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24/10/2021

Mikhaïl Garine, le communiste juif antisioniste qui voulait entendre la Hatikvah au Goulag

Ze'ev Binyamin Begin, Haaretz, 22/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ze'ev Binyamin « Benny » Begin (Jérusalem, 1943) est un géologue et politicien israélien, qui a été brièvement ministre et député successivement des partis Hérout, Likoud et, actuellement, Tikva Hadasha (Nouvel Espoir). Il est le fils de Mieczysław Wolfovitch Biegun, plus connu sous le nom de Menahem Begin, qui fut le chef du groupe terroriste Irgoun et des partis Hérout et Likoud et Premier ministre d’Israël, revendiquant l’héritage de Vladimir Jabotinsky, le chef de l’aile « révisionniste » (droitière) du mouvement sioniste.

 Dans son livre "Les Nuits blanches", mon père, Menahem Begin, a décrit son amitié avec Mikhaïl Garine, un juif souffreteux et un ardent communiste avec qui il a partagé une couchette dans un goulag soviétique en 1941. On pensait que Garine avait disparu, comme des millions d'autres victimes dans ces camps de travail forcé. Puis, il y a quelques mois, un contact a été établi avec le petit-fils de Garine.

Au printemps 1941, au pied des montagnes de l'Oural, sur les rives de la rivière Pechora, non loin du cercle polaire, dans l'un des nombreux goulags soviétiques, deux prisonniers politiques juifs se rencontrent : un communiste nommé Garine e et un sioniste nommé Begin. Le premier a été condamné pour s'être livré à une "activité trotskyste contre-révolutionnaire" ; le second a été reconnu coupable - en raison de ses activités sionistes - d'être un "élément socialement dangereux pour la société". Tous deux ont été condamnés sans procès, en vertu de l'article 58 du code pénal soviétique, à huit ans dans un "camp de travail correctionnel". Avec d'autres prisonniers, tant politiques que criminels (ces derniers étant connus sous le nom d'Ourki-truands), tous deux ont déchargé des rails de chemin de fer et d'autres équipements des péniches sur la rivière. Ils ont participé à la construction de la ligne ferroviaire du nord de la Russie, longue de 1 000 kilomètres, qui s'étend de Kotlas à Vorkouta, au bord de l'océan Arctique.

Dessin Eran Wolkowski

Begin, maigre et frêle après avoir passé neuf mois dans une prison soviétique à Vilna, puis avoir été transporté au camp de Pechora par train de marchandises sur 2 000 kilomètres, a décrit la santé de son nouvel ami dans "Nuits blanches", un récit de son arrestation et de son incarcération dans le camp de travail et le système pénitentiaire soviétiques : "un mauvais cœur, une température élevée constante et un pouls rapide". Les chances que l'un des deux hommes sorte vivant du camp de travail forcé sont minces.

Le récit de la vie de Garine e a laissé une profonde impression sur Begin ; ses paroles sont restées gravées dans la mémoire de mon père. En effet, il a cité Garine dans son livre de 1950 "La Révolte : L’histoire de l’Irgoun", et plus tard, il a développé leur rencontre dans "Les Nuits blanches"  Les nuits blanches: mes souvenirs des camps soviétiques; traduit de l'anglais par Jacques Hermone et Patricia Lerand, éditions Albatros, 1978), où la description de la vie de Garine est citée en détail :

« Sais-tu quel âge j'avais lorsque j'ai rejoint le Parti ? Je n'avais pas plus de 17 ans quand je suis devenu bolchevik et que j'ai commencé à travailler pour la Révolution. Pendant la guerre civile, j'étais dans la Garde rouge et j'ai pris part à de nombreuses batailles contre les Blancs. J'ai été fait prisonnier. Les Blancs m'ont battu et torturé horriblement, mais ils n'ont pas réussi à obtenir quoi que ce soit de moi... Lorsque la guerre civile s'est terminée, on m'a confié diverses tâches au sein du parti en Ukraine. J'étais encore jeune, mais je travaillais dur et me consacrais corps et âme au Parti. Quelle époque ! Je travaillais pour le parti et j'étudiais à l'université. Lorsque j'ai terminé mes études, on m'a confié des postes encore plus élevés... J'ai travaillé pendant quelques années au secrétariat du Parti en Ukraine. J'ai fini par en devenir le secrétaire général. De ce poste, j'ai été transféré à un poste encore plus élevé. J'ai été convoqué à Moscou et intégré à la rédaction de la Pravda. Je suis devenu rédacteur en chef adjoint du journal du parti.

