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02/02/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Les alliés de Netanyahou veulent utiliser l’aide à Gaza comme rampe de lancement pour l’occupation et l’annexion de la bande de Gaza

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 1/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Dre. Dahlia Scheindlin est une chercheuse usaméricano-israélienne en opinion publique  et une conseillère politique qui a travaillé sur huit campagnes nationales en Israël et dans 15 autres pays. Elle est actuellement chargée de mission à la Century Foundation, co-animatrice du podcast The Tel Aviv Review, et du podcast Election Overdose au journal Haaretz. Son plus récent ouvrage s’intitule The Crooked Timber of Democracy in Israel : Promise Unfulfilled [Le bois tordu de la démocratie en Israël : promesses non tenues] (De Gruyter, 2023).@dahliasc

Permettre à Israël de distribuer de l’aide humanitaire par la mise en place d’un gouvernement militaire, c’est aller tout droit vers la reproduction du cauchemar en Cisjordanie, la fusion de la violence des colons et de la violence militaire contre les Palestiniens par un État autoritaire.



Aide humanitaire au compte-gouttes, par Amorim, Brésil

Lorsque le ministre des Finances Bezalel Smotrich a accordé une interview à Channel 12 la semaine dernière, il ne lui a fallu que quelques secondes pour exposer l’étonnante voie qu’Israël - ou du moins certains décideurs influents - est en train de tracer pour l’avenir.

« Nous ne devons pas laisser l’aide entrer par l’intermédiaire de l’UNRWA... afin de respecter le droit international... nous ferons entrer l’aide et la distribuerons nous-mêmes ».

Lorsque les animateurs ont fait valoir le danger que cela représenterait, il a déclaré, en ralentissant pour faire effet : « Écoutez ce que je dis : Il. y. aura. Un gouvernement militaire à Gaza. Parce que tout le monde est d’accord pour dire que nous devons rester à Gaza et la contrôler militairement, et qu’il n’y a pas de contrôle militaire sans contrôle civil ». Cette dernière partie a été prononcée si rapidement que c’est comme si Smotrich espérait qu’elle allait nous échapper.

Cet échange d’une dizaine de secondes contient de nombreux éléments. Tout d’abord, Smotrich affirme qu’Israël devrait se conformer au droit international en trouvant un moyen d’acheminer l’aide humanitaire à Gaza. Le monde entier considérera probablement qu’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction.

Mais ce qui se passe aujourd’hui détermine le cours de l’avenir ; c’est une règle empirique en ce qui concerne les relations israélo-palestiniennes.

La proposition de distribution de l’aide par Israël semble bonne à première vue, jusqu’à ce que l’on considère les trois objectifs déclarés de Smotrich : premièrement, le contrôle permanent d’Israël sur Gaza après la guerre ; deuxièmement, le contrôle israélien sera mis en œuvre par le biais d’un régime militaire ; troisièmement, ce gouvernement militaire exercera un contrôle à la fois militaire et civil.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, il n’existe pas, dans la pratique, de contrôle militaire israélien sur les Palestiniens qui n’entraîne pas, en fin de compte, un contrôle civil. La fiction des zones A, B et C en Cisjordanie - qui veut que les Palestiniens contrôlent les affaires civiles dans environ 40 % de la région (A et B) conformément aux accords d’Oslo - signifie simplement qu’Israël influence tous les aspects de la vie des Palestiniens, mais refuse de ramasser les ordures ou de fournir des services de santé et des prestations sociales.

Smotrich tente donc de tirer parti de la catastrophe humanitaire à Gaza, des ordonnances de la Cour internationale de justice et de quelques cajoleries usaméricaines pour faire entrer l’aide humanitaire, pour lancer l’occupation-annexion future de Gaza, avec une forte probabilité d’exode massif des Palestiniens dans l’intervalle.

Il n’est pas membre du cabinet de guerre - mais pensez à l’effet de ruissellement. Il a planté la graine et, comme le rapporte Haaretz aujourd’hui, Smotrich affirme maintenant que Netanyahou a demandé à l’armée d’examiner cette possibilité.

En début de semaine, des fuites concernant une réunion d’information du ministre de la Défense Yoav Gallant pour la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset ont révélé des positions contradictoires : la chaîne publique Kan a rapporté que Gallant avait déclaré qu’un “acteur gazaoui dirigerait la bande de Gaza après la guerre. Mais Ynet a rapporté qu’il avait déclaré : « Il est tout à fait clair que le Hamas ne gouvernera pas à Gaza, Israël gouvernera militairement, mais pas civilement ». Peut-être que Gallant s’est convaincu lui-même de la fausse séparation. Son bureau n’a pas répondu aux demandes de clarification.


Des femmes palestiniennes déplacées se rassemblent sur une dune au-dessus d’un camp de fortune à la frontière égyptienne, à l’ouest de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en janvier.

La colonie juive de Migdalim près de Naplouse en Cisjordanie, 2022. Photo : Ariel Schalit /AP

Cette semaine, la raison pour laquelle les marginaux-radicaux ne devraient jamais être rejetés est apparue clairement. Historiquement, c’est une bande de danseurs et d’activistes divinement inspirés qui se sont installés au Park Hotel d’Hébron pour un seder de Pessah en 1968 et qui ont formé le noyau de ce qui est devenu plus tard Kiryat Arba, et le mouvement de colonisation.

Mais il existe un autre phénomène trop souvent ignoré dans ce conflit : le partenariat parfait entre les franges idéologiques et les institutions de l’État israélien. Comme l’a souligné Gershom Gorenberg dans son livre « The Accidental Empire » (2006), qui ne vieillit jamais, c’est l’implication importante, quoique semi-tacite, du gouvernement dirigé par les travaillistes au cours de la première décennie après 1967 qui a fourni le système de soutien à l’ensemble du projet à ses débuts.

Cinq décennies plus tard, le partenariat entre l’État et les colons a rendu les colonies presque irréversibles, et ce partenariat est florissant. Rappelons que Smotrich occupe un poste ministériel au sein du ministère de la Défense, aux côtés de Gallant. Dans ce poste civil, il s’est approprié des pouvoirs autrefois détenus par l’armée pour gouverner les colons juifs israéliens, mettant ainsi fin à la fiction de l’occupation militaire temporaire, tout en institutionnalisant un pouvoir inégal sur les Juifs et les Palestiniens sous l’égide des autorités civiles.

Et c’est une voie à double sens : dernièrement, l’armée a également adopté les tactiques des colons sur le terrain en Cisjordanie. Shira Livne, qui dirige l’unité des droits humains dans les territoires occupés à l’Association pour les droits civils en Israël, m’a dit que les FDI ont recruté des colons dans les unités de défense régionales après le début de la guerre, de sorte que « les mêmes colons qui ont attaqué les Palestiniens sont maintenant les responsables et peuvent continuer leurs attaques sous la protection de l’uniforme ».

Hagar Shezaf, de Haaretz, a récemment rapporté qu’environ 5 500 habitants des colonies ont été enrôlés dans des bataillons de défense régionaux depuis le début de la guerre. « Ils font maintenant partie des forces de défense israéliennes en Cisjordanie », explique-t-elle dans un article sur les rapports faisant état de leur violence à l’encontre des Palestiniens.

Selon Livne, « il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre la violence des colons et les opérations militaires illégales ».

Il s’agit d’une sorte de planification de scénario. Permettre à Israël de distribuer de l’aide humanitaire par la mise en place d’un gouvernement militaire, c’est aller tout droit vers la reproduction de ce cauchemar de Cisjordanie, la fusion de la violence des colons et de la violence militaire contre les Palestiniens par un État autoritaire. Israéliens : de quelle autre preuve avez-vous besoin pour savoir que ces pratiques coloreront la gouvernance israélienne sur toutes les populations qu’elle gouverne ?

Décideurs politiques, prenez garde : tout le monde souhaite que l’aide humanitaire parvienne à Gaza, mais les politiques d’aujourd’hui traceront la voie de l’avenir.

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