Pages

Pages

Maps Cartes Mapas نقشه ها خرائط

À lire ailleurs To be read elsewhere Para leer en otros sitios Da leggere altrove Zum Lesen anderswo

19/12/2021

AVI GARFINKEL
Pourquoi le plus grand écrivain vivant d'Israël s'est-il détourné de la solution à deux États, optant pour celle d’un seul État démocratique ?

Avi Garfinkel, Haaretz, 17/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Avi Garfinkel (1972) est un écrivain israélien, auteur de 3 romans, rédacteur en chef du Masa Portal et ancien directeur du Shalem College Writing Center. Il a obtenu une licence en droit et en études générales à l'Université hébraïque de Jérusalem, puis a étudié la philosophie et la littérature à l'Université de Fribourg, en Allemagne. Il a ensuite obtenu un doctorat en littérature hébraïque à l'université Bar-Ilan. Garfinkel a travaillé pendant plusieurs années comme rédacteur et critique littéraire, entre autres pour Haaretz, Ynet, Maariv et Israel TV.

A.B. Yehoshua a toujours été opposé à l'idée d'effacer les frontières, notamment entre Juifs et Palestiniens. Pourquoi, alors, dans sa neuvième décennie de vie, promeut-il la solution à un seul État ?

Avraham B. Yehoshua. Photo : Rafaela Fahn Schoffman

 Pendant la majeure partie de sa vie, l'écrivain A.B. Yehoshua, qui a eu 85 ans au début du mois, a vécu dans des villes mixtes - juives et arabes : Jérusalem et Haïfa. Pourtant, plus ou moins au moment où il s'est installé à    Givatayim, l'une des villes les plus homogènes d'Israël, il a effectué un revirement stupéfiant. Après avoir soutenu la solution à deux États pendant 50 ans, il a annoncé, dans un certain nombre d'articles d'opinion publiés dans ce journal, qu'il considérait cette solution comme non viable. Ce qu'il faut faire, écrit-il, c'est donner à tous les Arabes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est la citoyenneté dans le cadre d'un seul État commun judéo-arabe. En 2016, il a suggéré qu'Israël commence immédiatement à accorder le statut de résident et la citoyenneté aux quelque 100 000 Arabes qui vivent dans la zone C de la Cisjordanie (qui est sous contrôle israélien), donnant ainsi une résonance au plan de l'ancien directeur général du Conseil des colonies de Judée et Samarie, Naftali Bennett, qui est aujourd'hui Premier ministre.

Ce n'est pas tous les jours qu'une personne de plus de 80 ans change  d'avis, et ce ne sont pas toutes les sociétés qui ont connu une telle révision d'approche de la part de leur plus grand écrivain vivant, et encore moins sur la question qui divise la société depuis la création de l'État : le conflit avec les Arabes. L'étonnement est d'autant plus grand si l'on tient compte du fait que dans ses écrits - aussi bien dans ses essais que dans ses romans - Yehoshua s'est souvent exprimé farouchement contre l'idée d'effacer les frontières en général, et entre Juifs et Palestiniens en particulier :

« Après la guerre des Six Jours, la frontière, qui est la pierre angulaire de chaque [exemple de] souveraineté dans le monde, a commencé à devenir floue. Bien que nous n'ayons pas annexé le territoire que nous avons conquis... nous avons néanmoins annulé l'existence physique de la frontière claire qui séparait deux peuples différents, et nous avons commencé à nous disperser dans des colonies - imitant une fois de plus la diaspora - au sein du tissu de vie d'un autre peuple... Aujourd'hui [au cours de la deuxième intifada], nous payons le prix d'une absence de frontière sous une forme sinistre et sanguine, car chaque jour, un ennemi pénètre dans le système circulatoire de notre être, sans même que nous puissions l'identifier...

« Les Palestiniens sont dans une situation de folie qui rappelle la folie du peuple allemand pendant la période nazie. Je regarde avec effroi la profondeur de la haine suicidaire avec laquelle les Palestiniens se rapportent à nous. Les Allemands, eux aussi, nous considéraient avec le même type de haine. C'est quelque chose qui doit être clarifié : ce qui se passe entre nous et les autres peuples parmi lesquels nous vivons. Qu'est-ce qui a amené les Allemands et qu'est-ce qui amène les Palestiniens à éprouver une telle haine à notre égard... L'absence substantielle, presque anarchique, de frontières dans l'identité juive qui fait son nid dans une identité différente, suscite naturellement la résistance ».

 

Comme le montrent ces citations (tirées d'une conférence de 2002), la nouvelle position n'est pas seulement un changement de la part de Yehoshua. En effet, ce qu'il considérait comme le problème - l'effacement des frontières, la non-séparation entre Juifs et Palestiniens - il le présente maintenant comme la solution !

Il y a quelques années encore, Yehoshua présentait l'incursion dans la sphère de l'autre et l'absence de frontière claire entre soi et l'autre comme une source d'inimitié et de violence. C'est également l'explication qu'il a donnée à l'antisémitisme qui a visé les Juifs de la diaspora : c'est précisément parce que les Juifs étaient si habiles à s'intégrer dans la société environnante qu'ils suscitaient la peur et la haine chez les gentils, qui craignaient la pénétration sournoise et clandestine d'un corps étranger en leur sein. (Il est intéressant de noter dans ce contexte que le livre pour enfants Tamar et la souris de Gaïa, écrit par Yehoshua en 2005, traite de l'incursion et de la "naturalisation" d'une souris dans la maison d'une famille d’humains, et décrit la souris en des termes qui rappellent le stéréotype du Juif de la diaspora : "petit gamin souris", "souris très intelligente", "souris rusée" et aussi "très misérable").

En effet, non seulement Yehoshua l'essayiste mais aussi Yehoshua l'écrivain de fiction attribue une importance immense et positive à la notion de frontières. Les romans et les nouvelles de Yehoshua regorgent d'intrusions, d'invasions et d'incursions d'individus dans des zones et des lieux interdits. Il n'existe pratiquement aucune de ses œuvres sans un personnage qui tente de franchir un seuil, d'entrer dans une pièce inconnue, d'accéder à un site qui lui est interdit, de violer la vie privée ou de contaminer ou profaner une sorte de caractère sacré par sa seule présence.

Le mur de séparation près de la ville palestinienne d'Abou Dis.
Photo : Emil Salman

 Dans le roman Un feu amical (2007, fr. 2008), le protagoniste se voit poser la question suivante : « Comment se fait-il que vous, les Juifs, puissiez pénétrer dans toutes sortes de lieux étrangers et vous installer dans l'âme des autres ? » Ce concept est également très pertinent pour le jeune Arabe Na'im dans le premier roman de Yehoshua, "L'Amant" (1977, fr. 1994), notamment vers la fin du livre, lorsque Na'im achève son intégration en camouflage dans la société juive, tout en affichant une maîtrise de l'œuvre du poète national juif, Haim Nahman Bialik.

 Dans une interview accordée au mensuel juif usaméricain Sh'ma, Yehoshua a soutenu que son plus long roman, La mariée libérée, paru en 2001 [fr. 2003], aurait également pu s'intituler "Frontières". Le roman décrit une production bilingue, lors d'un festival de poésie à Ramallah, de "Dibbouk", l'œuvre juive paradigmatique traitant du danger de la pénétration d'un corps étranger dans le soi.

Dans l'ensemble, la carrière littéraire de Yehoshua est caractérisée par un engagement récurrent avec les frontières. Tracez des frontières avant qu'une catastrophe ne se produise, implore Yosef Mani ses voisins arabes dans Monsieur Mani (1990, fr. 1994), « Trouvez- vous une identité avant qu'il ne soit trop tard ! ». Yosef, cependant, ne tient pas compte de son propre conseil et ne parvient pas à sauvegarder les frontières, lorsqu'il décide « de pénétrer dans un endroit où les Juifs étaient interdits » : Yosef est tué par son père sur le Mont du Temple, à savoir le Mont Moriah, exemple remarquable de « lieu dont les Juifs étaient exclus ». L'image des essais du mélange mortel de différents sangs résonne au début de Monsieur Mani, lorsqu'un nourrisson qui reçoit une transfusion meurt apparemment d’une « incompatibilité de groupes sanguins ».

L'un des signes de démence de Louria, le protagoniste du roman Le Tunnel (2018, fr. 2019) de Yehoshua, est sa tendance à entrer dans des endroits où il ne devrait pas se trouver et à ouvrir des portes interdites (comme celle de l'opéra). Ce n'est pas un hasard s'il cuisine des plats indéterminés et qui dépassent les limites, comme « une quiche de nouilles entrelacées comme le cerveau humain ».

De même, Zvi, l'ami du narrateur dans le récit de 1965 Trois jours et un enfant [fr. 1974], s'immisce dans la vie du narrateur en envahissant son appartement, ce qui le conduit presque à la mort, lorsqu'il est mordu par un serpent qui y avait été lâché. L'intrusion de Zvi dans la relation entre le narrateur et sa compagne, dont Zvi est amoureux, évoque l'intrusion œdipienne d'un enfant entre ses parents et met en évidence le caractère primordial et universel de l'invasion d'un territoire interdit. Comme de nombreux personnages de fiction de Yehoshua, le narrateur de Trois jours et un enfant confère à cette dangereuse tendance à l'empiètement un aspect national-local lorsque, de sa propre initiative, il emmène sa classe en randonnée dans la Jérusalem d'avant juin 1967 et traverse la frontière avec eux.


