu'il pouvait faire la même chose que vous, ai-je répondu. Mandela a écouté en silence, plongé dans ses pensées, soit étonné face à l'audace d'Arafat, soit amusé par son arrogance. Finalement, un sourire discret, à peine perceptible, est apparu aux commissures de ses lèvres : « C'est donc ce qu'il dit ? », a-t-il dit en riant. Puis il s'est montré très inquiet de la montée en puissance des nationalistes de droite en Israël. Je partageais son avis […] »




08/04/2025

OMRI BOEHM
A Europa e suas vítimas: além do mito da soberania nacional
Um discurso para a Europa, Viena, 7 de maio de 2024

Omri Boehm é um filósofo de origem alemã judaica nascido em Israel e que vive em Nova York. Trabalha na prestigiosa New School of Social Research, que abrigou refugiados alemães antinazistas em sua “Universidade no Exílio”, incluindo Erich Fromm, Leo Strauss e Hannah Arendt. Especialista e discípulo do filósofo iluminista alemão Immanuel Kant, ele deveria fazer um discurso nas comemorações do 80º aniversário dos campos de concentração nazistas de Buchenwald e Mittelbau-Dora, em 6 de abril de 2025, em Weimar. Ele não pôde discursar porque a embaixada israelense em Berlim interveio para proibi-lo de falar, com o argumento de tirar o fôlego de que “ com seu discurso sobre valores universais, Boehm está diluindo a memória do Holocausto”. Os sionistas aparentemente ficaram traumatizados com o “discurso para a Europa” de Omri Boehm há 11 meses, em 7 de maio de 2024, em Viena. Aqui está esse discurso, traduzido por Tlaxcala, editado por Helga Heidrich

Este discurso foi apresentado pelo Instituto de Ciências Humanas (IWM), Viena, e pelas Wiener Festwochen (Semanas do Festival de Viena). Foi proferido na Praça dos Judeus em 7 de maio de 2024. 

 

A Europa aprendeu a necessidade de proteger a dignidade humana como inviolável, refutando o mito da soberania nacional e da cidadania baseada em etnias. Mas também adota esses princípios como formas de emancipação para judeus e nações anteriormente colonizadas. Essa inconsistência coloca em risco tanto a Europa quanto suas vítimas do passado.

Quando fui convidado para fazer esse “Discurso para a Europa” na Judenplatz, tive prazer em aceitar por um motivo muito pessoal, ou seja, pela história de minha própria família. Meu filho e minha esposa tinham acabado de receber a cidadania austríaca, e a receberam porque a família de minha esposa havia escapado da Áustria, ou pelo menos alguns deles escaparam, inclusive a avó de minha esposa, Malita (Miriam) Schertzer. Ela foi expulsa de Viena para a Palestina em 1938, na mesma Aliyah da Juventude com a qual minha própria avó havia escapado da Alemanha.

Para nós, esse “Discurso à Europa” também foi planejado como uma visita particular à cidade de Miriam e à sua escola, o Brigittenauer Gymnasium, hoje Gymnasium am Augarten, onde há um memorial familiar em homenagem aos colegas judeus de Miriam que não escaparam e acabaram sendo deportados para Auschwitz. Os pais de Miriam também foram enviados de Viena para Dachau e Auschwitz, mas sobreviveram e acabaram se reunindo com a filha em Israel. Ainda me lembro de ter conhecido Miriam, tentando impressioná-la com meu alemão e com histórias sobre a Europa para a qual ela nunca voltou. Como ela era tímida, surpresa e feliz, aquela senhora idosa de um pequeno moshav em Israel, que havia começado sua vida como Malita em Viena.

