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04/06/2025

AMIR GOLDSTEIN
L’“Alliance des voyous”, L’aile fasciste du sionisme qui a adopté le salut nazi

Alors même que les Juifs cherchaient à fuir l’Allemagne, une faction extrémiste de la droite sioniste louait la montée des nazis et voyait en Ze’ev Jabotinsky le “Duce hébreu”

Amir Goldstein, Haaretz 23/52025

Amir Goldstein (1969) est historien au Tel Hai Academic College. L’article se fonde en partie sur les recherches de ceux qui ont jeté les bases de l’étude du sionisme révisionniste : Joseph Heller, Yechiam Weitz, Arye Naor, Eran Kaplan, Colin Shindler et Yaacov Shavit.

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Abba Ahiméir, fondateur et chef du groupe de jeunes juifs rebelles antibritanniques connu sous le nom de “Brit Ha’birionim” [Alliance des voyous]. Photo Ze’ev Aleksandrowicz / Institut Jabotinsky

La plate-forme la plus importante sur laquelle repose l’aile politique de la droite sioniste a été mise en place il y a 100 ans. Le 25 avril 1925, Ze’ev Jabotinsky et un groupe de Juifs d’origine russe qui épousaient des vues proches des siennes se sont réunis à Paris et ont déclaré la fondation d’un nouveau parti sioniste, connu sous le nom d’Alliance sioniste révisionniste.

Comme beaucoup d’autres mouvements politiques, Tzohar (son acronyme hébreu) était plus diversifié qu’on ne le pense généralement, tant sur le plan idéologique que sociologique. Dès la fin des années 1920 et le début des années 1930, alors que sa force ne cessait de croître, le parti a été déchiré par une lutte sur son caractère.

Un groupe, relativement modéré, considérait le révisionnisme comme un parti politique qui devait opérer au sein de l’Organisation sioniste (comme l’Organisation sioniste mondiale s’appelait alors) et s’efforcer d’unir autour de lui des groupes issus du centre politique sioniste au sens large. Selon cette approche, une activité organisationnelle systématique et l’appui sur la position éminente de Ze’ev Jabotinsky pouvaient faire du révisionnisme un élément dominant dans les rangs sionistes.

Jabotinsky lui-même adopte une approche différente. Comme les modérés, il cherche à diriger une forme de sionisme politiquement activiste, s’appuyant sur le soutien de l’Empire britannique et cherchant à fusionner un élan national résolu avec le libéralisme. Toutefois, à la différence des modérés, il s’oppose au maintien de l’Alliance au sein de l’organisation sioniste. Pour Jabotinsky, le révisionnisme est une espèce sioniste singulière et, en tant que telle, sa vocation est d’agir comme un mouvement indépendant.

Tzohar réalise une performance impressionnante au Congrès sioniste de 1931, en triplant son soutien et en obtenant plus de 20 % des délégués. Jabotinsky, cependant, n’est pas satisfait de ce résultat et est déterminé à précipiter une crise qui l’aiderait à rompre avec l’Organisation sioniste.


Ze’ev Jabotinsky. Il cherche à diriger une forme de sionisme qui s’appuie sur le soutien de l’Empire britannique. Photo : Roger-Viollet / Léopold Mercier / AFP

Il formule un projet de résolution déclarant que l’objectif du sionisme est l’établissement d’un État juif, et lorsque ce projet est rejeté, il déchire sa carte de délégué et se prépare à déclarer l’établissement d’une fédération sioniste séparée. À son grand dam, même après cet acte démonstratif, la majorité des délégués révisionnistes continue de rejeter l’idée de quitter l’Organisation sioniste.

Un troisième groupe de Tzohar, une faction maximaliste totalement opposée à la ligne modérée, a vu le jour dans les rangs de la droite en Palestine mandataire à la fin des années 1920. Ses fondateurs et dirigeants, qui étaient passés à droite du mouvement travailliste, ne voyaient pas l’intérêt pour le révisionnisme de fonctionner comme un parti d’opposition et soutenaient l’aspiration de Jabotinsky à diriger l’Organisation sioniste.

Dans le même temps, les membres les plus virulents s’opposent à Jabotinsky dans deux contextes liés : ils insistent pour que la Grande-Bretagne soit considérée comme un occupant étranger dans le pays et demandent qu’une révolte soit lancée contre les autorités du Mandat.