 

Mikhaïl Davydovitch Garine et sa femme Alexandra Zakharovna Vasilyeva (1902-1938) vers 1921, date de leur mariage. Elle a laissé des mémoires en deux tomes, Punis sans culpabilité et Et les tulipes poussent sur les pierres

« En 1937, l'année où ils sont devenus fous, ma femme a été arrêtée. Je ne t’ai pas parlé de ma femme. Nous nous sommes rencontrés alors que nous étions tous deux étudiants. Ma femme était aussi membre du parti, et un membre très actif. Ma femme n'est pas juive, mais quelle différence cela fait-il ? Notre vie de famille était merveilleuse. Nous avons eu un fils et une fille. Ma femme m'aidait dans mon travail, et je l'aidais. Son principal intérêt était la science. Dans son travail scientifique, elle allait de succès en succès. Elle est devenue maître de conférences à l'université, puis à l'Institut Krasni Professori [Institut du professorat rouge]... Et tout à coup, en 1937, elle a été arrêtée... l'interrogateur l'avait accusée de trotskisme et avait exigé des aveux. Elle n'a pas avoué. Elle n'avait jamais été trotskyste ».

Garine ajoute que sa femme a écrit à Staline pour lui demander son aide, et a été libérée. Mais quelques mois plus tard, elle a été arrêtée à nouveau.

« Peu de temps après la deuxième arrestation de ma femme, j'ai été arrêté à mon tour », raconte-t-il. « L'interrogateur a exigé que je lui parle de mes liens avec le quartier général trotskyste. C'était une accusation terrible, sans aucun fondement ». Pour faire comprendre à Garine qu'il devait avouer, l'interrogateur l'a violemment battu. Garine e a tenté à plusieurs reprises de se suicider.

« Et me voici, Menahem Wolfovitch, sur les rives de la Pechora. Il n'y a pas eu de procès », a dit Begin à Garine. « Après quatre ans d'interrogatoire, ils m'ont informé que j'avais été condamné administrativement à huit ans de détention dans un camp de travail correctionnel. Demain, nous allons travailler ensemble ».

Les deux hommes se sont liés d'amitié, même si Garine a apporté au "camp de travail correctionnel" le différend entre les communistes et les sionistes et le beau raisonnement qui lui avait été inculqué : « Le sionisme et l'antisémitisme, explique Garine, ne sont que les deux faces d'une même pièce. L'antisémitisme est l'expression d'un préjugé racial et nationaliste, tout comme le sionisme. En fait, a dit Garine , le sionisme dit exactement ce que les antisémites disent : "Les Juifs en Palestine" - et fait exactement leur jeu. Et l'affirmation selon laquelle le sionisme est l'agent de l'impérialisme était, pour Garine, tout à fait évidente. Nos conversations se sont transformées en disputes, et les disputes étaient très orageuses ».

Les besoins de l'Union soviétique étaient nombreux et les prisonniers étaient nécessaires dans un autre endroit. En août 1941, des centaines de ceux qui étaient détenus dans le Pechora-lag furent entassés dans un petit cargo qui navigua vers le nord pendant quelques semaines le long de la rivière Pechora, vers un nouveau camp situé au-delà du cercle polaire. Dans la cale obscure  du navire, entassés sur des planches, les six Juifs du groupe de prisonniers se serrent les uns contre les autres, dont Garine . Il était convaincu que les Ourki, les droits communs, qui le vilipendaient et le menaçaient, allaient le tuer. Effrayé, il s'installe dans la couchette à côté de Begin, qui tente, en vain, de le calmer. Garine était certain que son destin était scellé, se souvient Begin :

 

La photo d'identité judiciaire de Menahem Begin en 1940

« Un jour - c'était peut-être la nuit - la voix de Garine m'a réveillé de l'état de demi-sommeil dans lequel nous étions perpétuellement, à cause de l'obscurité, de la faim, de la faiblesse et de la puanteur. "Menahem ! Menahem !", a-t-il appelé dans un murmure.

« C'était la première fois qu'il s'adressait à moi intimement, sans ajouter mon patronyme. "Tu te souviens de la chanson Loshuv ?" Il m'a parlé en yiddish pour la première fois. "Quelle chanson ? J'ai demandé, également en yiddish. Il avait dit Lo-shuv, et au début je ne l'avais pas compris, peut-être à cause de sa prononciation, ou peut-être parce que j'étais encore à moitié endormi.

"Comment se fait-il que tu ne la connaisses pas ? demanda-t-il d'un air un peu contrarié. C'est la chanson que les sionistes chantent, c'est la chanson que les sionistes chantaient à Odessa quand j'étais encore un garçon. Lo-shuv, Lo-shuv - tu ne connais pas cette chanson ?'

"'Ah ! Tu veux dire la Hatikvah [écrite en 1878 par le poète galicien Naftali Hetrz Imber, devenue l’hymne officiel sioniste en 1933 et l’hymne national d’Israël en 1948, NdT],' ai-je dit, en utilisant sa prononciation.

"'C'est peut-être la Hatikvah. Ce dont je me souviens, c'est le mot Lo-shuv (retourner).

"'Oui, c'est la Hatikvah. Tu veux dire la chanson Lashuv Le'Eretz Avotenu (l'espoir de retourner sur la terre de nos ancêtres). Bien sûr que je m'en souviens.'

"'Bon, alors, dit Garine, chante-la moi. Tu vois, Menahem, je ne sortirai pas d'ici vivant. Sens ça... Il a pris ma main et l'a posée sur sa poitrine. Son cœur palpitait rapidement contre ma main. Tu vois, continua-t-il, je suis un homme perdu. Les Ourki ont joué ma tête aux cartes, ils vont me tuer. J'en suis certain. Mais même si tu avais raison, même s'il est vrai qu'ils essayaient seulement de m'effrayer, combien de temps puis-je vivre avec un cœur comme celui-ci ? Je ne sortirai pas d'ici vivant. Tu es en bonne santé. Tu es avec d'autres Juifs. Ils t'ont accordé l'amnistie. Peut-être sortiras-tu. Peut-être qu'un jour tu croiseras mes enfants. Qui sait ? Parle-leur de leur père, dis-leur tout. Dis-leur que j'ai toujours pensé à eux. Mais maintenant, je veux que tu me chantes Loshuv, chante-moi Loshuv.

"Avec Marmelstein, j'ai commencé à chanter la Hatikvah. Les trois autres Juifs, couchés près de nous, se sont joints à nous. Nous avons chanté avec la prononciation ashkénaze, la version en usage dans les pays de la diaspora. Garine e a écouté en silence les paroles : "Retourner sur la terre, la terre de nos pères...

"Les Ourki se sont réveillés. "Qu'est-ce que les Jidi [Juifs] chantent là-bas ? "'Ils prient, ils prient leur Dieu de les aider'. […]

"J'ai eu l'impression de dire la prière de confession avec un juif qui, comme un enfant kidnappé, a pâturé dans des champs étrangers et, au seuil de la mort, après de nombreuses tribulations, revient vers son peuple et sa foi.... Nous sommes couchés ici, dans la vallée de l'ombre de la mort...


Et avec nous gît Garine, ancien rédacteur en chef adjoint de la Pravda, communiste depuis sa plus tendre enfance, éloigné de son peuple, ennemi de Sion, persécuteur des sionistes. Quand a- t-il entendu pour la dernière fois les accents de la Hatikvah à Odessa ?... Et quand le moment est venu, après d'infinies épreuves et tribulations, de quoi le rédacteur en chef adjoint de la Pravda, secrétaire général du parti communiste ukrainien, se souvient-il ? Il se souvient de Loshuv. "Retourner sur la terre de nos pères. C'est sa consolation ».

En juin 1941, les Allemands envahissent l'Union soviétique et, quelques mois plus tard, un accord de coopération est signé entre Moscou et le gouvernement polonais en exil. Dans la foulée, les autorités soviétiques déclarent une amnistie générale pour tous les prisonniers politiques de nationalité polonaise. Begin, qui était citoyen polonais, se sépare de Garine et, déterminé dans sa croyance en la justesse de sa voie, entreprend son voyage vers le sud, vers Eretz Israël [qui s’appelait alors Palestine, NdT]. Le bateau duquel il débarque se dirige vers le nord, avec Garine à son bord, descendant le fleuve de l'oubli communiste vers la perdition.

* * *

Quatre-vingts ans se sont écoulés. Garine e a été oublié, mais "Les Nuits blanches", qui a été traduit en plusieurs langues, est toujours lu. Il y a quelques mois, un lecteur, qui vit aux USA, a envoyé un court message à mon ami Yechiel Fischsohn, un chercheur chevronné sur les Juifs soviétiques au Menachem Begin Heritage Center à Jérusalem, lui disant qu'il avait vu par hasard le nom du lieu de travail de Fischsohn et qu'il avait lu le livre de Begin en russe. Il s'est avéré que Mikhaïl Garine, qui avait partagé une couchette avec Begin dans le camp, était le frère de la grand-mère de l'écrivain - et qu'il se souvenait bien de lui. Grâce à lui, Yehiel a pu retrouver le petit-fils de Garine, Dmitriy, qui vit à Moscou et qui lui a envoyé une autobiographie écrite par la femme de Garine, Alexandra Vasilyeva.

La description fournie par sa famille de la vie de Garine, jusqu'à son arrivée dans le premier camp sur les rives de la Pechora, ressemble à son récit tel que cité dans "Les Nuits blanches". Aujourd'hui, cependant, nous disposons de quelques informations supplémentaires sur ses débuts et sur son expérience au Goulag. Il est né en 1900, à Odessa. Son père, David Ben Moshe Barshak, était à la tête d'une équipe de porteurs dans le port local. Mikhaïl est devenu bolchevik à l'âge de 17 ans et, comme d'autres révolutionnaires, il a choisi un pseudonyme : "Garine " était le nom de plume d'un écrivain du XIXe siècle (qui était également ingénieur ferroviaire et a participé à la planification de la ligne ferroviaire transsibérienne). Il a appelé sa fille, née au début du mois de mai, May, en l'honneur de la fête annuelle des travailleurs.

Garine a occupé un certain nombre de postes au sein du parti communiste en Ukraine, devenant finalement membre du bureau politique local. Il est ensuite transféré à Moscou pour écrire sur la vie du parti pour la Pravda, l'organe du parti communiste soviétique. En 1937, à la suite de l'arrestation de sa femme, il est banni de Moscou pour Irkoutsk, dans le sud de la Sibérie. Cet été-là, il est arrêté par le NKVD, la police secrète de l'URSS. Après quatre ans de détention, il a été condamné sans procès en vertu des articles 58.10 et 58.11 du code pénal de l'Union soviétique : "propagande et incitation antisoviétiques et contre-révolutionnaires". La sanction pour la violation de cet article était la privation de liberté pour une durée minimale de six mois. En conséquence, Garine a été condamné à huit ans dans un camp de travail dit correctionnel, et a été envoyé dans le premier goulag sur la rivière Pechora, puis dans le second, plus au nord.

 

Menahem et Aliza Begin en Palestine, 1942. Photo : GPO

 Là, étonnamment, il a survécu. Il a été libéré en 1944 et a été libre pendant quelques années, mais ensuite, comme cela se produisait fréquemment à cette époque, un nouveau prétexte a été trouvé et il a été arrêté à nouveau et incarcéré pendant plusieurs années. Sa femme a été emprisonnée pendant de nombreuses années dans un camp "pour les épouses des traîtres à la patrie". Ils ont tous deux été libérés après la mort de Staline.

 Comment Garine, avec son cœur malade et son âme découragée, a-t-il survécu dans le Grand Nord ? Dans ces camps, m'a expliqué Yechiel, le plus grand défi pour les nouveaux détenus était le premier hiver, lorsqu'ils devaient supporter des températures de moins 40 degrés et même en-dessous. Pour beaucoup, c'était trop dur, mais Garine, qui avait alors 40 ans et était arrivé dans le camp de travail au début de l'hiver, a pu adapter les connaissances qu'il avait acquises comme serrurier dans sa jeunesse aux conditions de sa nouvelle demeure.

 Dans le livre, Begin cite un des détenus : "Et vous avez entendu parler de la tsinga ? L'ingénieur a ouvert la bouche et nous a montré des gencives blafardes, presque blanches. Seules deux dents y étaient coincées. Oui, elles vont aussi tomber bientôt, a-t-il dit. C'est la tsinga et on ne peut pas y échapper dans le nord ».

 C'est alors que Garine, faisant appel à ses compétences professionnelles de serrurier, se mit à fabriquer des fausses dents en fer et à les insérer dans les gencives rétrécies de ses codétenus. Les dents étaient très demandées, et les prisonniers veillaient à ce qu'aucun mal ne soit fait à l'irremplaçable "dentiste". Les prisonniers qui aidaient d'autres détenus recevaient un traitement spécial dans les camps, ainsi que des avantages minimes mais essentiels, y compris de la part de ceux d'entre eux qui devenaient contremaîtres : un peu de nourriture supplémentaire, des gants, une exemption de travaux trop pénibles.

Donc Garine a survécu.

Staline meurt en 1953, et sous son successeur, Nikita Khrouchtchev, les prisonniers commencent à être libérés, d'abord en petit nombre, mais en 1955 par centaines de milliers, dont Garine et sa femme. L'homme qui avait été sévèrement puni pour une trahison qu'il n'avait jamais commise, qui, avec sa femme bien-aimée, avait été trahi par le régime communiste, qui les avait tourmentés pendant des années, - le communiste qui avait vu la terrible vérité des camps de travail "correctionnels" - était maintenant libre, et retournait au parti.

Incroyable ? Si nous revenons aux "Nuits blanches", nous trouverons des indices de la décision ultérieure de Garine dans ce qu'il a dit à Begin. Il a appelé 1937, lorsque sa femme a été arrêtée, "l'année où ils sont devenus fous", et a poursuivi en expliquant qui il entendait par "ils" : « Ma femme a été réarrêtée en dépit du fait que le premier ordre d'arrestation avait été annulé par Staline lui-même. Cela montre qu'un changement fondamental s'est produit dans la direction de l'Union soviétique, un changement que nous sommes les seuls à connaître. Vous, les gens extérieurs, pensez encore aujourd'hui, sans aucun doute, que le Parti est le pouvoir en place ici... Mais aujourd'hui, la situation est différente. Le centre de gravité du pouvoir a été transféré du Parti au NKVD. Un membre du Parti se voit retirer sa carte de membre dès qu'il est arrêté, et perd tous ses droits. Le Parti ne gouverne plus l'Union soviétique. C'est le NKVD qui gouverne - même sur le Parti ».

Nous pouvons donc supposer que sa différenciation entre le parti communiste soviétique - toujours fidèle à sa vocation sous la direction de l'infatigable Staline - et la police secrète brutale qui en avait pris le contrôle, est ce qui a consolé Garine pendant les années de souffrance dans les camps. Bien qu'il ait alors demandé à ses frères juifs de lui chanter "Lo-shuv", maintenant qu'il avait survécu et était libéré, la justice communiste avait triomphé et Garine retourna à son parti et s'efforça d'atteindre ses objectifs, déterminé dans sa croyance en la justesse de son chemin.

Le document de réhabilitation qu'il reçoit n'a que peu de poids. À partir de 1955, Garine est envoyé comme correspondant des Izvestia, le deuxième journal le plus important du pays, dans une ville de province éloignée de la capitale. Ce n'est qu'en 1969 qu'il retourne à Moscou en tant que membre du comité de rédaction du journal.

Garine était encore prisonnier quand Begin a écrit dans "La Révolte" : « Comme il était loin de Sion ! Et combien loin de Sion était l'endroit où le destin nous avait amenés ! Et cet homme, dans ce qu'il pensait être ses dernières heures sur terre, nous a demandé de chanter le chant de Sion !

« Nous avons chanté. La rivière Pechora, verdâtre, avait-elle déjà entendu la 'Hatikvah' ? Les Ourki, abasourdis, avaient-il déjà entendu une chanson hébraïque ? Du ventre du bateau, la chanson a jailli : 'Retourner sur la terre de nos pères'. »

Garine s'est-il souvenu de cette scène dans ses dernières années, ou a-t-il préféré reléguer ce moment de faiblesse aux oubliettes ? La réponse se trouve dans les vicissitudes du temps. En 1977, Begin devient premier ministre d'Israël et les détails de sa biographie sont rapportés dans le monde entier. Un journal français publie l'histoire des "Nuits blanches" de Begin sur les Juifs chantant dans le bateau. Un ami montre l'article à Garine qui, peut-être effrayé de se remémorer ce souvenir ou peut-être appréhendant que ses amis entendent parler de l'incident, se contente de dire : « C'est une provocation ! »

Il est mort en 1980. Son petit-fils affirme que, jusqu'à sa mort, le révolutionnaire juif d'Odessa est resté un bolchevik dévoué.

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