Muito antes de começarem os rumores de uma controvérsia sobre essa palestra, eu sabia que estávamos vindo para cá não apenas com uma compreensão, mas com um conhecimento muito pessoal, por familiaridade, do significado desse lugar - e com um sentimento muito imediato de que memórias pessoais e insuportáveis têm um imenso significado público aqui. Sabemos tão bem quanto qualquer outra pessoa as raízes profundas que esse local, a Judenplatz, tem para esta cidade, para este continente. E também sabemos, como ninguém, que as raízes desse lugar chegam ao nosso próprio país, Israel. É também por isso que me recuso a desonrar esse lugar - não por qualquer coisa que eu diga ou poderia ter dito, e muito menos por reagir a tentativas de transformar uma discussão que deveria ser sobre substância, argumentos e discordância respeitosa em um escândalo artificial. [1]

 É muito significativo ter a estátua de Lessing aqui na Judenplatz diante de mim, olhando para mim, para todos nós e diretamente para o memorial do Holocausto atrás de mim. Lessing, amigo de Mendelssohn, foi o único a estabelecer a conexão essencial entre esclarecimento e amizade. Os amigos democratas-liberais da Judenplatz e os amigos da Europa discutem amigavelmente suas discordâncias, as dúvidas e preocupações que possam ter. A razão anda de mãos dadas com a amizade; o populismo e o nacionalismo - com lançar ovos e com gritos. Não se engane: os ovos servem para humilhar e, por essa razão, são perigosos. Escolher a primeira, a razão, em vez da segunda é deixar o clamor de lado, estender a mão àqueles que criticaram esse discurso e tentaram atrapalhar em vez de protestar contra ele, e seguir em frente.

'Você é mais do que seus mitos'

Quando, em 2019, Timothy Snyder inaugurou o “Discurso para a Europa” na Judenplatz, ele cunhou esta mensagem como seu lema. “Você é mais do que seus mitos”.

Quero unir-me a essa mensagem, mas perguntar novamente o que significa para a Europa ser mais do que seu mito?

Uma maneira de pensar sobre isso é dizer que a Europa deve confrontar o mito com a história. Essa foi a sugestão de Snyder; ele afirmou que, para que a Europa cumpra seu papel de símbolo de esperança - e ela é um símbolo de esperança -, os europeus devem escolher a história como o oposto do mito. Há duas maneiras de se lembrar, argumentou Snyder: uma é por meio dos mitos que “nos levam de volta à história de como sempre estivemos certos” - e é por isso que os mitos são sempre nacionais, para não dizer nacionalistas. Outra forma de lembrar é a história, que permite que você “pegue o que lembra, acrescente-o a outras perspectivas críticas e reconheça sua responsabilidade” como um império em ruínas.

Concordo com Snyder que a Europa deve ser mais do que seus mitos; concordo também que a história é importante, até mesmo necessária. Mas acrescento que isso não é suficiente. Para ser mais do que seus mitos, a Europa terá de insistir na realidade dos ideais. Pois, de fato, a história não é o oposto dos mitos. A razão é - se ela puder levar a sério a autoridade de seus próprios ideais. E a autoridade da história, também do tipo que nos faz reconhecer nossa responsabilidade pelo passado, às vezes pode servir para minar nossos ideais.

Eis outra maneira de colocar a questão: a história deve ser respeitada por causa de nosso compromisso com os ideais. Mas se os próprios ideais são respeitados por causa de nosso compromisso com a história, então esse compromisso ameaça transformar nossos ideais em mitos - mitos nacionais. Essa ameaça agora confronta a Europa. Ela confronta a política europeia e confronta a vida intelectual europeia, pois a direita populista está em ascensão, abusando da responsabilidade histórica. Esse desafio deve ser enfrentado agora. Não negando a autoridade da história, mas protegendo-a - protegendo-a ao insistir na realidade dos ideais.

É sobre isso que vou falar, mas terei de começar pelo início.

Quando os Estados Unidos romperam seus laços com a Europa e afirmaram sua independência da soberania europeia, fizeram isso invocando a autoridade da verdade, não da história: 'Consideramos estas verdades evidentes por si mesmas, que todos os homens são criados iguais, que foram dotados por seu criador de certos direitos inalienáveis, que entre eles estão a vida, a liberdade e a busca da felicidade'.

Podemos nos apoiar na autoridade dessas verdades evidentes, afirmadas pela Declaração de Independência Americana, hoje? Parece-me que muitas pessoas, desde os chamados críticos pós-coloniais até os teóricos liberais centristas, de fato tendem a rejeitar essa proposição.

Em um extremo do espectro, as pessoas reclamam que os pais fundadores eram, eles próprios, escravagistas. Que a afirmação “todos os homens são criados iguais” significa literalmente homens, e exclusivamente homens brancos. Ou seja, que o universalismo do Iluminismo expresso nessa famosa frase é, na melhor das hipóteses, uma máscara que permite que os homens europeus discriminem, ao mesmo tempo em que se congratulam por se apegarem aos ideais universalistas. Na pior das hipóteses, esses ideais são, de fato, a ideologia que leva os europeus a discriminar, exterminar e escravizar.

O argumento é o seguinte: a tradição cosmopolita, que faz do homem, ou da humanidade, a medida de todas as coisas - a origem do valor - é indistinguível da tradição que faz do homem “o mestre e possuidor da natureza”. E, sendo assim, a tradição cosmopolita, que começa com a teoria da dignidade da humanidade, acaba, na prática, como a história que transformou os europeus em colonizadores de continentes, abusadores da natureza (agora causando a morte da natureza) e proprietários de outros seres humanos como escravos. A Declaração de Independência não afirma uma verdade evidente, mas um mito, pois é a história que nos vende a ilusão nacional de que “sempre tivemos razão”.

Na outra ponta do espectro, entre os pensadores liberais do centro político, as pessoas muitas vezes fingem balançar a cabeça diante da negação do universalismo do Iluminismo europeu. Mas, na verdade, o pensamento liberal do pós-guerra consiste em uma negação muito semelhante. Quando John Rawls, o pai do liberalismo americano, diz que a justiça é “política, não metafísica”, ele quer dizer exatamente isso: verdades evidentes como as afirmadas na Declaração de Independência não podem ter autoridade nas sociedades democráticas modernas.

“A verdade sobre uma ordem metafísica e moral independente”, argumenta Rawls, não pode ‘fornecer a base para uma concepção política de justiça em uma sociedade democrática’. Essa é uma rejeição dramática da Declaração de Independência: suas verdades evidentes precisam ser tratadas como religião: toleradas, respeitadas como a fé privada das pessoas, mas não reconhecidas como o fundamento da lei. Portanto, não é apenas a esquerda pós-colonial ou identitária que rejeita o ideal universalista do Iluminismo europeu; de fato, há um amplo consenso sobre essa rejeição entre a esquerda e o centro liberal. O fato de ele ser rejeitado pela crescente direita populista identitária não requer muitos argumentos.

Fui deliberadamente às questões importadas da América de 1776 porque é mais fácil fingir que elas estão distantes. Mas agora eu gostaria de trazê-las de volta ao coração da realidade europeia contemporânea. Enquanto os americanos nunca deram às verdades evidentes afirmadas na Declaração de Independência qualquer significado legal - nunca as integraram à constituição - a Europa do pós-guerra deu esse passo, e o fez com esta declaração: “A dignidade humana é inviolável”.

Essa é, obviamente, a frase de abertura da Lei Básica (Grundgesetz, Constituição) da Alemanha, mas é mais do que isso. Exatamente a mesma frase é também o primeiro artigo da Carta dos Direitos Fundamentais da União Europeia. E o ideal da dignidade humana também é a âncora da Declaração Universal dos Direitos Humanos da ONU, o modelo para várias constituições europeias do pós-guerra. (Mas não a austríaca! Não para Hans Kelsen. Mas, se você me perguntar, nunca é tarde demais). A afirmação de que a dignidade humana é “inviolável”, como a origem do direito, postula um ideal de universalismo iluminista que, para nossos propósitos, é idêntico às verdades evidentes da Declaração de Independência. Ele afirma que a dignidade humana é inalienável e que a autoridade da lei é relativa a ela. Isso coloca a tradição universalista ou cosmopolita muito mais próxima de uma democracia radical e abolicionista do que é comumente reconhecido, mas deixarei esse fato de lado e, em vez disso, farei duas perguntas:

Primeiro, esse princípio, que expressa o ideal do universalismo iluminista, é de fato uma expressão do racismo e do colonialismo da Europa? Devemos defender e reencenar o ideal da dignidade humana como resposta aos crimes monumentais cometidos pela Europa no passado durante o período do Império - desde os crimes do Holocausto até os do colonialismo? Ou esse humanismo é, de fato, a causa desses crimes? A Grundgesetz alemã, assim como a Carta Europeia de Direitos Fundamentais e a Declaração Universal dos Direitos Humanos das Nações Unidas, deve ser “descolonizada”?

