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18/06/2024

REINALDO SPITALETTA
Bananes sanglantes : Chiquita condamnée aux USA pour ses crimes en Colombie (ce n’est qu’un début...)

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 18/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les actions de l’United Fruit Company, rebaptisée en 1989 Chiquita Brands International, dans une grande partie de l’Amérique centrale et de la Colombie sont terrifiantes. Son histoire d’iniquités comprend, parmi une vaste collection d’infamies, les méthodes d’acquisition des terres depuis la fin du XIXe siècle, y compris les manœuvres de sabotage propageant le sigatoka noir, l’exploitation impitoyable des travailleurs, souvent réduits en esclavage, et la participation à des massacres, comme celui de 1928 dans la zone bananière colombienne.

Détail d'une toile de Diego Rivera montrant le secrétaire d'État usaméricain John Foster Dulles tendant une bombe au colonel putschiste Carlos Castillo Armas.

Il convient de rappeler, par exemple, l’ingérence de la compagnie transnationale dans le coup d’État contre le président guatémaltèque Jacobo Árbenz en 1954, encouragé par la CIA, alors que ce président démocratiquement élu avait mis en œuvre des réformes agraires et du travail avec l’objectif social d’améliorer la situation des travailleurs. En substance, outre la production de bananes et d’autres fruits, l’entreprise, aux mains maculées de sang depuis ses origines, a soutenu des gouvernements autoritaires.


Récemment, un tribunal de Floride aux USA a condamné la compagnie que l’écrivain costaricien Carlos Luis Fallas avait baptisé “Mamita Yunai”*, fer de lance du néocolonialisme, pour avoir financé les Autodéfenses unies de Colombie et parrainé leurs actions criminelles, qui ont conduit à la violation systématique des droits humains de la population civile dans l’Urabá et le Magdalena. En 2007, comme on l’a peut-être déjà oublié, il avait été prouvé que Chiquita Brands avait soutenu les paramilitaires avec de l’argent et d’autres ressources entre 1997 et 2004.

Le tribunal du district sud de Floride a jugé la multinationale responsable des conséquences pénales de son financement du paramilitarisme, suite à l’action en justice intentée par certaines familles qui ont subi les conséquences désastreuses de ce parrainage. Bien qu’il existe des milliers de plaintes contre Chiquita Brands émanant de milliers de victimes de ses abus, dans ce cas-ci, la décision est favorable à huit des neuf familles qui, depuis près de vingt ans, persistent à demander justice pour l’assassinat de leurs proches.

Ce procès contre Chiquita Brands n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui ne manqueront pas de se produire ou qui sont déjà en cours. Il y a aussi le jugement de l’histoire. Les manœuvres et les excès de l’entreprise transnationale, qui a laissé un sillage de désolation et de misère, ainsi que des morts en masse, sur son passage dans le Magdalena, sont ténébreux. L’enclave qu’elle a créée dans la Zona Bananera, avec la complaisance des différents gouvernements colombiens à genoux devant les diktats de Washington, a laissé dans son sillage une litière de feuilles mortes (comme le note le premier roman de García Márquez, Des feuilles dans la bourrasque) et d’autres désolations, ainsi qu’une traînée de sang de travailleurs.

L’enfer dans lequel un peu plus de trente mille travailleurs de la "Yunai" ont été consumés dans diverses épreuves, a eu son expression la plus horrible dans le massacre de 1928, dans lequel, selon les documents des USA eux-mêmes (l’Ambassade à Bogota et le Département d’État), il y a eu plus d’un millier de morts.

La littérature, à son tour, en tant que témoignage des atrocités commises par la compagnie, a laissé de belles et douloureuses archives, comme la partie de Cent ans de solitude qui raconte le massacre des bananeraies, ainsi que le roman La casa grande, d’Alvaro Cepeda Samudio. Il existe d’autres textes, comme la nouvelle Si no fuera por la zona caramba, de Ramón Illán Bacca, sur la même histoire malheureuse, et en Amérique centrale, en particulier au Guatemala, Miguel Ángel Asturias, dans sa Trilogie bananière, met en lumière les exactions de l’entreprise bananière.

Chiquita, qui a fait ce qui lui chantait dans l’Urabá, a été condamnée à payer plus de trente-huit millions de dollars aux familles de huit Colombiens (sur les milliers qui sont morts dans cette région et dans d’autres régions du pays) tués par des paramilitaires. L’ONG EarthRights International, qui représente les victimes, a déclaré : « Ce verdict envoie un message fort aux entreprises du monde entier : profiter des violations des droits humains  ne restera pas impuni ».

La multinationale avait payé une amende de 25 millions de dollars en 2007 pour son parrainage du paramilitarisme, mais aucune partie de l’argent n’est allée aux victimes, seulement au Trésor usaméricain. La mise en lumière du parrainage de cette horde d’assassins par cette entreprise remet en question la manière dont d’autres, toujours impunies, ont protégé le paramilitarisme. On se souvient, par exemple, que Carlos Castaño avait déclaré qu’un groupe de six personnes très puissantes, dont des membres de l’Église et des grands patrons, avaient béni et cautionné cette barbarie.

Le premier verdict du jury de Floride susmentionné pourrait ouvrir d’autres portes, non seulement pour l’indemnisation des victimes, mais aussi pour la connaissance de la vérité sur le terrible conflit interne colombien. Salvatore Mancuso a déjà commencé à “chanter” et d’autres liens et déclarations pourraient apparaître sur ceux qui ont fait partie et soutenu les escadrons de la mort, qui ont perpétré des massacres partout, qui ont rasé des terres, qui ont encouragé les terribles “faux positifs” et qui ont mis la Colombie à feu et à sang.

Oui, ce premier verdict en Floride est une victoire de David contre Goliath, dans le cas des victimes de Chiquita Brands. Tout ne peut pas continuer à rester impuni, comme cela a été le cas jusqu’à présent.

NdT

*Mamita Yunai, publié en 1941 au Costa Rica, a été  publié en français aux Éditeurs Français Réunis en 1964 sous le titre Mamita Yunai (Maman Banane and Co.) et aux Éditions du Burin/Martinsart en 1971. On peut en trouver des exemplaires en antiquariat. Le pdf en espagnol peut être lu ici)

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