Pages

Pages

Maps Cartes Mapas نقشه ها خرائط

À lire ailleurs To be read elsewhere Para leer en otros sitios Da leggere altrove Zum Lesen anderswo

28/08/2021

Sur la piste tracée par W.E.B. Du Bois
Annette Gordon-Reed, interviewée par Nawal Arjini

The New York Review of Books, 28/8/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Nawal Arjini fait partie de la rédaction de The New York Review of Books. @nawal_arjini

« Écrire, enseigner, militer, organiser - il a tout fait. Et je ressens une responsabilité, ou un désir, de toucher autant de personnes que possible avec mes écrits qui découlent de mon intérêt pour la lutte des Noirs ».

Le numéro du 19 août 2021 de la New York Review présente The Color Line (français ici), un compte rendu d'Annette Gordon-Reed sur trois livres consacrés à l'exploit de l'érudit, militant et romancier noir W.E.B. Du Bois, qui a organisé la légendaire « Exposition de nègres américains » à l'Exposition universelle de Paris en 1900. Une grande partie du champ d'étude de Gordon-Reed est centrée sur les événements du siècle précédent : ses recherches ont fait entrer la relation entre Thomas Jefferson et l'esclave Sally Hemings dans la conscience générale et ont établi un nouveau consensus historique, renversant l'opinion bien ancrée des historiens qui, depuis des décennies, refusaient d'accepter que Jefferson soit le père des enfants de Hemings. Pour son enquête sur les autres branches de la famille Hemings, Mme Gordon-Reed a reçu le prix Pulitzer et elle travaille actuellement à la rédaction d'un deuxième volume, qui relatera les deux générations suivantes de Hemings.

Annette Gordon-Reed. Photo Stephanie Mitchell/Harvard University

Le dernier livre de Gordon-Reed, On Juneteenth (Le 10 Juin), porte sur le Texas, dont elle est originaire, et sur sa propre relation profonde avec cet État. « Le Texas essaie (et y réussit d'une certaine manière) de faire en sorte que ses citoyens se considèrent comme spéciaux. Je sais que cela peut être ennuyeux », a-t-elle expliqué cette semaine par courrier électronique, « mais je pense que cela donne le sentiment que nous étions censés faire des choses dans le monde, contribuer à façonner le monde d'une certaine manière ».

Tout comme le Texas a eu un effet formateur sur sa vie, Gordon-Reed soutient que Du Bois a été influencé par son éducation en Nouvelle-Angleterre. Lorsqu'elle est allée à l'université de Dartmouth, m'a-t-elle dit, « j'ai eu l'impression que beaucoup des Blancs que j'ai rencontrés n'avaient jamais vraiment parlé avec, ou vu, beaucoup de Noirs. La culture de la Nouvelle-Angleterre n'a pas été façonnée par l'interaction des Noirs et des Blancs autant que l'est du Texas ». Lorsque Du Bois est allé à l'université de Fisk, dans le Tennessee, dans les années 1880, et a commencé à enseigner à l'université d'Atlanta dix ans plus tard, « il a rencontré un grand nombre de Noirs, et la culture noire, pour la première fois après avoir grandi dans une société pratiquement entièrement blanche ».

L'idée directrice de l'exposition de 1900 à Paris était, comme l'écrit Gordon-Reed dans sa critique, de démontrer « la promotion des racisés [orig. « race uplift »] par la rencontre des idéaux bourgeois » - réussite scolaire, emploi stable, écriture de livres - dont la portée aurait été impensable sous l'esclavage, quelques décennies auparavant. Selon Gordon-Reed, Du Bois « a commencé par penser que l'élite des Noirs était le leader naturel de ce qu'il considérait comme une nation au sein d'une nation. Il était en fait assez snob ».

Je l'ai interrogée sur la manière dont le principe de « promotion des racisés » pouvait se traduire dans l'USAmérique contemporaine, où l'écart racial des niveaux de vie reste stupéfiant et où les stratégies pour le combler abondent. Au tournant du XIXe siècle, « on mettait l'accent sur ce que nous appellerions les valeurs bourgeoises - le mariage patriarcal, la sobriété - une sorte de sensibilité associée à l'ère victorienne », dit-elle ; les décennies qui ont suivi ont vu « une critique soutenue de cette façon de penser ». Aujourd'hui, « l'avancement économique, le droit de vote, l'égalité des citoyens - des choses pour lesquelles Du Bois s'est également battu dépassent largement l'accent mis sur une définition particulière de la moralité comme condition préalable à l'avancement ».

Comme le note Gordon-Reed dans son article, la pensée de Du Bois a fini par s'orienter vers des explications plus structurelles de l'inégalité raciale. « À mesure qu'il s'orientait vers le socialisme, il considérait que la classe ouvrière noire avait un rôle essentiel à jouer dans le processus », et il s'est éloigné de son moralisme antérieur, m'a-t-elle dit. Pourtant, Du Bois n'a jamais complètement quitté la Nouvelle-Angleterre : « Il est resté assez impérieux », dit-elle.

Impérieux, peut-être, mais résolument anti-impérialiste. Du Bois « pensait globalement », dit Gordon-Reed, « considérant que la lutte était plus vaste que ce qui arrivait aux Noirs aux USA ». (Du Bois a passé ses dernières années au Ghana, travaillant sur une encyclopédie de la diaspora noire). Son internationalisme était l'une des nombreuses qualités que Gordon-Reed admire. « Sa détermination à explorer toutes les voies pertinentes pour promouvoir l'avancement des Noirs me stupéfie », dit-elle. « Écrire, enseigner, militer, organiser - il a tout fait ». Pour sa part, Mme Gordon-Reed se décrit plus comme une historienne de la race, ou une historienne noire, que comme une quelconque militante, mais elle ajoute :

Je ressens une responsabilité, ou un désir, pourrais-je dire, de toucher le plus grand nombre de personnes possible avec mes écrits, qui découle de mon intérêt à apporter une contribution à la lutte des Noirs. L'idée d'écrire uniquement pour, ou à l'intention, d'autres universitaires n'a jamais été mon plan.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire