Dr Lyna Al Tabal, Rai Al Youm, 20/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Mohammed, un enfant gazaoui de 12 ans, a perdu son père hier. Il ne reste plus de sa famille que des visages affamés qui s’échangent des regards... rien que des regards. En temps de famine, personne n’appelle personne par son nom. Le nom ne convient pas à un estomac vide.
Et Gaza est pleine de noms qui n’ont plus de voix. On dit : « Un enfant est mort », « Une femme est morte », mais personne ne demande : « Qui ? Comment s’appelait-il ? » Car quand l’humain a faim, il perd son identité, sa voix, son image, et même son droit à un nom.
Un enfant de
douze ans pèse vingt-cinq kilos, on peut compter ses côtes une à une, elles
sont aussi visibles qu’une carte, mais elles ne mènent nulle part. Sa peau est
tendue sur ses os, il n’y a pas de couche de graisse pour protéger son corps.
Ses bras sont si maigres que ses mains semblent plus grandes que ses
avant-bras, et ses doigts sont très longs. Son ventre est creusé... Mohammed
marche, si on peut appeler ça marcher, ça ressemble plutôt à un rampement ou à
un glissement... Son visage est petit, ses joues creuses, ses yeux très grands
en raison de l’atrophie des muscles qui les entourent. Sa voix est faible,
fatiguée. Il respire parfois rapidement, en raison de la faiblesse de la masse
musculaire de son appareil respiratoire. Sa peau est sèche, comme si la mer de
Gaza ne l’avait plus humidifiée, elle est squameuse et d’une couleur pâle. Ses
ongles sont tachetés de blanc et ses cheveux sont clairsemés et tombent.
Les médecins
appellent ça une malnutrition aiguë et chronique... Moi, j’appelle ça l’alliance
arabo-israélienne pour l’extermination des Gazaoui·es.
Des dizaines
de martyrs tombent chaque jour, sous les bombardements et aussi de faim...
Aujourd’hui, l’armée d’occupation, qui a vu 54 de ses soldats se suicider à
cause du nœud gazaoui, peut se reposer... La série de suicides secoue la
société israélienne de l’intérieur, comme un tremblement de terre : plus besoin
de faire bombarder par nos fils et filles... Ici, à Gaza, la faim est plus
forte que les balles, que toutes les armes de votre armée stupide, et plus
meurtrière que l’uranium appauvri...
La mort,
quand elle vient lentement, vous laisse le temps de comprendre que vous mourez
parce que vous êtes Palestinien, rien de plus.
Quand l’humain
a faim, le corps ressent une gêne le premier jour et consomme le reste du
glucose. Le deuxième jour, il passe à la combustion des graisses. Le cinquième
jour, l’air devient plus dense et plus lourd que le béton... Les organes
commencent à disparaître : le foie rétrécit, le cœur ralentit, le cerveau s’embrouille.
La peau se dessèche et le corps devient une chambre vide où seul résonne le
bruit de la respiration.
Le septième
jour, vous riez comme un idiot, votre système nerveux ne distingue plus les
signaux et votre visage ne sait plus pourquoi il bouge tout seul. Le dixième
jour, vous avez envie de goûter quelque chose, n’importe quoi...Il y a un homme
qui a trempé du bois dans l’eau et l’a mangé... Un autre a mangé du sable et un
troisième a mangé des pierres... Une femme a creusé sous terre pour extraire la
racine d’un arbre mort, elle l’a extraite pour nourrir son enfant... L’enfant
est mort avant d’avoir pu goûter la racine...
Et le
quatorzième jour, le sang commence à faiblir, il ne circule plus comme avant,
comme s’il en avait assez... Comme s’il te méprisait et te disait : « Brûle
tout seul. Je ne serai pas complice de cette mascarade ».
Non, la faim
à Gaza ne te tue pas si facilement que ça... La faim n’est pas ton bourreau
miséricordieux, la faim est sadique, elle n’aime pas la rapidité. Elle te
laisse en vie, juste pour que tu assistes à ta mort, lentement, avec ennui et
conscience.
Et si tu
fais partie des chanceux, oui, il y a aussi de la chance en enfer, tu meurs en
faisant la queue, avec ta carte de l’ONU, en attendant ton tour... Tu meurs
pour un sac de farine avec un logo bleu délavé.
À Gaza, il n’y
a pas de famine... Il y a un abattoir, des corps affamés étendus, exposés
devant les écrans, une fatigue bon marché et un silence encore moins cher, et
la dignité de la nation arabe vaut un quart de shekel... C’est peut-être le
millionième génocide... Le chiffre n’a pas d’importance, ce qui importe, c’est
que c’est un génocide par la faim et qu’Israël commet un génocide contre les
affamés de Gaza.
Vous vous
sentez déprimés ? Bien. C’est le début du sentiment.
Mais rions
un peu cette fois-ci, tant la situation est merdique... De l’autre côté de
Gaza, à Ramallah, il y a un président qui s’appelle Mahmoud Abbas, surnommé «
Abou Mazen ». En réalité, il est toujours occupé à une seule tâche : « suivre
la situation ».
Oui, il suit... et il suit aussi son sommeil. Alors que Gaza mâche le sable et enregistre les noms des martyrs, Abou Mazen continue de dormir.
Et quand
quelqu’un lui demande son avis sur les massacres, il soupire, ouvre un œil à
moitié et dit : « Nous sommes en contact », mais qui appelle qui ? Il dit, à
moitié endormi : « Les services de sécurité consultent les services de sécurité
».
Au cours de
sa longue carrière politique, plus longue que la vie des enfants, des femmes et
des hommes de Gaza, il n’a jamais pris position, sauf après s’être assuré que
cela ne dérangerait personne à Tel-Aviv ou à Washington... C’est le seul
président palestinien qui dort plus qu’il ne gouverne.
Qui a dit
que l’Autorité de Ramallah était absente ? La voici, présente avec toutes ses
trahisons.
Comme d’habitude,
le ministère palestinien des Affaires étrangères a publié un nouveau
communiqué. Oui, un communiqué. Il y condamne ce qu’il appelle « les crimes de
meurtre collectif visant les centres de distribution d’aide humanitaire ». C’est
beau, le langage est soigné, la phrase est bien construite et la condamnation
est, comme d’habitude... Mais qui, parmi les membres de l’Autorité de Ramallah,
a déjà connu la faim ? Le ministre des Affaires étrangères s’est-il assis sous
le soleil de Rafah et a-t-il bu l’eau de mer ?
Le
communiqué poursuit textuellement : « C’est un nouvel épisode de la série de
meurtres qui poursuit plus de deux millions de citoyens dans la bande de Gaza,
sous diverses formes, notamment les bombardements, la famine, la soif, le
privation de soins médicaux et de médicaments... «
Un nouvel épisode
dans la série... Quelle série, Monsieur le Ministre ? Sommes-nous dans la
quatrième saison d’une série télévisée du ramadan ? Personne ne rit. À Gaza,
les gens n’ont pas la télévision pour regarder cette farce... Les habitants de
Gaza n’ont pas besoin qu’on leur décrive leur situation.
Vos citoyens
affamés n’attendaient pas de communiqué... Ils attendaient du pain... Quant au
coupable, son nom n’a pas été mentionné, il est inconnu, comme d’habitude...
Gaza est exterminée et le ministère recopie ses communiqués précédents...
Bravo, applaudissements nourris.
L’ONU
continue de jouer son rôle d’observateur aveugle... et proteste contre le
non-renouvellement du visa de son chef de bureau, Jonathan Wynn.
Imagine, mon
cher, que tu aies besoin d’un visa pour entrer dans un cimetière... Imagine que
le travail humanitaire soit désormais subordonné à la signature du meurtrier.
La raison ?
Parce que « Wital » a osé déclarer lors d’une conférence de presse que les
habitants de Gaza mouraient de faim en essayant d’accéder à la nourriture.
Quelle
déclaration insolente : les gens meurent de faim.
Autrefois,
ils vous affamaient... puis ils vous jetaient une boîte de sardines depuis les
airs en disant « Tais-toi, nous avons essayé ». Aujourd’hui ? Pas besoin d’essayer.
Vous vous
souvenez ? Le roi de Jordanie envoyait son aide à Gaza depuis le ciel,
transportée par des avions. Des boîtes soigneusement emballées, jetées depuis
les airs dans la mer face à Gaza... Nous riions à l’époque, nous nous moquions,
nous critiquions et disions : « C’est un spectacle aérien de l’humiliation ».
Mais
regardez-nous aujourd’hui : même ce spectacle bon marché a pris fin... Pas d’avions,
pas de parachutes, pas une seule boîte de sardines. Même l’humiliation n’est
plus à notre portée... L’UNRWA a suffisamment de nourriture pour nourrir la
population de Gaza pendant des mois... La nourriture est à El-Arish, dans des
caisses empilées. Mais Gaza n’est pas à El-Arish. Il ne manque qu’une seule
chose à cette nourriture : qu’on la laisse entrer.
Au même
moment, Anas al-Sharif, courageux correspondant, tweete d’une voix à moitié
morte, à moitié vivante : « Je n’ai pas cessé de couvrir l’actualité depuis 21
mois. Mais je vacille, je lutte contre l’évanouissement qui me poursuit à
chaque instant. Gaza meurt, et nous mourons avec elle », crie Anas. « Cette
mort doit cesser. Ce blocus doit être brisé ».
Nous te
voyons, Anas, et nous connaissons ton courage... Nous entendons ta voix brisée,
et Gaza n’est pas seule à mourir... Nous mourons avec elle. Ce qui se passe à
Gaza n’est pas loin de nous, cela se passe en nous... dans nos nerfs, dans
notre peau, dans notre conscience qui n’est pas encore morte malgré leurs
tentatives... Nous te voyons, Anas, nous t’entendons, nous mourons avec Gaza,
car celui qui ne meurt pas avec elle est déjà mort, froid, sans pouls, exclu de
la vie.
Je ne m’étendrai
pas, car les estomacs vides ne supportent pas les longs articles. Ce n’est pas
un article sur la famine, ni sur le massacre. C’est un article sur l’extermination
des affamés, qui n’est pas suffisamment qualifiée en droit international... Il
n’existe aucune convention internationale ni aucun pacte international pour
protéger les peuples de l’extermination par la faim.
Mohammed n’est
pas encore mort, mais il s’en approche, tranquillement... N’oublie pas, Anas,
de lui dire bonjour s’il passe près de toi. Et donne-nous de ses nouvelles s’il
disparaît...
Et que tout
le monde aille au diable...
J’ai écrit.
C’est tout ce que j’ai. Et toi, qu’as-tu fait pour un enfant qui pèse 25 kilos
?
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