Em segundo lugar, se de fato defendemos o princípio, será que os pensadores liberais europeus o defendem genuinamente - e com genuinamente quero dizer: mesmo quando esse princípio desafia seus interesses, sua identidade, seus compromissos mais íntimos? Ou será que o desejo de fundamentar nosso compromisso com a dignidade humana na responsabilidade histórica também marca os limites desse ideal, ameaçando, assim, transformá-lo em um mito?

Quero tratar dessa questão com calma.

Consideremos esta frase outra vez: A dignidade humana é inviolável. À primeira vista, ela parece menos um mito do que uma falsidade direta. A dignidade humana é violável e está sendo violada neste exato momento. Mas se não for uma proposição falsa, o que pode fazer com que pareça uma é também o que a torna tão poética, até mesmo profética. Uma das grandes inovações dos profetas hebreus bíblicos foi estilística (parece que estou me desviando, mas não estou): eles costumavam declarar o contrafactual, até mesmo o impossível, como sendo realmente verdadeiro.

Essa inovação estilística tinha tudo a ver com sua descoberta humanística. Uma proposição que afirma descritivamente algo que, na melhor das hipóteses, parece prescritivo (“a dignidade humana é inviolável”), não como um imperativo, mas como uma verdade, é estritamente falsa ou está tentando descrever uma realidade superior. Quando se entende isso, entende-se algo muito profundo nos profetas hebreus, em Platão e em Kant, que dá à frase lacônica “A dignidade humana é inviolável” a estética do sublime. O ser que é capaz de fazer essa declaração - e experimentar o sentimento que seu gesto poético cria - tem dignidade e impõe respeito.

Você pode pensar que o que às vezes chamamos de realidade - aquela em que compramos leite no supermercado, em que famílias judias são massacradas e queimadas na fronteira de Gaza, em que toda uma população palestina está passando fome e sendo bombardeada - essa realidade torna esse ideal um mito e sua poética um kitsch populista. A decisão sobre qual é o ideal depende de nós.

Agora podemos nos perguntar: se o ideal da dignidade humana é válido, o que o torna válido? Não abordarei essa questão aqui, mas, em vez disso, perguntarei o que não pode torná-lo válido. Se a ideia de que a dignidade humana é inviolável está fundamentada na decisão dos europeus, alemães, italianos e austríacos de viver de acordo com esse princípio, então isso explica precisamente por que a dignidade humana é de fato violável. Uma reivindicação incondicional não pode depender da decisão de ninguém: é muito bom que, digamos, o povo alemão tenha decidido tratar a dignidade humana como inviolável, mas sabemos que eles também podem decidir o contrário.

Essa constatação nos leva a um ponto importante: o fato de que o princípio da dignidade humana inviolável não pode depender da soberania nacional, da decisão ou da vontade de um povo. Pelo contrário: a dignidade humana marca o limite da soberania nacional. Esse ponto é importante porque mostra a continuidade entre o discurso abstrato da dignidade e duas tendências européias muito concretas.

A primeira delas é que os Estados autolimitem sua soberania por meio de suas próprias prerrogativas - entrando em constelações federativas, por exemplo, ou submetendo-se ao direito internacional ou a tribunais internacionais e europeus. Em consonância com seu reconhecimento da dignidade humana, a Europa passou do direito nacional para o internacional e para o cosmopolita, ou seja, de uma forma de direito baseada na soberania nacional última dos Estados para uma forma de direito que a respeita e a questiona.

A segunda tendência é para o patriotismo constitucional, com o qual me refiro aqui a uma ideia muito ampla: o reconhecimento de que pertencer a uma nação soberana não requer nem o sangue certo nem a língua, a história ou a cultura certas: você pertence ao povo alemão, austríaco ou italiano em virtude de ter cidadania alemã, austríaca ou italiana.

Quando, em 2019, Timothy Snyder esteve aqui e conclamou a Europa a ser mais do que seus mitos, ele advertiu os europeus de que “seus pequenos e implausíveis mitos nacionais” permitiam que vocês “não vissem” o que era tão singular na Europa, ou seja, “que a União Europeia é a única resposta bem-sucedida à pergunta mais importante da história do mundo moderno”. Essa pergunta é: “O que fazer depois do império? O que fazer com o império?

Segundo Snyder, há duas respostas ruins: criar estados-nação ou ter mais império. A União Europeia é a única resposta nova, frutífera e produtiva para essa pergunta. Repito isso, porque respeitar a dignidade humana por meio do controle da soberania nacional e substituir a nação por um forte conceito de cidadania são os dois ingredientes essenciais e inovadores da resposta da Europa a essa questão monumental.

Essa resposta substituiu o apego hobbesiano-schmitteano a um Leviatã soberano como resposta à “guerra de todos contra todos” e afirmou que a dignidade, e não o medo, deve ser o fundamento da política humana. Para proteger a dignidade por meio do Estado de Direito, a soberania precisa ser questionada, criticada e até mesmo desconstruída - e não afirmada por meio de Leviatãs nacionais soberanos. Quando Hobbes falou do Leviatã, aquele símbolo de um poderoso monstro mítico, ele sabia por quê: porque a soberania exige a idolatria do mito. A herança mais importante do pensamento judaico neste continente, o monoteísmo ético, sempre esteve ligado à crítica do mito e de sua idolatria: vale a pena lembrar essa tradição que vivia na Europa antes da guerra, antes do desmoronamento de seu império, e que trabalhou contra o mito da soberania em Hermann Cohen, Ernst Cassirer, Martin Buber e Hannah Arendt.

Mas observe: enquanto aqui se encontra a expressão essencial da resposta bem-sucedida da Europa ao seu passado - a “questão mais importante do mundo moderno” -, ou seja, a substituição dos Leviatãs míticos nacionais, os pensadores europeus, na verdade, adotaram exatamente o oposto desses princípios na medida em que a Europa estava olhando para fora: para as vítimas de seu império.

Se o império europeu em ruínas acabou aprendendo a questionar a soberania, a ideia também era que, para as nações colonizadas, a soberania era o veículo da libertação. Da mesma forma, após o Holocausto e o extermínio sistemático dos judeus europeus, a ideia era que os judeus precisavam se defender e restaurar sua dignidade, como nação, por meio da soberania nacional - por meio da criação de um Estado judeu.

E devemos ser claros: nesse momento da história, eles não estavam errados.

Quando aplicada às vítimas da Europa, a resposta da Europa pode parecer a bagagem intelectual do império ou os restos de uma ideologia colonialista que pede para continuar se impondo mesmo após o fim do império. A resposta bem-sucedida da Europa ao passado do império se aplica às vítimas do passado do império?

E aqui está outra pergunta: a resposta da Europa ao seu passado pode sobreviver se contradizermos essa resposta no que diz respeito às suas vítimas? Se reconhecermos que os outros têm o direito de violar a dignidade humana, também reconheceremos nosso dever de respeitar o direito deles de fazer isso. A dignidade humana é, então, importante para nós, mas não inviolável. Esse é o ponto crucial; uma vez que você reconhece isso, externamente, você também reconhece algo internamente - você simplesmente não pode reivindicar a dignidade humana como inviolável dentro do continente também. Para oferecer uma variação do argumento de Snyder: essa é a pergunta mais importante sobre a resposta dada à pergunta mais importante da história moderna.

Para os pensadores pós-coloniais, limitar as nações libertadas por meio da ideia cosmopolita de humanidade parece uma forma de neocolonialismo: impor as respostas da Europa às suas vítimas, impedindo sua emancipação. Quando se trata do Holocausto, a objeção é exatamente a mesma. Experimente sugerir que uma constituição israelense deveria começar não com a soberania do povo judeu, mas com um compromisso com a dignidade humana: você será acusado de antissemitismo por sugerir o uso de ideais cosmopolitas europeus para questionar a soberania judaica e o estado democrático e judeu - convidando a acusações de antissemitismo.

