Pages

Pages

Maps Cartes Mapas نقشه ها خرائط

16/09/2025

Errico Malatesta : Mussolini au pouvoir

Errico Malatesta (1853-1932) : écrivain, propagandiste et révolutionnaire anarchiste italien. Étudiant en médecine à Naples, déjà républicain, il adhéra à l’anarchisme après la Commune de Paris (1871). Il participa à des révoltes dans le monde entier, de l’Égypte à l’Argentine, alternant entre prisons et exils. Ce texte fut publié dans le journal qu’il dirigeait, Umanità Nova, le 25 novembre 1922. 103 ans plus tard, il reste malheureusement d’une actualité brûlante et d’une portée universelle. -Tlaxcala

Originale italiano English

Pour couronner une longue série de crimes, le fascisme a finalement pris le contrôle du gouvernement.

Et Mussolini, le Duce, tant pour se distinguer, a commencé par traiter les députés au parlement comme un maître insolent traiterait des serviteurs stupides et paresseux.

Le parlement, celui qui devait être « le paladin de la liberté », a donné sa mesure.


Caricature du journal satirique L’Asino [L’Âne]
« Me ne frego » : « Je m’en fous » [sous-entendu de la mort], devise des Arditi, les soldats des troupes d’assaut pendant le Première Guerre mondiale, devenue un slogan des fascistes.
« Latin sangue gentile » : « Noble sang latin » : expression tirée du Canzoniere (1340-1374) de Pétrarque, reprise par Giosué Carducci dans un poème de 1859

Cela nous laisse parfaitement indifférents. Entre un fanfaron qui insulte et menace parce qu’il se sent à l’abri, et une bande de lâches qui semble se délecter de leur abjection, nous n’avons pas à choisir. Nous constatons seulement — et non sans honte — quelle espèce de gens est celle qui nous domine et au joug de laquelle nous ne parvenons pas à nous soustraire.

Mais quel est le sens, quel est l’enjeu, quel le résultat probable de ce nouveau mode d’arrivée au pouvoir au nom et au service du roi, violant la constitution que le roi avait juré de respecter et de défendre ?

À part les poses qui voudraient paraître napoléoniennes et ne sont en fait que des poses d’opérette, quand elles ne sont pas des actes de chef brigand, nous croyons qu’au fond rien ne changera, sauf pour un temps une plus grande répression policière contre les subversifs et contre les travailleurs. Une nouvelle édition de Crispi et Pelloux. C’est toujours la vieille histoire du brigand qui devient gendarme !

La bourgeoisie, menacée par la marée prolétarienne qui montait, incapable de résoudre les problèmes rendus urgents par la guerre, impuissante à se défendre par les méthodes traditionnelles de la répression légale, se voyait perdue et aurait salué avec joie quelque militaire qui se serait déclaré dictateur et aurait étouffé dans le sang toute tentative de soulèvement. Mais à ces moments-là, dans l’immédiat après-guerre, la chose était trop dangereuse, et cela pouvait précipiter la révolution plutôt que l’écraser. En tout cas, le général sauveur n’est pas apparu, ou il n’est apparu que sous la forme d’une parodie. À la place surgirent des aventuriers qui, ne trouvant pas dans les partis subversifs un champ suffisant pour leurs ambitions et leurs appétits, pensèrent spéculer sur la peur de la bourgeoisie en lui offrant, contre une rémunération adéquate, le secours de forces irrégulières qui, sûres de leur impunité, pouvaient se livrer à tous les excès contre les travailleurs sans compromettre directement la responsabilité des prétendus bénéficiaires des violences commises. Et la bourgeoisie a accepté, a sollicité, a payé leur concours : le gouvernement officiel, ou du moins une partie des agents du gouvernement, pensa à leur fournir les armes, à les aider quand, dans une attaque, ils étaient sur le point d’être battus, à leur assurer l’impunité et à désarmer préventivement ceux qui devaient être attaqués.

Les travailleurs ne surent opposer la violence à la violence parce qu’ils avaient été éduqués à croire en la légalité, et parce que, même lorsque toute illusion était devenue impossible et que les incendies et les assassinats se multipliaient sous le regard bienveillant des autorités, les hommes en qui ils avaient confiance leur prêchèrent la patience, le calme, la beauté et la sagesse de se laisser battre « héroïquement » sans résister — et par conséquent ils furent vaincus et offensés dans leurs biens, dans leurs personnes, dans leur dignité, dans leurs affects les plus sacrées.

Peut-être, lorsque toutes les institutions ouvrières eurent été détruites, les organisations dispersées, les hommes les plus haïs et considérés comme les plus dangereux tués ou emprisonnés ou de toute façon réduits à l’impuissance, la bourgeoisie et le gouvernement auraient voulu freiner les nouveaux prétoriens qui désormais aspiraient à devenir les maîtres de ceux qu’ils avaient servis. Mais il était trop tard. Les fascistes sont maintenant les plus forts et entendent se faire payer à usure les services rendus. Et la bourgeoisie paiera, cherchant naturellement à se refaire sur le dos du prolétariat.

En conclusion : misère accrue, oppression accrue.

Quant à nous, nous n’avons qu’à continuer notre combat, toujours pleins de foi, pleins d’enthousiasme.

Nous savons que notre chemin est semé d’embûches, mais nous l’avons choisie consciemment et volontairement, et nous n’avons aucune raison de l’abandonner. Qu’il soit donc bien connu Que tous ceux qui ont un sens de la dignité et de la pitié humaine et veulent se consacrer à la lutte pour le bien de tous sachent bien qu’ils doivent se préparer à toutes les désillusions, à toutes les douleurs, à tous les sacrifices.

Puisqu’il ne manque jamais de personnes qui se laissent éblouir par les apparences de la force et ont toujours une sorte d’admiration secrète pour qui triomphe, il y a aussi des subversifs qui disent que « les fascistes nous ont appris comment on fait la révolution ».

Non, les fascistes ne nous ont rien appris du tout.

Ils ont fait la révolution, si l’on veut appeler cela révolution, avec la permission des supérieurs et au service des supérieurs.

Trahir ses amis, renier chaque jour les idées professées la veille si cela convient à son intérêt, se mettre au service des patrons, s’assurer l’assentiment des autorités politiques et judiciaires, faire désarmer par les carabiniers ses adversaires pour ensuite les attaquer à dix contre un, se préparer militairement sans avoir besoin de se cacher, au contraire en recevant du gouvernement armes, moyens de transport et équipements de caserne, puis être appelé par le roi et se placer sous la protection de Dieu... ce sont toutes des choses que nous ne pourrions ni ne voudrions faire. Et ce sont toutes des choses que nous avions prévues qui arriveraient le jour où la bourgeoisie se sentirait sérieusement menacée.

Au contraire, l’avènement du fascisme doit servir de leçon aux socialistes légalistes, qui croyaient, et hélas ! croient encore, qu’on peut renverser la bourgeoisie par les voix de la moitié plus un des électeurs, et ne voulurent pas nous croire quand nous leur disions que si jamais ils atteignaient la majorité au parlement et voulaient — pour ne faire que des hypothèses absurdes — instaurer le socialisme depuis le parlement, ils en seraient chassés à coups de pied au cul !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire