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04/12/2025

Hegseth est «the killer»… et ce n’est pas une série Netflix

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 4/12/2025
Traduit par Tlaxcala

Lorsque Donald Trump ébauchait la composition de son cabinet après avoir été élu et avant d’entrer en fonction, il prit une décision : les néoconservateurs, qui lui avaient causé tant de problèmes lors de sa première administration, n’auraient cette fois aucune place. Ainsi furent exclus, entre autres, Mike Pompeo, Mike Pence, Nikki Haley, John Bolton et Elliott Abrams, qui avaient occupé des postes de haut niveau sous son précédent gouvernement.

Mais quelque chose tourna mal. Après la dernière élection sénatoriale, la chambre haute se retrouva composée de 53 sénateurs républicains, 45 démocrates et 2 indépendants qui votent généralement avec les démocrates. Parmi les 53 républicains élus, quatre d’entre eux — Rick Scott et Ashley Moody, membres de la mafia de Floride, Bernie Moreno, d’origine colombienne, sénateur de l’Ohio, et Ted Cruz, d’origine cubaine, sénateur du Texas — auxquels s’ajouta ensuite Lindsay Graham, de Caroline du Sud, s’identifient idéologiquement à l’extrême droite fasciste regroupée dans le secteur néoconservateur qui fait partie de l’actuelle administration des USA.

Bien qu’ils soient minoritaires, ils disposaient de suffisamment de voix pour faire basculer les votes au Sénat. Ils le firent savoir à Trump, qui avait besoin d’eux pour faire adopter ses projets ; il dut donc accepter à contrecœur ce qu’ils exigeaient… et ils exigèrent le Département d’État, où ils placèrent l’un des leurs : Marco Rubio. À partir de ce moment, Trump fut pris en otage par ce groupe. Beaucoup de décisions découlent de ce chantage exercé par le secteur néoconservateur de son gouvernement. Et apparemment, il ne peut rien y faire, car grâce à eux non seulement son cabinet a été approuvé, mais aussi le budget et la « One Big Beautiful Bill Act » (OBBBA), la soi-disant « plus belle loi du monde », une aberration que les sénateurs votèrent pour plaire au président.

Ainsi, Trump parvint à faire approuver ses propositions pour remplacer les membres du cabinet. Cependant, lors du vote pour désigner le titulaire de ce qui était alors le département de la Défense — aujourd’hui rebaptisé département de la Guerre —, le scrutin déboucha sur une égalité qui dut être départagée par le vote favorable de J.D. Vance, le vice-président.

 
Comment dessiner Pete Hegseth, par Michael de Adder

C’est ainsi que Peter Brian Hegseth, alias Pete, assuma la plus haute responsabilité militaire du pays, malgré le rejet de la moitié des sénateurs, dont trois républicains. Les arguments contre sa nomination mettaient en avant son manque d’expérience, mais aussi les accusations de viol formulées par une femme en 2017 et qui furent apparemment « réglées » par un paiement contre silence.

Hegseth, personnage obscur né il y a 45 ans à Minneapolis (Minnesota), dont « l’expérience » se limite à avoir été présentateur de télévision célèbre pour ses opinions ultra-réactionnaires et conservatrices — notamment son homophobie déclarée, fondée sur l’idée que cette orientation sexuelle serait étrangère à la civilisation occidentale — affirmait que « le mode de vie homosexuel est anormal et immoral ».


D’autre part, son tempérament est visible au premier regard à travers son tatouage de la « croix de Jérusalem », symbole des croisés exprimant l’extrémisme chrétien. Un autre tatouage porte les mots « Deus Vult », en latin « Dieu le veut », cri de guerre des Croisés repris plus tard par les suprémacistes blancs.

Hegseth a écrit quatre livres. Dans le premier, il fait l’apologie des sociétés des États du Sud qui, avant la guerre de Sécession, fondaient leur économie sur l’esclavage. Il estime également que « les femmes n’auraient jamais dû obtenir le droit de vote ». Dans son second livre, American Crusade, publié en 2020, il écrit : « Comme les croisés chrétiens qui repoussèrent les hordes musulmanes au XII siècle, les croisés américains devront faire preuve du même courage face aux islamistes d’aujourd’hui. »

Trump considéra que son bref passage dans la Garde nationale de l’armée usaméricaine suffisait pour le nommer secrétaire à la Défense, sans tenir compte du fait qu’il n’avait accédé qu’au grade de capitaine, sans avoir suivi aucun cours d’état-major ni de commandement stratégique. Que penseraient des généraux et amiraux ayant plus de 35 ans de service d’être commandés par un capitaine ? On pourrait argumenter que l’expertise ne s’acquiert pas seulement au sein des forces armées — ce qui est vrai —, mais ledit capitaine n’a pas non plus la moindre expérience politique : il échoua comme candidat au Sénat de son État natal, ce qui le contraignit à se recycler comme chroniqueur pour Fox News, où la formation requise pour obtenir un travail est minime.

En accédant à son nouveau poste, exposant très vite son inexpérience pour une charge aussi lourde, il a orienté son action, en connivence avec Marco Rubio, dans deux directions. D’une part, il tente de réorienter la doctrine militaire de son pays, déplaçant les priorités de la confrontation avec la Chine et la Russie — ce que les hauts commandements militaires répètent sans cesse lors de leurs auditions au Congrès — vers la défense contre des menaces internes et la situation dans l’hémisphère occidental. Selon un expert cité par le portail allemand Politico, ce changement « ne semble absolument pas conforme aux positions agressives du président Trump envers la Chine ».

La deuxième orientation, déduite de la première, est que la doctrine militaire doit mettre l’accent sur la protection des frontières des USA, prétendument menacées par le narcotrafic et les migrations, incluant la lutte contre ces « ennemis » à l’intérieur même du pays.

De plus en plus de voix influentes aux USA alertent sur les risques qu’impliquerait l’application de cette doctrine. Le journaliste Tucker Carlson a averti que « dans le futur, les USA pourraient être confrontés à une guerre civile ». Son argument s’appuie sur les protestations contre les actions de l’ICE et les émeutes du mouvement Antifa, désigné par l’administration Trump comme « organisation terroriste ». Hegseth et Rubio souhaitent impliquer les forces armées usaméricaines au service de Trump et des Républicains dans cet éventuel conflit. Parallèlement, les gouverneurs manifestent une résistance croissante à l’idée d’accepter la présence de militaires dans leurs États sans leur autorisation.

Une autre facette de la gestion d’Hegseth est sa volonté déclarée de « nettoyer » le Pentagone des officiers supérieurs « liés au Parti démocrate » ou ayant adopté les politiques inclusives de l’administration Biden. Dans ce cadre, le secrétaire à la Guerre (il a changé la dénomination du département, auparavant appelé Département de la Défense) a renvoyé ou écarté au moins deux douzaines d’officiers supérieurs au cours des dix derniers mois. Par ailleurs, une vingtaine de généraux et amiraux ont demandé leur retraite avant la fin de leur temps légal de service, parmi eux l’amiral Alvin Hosley, chef du Commandement Sud.

Beaucoup de ces officiers ont été expulsés sans explication, contredisant parfois les avis d’autres hauts gradés ayant combattu avec eux, selon certaines dénonciations. Ces actions auraient créé un climat « d’anxiété et de méfiance », obligeant les hauts commandements à prendre parti, voire à s’opposer les uns aux autres.

En parallèle, des sources révèlent que le chef du Pentagone a retardé ou annulé les promotions d’au moins quatre officiers supérieurs parce qu’ils avaient auparavant travaillé pour le général Mark Milley, chef de l’état-major interarmées jusqu’en 2023.