Para um lado, portanto, a política universalista parece racismo ou colonialismo; para o outro, parece antissemitismo. E como todos os lados aqui veem a soberania como a condição de soma zero de sua própria existência, essas doutrinas agora não estão apenas em conflito, mas em rota de colisão: não é porque os lados são tão diferentes um do outro que a situação é tão violenta e o debate tão acalorado, mas porque são tão semelhantes.

Para muitos da esquerda, certamente da esquerda pós-colonial, o povo palestino é a personificação definitiva da luta contra o colonialismo europeu. Quem quer que questione seu direito à resistência armada, por exemplo, ao condenar o ataque do Hamas a civis, “relativiza” ou “contextualiza” o colonialismo. Que direito os europeus têm, segundo o argumento, de criticar o uso da força por aqueles que não são protegidos por lei?

Por outro lado, na Alemanha, mas não apenas na Alemanha, vemos a mesma ideia, embora oposta: que os judeus, representados pelo Estado de Israel, personificam o sofrimento humano e o direito à autodefesa. Quem quer que exija que o país assine uma constituição liberal-democrática neutra - afirmando um Estado para todos os cidadãos - e seja responsável perante a lei internacional, de fato relativiza o direito dos judeus à autodefesa. Enquanto a resposta da Europa ao seu império em ruínas foi desconstruir a soberania afirmando a dignidade como seu limite, a resposta de suas vítimas foi afirmar a soberania nacional como inviolável. Cada lado finge encarnar algo definitivo, absoluto, que relativiza a dignidade humana daqueles que pertencem ao outro grupo.

Isso ficou claro nas respostas dos círculos intelectuais de esquerda ao massacre sistemático e sádico de famílias inteiras, estupros e queimadas pelo Hamas. Não há como ignorar isso: a tendência nos campi universitários variava da alegria com esse ato à tolerância - ou, pelo menos, à insistência de que os palestinos tinham o direito de “resistência armada” em relação a seus “colonizadores”. Se você argumentasse que isso estava, na melhor das hipóteses, desculpando o antissemitismo genocida e, na pior, apoiando-o, a resposta comum era que o Hamas não é uma organização antissemita, porque o ataque tinha como alvo os israelenses, e não os judeus como tais. Mas a carta do Hamas de 1988 afirma claramente: “O Dia do Juízo não acontecerá até que os muçulmanos matem os judeus, e quando o judeu se esconder atrás de pedras e árvores, as pedras e árvores dirão: 'Ó muçulmanos, há um judeu atrás de mim, venham e matem-no'.

Costumava haver uma tendência a ignorar essa cláusula ou afirmar que o Hamas havia desistido dela. Mas é muito plausível que essa frase exata sobre o Dia do Juízo Final estivesse presente na mente daqueles que realizaram o massacre. Em 7 de outubro, muitos deles pareciam ter pensado exatamente isso: que o Dia do Juízo Final havia chegado. A tolerância a isso é generalizada, e é importante dizer que essa tolerância decorre exatamente da ideia da soberania do colonizado. As mesmas pessoas - estudantes, professores - que desculparam o massacre agora cantam “do rio ao mar, a Palestina será livre”. Não se engane: eles não querem dizer “democrática para todos”, mas “livre dos judeus” - ou, para ser mais preciso, eles suspendem o julgamento para evitar a suposição supostamente neocolonialista de que têm o direito de decidir pelos palestinos.

A soberania nacional é tratada como o veículo inviolável da libertação. Como disse Yanis Varoufakis: “Perguntaram-me se eu condenava o Hamas e eu disse que não. Mas eu condeno toda violência contra civis. Também não condeno os colonos israelenses. Também não condeno Benjamin Netanyahu. Eu condeno a nós, europeus”. Se você me perguntar, essa não é uma maneira de assumir a responsabilidade histórica como europeu, mas de se esconder atrás dela e ridicularizá-la.

O outro extremo do espectro opera exatamente com a mesma lógica. Isso é mais visível na falsa tendência de um certo centro liberal europeu de tratar o Holocausto como um significante “universal”. Como disse um autor, a comemoração do Holocausto tornou-se uma memória “universal” ou “cosmopolita”. Nessa visão, o evento é um símbolo, não de um horror específico do passado, mas de qualquer violação sistemática dos direitos humanos. Da mesma forma, o Holocausto não é mais propriedade exclusiva dos grupos nacionais diretamente envolvidos no evento histórico - judeus, por um lado, alemães e europeus de forma mais ampla, por outro; em vez disso, a comemoração do Holocausto desempenha um papel crucial no reforço do direito internacional e dos direitos humanos, tornando-se “um símbolo potencial de solidariedade global”.

À primeira vista, isso pode parecer uma tese amigável sobre a memória ou a história como um apelo a compromissos universais. Em uma inspeção mais minuciosa, deve ficar claro que ela deu ao universalismo um nome ruim, apresentando o universalismo ou a memória como um projeto colonial. A forma como o Holocausto é comemorado está a serviço de projetos nacionais específicos. Esse símbolo “universal”, portanto, exclui da “solidariedade global” aqueles para quem esse símbolo é tudo menos acessível. Como a comemoração do Holocausto tem sido interpretada como argumento para a soberania nacional dos judeus, ela não promove os direitos humanos internacionais, especialmente para aqueles cujos direitos humanos podem parecer um obstáculo.

Um dos exemplos mais significativos dessa tendência é a atitude do governo alemão em relação ao Tribunal Penal Internacional de Haia (ICC). A instituição do direito internacional e dos tribunais internacionais autorizados a julgar crimes de guerra desenvolveu-se no contexto imediato dos crimes nazistas. Esse é um forte motivo para que a Alemanha, assumindo sua responsabilidade histórica, seja um dos principais patrocinadores do TPI. No passado, o Ministério das Relações Exteriores da Alemanha fez de tudo para defender o TPI contra a interferência do governo Trump, declarando que “qualquer tentativa de minar a independência do tribunal não deve ser tolerada”.

Mas quando o promotor em Haia iniciou uma investigação inicial sobre crimes de guerra supostamente cometidos por Israel nos Territórios Ocupados, a Alemanha argumentou que o tribunal não tinha jurisdição. Israel, argumentou, não faz parte do Estatuto de Roma, que regulamenta o mandato do tribunal, e a Palestina não é reconhecida como um Estado. Quando os juízes do TPI rejeitaram essa opinião - e por um bom motivo: A Palestina, segundo eles, foi reconhecida como um “Estado Parceiro” do Estatuto de Roma, independentemente de ser ou não um Estado, o que significa que o tribunal tem jurisdição - um porta-voz do Ministério das Relações Exteriores da Alemanha declarou que “nossa posição nesse caso permanece inalterada. De acordo com nossa posição legal, o Tribunal Penal Internacional e seu Gabinete do Procurador não têm jurisdição”. O Ministro das Relações Exteriores da Alemanha repetiu a mesma declaração.

Para entender a gravidade dessas declarações, é necessário deixar de lado a questão da jurisdição do tribunal. Trata-se da autoridade do tribunal, que reconhecer significa considerar a decisão do tribunal como suficiente para mudar a posição legal da Alemanha - limitando assim sua soberania. A alegação do governo alemão de que a Corte não tinha jurisdição nos territórios palestinos, apesar da decisão dos juízes de que ela tem, negou não apenas a jurisdição da Corte. Ela também negou sua autonomia e autoridade.

Esse é um bom exemplo da poderosa influência da doutrina conhecida, embora não oficial, da Staatsräson (razão de Estado) - que só pode ser não oficial, pois, se não fosse, entraria em conflito com a constituição. É assim que parece quando o compromisso com a resposta da Europa ao seu passado, se fundamentado na história, encontra seu limite e se torna não apenas não universal, mas antiuniversal. Com seu discurso sobre a Staatsräson, a Alemanha afirma sua própria soberania para se opor à autonomia do tribunal, a fim de proteger a soberania judaica da autoridade do tribunal. Como a Alemanha é a principal patrocinadora da Corte, isso constitui uma séria ameaça a essa instituição.