Ils s’opposent également à l’engagement manifeste du leader du Tzohar de contrebalancer son propre caractère national agressif par une approche libérale et humaniste. Le fascisme a envoûté ces cercles. Il leur a montré comment une force politique pouvait prendre de l’ampleur, entraîner les masses dans son sillage, prendre le contrôle des institutions d’un État, développer un régime autoritaire et vaincre les partis ouvriers.

Abba Ahiméir est l’une des personnalités du Yichouv - la communauté juive d’avant 1948 en Palestine mandataire - qui a franchi la ligne de démarcation entre la gauche et la droite. Sa répulsion à l’égard de la démocratie était déjà apparente au moment où il est passé des travaillistes au révisionnisme. Pour lui, le parlement jacassant est obsolète, tout comme le libéralisme et les droits humains, qu’il qualifie d’“indulgences”.

Ahiméir exprime explicitement son désir d’un régime tyrannique - une « dictature nationale » - et entreprend de manière démonstrative et avec détermination d’instiller le principe d’une direction fasciste dans le mouvement. Qualifiant Jabotinsky de “Duce” et de “notre Duce”, il tente dans l’un de ses articles de l’encourager, bien que son parti ne constitue qu’une minorité au sein du mouvement sioniste.

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff.

« L’esprit du Duce ne doit pas faiblir » , écrit Ahiméir, même si « seule une poignée s’est rassemblée sous sa bannière . C’est ainsi que va le monde, la minorité doit gouverner la majorité. Elle régnera vraiment, par la force des armes ou par la force de sa foi » Il exhorte le “Duce hébraïque” à « organiser ici les quelques personnes capables de se conformer à sa discipline » et appelle à la formation d’une force efficace, baptisée « Garde nationale ».

Le groupe maximaliste est une force montante qui attire un nombre croissant de membres de la jeune génération de droite. En 1930, il bénéficie du soutien de la majorité des révisionnistes de la Palestine mandataire. Un an plus tard, ses dirigeants fondent Brit Ha’birionim (Association des Voyous), une organisation indépendante qui n’est pas subordonnée au Parti révisionniste, plus modéré. Par la suite, ils publient un journal qui exprime leurs opinions anti-establishment, nommé Ha’am, qui évolue en Hazit Ha’am (Front national).

À ce stade, d’une part, une alliance existe entre Jabotinsky et les radicaux de son mouvement, basée sur leur désir commun de provoquer le départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste, tandis que d’autre part, les différences conceptuelles entre eux remontent à la surface. La question de l’attitude à l’égard de la Grande-Bretagne n’est pas encore au cœur de l’affrontement. La principale controverse portait en fait sur l’influence du fascisme : la droite sioniste serait-elle nationale-libérale ou nationale-intégriste, c’est-à-dire fasciste ?

En avril 1932, lors de la conférence de Tzohar à Tel Aviv, Ahiméir déclare que c’est un désastre que le sionisme « ait été éduqué et développé en accord avec le point de vue libéral ». La demande d’extraire le révisionnisme du « marécage libéral » - aujourd’hui, le terme serait « progressiste » - s’intensifie à l’approche du congrès mondial du mouvement, à l’été de cette année-là. Un certain nombre de délégués souhaitaient que l’accent soit mis sur les aspects fascistes de la droite sioniste. L’un d’entre eux, Leone Carpi, a fait un salut fasciste en entrant dans la salle, ce qui a suscité une réaction similaire de la part de certains délégués. Au cours de son discours, qui portait sur les « affinités entre le fascisme et le révisionnisme », il s’est écrié : « Messieurs, nous avons un leader qui a tout ce qu’il faut pour devenir un dictateur ».

Au congrès, Jabotinsky tente de se frayer un chemin entre les modérés et les maximalistes. Cependant, l’ambiance radicale qui règne ne lui laisse pas d’autre choix que d’émettre un message ferme : « Dans le monde d’aujourd’hui, en particulier parmi la jeune génération, le rêve d’un dictateur est devenu une épidémie. Je saisis cette occasion pour réaffirmer que je suis un ennemi implacable de ce rêve ». Il ajoute : « Je ne travaillerai jamais avec des gens qui sont prêts à subordonner leur opinion à la mienne... Je tiens absolument à la structure démocratique de notre mouvement. »

Le leader de Tzohar a pris note de la force croissante des cercles radicaux en Europe et de leur succès à attirer une partie de la jeune génération. Il souligne qu’il « méprise l’hitlérisme sous toutes ses formes ». Cependant, une demi-année plus tard, lorsque les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne, le conflit interne au sein de son mouvement s’est aggravé : les idées explicitement anti-démocratiques du maximalisme révisionniste ont désormais une nouvelle source d’inspiration.

Adolf Hitler, qui avait réussi à transformer un parti d’opposition marginal en une force montante, constituait un nouvel exemple de leadership dynamique et déterminé qui n’hésitait pas à recourir à tous les moyens et qui, par conséquent, réussissait, selon les termes de Yehoshua Heschel Yeivin, membre influent de Tzohar, à construire la « formidable nouvelle Allemagne ».

À ce stade, en 1932, l’antisémitisme nazi n’était pas perçu par Ahiméir et ses associés comme une raison suffisante pour déplorer le nazisme en tant que phénomène général. Le journal du mouvement, Hazit Ha’am, cite l’avocat Zvi Eliahu Cohen, un maximaliste : « S’il n’y avait pas l’antisémitisme d’Hitler, nous n’aurions pas d’objection à sa doctrine. Hitler a sauvé l’Allemagne ». Dans un autre article, publié quelques semaines après l’accession d’Hitler au pouvoir, le journal écrit : « Les sociaux-démocrates de tous bords pensent que le mouvement hitlérien est une coquille vide. Et nous pensons qu’il y a une coquille mais qu’il y a aussi quelque chose à l’intérieur. Il faut se débarrasser de la coquille antisémite, mais pas de l’intérieur antimarxiste ».

À l’arrière-plan, on trouve une lutte mondiale - en tout cas européenne - entre la gauche et la droite, et une confrontation parallèle, de plus en plus dure, dans les rangs sionistes et dans le Yichouv. La violence et une lutte agressive contre le Tzohar se manifestaient également au sein du mouvement travailliste. Le zèle de chaque camp alimente celui de ses rivaux. Les dirigeants de Brit Ha’birionim, observant comment la gauche avait été vaincue en Italie et en Allemagne, espéraient que le tour du révisionnisme révolutionnaire dans le sionisme était maintenant venu pour balayer dans son sillage la rue juive des notions cosmopolites et socialistes.

Jabotinsky lui-même a donné un coup de pouce à la tendance radicale. En mars 1933, frustré par son échec prolongé à persuader les modérés de son mouvement de se retirer de l’Organisation sioniste, il décide de dissoudre les institutions du parti et de s’en faire le chef suprême. Il le fait la veille de l’adoption en Allemagne de la loi d’habilitation, par laquelle Hitler subordonne le Reichstag à son gouvernement.

Les maximalistes se réjouissent de la dissolution des institutions du mouvement révisionniste, dont les positions sont modérées. Ils espèrent que Jabotinsky a enfin décidé d’adopter le principe de direction autoritaire qui était leur idéal depuis quelques années. Ahiméir déclare qu’il s’agit d’une nouvelle étape révolutionnaire dans les annales du sionisme, une étape qui caractérise les mouvements d’orientation nationale dans lesquels les cercles radicaux triomphent après avoir choisi de rompre leurs liens avec la « congrégation du mal », c’est-à-dire les cadres démocratiques défaillants. Parmi les noms prestigieux cités par Ahiméir dans l’article où il loue la démarche radicale de Jabotinsky, on trouve Mussolini et Hitler.

Le 1er mars 1933, Ahiméir est explicite dans les remarques qu’il fait lors d’une réunion à Rosh Pina du mouvement de jeunesse révisionniste, les Escadrons de mobilisation du Betar. « Nous nous trouvons dans une vaste mer de mapaïsme [en référence au parti dominant du Yichouv, dirigé par Ben-Gourion] et nous sommes influencés par lui. La tâche primordiale de notre mouvement devrait être ja, brechen ! [ce qui signifie en yiddish « oui, rompre » et fait référence à un article bien connu de Jabotinsky datant de l’année précédente] avec la gauche et l’Organisation sioniste. Les escouades du Betar ne doivent pas être un faux-semblant, mais de véritables escouades Betari qui ressembleront à celles d’Hitler, de Mussolini ou de Lénine en termes d’empressement à accomplir leur tâche ».

À cette époque, Jabotinsky encourageait un boycott résolu d’Hitler. Il s’oppose à l’accord de transfert que l’Agence juive a signé avec les représentants du gouvernement nazi, qui permet aux Juifs fuyant l’Allemagne de transférer une partie de leurs biens en Palestine. Selon lui, le raisonnement qui sous-tend cet accord constitue une grave entorse à l’idéologie démocratique révisionniste et une position intolérable à l’égard de l’intérêt juif.

Craignant que l’approche d’Ahiméir et de son camp n’inflige des dommages irréversibles à l’image de son parti, il lance un appel « pour arrêter cette folie ». Il n’hésite pas non plus à utiliser des invectives féroces pour fustiger la tendance à adopter des éléments du nazisme, les qualifiant d’“abomination”, d’“ignorance” et d’“hystérie répugnante”. Si le langage utilisé dans Hazit Ha’am par les auteurs de Brit Ha’birionim ne change pas, il avertit qu’il exigerait leur expulsion du parti et qu’il romprait ses liens personnels avec eux.


Abba Ahiméir, menotté, amené au tribunal de Jérusalem, 1933. Il est accusé d’avoir participé à l’assassinat de Haim Arlosoroff. Photo Institut Jabotinsky

La rupture entre Jabotinsky et les maximalistes de son mouvement se produit un mois avant l’assassinat de Haim Arlosoroff, un leader sioniste socialiste du Yichouv. Apparemment, les messages tranchants ont incité Ahiméir et ses associés à affirmer leur opposition au régime nazi, qui avait également commencé à prendre des mesures initiales contre les Juifs d’Allemagne. Brit Ha’birionim a organisé un certain nombre d’actions symboliques contre le consulat allemand dans le pays et a lancé une campagne, qui a parfois glissé vers l’incitation, contre l’accord de transfert et son architecte, Haim Arlosoroff. Les invectives contre Arlosoroff se poursuivent dans les jours qui précèdent son assassinat, en juin 1933, sur le bord de mer de Tel Aviv.

Ahiméir est arrêté et accusé d’être impliqué dans le meurtre. Il est jugé, ainsi que deux membres du mouvement révisionniste, Avraham Stavsky et Zvi Rosenblatt, mais tous trois sont finalement acquittés par le tribunal britannique. Néanmoins, ce meurtre a entaché le mouvement révisionniste d’une réputation permanente de fascisme et de violence politique.

L’inquiétude de Jabotinsky, exprimée quelques semaines plus tôt, concernant les dommages éventuels causés au mouvement par les louanges de Brit Ha’birionim envers le nazisme, s’était maintenant concrétisée, mais elle venait d’une autre direction. Les messages publiés dans Hazit Ha’am ont suscité la méfiance de la gauche à l’égard des militants du groupe d’Ahiméir. La conviction des dirigeants du mouvement travailliste et de nombre de ses membres que le motif du meurtre était politique était sincère, mais on ne peut ignorer que ce point de vue résultait en partie d’un désir de régler leurs propres comptes politiques.

Le printemps et l’été 1933 sont marqués par une intense lutte publique dans le Yichouv, avant les élections des délégués au 18e  congrès sioniste, prévues pour le mois de juillet. Contrairement à l’opinion dominante, les recherches actuelles ne permettent pas d’affirmer que l’assassinat d’Arlosoroff a eu un impact considérable sur les élections. Les partis ouvriers ont récolté le fruit d’un travail intensif entrepris par le biais d’un système organisé qui était déjà en place et qui a été activé de manière opportune et intelligente au moment opportun.



Haim Arlosoroff, leader sioniste socialiste du Yichouv, est assassiné en juin 1933 sur le bord de mer de Tel Aviv.

Le mouvement révisionniste, en revanche, récolte les fruits pourris de la lutte interne qui le déchire. Sa structure organisationnelle se désagrège à la veille même de cette épreuve cruciale, du fait de la rupture que lui impose Jabotinsky en dissolvant ses institutions et en éloignant les dirigeants du courant modéré. Quant aux relations entre la droite et la gauche dans le sionisme, leur exacerbation à la suite de l’assassinat d’Arlosoroff a donné le coup de grâce au départ des révisionnistes de l’Organisation sioniste.

Comment s’est déroulée la lutte sur le caractère du mouvement révisionniste ? L’élan de l’activité d’Ahiméir est ralenti par l’hostilité qui suit son arrestation, ainsi que par sa prétention à devenir une figure politique dominante. Les accusations d’activités illégales portées contre les membres du Tzohar et le procès qui s’ensuit réduisent la tension interne dans les rangs du révisionnisme.

Jabotinsky travaille vigoureusement à la défense des accusés. Le journal de prison d’Ahiméir est rempli de gratitude et d’admiration pour le leader qu’il venait à peine de défier.

Vers la fin de l’année 1934, cependant, la lutte interne semble sur le point d’éclater à nouveau. A ce stade, au milieu de la confrontation amère et violente entre la droite et la gauche dans le Yichouv et dans le mouvement sioniste, Ben-Gourion et Jabotinsky tiennent des discussions intensives à Londres et, pendant plus d’un an, formulent une série d’accords qui visent à apporter une réconciliation interne au sein du mouvement sioniste.

Ahiméir est amèrement déçu d’apprendre que Jabotinsky tente de parvenir à un modus vivendi avec Ben-Gourion. Dans son journal, il décrit les accords entre les deux hommes comme une tentative de ce dernier de se débarrasser de la droite en lui donnant le baiser de la mort. Il critique Jabotinsky pour être tombé dans ce piège, l’attribuant à la noblesse du leader révisionniste, à sa tendance à la paix et peut-être aussi à « son désir de s’attirer des faveurs ».

En fin de compte, l’accord entre Ben-Gourion et Jabotinsky n’est pas appliqué. Des éléments éminents de la gauche, dont la conscience du danger inhérent au fascisme juif avait été renforcée par l’assassinat d’Arlosoroff, rejetèrent l’accord et en provoquèrent l’abandon. Une fois de plus, les relations entre Jabotinsky et Ahiméir s’enveniment. L’ouverture même de Jabotinsky à un rapprochement avec la gauche incite Ahiméir à envisager pour la première fois la possibilité de quitter le mouvement révisionniste et de le déborder en créant un nouveau mouvement.

Un parti semi-fasciste est-il réellement sur le point d’être créé au sein du mouvement sioniste en Terre d’Israël ? Cette possibilité peut être considérée comme une rêvasserie de l’auteur du journal, bien qu’Ahiméir soit entré dans les détails. Il propose un nom pour le nouveau mouvement qu’il va créer avec ses associés maximalistes - « Hazit Ha’am », le « Front du Peuple » - faisant écho au nom du journal qu’il avait été contraint de fermer sur l’ordre des cercles libéraux de Tzohar ; et il expose également ce qu’il propose comme programme de base du nouveau parti : il s’appuiera sur un sionisme politique qui s’efforcera d’établir un État juif dans les frontières de la « Terre d’Israël du roi David ».

Le dénouement de cette étape de la lutte entre le libéralisme et le fascisme dans la droite sioniste se produit quelques mois après la sortie de prison d’Ahiméir en août 1935. Lors d’une visite en Pologne, il reçoit un accueil ému et admiratif de la part des sections du mouvement dans ce pays. S’adressant au quatrième congrès du Betar-Pologne, qui se tient à Varsovie en juin 1936, il reproche au Tzohar d’avoir manqué une occasion historique de renouveler son élan, dans le sillage de ce qu’il appelle l’“accusation de meurtre rituel” qui a suivi l’assassinat d’Arlosoroff.

« À notre époque cruelle », déclara aux Betaris celui qui venait de passer deux années difficiles en prison, « le plus important est d’apprendre à haïr - au milieu de la pitié pour le peuple - ceux qui s’inclinent devant le Moloch rouge et les traîtres ». Jabotinsky ne tarde pas à s’opposer à cette approche. « La haine », souligne-t-il, est « le mot le plus laid que la langue humaine sache prononcer », ajoutant : "Le Betar ne sait pas haïr. Betar ne sait qu’aimer".

Si la visite d’Ahiméir en Pologne avait pour but d’examiner les perspectives de renouvellement du programme de Brit Ha’birionim, elle n’y a pas réussi. Elle peut être considérée comme la dernière corde à son arc en tant que leader politique dans la pratique. Abattu par les épreuves de son emprisonnement, Ahiméir retourna dans la Palestine mandataire et se tourna vers l’intérieur pour reconstruire sa vie, sa famille, son ego usé, et mourut en 1962, à l’âge de 65 ans. Le défi antidémocratique lancé à Jabotinsky s’est largement estompé dans les années qui ont suivi. Pendant quelques années, les opinions semi-fascistes resteront l’apanage de franges étroites de la droite. [avant de prospérer au siècle suivant, NdT]


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