Ameer Makhoul (bio) , middleeasteye.net, 31/5/2023
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
La récente “guerre des menaces” a révélé la profondeur de la crise économique et financière d’Israël résultant du coup d’État judiciaire entrepris par le gouvernement actuel
Le chef de l’état-major général de l’armée israélienne, Herzi Halevi, s’exprime lors de la conférence de Herzliya le 23 mai 2023 (Twitter)
La
conférence d’Herzliya
des 22 et 23 mai, qui s’est tenue à l’université israélienne Reichman, a servi
de cadre à l’amplification des menaces militaires contre des cibles régionales,
notamment le Liban et l’Iran. Selon le chef d’état-major des forces
israéliennes, Herzl “Herzi” Halevi, des attaques "aériennes, maritimes et
terrestres" sont envisageables.
S’exprimant lors de la conférence, Halevi
a évoqué la possibilité d’une attaque préventive israélienne : « Des
développements négatifs pourraient nécessiter une action contre l’Iran. Le
moment d’une attaque [militaire] préventive contre le Hezbollah qui garantirait
notre avantage devrait être examiné... [Hassan] Nasrallah ose nous affronter,
mais le rétablissement après la guerre serait extrêmement difficile pour le
Liban ».
La conférence a coïncidé avec des
visites de bases militaires stratégiques par le Premier ministre Benjamin
Netanyahou
et le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir, qui se sont récemment fait l’écho
de ces sentiments dans leurs déclarations publiques.
Cette année, la conférence annuelle sur la sécurité avait pour thème “Visions et stratégies à l’ère de l’incertitude”, partant du principe que l’État juif serait au bord d’une guerre régionale désastreuse. Dans ce contexte, les dirigeants militaires et gouvernementaux du pays ont multiplié les menaces explicites à l’encontre de l’Iran, du Hezbollah, de la Syrie et du Liban.
Carlos Latuff
Se préparer à la guerre
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré lors de la conférence qu’Israël se préparait à ce qu’il a décrit comme une “guerre difficile, complexe et sur plusieurs fronts”. Il a accusé les Gardiens de la révolution iraniens de “transformer des navires commerciaux civils en bases militaires, en transporteurs de drones et en bases terroristes maritimes au Moyen-Orient”.
Il est intéressant de noter que ces menaces semblent avoir suscité plus d’intérêt de la part des médias étrangers que de la part des médias israéliens.
Gallant
a ajouté : « Ces plates-formes terroristes maritimes représentent une
extension du terrorisme maritime de l’Iran dans le golfe Persique et la mer d’Arabie,
avec l’ambition d’étendre sa portée à l’océan Indien, à la mer Rouge et
peut-être même à la mer Méditerranée ».
Gallant propose une “solution” : « Seules
la coopération internationale et la mise en place d’une coalition contre le
terrorisme iranien dans le Golfe, ainsi qu’une menace militaire réelle contre
chaque front, permettront d’affronter le plus efficacement possible le
terrorisme iranien, que ce soit dans les airs, en mer ou sur terre ».
Par ailleurs, le chef de la direction du
renseignement militaire, le général Aharon Haliva, a lancé un avertissement : « Nasrallah
est sur le point de commettre un faux pas qui pourrait plonger la région dans
une guerre importante ». Il a évoqué un incident
récent
impliquant un combattant du Hezbollah qui a franchi la frontière israélienne et
posé un engin explosif près du carrefour de Megiddo, à l’intérieur du pays, disant
qu’il n’était ni accessoire ni unique.
Haliva a souligné que l’Iran continuait d'avancer dans ses ambitions
nucléaires, en progressant dans l’enrichissement de l'uranium. Il a déclaré : « Nos
évaluations indiquent que l’Iran n’a pas encore pris la décision définitive d’obtenir
des armes nucléaires. Israël reste vigilant et suit de près tous ces
changements ».
Haliva a ajouté que le retour de la Syrie au
sein de la Ligue
arabe,
ainsi que le réchauffement des relations et la visite du président Bachar Al Assad
en Arabie saoudite, laissent présager une remontée du moral et de l’assurance
des Syriens, ce qui pourrait renforcer le défi que représente la Syrie pour
Israël.
Dans une contradiction apparente, la rhétorique exacerbée menaçant d’une guerre préemptive imminente contraste fortement avec la nature même de la guerre préemptive, qui repose traditionnellement sur des éléments de tromperie et de surprise.
