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23/11/2021

LUIS CASADO
Chili : poussecaille* un jour, bouscaille** toujours (bis repetita)

Luis Casado, Politika, 22/11/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Les richesses, en vertu d'une loi immanente, appartiennent à ceux qui les conquièrent (...) Ceci est conforme aux lois de la Nature (...) La loi de la sélection justifie cette lutte incessante qui permet aux meilleurs de survivre »
Adolf Hitler

Au vu des résultats des élections de dimanche, on ne peut que féliciter l'Abstention, la première majorité de tout le pays (53,3%), un fait incontestable et incontesté que tout le monde a décidé de balayer sous le tapis, comme une saleté honteuse.


Pinochet et son successeur « démocratique » (et chrétien) Patricio Alwyn

Pas étonnant : dans le meilleur des cas, le fichu président serait élu par moins de 25% de l'électorat. On peut se demander quelle est la légitimité d'un magistrat lorsque plus de 75% des citoyens l'ignorent, le rejettent ou s'y opposent.

Le phénomène n'est pas nouveau : en 2013, j'ai écrit un essai – « Sur la réticence à voter » - dans lequel j'exposais les racines profondes de la désaffection pour un rituel dévalorisé : ni les élections ni les élus ne résolvent quoi que ce soit : tout est entre les mains de l'omniscience et de l'équilibre spontané du marché.

Au passage, le modèle exhibe l'une de ses plus grandes réussites : laisser de côté la grande majorité de la population, en se torchant avec le très vieil aphorisme juridique qui proclame Quod omnis tangit ab omnibus tractari et approbari debet (QOT) : ce qui concerne tout le monde, doit être débattu et approuvé par tous.

Sans vergogne, le gouvernement et la presse brandissent le taux de participation de 46,7% comme un triomphe. Il y a une semaine, j'affirmais que cette élection serait une pantalonnade. Sacrée perspicacité !

Quelques bonnes âmes analytiques proclament leur surprise devant les résultats du premier tour, sans même observer que trop de trahisons, d'espoirs déçus et de déceptions, ajoutés à la découverte un peu tardive de la vénalité inhérente à la croûte des politichiens parasitaires, suffisent à ouvrir les yeux des plus ahuris des naïfs.

Sans parler de la vacuité du discours politique. Les candidats font des efforts remarquables pour parler pendant des heures sans rien dire, à part quelques banalités dignes d’un Béotien avec certificat d’études primaires. Si les « vainqueurs » du premier tour devaient être enterrés, ils devraient l'être dans le même trou.

Ce qui frappe, c'est l'unanimité avec laquelle les uns et les autres ont accepté, pour la énième fois, de participer à un simulacre d'élection démocratique, dans le cadre d'une Constitution et de règles électorales établies pendant la dictature et perfectionnées ensuite par les gardiens du Temple.

Aucun des candidats n'a pu penser à exposer, avec la profondeur et la solennité qui auraient été de mise, ses convictions en matière constitutionnelle, dont la première était le respect et le soutien inconditionnel aux travaux (façon de parler) de la Convention constitutionnelle. La caricature est telle que la pantalonnade va jusqu'à élire des sénateurs alors même que la Convention constitutionnelle pourrait approuver un régime monocaméral. En admettant, bien sûr, que la Convention survive à la stupéfiante indifférence qu'elle suscite chez ceux qui ont vécu heureux de l'héritage institutionnel de la dictature, et qui s'apprêtent à faire l'impossible pour continuer à tenir le manche 30 ans de plus.

Personne n'a remis en question le modèle économique qui a valu au Chili tant de succès et d'applaudissements, « le pays le plus prospère d'Amérique latine » selon les plumitifs vendus de la presse au service de ce même modèle.

La così detta « gauche », les sogennanten « progressistes » et les so-called « rénovateurs » débitent le galimatias de la science économique et admettent que des lois immanentes déterminent irrécusablement et irrémédiablement les règles auxquelles le populo doit se soumettre dans son insondable ignorance des arcanes de la croissance, de la création de valeur et de l'indispensable et incessante accumulation du capital.

Si les lois découvertes par les sciences de la nature sont inhérentes aux phénomènes observés, celles qui donnent un ordre et un sens à la vie en société sont postulées. Pos-tu-lées. Et, pourrait-on dire, à partir des années 1980, « révélées », par des experts et des économistes, pour une évangélisation et/ou une catéchisation à la foi d'une nouvelle religion : celle du dieu profit.

Pour une raison ou une autre - associée au mauvais sang des pauvres, des créateurs quotidiens de richesse, de la main-d'œuvre négligée, de ceux qui n'ont pas de pouvoir d'achat, si vous voyez ce que je veux dire - cette religion prétendument messianique, adoptée par les progressistes en échange d'un accès intermittent au bizness et au grisbi, n'enthousiasme pas la grande majorité de ses victimes.

Les grands économistes l'ont déjà annoncé : la main-d'œuvre a une certaine tendance à prendre la tangente face à son devoir de productivité.

Et, accessoirement, face à son obligation de voter pour les bonimenteurs qui annoncent demain on rasera gratis, le paradis sur terre après-demain, et un PIB du tonnerre de Dieu pour la gloire de ce beau pays avec vue sur mer au plus tard la semaine prochaine.

Il est donc choquant de constater la surprise proclamée par les bonnes âmes analytiques qui ne comprennent pas pourquoi ce paradis terrestre, avec ses ziphones, ses SUV et la dette qui les suit comme une ombre, n’enthousiasme plus que les patrons.

La raison de cette Berezina est pourtant simple : la généalogie.

La bouscaille* d’aujourd’hui, c’est la poussecaille** d’hier.

NdT
* Boue, gadoue, en argot parisien
**Poussière, id.

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