Qu'est-ce qui peut expliquer une transformation aussi extrême de l'approche ? Yehoshua, pour sa part, propose deux explications : la reconnaissance du fait que la solution à deux États n'est pas réalisable, et le souci de l'image morale des Juifs et des Palestiniens. D'un point de vue purement logique, ces raisons peuvent être suffisantes. Cependant, un changement d'avis aussi spectaculaire pourrait aussi avoir des racines plus profondes, comme Yehoshua, qui a toujours utilisé des motifs psychanalytiques dans son travail, serait sans doute le premier à le reconnaître.


Comme l'a noté le psychologue Amos Prywes, qui tient une chronique en ligne dans l'édition hébraïque de Haaretz, le psychanalyste Emmanuel Gant considérait l'aspiration à franchir les limites de notre moi et à revenir à un état d'unité primaire avec le monde comme une pulsion humaine universelle. Yehoshua, dans sa nouvelle prise de position en faveur d'un seul État partagé par les Juifs et les Palestiniens, remplit ici le rôle traditionnel du mentor spirituel dans les cultures d'Extrême-Orient, la personne qui nous guide dans ce processus et nous aide à démanteler les murs de notre ego - ou un véritable mur matériel dans le cas israélo-palestinien. Ainsi, en 2002, au plus fort de la seconde Intifada, alors qu'il écrivait les remarques stridentes citées plus haut pour condamner la violation des frontières, Yehoshua a déclaré au poète Yotam Reuveni lors d'une interview : « Les Arabes de la Terre d'Israël font partie de mon identité. Ils sont une composante de l'identité de cette terre. En conséquence, je ressens pour eux une chaleur humaine et même une certaine intimité... Ce ne sont pas de parfaits étrangers, même s'ils sont ennemis. Je les sens aussi en moi ».


Une voiture de police brûle, à Lod, en mai dernier. La chaîne n'est pas plus forte que son maillon le plus faible. Photo : Avishag Shaar-Yashuv

En d'autres termes, ce que Yehoshua a interdit était en fait - comme c'est souvent le cas avec de nombreuses interdictions - ce à quoi il aspirait peut-être par-dessus tout. Dans Voyage vers l’An Mil (1997, fr. 1998), le protagoniste, Ben Attar, se marie avec deux femmes, qui se contentent de partager le même mari - comme les Juifs et les Palestiniens sont censés partager le même État. On trouve d'autres indices de ce désir de mélange dans le roman de 1994 Le retour d'Inde (intitulé Shiva en français, 1995), qui est rempli de tentatives diverses de dissoudre les frontières du moi et de fusionner avec l'autre, « conformément à la douce philosophie bouddhiste selon laquelle nous n'étions pas deux âmes entrant dans un lien éternel, mais seulement deux rivières, chacune sûre de la profondeur et de l'indépendance de son propre courant, et qui ne seraient pas en danger si nos eaux se mélangeaient légèrement ». À l'inverse de l'histoire du nourrisson dans Monsieur Mani, dans Shiva, la vie d'Einat est sauvée grâce à une transfusion sanguine fournie par le protagoniste.

La passion de l'unité est particulièrement flagrante dans Molkho (L’Année des cinq saisons en français, 1994), un roman de 1987 dans lequel le protagoniste est hanté par des images du mur de Berlin et de la Jérusalem divisée. Après la mort de sa femme, qui avait été si méticuleuse quant aux frontières et à l'interdiction de loger chez des étrangers, Molkho se décharge de ses responsabilités et fait tout cela. La mort de sa femme bien-aimée, aussi tragique et triste soit-elle, lui permet également de donner libre cours à ses désirs cachés, parmi lesquels la pulsion universelle dont parle l'analyste Gant, à savoir franchir les frontières entre soi et l'étranger.

L'unité des extrémistes

Cependant, comme le note Prywes, « la frontière est mince entre se découvrir dans le monde de l'autre et s'y perdre. Entre élargir et assouplir les frontières du moi et le sentiment qu'elles sont éclatées et englouties. Entre l'expérience du don de soi et celle de la soumission ». Rappelons à ce propos le roman de 2015 de Michel Houellebecq, Soumission, dont le titre est à la fois la traduction littérale du mot " islam " et un scénario cauchemardesque dans lequel un pays laïc-chrétien perd son identité et ses valeurs libérales en raison de la montée en puissance des immigrés musulmans fondamentalistes en son sein.