La perception unilatérale selon laquelle le Hezbollah a été dissuadé depuis 2006, associée aux affirmations de la conférence d’Herzliya selon lesquelles il est désormais plus audacieux dans sa confrontation avec Israël, néglige un point essentiel, à savoir qu’Israël lui-même aurait pu être dissuadé. La dissuasion est en effet une voie à double sens. Cette notion a d’ailleurs été illustrée par la récente résolution de la crise du gaz en Méditerranée orientale, ainsi que par le barrage de missiles qu’Israël a essuyé depuis le Sud-Liban il y a quelques semaines.
Plusieurs
analystes militaires soutiennent que le mandat de Netanyahou
en tant que premier ministre pendant la majeure partie de la dernière décennie,
en particulier ses efforts pour saper l’accord sur le nucléaire iranien jusqu’à
son abandon par l’administration Trump, a peut-être posé par inadvertance un
risque stratégique pour Israël.
Cette affirmation découle de l’observation
que le rythme de l’enrichissement de l’uranium et le développement de missiles
à longue portée en Iran se sont tous deux accélérés, à la suite du retrait des USA
de l’accord. Ils
ajoutent que tout acte d’agression contre l’Iran pourrait inciter ses
dirigeants à accélérer l’achèvement de son projet nucléaire militaire, ce qui
est tout à fait contraire aux intérêts stratégiques d’Israël.
Motivations politiques
L’analyste politique israélien Ronel Alfer et l’analyste militaire Amir Oren affirment dans Haaretz que la position adoptée par les dirigeants militaires, les institutions de sécurité et le gouvernement actuel est principalement destinée à l’opinion publique israélienne. Selon les analystes, la menace de guerre est devenue un cliché, bien qu’elle prévienne efficacement l’insubordination militaire potentielle parmi les pilotes.
Ils estiment en outre que ce climat d’alerte accrue aide Netanyahou à atteindre son objectif, qui est d’écarter ses rivaux politiques, tels que Ben-Gvir et le parti Otzma Yehudit (Pouvoir juif), et d’intégrer le chef de l’opposition, Benny Gantz, dans un gouvernement de coalition d’urgence. Ils estiment en outre que l’intégration de Gantz dans le gouvernement pourrait obtenir l’approbation de l’administration Biden.
Alfer
évoque en outre la possibilité qu’Israël mette en péril sa propre sécurité pour
tenter de faire dérailler les efforts de “réforme judiciaire” et de surmonter
la crise interne en cours. Selon lui, cela pourrait déboucher sur un conflit
motivé par des objectifs politiques internes.
À la suite de ses attaques contre Gaza, Netanyahou
a réussi à regagner une partie de sa popularité et de sa stature perdues,
mais ce rebond est notablement limité et n’a pas modifié l’orientation
dominante de la politique intérieure israélienne.
La population israélienne est actuellement plus préoccupée par l’état de l’économie, l’escalade des prix et l’appréhension d’un effondrement économique que par les questions relatives à l’Iran. La pression économique a été encore exacerbée par le spectre de la guerre, qui a entraîné une dépréciation marquée du shekel israélien par rapport aux devises étrangères, ce qui laisse présager de nouvelles hausses de prix et une inflation financière.
En outre, les événements en cours coïncident avec la ratification d’un budget d’État de deux ans pour lequel Netanyahou s’est manifestement plié aux exigences de ses partenaires de coalition, à savoir les sionistes religieux et les Haredim.
Manque de capacité
Bien qu’elle reste entourée d’incertitude et de scepticisme, une autre question clé est de savoir si Israël est préparé à une guerre bien calculée contre le Hezbollah et l’Iran. Plusieurs analystes ont conclu qu’Israël, malgré ses formidables capacités militaires et ses prouesses dans l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins militaires, pourrait ne pas être en mesure de dicter pleinement l’issue, la trajectoire et l’ampleur d’une telle guerre.
La capacité du front intérieur israélien à supporter une guerre d’une ampleur presque totale est tout aussi obscure.
Selon les déclarations du chef d’état-major israélien, la menace du Hezbollah a été gérée efficacement depuis 2006. Toutefois, cette même période illustre également la position similaire d’Israël en matière de dissuasion. Pendant toutes ces années, la frontière nord est restée l’une des lignes de confrontation les plus pacifiques.
En
outre, l’accord définissant la démarcation des frontières maritimes
entre le Liban et Israël, en particulier en ce qui concerne l’exploration
gazière, témoigne de cette double dissuasion politique et militaire. Les
récentes déclarations de l’état-major israélien viennent compléter ce tableau
complexe. À la suite de la dernière agression contre Gaza, les autorités
israéliennes ont précisé que les évaluations appropriées pour évaluer les
attaques contre le Jihad islamique ne s’appliquaient pas au front nord, où
opère le Hezbollah.
