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20/06/2024

ANNA RAJAGOPAL
Pas besoin de “valeurs juives” dans la lutte pour la Palestine

Anna Rajagopal, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Anna Rajagopal, 24 ans, est une auteure usaméricaine de père blanc chrétien et de mère hindoue, convertie au judaïsme à l’âge de 11 ans et une stratège en médias vivant à Houston, au Texas. Anna a obtenu son diplôme avec distinction en recherche et créations artistiques, ainsi qu’avec mention honorable, de l’université Rice en 2023, où elle a reçu une licence en anglais et écriture créative. Anna est une poétesse et une auteure de non fiction publiée, et son travail a été publié localement, nationalement et internationalement. L’ensemble du travail d’Anna se concentre sur les géographies de l’identité de la communauté colonisées par l’empire et en résistance Anna est une coordinatrice de médias numériques qualifiée avec une expérience dans la gestion de médias pour des publications, des institutions et des marques de célébrités. Elle a fait l’objet de violentes campagnes de dénigrement de la part d’une obscure organisation sioniste la qualifiant, vi geventlikh [comme d'habitude en yiddish] d’ “antisémite”. @annarajagopal

Les Juifs n’ont pas besoin d’invoquer les “valeurs juives” pour justifier leur travail en faveur de la libération palestinienne. En fait, le faire renforce l’idéologie même que nous cherchons à démanteler.

La lutte populaire juive pour la libération palestinienne est souvent qualifiée par une invocation des « valeurs juives ». « Mes valeurs juives m’obligent à m’opposer au génocide » (ou des variantes) est une phrase populaire utilisée dans des discours, des déclarations et des slogans — donnant un sceau d’approbation juif légitime à ce qui suit.

« Le génocide n’est pas une valeur juive » : Des militants lors d’une manifestation contre le chanteur pro-israélien Matisyahu à Philadelphie, le 22 mars 2024. (Photo : Joe Piette/Flickr)

C’est ce que disent les fondateurs et les représentants d’organisations juives comme If Not Now, Independent Jewish Voices, Na’amod et Jewish Voice for Peace. C’est ce que disent des politiciens comme politicians such as Alexandra Ocasio-Cortez. Ainsi disent des tweets viraux et des vidéos populaires.

Que ce soit intentionnel ou non, ces organisations, individus et sentiments ont un point commun qui les aligne avec les groupes et mouvements sionistes populaires : un appel à la suprématie juive.

Quelles sont exactement les valeurs juives ? Bien sûr, les valeurs juives, comme celles de toute religion, couvrent un large spectre allant du libérateur au répressif. Mais si vous demandiez à Jonathan Greenblatt, directeur de l’Anti-Defamation League, il dirait probablement que cette notion abstraite de « valeurs juives » se résume à la nécessité de défendre la communauté juive en promouvant une politique pro-israélienne face à la montée des mouvements propalestiniens, ou qu’elle se résume à soutenir le sionisme lui-même. Si vous demandiez aux dirigeants militaires israéliens, ils diraient probablement que même l’attaque génocidaire contre Gaza a été guidée par les valeurs juives.

Et c’est là le bénéfice rhétorique, et le piège, des « valeurs juives » : elles ne sont pas des concepts concrets ou des principes directeurs sur lesquels tout le monde s’accorde, et elles changent selon la personne à qui vous demandez. Elles sont fabriquées.

L’invocation des « valeurs juives » est un dispositif malléable utilisé pour justifier des décisions, des actions et des déclarations faites par des Juifs — que ce soit dans la lutte pour la libération palestinienne ou contre elle. Et cela constitue finalement une méthode égoicentrique et autocentrée pour surfer sur la lutte d’un autre peuple pour la liberté.

En fin de compte, l’exaltation des « valeurs juives » pour valider la lutte palestinienne est fondamentalement un appel à la suprématie juive plutôt qu’une position ferme contre celle-ci.

Cette ligne d’argumentation postule un grand mythe de valeurs indéfinissables qui cherchent à valoriser le judaïsme comme étant intrinsèquement incompatible avec le génocide — comme étant intrinsèquement moral, déconnecté ou au-dessus de la violence exercée en Palestine. Mais la vérité est bien plus sinistre : le judaïsme a été adapté pour devenir un véhicule fonctionnel de cette violence. Plutôt que de confronter réellement l’utilisation du judaïsme comme un mécanisme de domination impériale, les soi-disant antisionistes juifs ont contourné la question en revendiquant l’autorité de le faire disparaître. Dans cet échec à aborder la suprématie juive comme racine du génocide palestinien, l’antisionisme juif revendique une supériorité morale et se dégage de toute affiliation avec le colonialisme.

Nous évitons la responsabilité et échappons à la prise de conscience que le judaïsme n’a pas une importance unique dans le monde, qu’il n’est pas une religion « choisie » ni même intrinsèquement bonne. Cela ignore également aveuglément que les valeurs juives peuvent être, et sont actuellement, utilisées comme une structure de pouvoir de plus pour alimenter une guerre sainte visant à éradiquer tout ce qui s’oppose à sa propagation.

Et chanter les louanges des « valeurs juives » alors que presque toutes les institutions juives soutiennent matériellement et financent le génocide en Palestine en utilisant le même slogan est, encore une fois, un mécanisme du sionisme ; l’écrivain Em Cohen écrit ainsi:

« [P]eut-être devrions-nous arrêter de vanter les ‘valeurs juives’ alors que pratiquement toutes les organisations/institutions juives dominantes soutiennent la supériorité blanche euro-américaine et le philosemitisme. Peut-être que vanter les ‘valeurs juives’ comme étant intrinsèquement moralement bonnes fait partie de ce projet, et non pas quelque chose qui le perturbe. »

En continuant de nous cacher derrière les « valeurs juives », nous évitons la simple vérité que nous n’avons droit à rien : ni à prétendre à une supériorité morale, ni à la terre d’autrui.

En invoquant les “valeurs juives”, nous nous positionnons non seulement comme des non-acteurs de ce génocide, mais aussi comme des sauveurs auxquels est conférée l’importance particulière de l’impératif juif.       

En fin de compte, ce sauveurisme ne concerne pas seulement la Palestine ; il existe aussi un combat pour sauver l’âme du judaïsme lui-même. La position morale que revendiquent les “valeurs juives” cherche également à exonérer le judaïsme de toute association avec le sionisme - et c’est ainsi que naît un judaïsme fictif qui n’est pas entaché par l’énormité morale du viol d’un garçon de 13 ans avec un tuyau ou du meurtre de 274 Palestiniens pour libérer quatre prisonniers de guerre israéliens.

Et lorsque nous nous engageons dans ce débat interne à la communauté juive qui cherche à sauver le judaïsme de ceux qui le confondent avec le sionisme, cela prend inévitablement le pas sur la libération des Palestiniens. La lutte pour la liberté devient secondaire lorsque la préoccupation première est le discours et la lutte à l’intérieur de la tente communautaire.

On le constate même chez les personnalités juives “antisionistes” les plus notables, qui célèbrent sans complexe la récente libération des prisonniers israéliens ou qui leur souhaitent bonne chance, sans dire un seul mot sur les Palestiniens tués à Nuseirat. Ou encore, ceux qui voient une innocence inhérente dans la conscience des officiers des forces d’occupation israéliennes. Plus encore, il y a cette conscience de soi flagrante qui veut que la communauté juive « expie le sang qu’elle a sur les mains ».   

L’intérêt personnel est trop souvent le moteur de l’antisionisme juif : la lutte interne contre le sionisme pour sauver le judaïsme éclipse régulièrement la lutte pour la libération palestinienne.

Mais la libération palestinienne n’a pas besoin de quoi que ce soit de juif, encore moins du sauveurisme justifié par les “valeurs juives”. Comme l’ont affirmé depuis des années les organisateurs palestiniens : ce ne seront pas les Juifs qui libéreront la Palestine, mais les Palestiniens. Et si le judaïsme existe sans notion de suprématie par la suite, ce sera un sous-produit de la liberté palestinienne plutôt qu’une priorité avant celle-ci.

Mais cela ne signifie certainement pas que nous, en tant que Juifs, sommes exempts du travail de révolution — bien au contraire. La révolution exige de nous un décentrage radical du soi dans la lutte pour la libération et le recentrage ur la lutte communautaire et la liberté collective. Tant que nous ne parvenons pas à séparer notre individualisme de la lutte, nous ne faisons que servir le sionisme : les Juifs n’ont pas besoin des “valeurs juives” pour justifier leur travail en faveur de la libération palestinienne.

 

 

 

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