En ce qui concerne la perte d'identité, Yehoshua s'est contredit. Dans son article de 2018 du Haaretz épousant l'idée d'un seul État, il écrit : « L'identité juive (quelle que soit la façon dont elle est interprétée) a existé pendant des milliers d'années en tant que petite minorité au sein de grandes et puissantes nations, il n'y a donc aucune raison pour qu'elle n'existe pas aussi dans un État israélien, même si celui-ci contient une minorité palestinienne si importante qu'on peut le qualifier d'État binational ». Cependant, cela diffère de ce qu'il a dit à l'écrivain Dror Mishani la même année, lors d'une interview à l'occasion de la publication de Le Tunnel :

Mishani : « Dans l'histoire des shabazim [acronyme désignant les Palestiniens vivant en Israël sans autorisation] dans les ruines nabatéennes, faites- vous allusion au fait que si nous faisions moins de cas de notre " identité ", si nous l'oubliions et la laissions s'effriter, une nouvelle identité émergerait ici ? De même qu'il n'y a pas d'identité nabatéenne aujourd'hui, il est possible qu'à l'avenir il n'y ait pas d'identité 'israélienne' ? »

Yehoshua : « Sans aucun doute. Regardez comment nous essayons de nous accrocher à l'identité juive et comment elle nous échappe. Nous devons nous déployer pour une autre façon de penser notre identité dans l'état binational dans lequel nous sommes déjà, que nous le voulions ou non ».

L'idée d'un État unique représente un danger non seulement pour l'identité juive, mais aussi pour le corps juif (et palestinien) - le danger d'une réalité bosniaque ou rwandaise, yéménite ou syrienne : une guerre civile meurtrière et sanglante, avec des dizaines, voire des centaines de milliers de morts. Il est vrai que tout est possible, alors peut-être que nous, Juifs et Palestiniens, aurons de la chance et réussirons à laisser derrière nous le passé sanglant et à mettre fin aux guerres et au cycle de réaction et de vengeance. Mais que faire si cela ne se produit pas ? Le risque n'est-il pas trop grand ? Quelle image l'État unique revêtira-t-il une fois qu'il aura une majorité arabe, un premier ministre, un ministre de la défense et un chef d'état-major palestiniens ? Comment les millions de nouveaux citoyens palestiniens réagiront-ils lorsque des roquettes seront tirées sur Israël depuis la bande de Gaza ? N'utiliseront-ils pas leur droit démocratique pour décider d'accorder le droit de retour dans les limites de la ligne verte à des millions de réfugiés palestiniens ? Et quelle image morale aura un tel État, dans lequel les chauvins juifs et arabes, les fanatiques religieux et les homophobes constitueront une solide majorité de la population ?

Car nous devons nous rappeler : l'union qui est proposée ici n'est pas seulement entre A.B. Yehoshua et Sari Nusseibeh, mais aussi - et même principalement - entre Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Elor Azaria, d'une part, et leurs homologues palestiniens enflammés qui continuent à être financés par l'Iran. Pourquoi principalement ? Parce que la chaîne n'est pas plus forte que son maillon le plus faible. Chaque prise de bec entre voisins, accident de la route ou acte de viol impliquant des individus des deux peuples dans l'État unique pourrait dégénérer en chaos général.


La fenêtre égratignée d'une synagogue à Lod après les affrontements qui s'y sont déroulés en mai. Photo : Hadas Porush

À  ce stade de la discussion, les intellectuels de la gauche radicale se lèvent généralement et expliquent, dans la tradition de Karl Marx et d'autres, que les craintes d'une guerre civile entre Juifs et Arabes sont des peurs irrationnelles inculquées par l'État - le résultat des mensonges du système éducatif sioniste, des traumatismes de l'Holocauste qui ont été exploités par des dirigeants manipulateurs et avides de pouvoir, et cultivés par des médias avides d'audimat, des appels à la haine de Benjamin Netanyahou et d'autres actes de lavage de cerveau visant à créer des sujets obéissants au service du projet colonial israélien.

Ce n'est apparemment pas l'avis de Yehoshua, qui est conscient des dangers que son plan comporte et les a admis franchement. Pour ceux qui méprisent les craintes d'une solution à un seul État, il est bon de rappeler que personne ne peut prévoir l'avenir, tout en leur recommandant de lire le Pacte du Hamas et d'autres déclarations de ses dirigeants. Le Hamas a aujourd'hui le soutien de la majorité des Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est - à savoir ceux à qui Yehoshua souhaite accorder la citoyenneté et le droit de vote dans l'État commun.