Cette déclaration fait suite aux travaux
de la conférence d’Herzliya, où, selon les évaluations israéliennes, le
Hezbollah a été qualifié de front le plus redoutable de l’Iran.
Si l’objectif de ces menaces est de
rajeunir la capacité de dissuasion d’Israël, cela correspondrait à l’affirmation
de Netanyahou sur la supériorité d’Israël dans le domaine de “l’intelligence
humaine et artificielle”. Cette dernière partie concerne les opérations
militaires, les cybercapacités et “l’influence sur l’opinion publique et le
moral de l’adversaire”.
Toutefois, l’Iran et le Hezbollah considèrent le gouvernement de. Netanyahou comme un facteur qui a affaibli Israël sur le plan stratégique, ce qui se reflète dans la diminution de son influence régionale. Pour eux, le leadership actuel offre plus d’opportunités que de risques. Revenant apparemment sur ses menaces, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré aux médias étrangers le 24 mai que les avertissements émis par les dirigeants politiques et militaires du pays « ne signifient pas qu’une guerre se profile à l’horizon, ni qu’Israël va frapper l’Iran de manière imminente ».
Changement d’alliances
Dans un paysage régional en mutation, des signes naissants de réconciliation interarabe et arabo-iranienne apparaissent. Dans le même temps, Israël et les USA affirment que l’Iran aide la Russie en lui fournissant des drones et des missiles dans le cadre du conflit russo-ukrainien.
En fin de compte, il est peu probable que l’escalade des menaces des dirigeants israéliens précipite une guerre à grande échelle
Cet alignement de l’Iran sur la Russie et la Chine, tel qu’il est perçu par Netanyahou, pourrait susciter l’intérêt des USA pour une éventuelle attaque contre l’Iran, mettre un terme à la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran et entre les pétromonarchies du Golfe et la Syrie, et limiter les efforts arabes visant à instaurer un nouvel ordre mondial fondé sur la multipolarité plutôt que sur une configuration unipolaire.
Les analyses israéliennes suggèrent qu’en menaçant d’une guerre régionale, Netanyahou pourrait accélérer les pressions usaméricaines sur l’Arabie saoudite pour qu’elle normalise ses relations diplomatiques avec Israël. Cet effort comprend actuellement des mesures limitées à court terme telles que la facilitation des vols directs entre Israël et l’Arabie Saoudite pour transporter les pèlerins du Hadj parmi les Palestiniens de 1948.
Il est de plus en plus douteux que la guerre de menaces orchestrée par Israël se transforme en une véritable guerre, une entreprise qui présente des risques dépassant de loin toute capacité à en prédire les conséquences - potentiellement dévastatrices non seulement pour le Liban, mais aussi pour Israël lui-même.
Le récent assaut israélien sur Gaza, qui visait spécifiquement le mouvement du Jihad islamique, relativement petit et de capacité limitée, a mis en évidence l’incapacité d’Israël à contrôler efficacement la progression de l’offensive ou à dicter sa conclusion. Comme l’a déclaré Halevi, la situation sur le front nord est totalement différente de celle de Gaza, et les mêmes stratégies ne peuvent être employées.
Dans ces conditions, il semble que l’influence régionale d’Israël ait diminué de manière significative et palpable. Il est également très peu probable que les dirigeants israéliens parviennent à remodeler les priorités mondiales des USA au profit de leur propre agenda politique. Par ailleurs, la “guerre des menaces”, répétée depuis 2004 et en particulier en 2013 et 2014 avant la conclusion de l’accord international sur le programme nucléaire iranien, est devenue inefficace.
Les objectifs de cette rhétorique sont axés sur des gains à court terme plutôt que sur une stratégie à long terme. La “guerre des menaces” actuelle a révélé la profondeur de la crise économique et financière d’Israël résultant du coup d’État judiciaire entrepris par le gouvernement actuel.
Alors
que certaines guerres ont pu soutenir l’économie israélienne dans le passé,
elles sont devenues désastreuses pour l’économie, qui retient actuellement l’attention
de la société israélienne plus que toute autre question. Cela indique que la crise
politique interne israélienne, le coup d’État judiciaire et ses résultats sont
à l’origine de l’érosion de la dissuasion israélienne, parallèlement aux
transformations régionales et mondiales mentionnées précédemment.
En fin de compte, il est peu probable
que l’escalade des menaces des dirigeants israéliens précipite une guerre à
grande échelle. Et bien que les manœuvres diplomatiques usaméricaines puissent
favoriser une certaine détente entre Israël et l’Arabie saoudite, la
perspective de relations diplomatiques formelles reste incertaine.
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