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08/07/2025

LUIS E. SABINI FERNÀNDEZ
Israël, Palestine : génocide, oui ou non ? Le président uruguayen Yamandú Orsi “ne croit pas”

Luis E. Sabini Fernández, 6/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Notre pays, l’Uruguay – et en particulier la direction politique ayant forgé l’Uruguay moderne : le batllisme, la macrocéphalie montevidéenne et le gouvernement du Front large – entretient une relation historique avec Israël dans laquelle mieux vaut ne pas trop remuer la merde.



Ainsi, à mesure que le régime israélien révèle de plus en plus ses caractéristiques premières – longtemps occultées ou camouflées derrière le cauchemar nazi de la Seconde Guerre mondiale – celles-ci sont mises à nu, notamment à travers les intifadas et les invasions sanglantes de la bande de Gaza. Ces événements dévoilent une relation coloniale sanglante entre métropole et colonie, entre peuple dominant et peuple colonisé.

À mesure que se précise la réalité coloniale, avec ses vérités fondamentales – domination des terres, racisme, suprémacisme, mépris de la démocratie – le mot « Israël » devient difficile à associer aux valeurs traditionnelles de liberté, fraternité, et respect des peuples. À l’inverse, le mot « Palestine » devient presque imprononçable pour de nombreux Uruguayens, tant il est désormais amalgamé à « groupe terroriste Hamas ».

Même si cela n’était pas nécessaire, l’histoire récente témoigne de violences extrêmes : un massacre en 2000, une invasion brutale en 2005, un rejet violent des élections libres de 2006 où les Palestiniens ont voté à la fois contre l’occupant israélien et contre l’Autorité palestinienne (devenue complice d’Israël).

La réponse israélienne ? Rejeter les résultats, emprisonner des élus démocratiquement élus, tenter de maintenir l’Autorité palestinienne au pouvoir en Cisjordanie. Hamas, ayant remporté les élections à Gaza, a déjoué la tentative de coup d’État et a conservé le pouvoir. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, c’est « le retour à la normale ».

Depuis 2006, Israël a mené une opération d’étouffement, de siège, d’anéantissement : blocus total, contrôle de la nourriture, destruction d’infrastructures, contamination des sols, destruction de l’aéroport et des installations portuaires, sabotage de l’électricité et des télécommunications.

Décennie après décennie, la brutalisation s’est intensifiée. La population palestinienne a subi répression policière, bombardements, exécutions sommaires. Et elle a répondu, parfois avec violence, parfois de manière spontanée ou sous forme de guérilla.

Cette guerre asymétrique, menée par ce que l’on appelle « l’armée la plus morale du monde », a conduit à une situation extrême au XXI siècle.
Yahya Sinwar, stratège du Hamas, semble avoir anticipé ce piège mortel et, le 7 octobre 2023, a lancé une opération inédite avec des moyens rudimentaires : armes de poing, deltaplanes, vélos, motos et quelques excavatrices d'occasion.


Ainsi, le Hamas a réussi à effectuer un strip-tease psychique, politique, éthique et militaire de l’armée occupante. Au prix d’un nombre de morts extrêmement élevé, ce qui engendrera des interrogations morales insaisissables sur la responsabilité d’une telle moisson de morts.
Car la mort était bien là, omniprésente. Et les mains exécutantes parfaitement visibles. Et la volonté génocidaire des commandements sionistes est également devenue explicite.

Devant un tel tableau d’atrocités, revenons à l’Uruguay.
Que nous dit le président ? Que ce n’est pas un génocide.
Des affirmations contradictoires et toutes deux valables (ou plutôt non valables).

Par exemple, pour Yamandú Orsi, un génocide serait simplement une tuerie, une manière abjecte à mes yeux de dévaluer une politique d’extermination raciste, suprémaciste, absolutiste. Orsi affirme qu’on ne peut qualifier de génocide un événement si un autre a déjà été ainsi désigné; autrement dit, il refuse de qualifier de génocide ce qui s’est passé après le 7 octobre 2023, au motif que ce qualificatif a déjà été utilisé pour des faits antérieurs. Comme si un génocidaire ne pouvait répéter son crime.

Dans son entretien à El Observador, le président précise qu’il appartient à un parti qui a tranché sur la question (comme sur bien d’autres). Il observe que « lorsque tu assumes une fonction gouvernementale, tu représentes tout le pays ». Il introduit ainsi une membrane subtile entre position partisane et fonction présidentielle – ce qui est pertinent.
Mais il ajoute, en embrouillant : « Je peux être d’accord ou pas avec la position du Front large ou celle du Parti national. » Et conclut : « Ça n’ajoute rien. »

Ce qui ressort surtout, c’est son insistance sur l’insignifiance de son avis (peut-être est-ce là sa sagesse). Il définit correctement et brièvement le concept de génocide: « Un génocide implique lextermination pour lextermination, ne laisser absolument personne de lautre camp. » Incontestable.

Mais il enchaîne : « Je ne sais pas si tel est l’objectif. Je crois que non. Je veux penser que non. » Trois phrases atrocement liées: il n’est pas certain du mépris suprême pour la vie des Gazaouis que manifeste Israël – et la majorité de ses citoyens – depuis des décennies. Il suffit de voir le bilan des Marches du retour (2019–2020), totalement pacifiques, ou le traitement dédaigneux aux checkpoints envers les malades et les femmes enceintes, soumis à l’arbitraire de soldats se comportant en petits dieux.

« Je crois que non » : faut-il y voir une simple cécité ou une rupture brutale avec la réalité ? Et cette troisième phrase : « Je veux penser que non » n’évoque plus les faits, mais le souhait de celui qui parle. Il voudrait que [l’auteur génocidaire] ne le soit pas. Cela peut révéler la conscience morale du président, mais très peu la réalité, laquelle, elle, peut ainsi être éludée. C’est ce que fait, sans honte, le gouvernement uruguayen actuel, pourtant présenté comme de gauche, honnête, épris de justice.

Le président se croit solidaire en promouvant un projet de la FAO avec « des gens du Danemark » pour les jeunes Palestiniens. À qui l’ONU enseignera l’agriculture… que les Gazaouis pratiquent depuis des temps immémoriaux. Ce qui manque aux jeunes Gazaouis, ce n’est pas la connaissance, mais la terre et la liberté. Et ce qui manque à l’ONU/FAO, c’est la honte.

Si le président Orsi montre une telle faiblesse argumentative, que peut-on attendre de la chancellerie uruguayenne, responsable directe de cette question? De la pitié.

La vice-ministre des Affaires étrangères, Valeria Csukasi – celle qui doit s’exprimer – nous explique, presque nous gronde, lorsqu’on lui demande pourquoi l’Uruguay n’utilise pas le terme de génocide à propos de Gaza :
« Je ne crois pas que ce soit une question d’utiliser ou pas ce mot. C’est quelque chose que nous surveillons en permanence à la chancellerie. Les termes en droit international ont une signification et une terminologie très précises ; nous ne les utilisons pas comme synonymes ou à notre guise, selon qu’ils nous plaisent ou non. Dans le cas du génocide, surtout en référence à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, il y a une configuration précise de situations requises, visant l’élimination totale et intentionnelle d’un type de population, soit en raison de son origine ethnique, soit de son emplacement géographique […]. »

Et elle ajoute : « Certains estiment que ces conditions sont déjà réunies, car certains acteurs israéliens ont exprimé la volonté de faire disparaître le peuple palestinien. Tandis que d’autres – parmi lesquels se trouve encore l’Uruguay – estiment que le gouvernement israélien n’a pas encore démontré cette intention. »

Il n’a pas encore démontré l’intention ! Mais que faut-il donc de plus pour la « configurer » ?

Bombarder une ville entière, en rasant presque tous ses bâtiments, n’exprime-t-il pas la volonté de la faire disparaître ?
Étouffer l’accès à la nourriture et aux médicaments, année après année, décennie après décennie ?

Tirer ou incendier sous les tentes, de nuit, depuis des hélicoptères, n’est-ce pas une volonté (lâche) de les éliminer ?

Saboter l’accès à l’eau potable, provoquant une hausse massive des maladies, ce n’est pas suffisant ?

Détruire presque tous les hôpitaux, non plus ?
Et les centaines de journalistes assassinés ?
Ramener Gaza à “l’âge de pierre”, comme promis par “le boucher” Sharon ?
Les humilier dans les rues, aux postes de contrôle, les tuer pour n’importe quel prétexte ?

Exterminer des familles entières, enfants, adultes, anciens ?
Et lorsque leurs bourreaux – les colons – sont glorifiés, non seulement jamais punis, mais même récompensés ? Cela non plus ne démontre pas une intention génocidaire ?

Tout cela n’est pas nouveau.

Déjà en 1947, avant la création de l’État d’Israël, Folke Bernadotte, le premier médiateur de l’ONU, cherchait une négociation équitable entre Arabes et Juifs. Il déclara : « Les Juifs ne peuvent pas tout garder ; il faut partager la Palestine entre ceux qui y vivaient et ceux qui arrivent. » Il fut assassiné.
Même si l’on assista à un scandale, et que le meurtrier fut arrêté par les Britanniques, il fut vite gracié… et devint peu après garde du corps de David Ben Gourion, premier président d’Israël.

Et Bernadotte n’eut même pas droit à des funérailles officielles. L’ONU elle-même ne réagit pas. [signalons tout de même qu’aucun membre de la famille royale suédoise n'a jamais mis les pieds en Israël depuis l’assassinat du comte Bernadotte, cousin du roi, NdT]

Le génocide n’est même pas une nouveauté.

Mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Et il n’existe aucune clinique auditive qui puisse absoudre l’Uruguay.

L’Uruguay fut salué par Israël et les USA pour son (plutôt pitoyable) rôle dans la commission UNSCOP à la fin des années 1940.
Il fut le seul pays sud-américain à offrir refuge aux Juifs, mais pas aux militaires des pays de l’Axe.
Mais l’hospitalité du batllisme uruguayen, louable à l’égard des Juifs européens, n’a pas dépassé l’eurocentrisme. Il fut incapable de reconnaître la colonisation en cours contre les non-Européens, tels que les Palestiniens.

Ce conditionnement mental culmine dans les écrits de Julio María Sanguinetti, qui publia en 2018 La tranchée de l’Occident, répétant un siècle plus tard la thèse colonialiste et eurocentrique de Theodor Herzl: « Implanter au Proche-Orient un avant-poste de civilisation contre la barbarie [asiatique]. »

Le pouvoir israélien a pris l’Uruguay dans ses bras, et l’État uruguayen s’est laissé bercer, grisé par de tels chants.

C’est à travers les tragédies vécues par le peuple palestinien que l’on mesure l’ampleur de notre inconsistance comme pays, comme société.

Mais la résistance renaît. Et de quelle manière ! La Coordination pour la Palestine s’étend et s’enracine, irrésistiblement, dans d’innombrables villes et villages de notre pays, redonnant vie à notre dignité politique.



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