Et à propos de Marx : il serait le premier à comprendre la faiblesse de l'optimisme quant aux perspectives d'une vie pacifique entre Arabes et Juifs dans le cadre d'un État unique, compte tenu de la grande disparité économique entre les peuples ; après tout, le PIB par habitant en Israël est neuf fois supérieur à celui du territoire sous l'Autorité palestinienne. Dans une nouvelle spirituelle récemment publiée, un chauffeur italien explique à la fille juive d'une riche famille que le fait que les juifs soient parfois plus performants que les catholiques ne les rend pas plus aimés. La nouvelle s'intitule La fille unique et le nom de son auteur est A.B. Yehoshua (version anglaise à paraître en 2022). La difficulté de concrétiser la vision d'un État unique a donc aussi une dimension économique, dont l'auteur est bien conscient.

Yehoshua a publié sa vision d'un État unique en 2018, et depuis lors, la réalité a fourni une autre réfutation de son analyse. À cette époque, il y a trois ans, Yehoshua écrivait dans Haaretz : « Pourtant, il semble que la citoyenneté qui a été imposée ou accordée aux Palestiniens d'Israël à la fin de la guerre d'indépendance en 1949 a créé une base stable et concrète pour les relations entre la majorité et la minorité dans l'État juif, avec son importante minorité nationale et non territoriale de 20 %. Même un observateur extérieur doté d'un sens élevé de la moralité humaine donnerait aux deux parties - Juifs israéliens et Palestiniens israéliens - des notes élevées pour la sagesse de la coexistence qu'elles ont développée au cours des 70 années d'existence de l'État ».

Les émeutes, lynchages, incendies et autres troubles qui ont éclaté pendant l'opération "Gardiens des murs" [contre Gaza, NdT] en mai ont montré que la coexistence entre Arabes et Juifs à l'intérieur des frontières de la Ligne verte ne repose pas sur une « base stable et concrète », mais sur une fine couche de verre qui peut facilement se briser - et qui s'est effectivement brisée. À cet égard, il convient de citer ce que Sami Abou Shehadeh, chef du parti Balad - une faction de la Liste commune - a déclaré il y a quelques semaines en référence aux émeutes des Arabes israéliens au printemps dernier : « Les Juifs ont perdu parce que les jeunes hommes de Lod ont décidé que cette fois-ci ils étaient unis... Les attaques sur Al-Aqsa et dans [le quartier de Jérusalem- Est de] Sheikh Jarrah ont secoué toute la Palestine... Mais les garçons de Lod se sont cassé le nez ». Le geste nécessaire pour guérir le nez cassé des Juifs implique-t-il d'augmenter considérablement la part des Arabes dans l'État ?

En effet, la solution d'un Etat palestinien existant à côté d'un Israël juif semble être non viable dans un avenir prévisible. Mais de l'impossibilité temporaire d'une solution particulière (deux États), il ne faut pas conclure qu'il existe une autre solution (un État) qui est possible, voire préférable. Yehoshua a raison de dire que la situation existante est intolérable en termes de sécurité, d'humanité et de moralité. Il mérite de grands éloges pour avoir essayé de trouver de nouvelles réponses, en faisant preuve d'une créativité, d'une flexibilité et d'une volonté de revoir une approche qui ne sont pas typiques même de ceux qui sont beaucoup plus jeunes que lui. De nombreux éléments de son plan, y compris la nécessité d'arrêter l'expansion des colonies et de mettre fin aux mauvais traitements infligés aux Palestiniens, sont sans aucun doute corrects.

Cependant, la flexibilité n'est pas toujours plus noble que l'obstination. Dans le contexte du conflit palestinien, il est préférable d'adopter la déclaration émotionnelle, voire anti-intellectuelle, de l'ami et collègue de Yehoshua, l'écrivain David Grossman : « J'ai du soumoud [mot arabe signifiant « constance, endurance », une stratégie palestinienne] pour la paix ». Pas la paix maintenant, pas un seul État, mais la patience et l'indulgence. Le camp de la paix, lui aussi, ne craint pas un long chemin. C'est un camp qui croit en la paix entre Israël et une Palestine à côté, et non à l'intérieur - une paix qui, même si elle tarde, arrivera sûrement. Et si ce n'est pas demain, ce sera après-demain.

NdT : la traduction de ce texte n’implique pas un accord du traducteur avec les thèses de l’auteur, mais vise à documenter l’état (plutôt misérable) des débats entre intellectuels israéliens juifs sur l’avenir de cette terre martyre de Palestine, dont ils s’acharnent à appeler les habitants historiques « les Arabes »…

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire