Pour couronner une longue série de crimes, le fascisme a finalement pris le contrôle du gouvernement.
Et
Mussolini, le Duce, tant pour se distinguer, a commencé par traiter les députés
au parlement comme un maître insolent traiterait des serviteurs stupides et
paresseux.
Le
parlement, celui qui devait être « le paladin de la liberté », a donné sa
mesure.
« Latin sangue gentile » : « Noble sang latin » : expression tirée du Canzoniere (1340-1374) de Pétrarque, reprise par Giosué Carducci dans un poème de 1859
Cela
nous laisse parfaitement indifférents. Entre un fanfaron qui insulte et menace
parce qu’il se sent à l’abri, et une bande de lâches qui semble se délecter de leur
abjection, nous n’avons pas à choisir. Nous constatons seulement — et non sans
honte — quelle espèce de gens est celle qui nous domine et au joug de laquelle
nous ne parvenons pas à nous soustraire.
Mais
quel est le sens, quel est l’enjeu, quel le résultat probable de ce nouveau
mode d’arrivée au pouvoir au nom et au service du roi, violant la constitution
que le roi avait juré de respecter et de défendre ?
À
part les poses qui voudraient paraître napoléoniennes et ne sont en fait que
des poses d’opérette, quand elles ne sont pas des actes de chef brigand, nous
croyons qu’au fond rien ne changera, sauf pour un temps une plus grande
répression policière contre les subversifs et contre les travailleurs. Une
nouvelle édition de Crispi et Pelloux.
C’est toujours la vieille histoire du brigand qui devient gendarme !
La
bourgeoisie, menacée par la marée prolétarienne qui montait, incapable de
résoudre les problèmes rendus urgents par la guerre, impuissante à se défendre
par les méthodes traditionnelles de la répression légale, se voyait perdue et
aurait salué avec joie quelque militaire qui se serait déclaré dictateur et
aurait étouffé dans le sang toute tentative de soulèvement. Mais à ces
moments-là, dans l’immédiat après-guerre, la chose était trop dangereuse, et
cela pouvait précipiter la révolution plutôt que l’écraser. En tout cas, le
général sauveur n’est pas apparu, ou il n’est apparu que sous la forme d’une
parodie. À la place surgirent des aventuriers qui, ne trouvant pas dans les
partis subversifs un champ suffisant pour leurs ambitions et leurs appétits, pensèrent
spéculer sur la peur de la bourgeoisie en lui offrant, contre une rémunération
adéquate, le secours de forces irrégulières qui, sûres de leur impunité,
pouvaient se livrer à tous les excès contre les travailleurs sans compromettre
directement la responsabilité des prétendus bénéficiaires des violences
commises. Et la bourgeoisie a accepté, a sollicité, a payé leur concours : le
gouvernement officiel, ou du moins une partie des agents du gouvernement, pensa
à leur fournir les armes, à les aider quand, dans une attaque, ils étaient sur
le point d’être battus, à leur assurer l’impunité et à désarmer préventivement
ceux qui devaient être attaqués.
Les
travailleurs ne surent opposer la violence à la violence parce qu’ils avaient
été éduqués à croire en la légalité, et parce que, même lorsque toute illusion
était devenue impossible et que les incendies et les assassinats se
multipliaient sous le regard bienveillant des autorités, les hommes en qui ils
avaient confiance leur prêchèrent la patience, le calme, la beauté et la
sagesse de se laisser battre « héroïquement » sans résister — et par conséquent
ils furent vaincus et offensés dans leurs biens, dans leurs personnes, dans
leur dignité, dans leurs affects les plus sacrées.
Peut-être,
lorsque toutes les institutions ouvrières eurent été détruites, les
organisations dispersées, les hommes les plus haïs et considérés comme les plus
dangereux tués ou emprisonnés ou de toute façon réduits à l’impuissance, la
bourgeoisie et le gouvernement auraient voulu freiner les nouveaux prétoriens
qui désormais aspiraient à devenir les maîtres de ceux qu’ils avaient servis.
Mais il était trop tard. Les fascistes sont maintenant les plus forts et
entendent se faire payer à usure les services rendus. Et la bourgeoisie paiera,
cherchant naturellement à se refaire sur le dos du prolétariat.
En
conclusion : misère accrue, oppression accrue.
Quant
à nous, nous n’avons qu’à continuer notre combat, toujours pleins de foi,
pleins d’enthousiasme.
Nous
savons que notre chemin est semé d’embûches, mais nous l’avons choisie
consciemment et volontairement, et nous n’avons aucune raison de l’abandonner.
Qu’il soit donc bien connu Que tous ceux qui ont un sens de la dignité et de la
pitié humaine et veulent se consacrer à la lutte pour le bien de tous sachent
bien qu’ils doivent se préparer à toutes les désillusions, à toutes les
douleurs, à tous les sacrifices.
Puisqu’il
ne manque jamais de personnes qui se laissent éblouir par les apparences de la
force et ont toujours une sorte d’admiration secrète pour qui triomphe, il y a
aussi des subversifs qui disent que « les fascistes nous ont appris comment on
fait la révolution ».
Non,
les fascistes ne nous ont rien appris du tout.
Ils
ont fait la révolution, si l’on veut appeler cela révolution, avec la
permission des supérieurs et au service des supérieurs.
Trahir
ses amis, renier chaque jour les idées professées la veille si cela convient à
son intérêt, se mettre au service des patrons, s’assurer l’assentiment des
autorités politiques et judiciaires, faire désarmer par les carabiniers ses
adversaires pour ensuite les attaquer à dix contre un, se préparer
militairement sans avoir besoin de se cacher, au contraire en recevant du
gouvernement armes, moyens de transport et équipements de caserne, puis être
appelé par le roi et se placer sous la protection de Dieu... ce sont toutes des
choses que nous ne pourrions ni ne voudrions faire. Et ce sont toutes des
choses que nous avions prévues qui arriveraient le jour où la bourgeoisie se
sentirait sérieusement menacée.
Au
contraire, l’avènement du fascisme doit servir de leçon aux socialistes
légalistes, qui croyaient, et hélas ! croient encore, qu’on peut renverser la
bourgeoisie par les voix de la moitié plus un des électeurs, et ne voulurent
pas nous croire quand nous leur disions que si jamais ils atteignaient la
majorité au parlement et voulaient — pour ne faire que des hypothèses absurdes
— instaurer le socialisme depuis le parlement, ils en seraient chassés à coups
de pied au cul !
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