Dans un des changements les plus remarqués, Trump a nommé un nouveau vice-chef d’état-major de l’armée pour remplacer le général James Mingus, qui n’avait occupé le poste que moins de deux ans. Le président a nommé le lieutenant-général Christopher LaNeve. Sans surprise, LaNeve travaille actuellement comme conseiller d’Hegseth, en tant qu’assistant militaire supérieur — un de ses plus proches alliés.

C’est dans ce contexte que, le mardi 30 septembre, Hegseth réunit — pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale — plus de 800 généraux et amiraux sur la base des Marines de Quantico, en Virginie, à environ 30 km de Washington.

L’aspect inhabituel de la réunion ne tenait pas seulement à sa convocation, mais à son objet. On aurait pu penser qu’il s’agissait de débattre de questions politico-militaires globales, mais il n’en fut rien. Malgré le discours introductif de Trump, qui parla d’une « très belle réunion » pour discuter des « excellents résultats militaires », la réalité fut toute autre.

L’atmosphère n’était pas des meilleures : nombre de généraux redoutaient les risques sécuritaires que représentait le rassemblement en un seul lieu d’un si grand nombre d’officiers, alors qu’une vidéoconférence via les systèmes internes hautement sécurisés du Pentagone aurait suffi, évitant des déplacements exigeant une logistique considérable. Ainsi, la confidentialité qui aurait dû entourer une telle réunion fut compromise.

Mettre fin au wokisme, par Adam Zyglis, The Buffalo News

Dans son discours, Hegseth attaqua violemment l’idéologie « woke », qui se serait développée au sein de l’armée sous les administrations précédentes. Parmi les mesures qu’il annonça : l’interdiction des personnes en surpoids, des barbus, des militaires aux cheveux longs, et de « certaines expressions individuelles superficielles ». Il s’en prit également aux femmes, déclarant qu’elles n’auraient plus leur place au combat, et annonça le retour des « combattants inconditionnels » qui auraient quitté l’armée sous le « département woke ». Il promit une réforme des processus d’enquête pour harcèlement, déclara la « fin des hommes en robe », des politiques d’équité, de diversité et d’inclusion, promettant une armée à l’image de l’administration MAGA.

Avant l’intervention d’Hegseth, Trump avait déclaré que les grands centres urbains du pays étaient « des lieux très dangereux [et que] nous les remettrons en ordre un par un […] Ce sera une tâche importante pour certaines personnes présentes dans cette salle […] C’est une guerre interne », conclut-il.

La réunion ne restera pas dans l’histoire pour son contenu, mais pour les visages stupéfaits des généraux et amiraux alors qu’ils écoutaient les discours de Trump et d’Hegseth et leur diatribe contre l’obésité, les barbes, l’homosexualité dans les forces armées et la nécessité de limiter la présence des femmes.

Une autre facette de la gestion d’Hegseth se manifeste dans ses attaques sans précédent contre les médias, visant à la fois des journalistes individuels et l’industrie dans son ensemble. Depuis son arrivée au Pentagone, certains médias ont été expulsés de leurs espaces de travail partagés. Les journalistes ont vu leur liberté de circulation réduite, et plusieurs accréditations de presse ont été retirées.

Parmi les journalistes durement pris pour cibles figurent Jennifer Griffin, reporter de Fox News avec une longue expérience de la couverture du Pentagone, victime de déclarations « acerbes » répétées d’Hegseth. Courtney Kube, correspondante de NBC News, a été également visée après avoir publié des informations peu flatteuses sur le passé d’Hegseth, notamment des témoignages familiaux relatifs à son comportement abusif envers sa seconde épouse. Ces révélations avaient émergé lors de sa nomination. Peu après son entrée en fonction, Hegseth a tenté de faire expulser la journaliste du Pentagone — une décision finalement impossible à mettre en œuvre faute de base juridique.

Dans son action la plus récente, Hegseth aurait ordonné l’assassinat de deux pêcheurs ayant survécu à une attaque après avoir été faussement accusés de narcotrafic. Le représentant démocrate Jim Himes, élu du Connecticut, a qualifié ces attaques d’« assassinats illégaux » et d’« inquiétants », affirmant que le Congrès reçoit très peu d’informations de l’administration Trump. Himes, membre le plus haut placé de la Commission du renseignement de la Chambre, reconnut l’existence d’un mémorandum publié par la Maison-Blanche, mais le jugea irrecevable. « Sur la base de ce que je sais aujourd’hui et de la lecture de ce mémorandum, ce sont des assassinats illégaux », déclara-t-il, ajoutant : « Ce sont des assassinats illégaux parce que l’idée que les USA — et c’est la justification avancée par l’administration — seraient en conflit armé avec n’importe quel narcotrafiquant vénézuélien est absurde. Cela ne tiendrait devant aucun tribunal. »

Dans cette situation, une véritable guerre interne a éclaté, évoquant une perte de « confiance » envers Hegseth, jugé incapable de gérer des négociations de haut niveau, selon un article de Politico du 21 novembre, citant des sources informées. Cela a entraîné une escalade de conflits rhétoriques au sein du mouvement MAGA. L’une des figures de l’ultra-droite, Laura Loomer, a accusé Dan Driscoll d’être lié au Parti démocrate et de « préparer un coup d’État contre Hegseth ».

Selon Politico, la dernière visite à Kiev de hauts responsables du Pentagone dirigés par Dan Driscoll illustrerait la perte de crédibilité et de protagonisme d’Hegseth.

Nul ne sait si Hegseth pourra supporter la pression croissante à laquelle il est soumis. Il y a quelques semaines, une source proche du Pentagone a affirmé que le secrétaire à la Guerre semblait si nerveux qu’il paraissait « sur le point d’exploser ». Entouré de l’un des dispositifs de sécurité les plus puissants du monde, Hegseth s’est montré particulièrement préoccupé depuis l’assassinat de l’activiste ultraconservateur Charlie Kirk lors d’un événement public.

Selon un article publié par Daily Mail le 29 septembre, citant des sources proches, la peur d’Hegseth « se reflète dans un comportement erratique envers ses employés ». Deux informateurs anonymes du Pentagone ont confié que ces dernières semaines, il multipliait les diatribes, s’emportait contre ses subordonnés et était obsédé par sa sécurité. « Il a une qualité maniaque. Ou plutôt, une qualité encore plus maniaque — ce qui est déjà beaucoup dire », a déclaré l’un d’eux, le décrivant comme distrait, agité, se levant et marchant de long en large pendant les réunions.

À présent, comme le lâche qu’il est, il n’a pas assumé la responsabilité de l’ordre « tuez-les tous », qui a conduit à l’assassinat des pêcheurs dans les Caraïbes, laissant l’amiral Frank M. Bradley, commandant des opérations spéciales, affronter seul les conséquences. Selon le Washington Post, « Bradley, alors commandant du Joint Special Operations Command, a supervisé une attaque dans les Caraïbes le 2 septembre 2025, ordonnée par Hegseth, contre un navire soupçonné de narcotrafic. Le Post rapporte que « Bradley a ordonné une seconde attaque après avoir identifié deux survivants via un drone, suivant la directive d’Hegseth de ne laisser aucun survivant ».

On verra quelles répercussions pourrait avoir le fait que des amiraux ayant plus de 35 ans de service —commandant aujourd’hui des porte-avions, sous-marins nucléaires, destroyers et croiseurs — terminent leur carrière en détruisant de petites embarcations civiles et en assassinant de paisibles pêcheurs. On comprendra aussi pourquoi les suicides, la toxicomanie et les traumatismes post-guerre augmentent chaque jour dans les forces armées usaméricaines. Pour cela aussi, elles ont besoin de maintenir en fonctionnement le commerce de drogue qu’elles prétendent combattre. C’est une pièce du puzzle de cette société décadente.

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