Isso foi há quatro anos. Agora podemos ver os efeitos desse questionamento do poder da lei internacional. Será que o TPI tem autoridade no território, já que Gaza está arrasada e faminta, e os ministros israelenses falam em entrar em Rafah, já que “não faremos metade do trabalho, mas exigiremos aniquilação total”? Se quiserem saber, é uma pena que Varoufakis, como europeu, não condene tal declaração.

Esta, então, é a questão: A Europa deve pensar na resposta que deu à questão mais importante da história moderna apenas como sua própria resposta? Como uma resposta que pode ser boa aqui, mas que em outros lugares não é apenas errada, mas também ilegítima? Ou isso já é trair a resposta da Europa - escrevendo a primeira frase na história da decadência dessa resposta, também dentro da Europa, e entregando o argumento aos inimigos da Europa?

Considere a oposição a esse discurso, aqui na Judenplatz. É ilegítima a ideia de que salvar Israel e a Palestina de uma distopia ainda pior exige que imaginemos uma transição da região na direção de uma constelação europeia, seguindo os mesmos padrões daquela grande resposta europeia, com nações sub-soberanas se unindo a uma constituição comum (con)federativa para toda a região? Essa ideia federativa, que exige levar a sério a advertência de Immanuel Kant de que as negociações e os acordos de paz não devem se tornar mentiras - mentiras que levam a guerras de soma zero que minam a própria possibilidade de paz -, é ilegítima?

Se a resposta europeia for deslegitimada dessa forma, como isso se reflete na Europa? Como a permissão da lógica desumanizadora da guerra total em Israel e na Palestina afeta os próprios cidadãos judeus e muçulmanos da Europa? Será que isso não entrega o argumento à direita nacionalista populista, que está em ascensão ao nosso redor, afirmando a soberania nacional, questionando o direito internacional e reivindicando uma cidadania baseada na afiliação étnica?

Este, portanto, seria meu apelo à Europa: insista na realidade de seus ideais. Eles são ainda mais importantes devido à responsabilidade histórica, mas, em última análise, como ideais cosmopolitas, não podem ser entendidos como dependentes ou limitados pela responsabilidade histórica. Neste momento sombrio e difícil em que a política e o pensamento chegaram, devemos rejeitar a tendência de todos os lados de minar os ideais da Europa por meio de uma maneira muito irresponsável de entender a responsabilidade histórica. Essa é a única maneira de manter os compromissos históricos da Europa e de evitar que esses compromissos se tornem formas nacionais de pensamento mítico.

Notas

1 - A Israelitische Kultusgemeinde (Comunidade Judaica) de Viena fez campanha para que o discurso de Omri Boehm fosse cancelado. O ex-líder da Kultusgemeinde e presidente interino do Congresso Judaico Europeu, Ariel Muzicant, afirmou que, se fosse “30 anos mais jovem”, teria ido à palestra para “jogar ovos em Boehm”. Isso poderia ter sido interpretado como um convite para que outros agissem. Mesmo assim, a palestra foi realizada sob proteção policial e apesar da interrupção dos manifestantes - Ed.

2  - Nesse momento, um manifestante com cartaz de protesto gritou: “A Lei Básica de Israel tem o princípio da dignidade humana consagrado nela!” Fiquei muito feliz ao ouvir isso, principalmente porque provou que alguns dos manifestantes, ou pelo menos um, estavam ouvindo. Não pude interromper a palestra para responder. De fato, a Lei Básica de Israel prova o ponto, pois ela subordina explicitamente a dignidade humana à defesa do Estado - impedindo, assim, a interpretação da lei como exigindo que o Estado seja “o Estado de todos os seus cidadãos”. Pelas mesmas razões, a lei também se abstém de nomear a igualdade como necessária para a dignidade. Imagine uma constituição israelense que começasse com a dignidade humana, em vez de submetê-la à soberania judaica!


 Manifestantes contra o universalismo, considerado antissemita, na Praça dos Judeus, durante o discurso. Fotos Gabi Hift